dimanche 27 novembre 2022

La contractualisation de l’enseignement (2ème partie): Quelques exemples de pays qui ont appliqué les recommandations des bailleurs de fonds et les résultats de cette politique.


  

Hédi Bouhouch

Nous voulons préciser dès le départ que nous traitons cette question qui fait l'objet d'un débat controversé entre les anti contractualisation et toute forme d'emploi précaire et les pour d'un angle académique , ni pour  condamner le phénomène ni pour le défendre, notre souci est de fournir à nos amis (es) lectrices et lecteurs des éléments d'informations  qui les aideront, nous l'espérons, à comprendre ce phénomène, ses origines et ses aboutissements, ses avantages et ses effets sur l'école et l'enseignement.

 

 

Selon Bourdon[1], plusieurs pays africains subsahariens ont opté pour le recours massif à des enseignants sous le statut de vacataires ; par exemple au   Niger cette catégorie représentait en 2000 près de 50 % du corps enseignant du primaire (Bernard et al. 2004 : 6) » 

Au Bénin « selon des  données partielles, 72 % des enseignants, au niveau des premiers grades du primaire en 2003, seraient employés sur ces nouveaux statuts de contrats locaux, durant l’année  scolaire 2007-2008, alors que seulement 53% ont été engagés par

   l’état[2] (Ministère des enseignements Primaire et Secondaire, 2008).[3]

Au Sénégal, selon Augustin Kalano (2012), en 2008, on « comptait 19,26% d’enseignants titulaires, 41,74% de maîtres contractuels (MC) et 18,19% de volontaires de l’éducation nationale (VEN) ; soit un taux d’enseignants du «corps émergent »[4] de 59,93% » [5]

Le phénomène a touché aussi trois pays d'Afrique du nord : le Maroc, l'Algérie et la Tunisie.

Au Maroc, depuis 2016, le département de l’éducation nationale a adopté une nouvelle politique de recrutement des enseignants, avec  le recours massif au recrutement par contrat. Cette politique s’inscrivait dans le cadre général de la réforme du système éducatif. Celle-ci, érigée  en un « choix stratégique et irréversible », intervient dans un contexte de chute drastique de l’effectif des enseignants qui ne suit plus les besoins du système éducatif qui sont de plus en plus importants et les créations de postes dans le cadre des lois de finances qui ne suivent pas. Le recours à la contractualisation est également dicté par des considérations budgétaires. En effet, la maîtrise de la masse salariale est une question primordiale pour les pouvoirs publics, c’est même un engagement du Maroc vis-à-vis du Fonds Monétaire International (FMI) dans le cadre de la ligne de précaution et de liquidité. « En 2018, la masse salariale a atteint 108,8 milliards de dirhams, enregistrant une hausse de 55% en dix ans. Le Gouvernement marocain s’est donc engagé à maintenir la masse salariale publique, y compris les cotisations sociales, sous le seuil de 10,5% du PIB à moyen terme contre un ratio de 12% actuellement»[6].

Le projet de loi des finances 2022 prévoit de recruter 15.000 contractuels en 2022. Ces nouveaux contractuels vont s'ajouter aux 102.000 enseignants contractuels recrutés entre 2017 et 2021. Ainsi les contractuels représentent à peu près le tiers des professeurs d'après Jeune Afrique[7].

La précarité des contractuels les a poussés à s'organiser pour obtenir une amélioration de leur situation. Une coordination nationale des enseignants contractuels (CNPCC) a été constituée pour engager les négociations avec le ministère sans grands succès. A la rentrée 2021/2022, la CNPCC a mis au point «un programme de lutte spéciale, pour faire valoir leur droit auprès de leurtutelle et de l’État. Dans un communiqué elle a annoncé un nouveau débrayage du 12 au 16 octobre»[8]

En Algérie, le phénomène de la contractualisation a pris beaucoup d'ampleur depuis des années. D'après le président du Syndicat national autonome des professeurs de l’enseignement secondaire et technique algérien, on compte « un à deux enseignants contractuels par établissement scolaire, le syndicaliste a affirmé qu’ils sont actuellement des milliers à partager cette situation incertaine[9]».

