dimanche 11 décembre 2022

La contractualisation de l’enseignement (4ème partie): l'impact de la contractualisation et autres formes de recrutement sur la qualité des acquis des élèves.

 

 

Hédi BOUHOUCH

Nous voulons préciser dès le départ que nous traitons cette question qui fait l'objet d'un débat controversé entre les anti contractualisation et toute forme d'emploi précaire et les pour d'un angle académique , ni pour  condamner le phénomène ni pour le défendre, notre souci est de fournir à nos amis (es) lectrices et lecteurs des éléments d'informations  qui les aideront, nous l'espérons, à comprendre ce phénomène, ses origines et ses aboutissements, ses avantages et ses effets sur l'école et l'enseignement.

 

 

Avec ce quatrième  et dernier billet, nous clôturons la série de billets consacrés  pour présenter le phénomène de la contractualisation  dans l'enseignement qui s'est développé ces dernières années à travers le monde et surtout dans les pays à faible revenu , en Asie, en Afrique et en Amérique Latine.

Nous réservons ce dernier billet  pour présenter l'impact de ce phénomène sur la qualité des apprentissages et des acquis des apprenants.

Pour revenir à la 1ère partie, cliquer ici, et à la 2ème partie, cliquerici, et à la 3ème partie, cliquer ici

 

 

 

Quel impact de la contractualisation et autres formes de recrutement sur la qualité des acquis des élèves ?

Il est certain que cette politique de recrutement a eu des effets non négligeables sur la qualité de l’éducation dans tous les pays. Depuis les années 1980, plusieurs pays africains ont fermé les institutions de formations des maîtres ou ont réduit leurs effectifs pour des raisons budgétaires. En plus, plusieurs enseignants qualifiés arrivés à l'âge de la retraite sont remplacés par des contractuels, moins qualifiés et peu ou pas formés du tout. Selon Duthilleul (2004)[1], « jusqu’à un tiers des enseignants du primaire ne sont pas formés à leur métier en Afrique subsaharienne[2].

"Selon CONFEMEN[3]& ME (2007), au Sénégal, 53,8% des enseignants du cycle élémentaire sont sans formation initiale donc sans qualification " [4]

Mais la situation est très différente selon les pays, de l'absence totale d'une formation initiale des contractuels à une formation qui s'étale sur deux années (voir le tableau ci-dessous) :

Pays

Durée de la formation initiale

Congo

2 ans d'apprentissage + F.C

Burkina Faso

1 an

Mali

3 mois

Source : Bourdon& al, op.cité

 

Plusieurs chercheurs s'étaient penchés sur la question pour étudier l'impact de cette politique  de recrutement sur la qualité de l'enseignement assuré par cette catégorie d'enseignants,  Certaines enquêtes réalisées dans des pays d'Afrique subsaharienne[5]  n'ont pas abouti à  dégager un résultat clair  et fiable de l’effet des enseignants contractuels sur la qualité de l’éducation.

 Bernard J-M, Tiyab K. et Vianou K. (2004) qui ont fait une synthèse des résultats des évaluations PASEC[6] (Programme for the Analysis of the Educational Systems) sur les questions relatives aux enseignants, avaient conclu « qu'il n’y a pas de différences notables d’efficacité pédagogique selon le statut de l’enseignant. Quand des différences font jour, celles-ci demeurent modérées et ne sont pas systématiquement en faveur d’une catégorie particulière ».

Or le même PASEC (2004) a montré qu’il existe un impact négatif des statuts de contractuels qui s’explique en grande partie uniquement par le fait d’un très faible accès de ceux-ci à la formation professionnelle.

 

 

Extrait du rapport du PASEC 2019 sur la qualité des systèmes éducatifs en Afrique subsaharienne francophone

 

« Les nombreuses études relatives à l’influence de la formation des enseignants sur la qualité des apprentissages restent réservées ou opposées dans leurs conclusions. Les travaux de Wilson, Floden, et FerriniMundy (2002) affirment qu’au-delà d’un certain point, des diplômes universitaires supplémentaires n’améliorent pas véritablement l’efficacité de l’enseignement. Dans cette même logique, Rivkin et al. (2005) concluent leur étude en expliquant qu’il n’existe pas de données permettant d’affirmer qu’être titulaire d’un master améliore les compétences pédagogiques. Woessmann (2001), qui a analysé les données de l’enquête TIMSS sur les résultats des élèves de 13 ans dans 39 pays, a constaté, par contre, un lien positif entre le niveau d’études des enseignants et la performance des élèves en mathématiques et en sciences.

Les résultats contradictoires sur le lien entre la formation des enseignants et leur efficacité invitent à observer les scores des enseignants, en termes de connaissance des contenus disciplinaires enseignés, selon leur niveau de formation ». p197

PASEC 2019- qualité des systèmes éducatifs en Afrique subsaharienne francophone- performances et environnement de l’enseignement-apprentissage au primaire- Publié en 2020 par le Programme d’Analyse des Systèmes Éducatifs de la CONFEMEN, BP 3220, Dakar (Sénégal)

ww.pasec.confemen.org/wp-content/uploads/2021/01/RapportPasec2019_Rev2022_WebOK.pdf

Selon le rapport de l'Unesco (2019)[7]« le recours accru à des enseignants contractuels par l'Inde n’a pas entraîné de détérioration de la qualité de l’éducation et, dans certains contextes locaux, a peut-être même permis d’améliorer les résultats de l’apprentissage. Il semblerait que les faibles niveaux de formation des enseignants contractuels soient compensés par des efforts scolaires et pédagogiques accrus, mais les différences sont la plupart du temps infimes et l’incidence globale est minimale. Les enseignants contractuels sont plus susceptibles de faire preuve d’assiduité que les enseignants fonctionnaires au Bénin et en Inde, mais plus susceptibles d’être absents en Indonésie et au Pérou (Alcázar et al. 2006 ; Bhattacharjea et al., 2011 ; Chaudhury et al., 2006 ; Senou, 2008).