Le responsable syndical explique l'ampleur du phénomène par deux facteurs qui rappellent la situation marocaine : le manque flagrant de postes budgétaires octroyés par la fonction publique et l'incapacité des écoles spécialisées à répondre aux besoins en enseignants. Ainsi, «le ministère de l’éducation s’est rabattu sur les contractuels et les vacataires mais leur situation censée être temporaire a duré des années pour certains ». Il est vrai qu' «en 2012, c’est l’ancien ministre de l’Education nationale, Ben Bouzid, qui avait procédé à la normalisation de la situation des enseignants contractuels en poste en les recrutant, mais depuis 10 ans, rien n’a été fait depuis»d'après le responsable syndical[10].

Cette situation a entraîné de longs mois de mobilisation et de mouvements de contestations des contractuels (sit-in, marche, grève de la faim de plusieurs semaines …) qui demandaient la régularisation. Le ministère a décidé l'ouverture d'un concours pour 52000 postes destinés à la régularisation des contractuels.

Fin de la deuxième partie, à suivre la contractualisation en Tunisie

Mongi Akrout & Abdessalam Bouzid, inspecteurs généraux de l'éducation.

Tunis, octobre 2022

Pour accéder à la version Ar, Cliquer ICI



[1]  Jean Bourdon. Coût et financement de l’éducation primaire en Afrique Subsaharienne. PILON Marc (IRD). Défis du développement en Afrique subsaharienne : l’´education en jeu, CEPED, pp.123-145, 2006, Rencontres.

 

[2]Lauwerier, Thibaut, BRÜNING, Marie, AKKARI, Abdeljalil. La qualité de l’éducation de base au Bénin: la voix des acteurs locaux. Recherches en Education, 2013, no. 15, p. 120-136

[3]Opt cité

[4] Le « Corps émergent » fait référence aux catégories des Volontaires de l’Éducation (0-2 ans de service) et des Maîtres Contractuels (plus de 2 ans de service sans formation professionnelle initiale).

[5] Augustin Kalano (2012) Des déterminants des performances scolaires au primaire au Sénégal.  Editions universitaires européennes

 

[6]   Le métier de l'enseignant au Maroc  à l'aune de la comparaison internationale,  rapport préparé  en 2021 par  le Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique  et l'instance nationale d'évaluation du système d'éducation , de formation et de recherche scientifique.

https://www.csefrs.ma/wp-content/uploads/2021/11/30-11-Rapport-me%CC%81tier-de-lenseignant-V-Fr.pdf

[7]Nina Kozlowski. Maroc : les enseignants contractuels, une épine dans le pied de Chakib Benmoussa. 29 octobre 2021

https://www.jeuneafrique.com/1258376/politique/maroc-les-enseignants-contractuels-une-epine-dans-le-pied-de-chakib-benmoussa/

[8]ChaimaaBarki .Enseignants contractuels: La grogne pèse sur la rentrée scolaire, L'Opinion ; 12 octobre 2021
https://www.lopinion.ma/Enseignants-contractuels-La-grogne-pese-sur-la-rentree-scolaire_a19610.html

[9] De source syndicale le  nombre des contractuels en 2022 avoisine les 18 000 enseignants

Lynda Louifi (2022) : Recrutement d’enseignants sur concours en décembre prochain-Le jeune indépendant 30 juillet 2022

https://www.jeune-independant.net/recrutement-denseignants-un-concours-est-prevu-en-decembre-prochain/

[10]WafaSifouane. Enseignants contractuels : la fin du calvaire,in l'Algérie aujourd'hui. 13/3/2022.

https://lalgerieaujourdhui.dz/enseignants-contractuels-la-fin-du-calvaire/

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