Des évaluations indépendantes du programme « Teach for America » ont montré que ces enseignants sont aussi efficaces que d’autres enseignants également sans formation pour ce qui est d’obtenir des résultats d’apprentissage sur la base d’épreuves normalisées, mais qu’ils ne sont pas aussi efficaces que les enseignants débutants certifiés qui ont bénéficié de la formation classique à l’enseignement.»

En dépit de ces conclusions, le rapport de l'Unesco recommande de «peser les avantages et les inconvénients d’un recrutement à grande échelle d’enseignants contractuels par rapport à l’accès à l’éducation, à la qualité de l’éducation et aux objectifs de celle-ci en matière de diversité. Même si cela s’avère souvent nécessaire et bénéfique pour améliorer l’accès à l’éducation dans les zones rurales et reculées des pays à faible revenu, la coexistence de deux différents systèmes de qualifications et d’exigences pour entrer dans la profession entraîne une dégradation de la situation professionnelle qui compromet le recrutement de candidats de qualité sur le long terme.

Un programme de ce type peut d’autre part conduire à l’appauvrissement de la qualité de l’enseignement et de l’environnement d’apprentissage dans les établissements scolaires, en raison des tensions et d’une coopération limitée entre les enseignants contractuels et les enseignants employés à titre permanent.»[8]

Pour sortir de cette situation, l'UNESCO recommande aux pays qui utilisent des contractuels dans l'enseignement de prendre les mesures suivantes pour améliorer la situation des enseignants contractuels et par là d'améliorer la qualité de l'enseignement et d'instaurer un climat scolaire sain. Il s'agit :

-          1- «d’établir un calendrier pour assurer la parité entre les enseignants contractuels/communautaires et les enseignants fonctionnaires ;

-          2 - d’offrir à ces enseignants le perfectionnement professionnel dont ils ont besoin ;

-          3- de mettre en place des programmes d’initiation, de tutorat et d’encadrement par des enseignants qualifiés et expérimentés ou par les chefs d’établissement afin d’améliorer l’enseignement ;

-          4 - de garantir aux enseignants contractuels/communautaires les mêmes droits et avantages que ceux des enseignants titulaires ;

-          5 - d’impliquer les représentants des syndicats d’enseignants dans la prise de décisions relatives à cette politique»

D'ailleurs certains pays ont déjà fait des avancées dans cette voie, L’Indonésie  par exemple « s’est dotée d’un ambitieux programme d’évaluation, de perfectionnement professionnel et de plan de carrière pour les enseignants, en vue d’intégrer son pourcentage élevé d’enseignants contractuels dans la fonction publique, au prix d’une augmentation importante des dépenses du Gouvernement en faveur de l’éducation (Chang et al., 2014 ; UNESCO, 2014a : 258) ».

Dans 14 pays d'Afrique du sud du Sahara (ASS), un rapport du PASEC[9] publié en 2020 montre une nette amélioration de la proportion des enseignants du primaire qui ont suivi une formation professionnelle initiale. Ainsi 41.4% des enquêtés affirment qu'ils ont suivi une formation professionnelle initiale pendant deux années et plus, 26.5 % disent avoir eu une formation d'une année et 15.6% une formation de moins de 6 mois et  16.5% n'ont aucune formation professionnelle.

Au Sénégal, les enseignants du cycle élémentaire sans formation initiale donc sans qualification ne sont plus que 4.9% en 2019 alors  qu'ils représentaient 53,8% selon CONFEMEN & ME (2007). "[10]

 

Fin de la quatrième partie, pour revenir à la 1ère partie, cliquer ici, à la 2ème partie, cliquer ici, à la 3ème partie, cliquer ici

Mongi Akrout & Abdessalam Bouzid, inspecteurs généraux de l'éducation.

Tunis, octobre 2022

Pouraccéder à la version Ar, Cliquer ICI



[1] DUTHILLEUL Y. (2004), International Perspectives on ContractTeachers and their Impact on Meeting Education for All. The Cases of Cambodia, India and Nicaragua, Paris, IIPE-UNESCO. Cité par Lauwerier&al  ,opt cité.

[2] Thibaut Lauwerier, Marie Brüning & Abdeljalil Akkari .La qualité de l'éducation de base au Bénin: la voix des acteurs locaux .Recherches en Education - n°15 - Janvier 2013 –

https://www.academia.edu/7015866/Lauwerier_T_Br%C3%BCning_M_and_Akkari_A_2013_La_qualit%C3%A9_de_l_%C3%A9ducation_de_base_au_B%C3%A9nin_la_voix_des_acteurs_locaux

[3]CONFEMEN: Conférence des ministres de l'Éducation des États et gouvernements de la Francophonie

[4] Augustin Kalano (2012) op.cité

[5] Bernard J-M, Tiyab K. et Vianou K. (2004 cité par Jean Bourdon ( opt cité).

[6]PASEC: Programme d’analyse des systèmes éducatifs de la CONFEMEN

 

[7]Guide pour l’élaboration d’une politique enseignante. UNESCO 2019

https://www.open.edu/openlearncreate/mod/oucontent/view.php?id=165476&section=1.3

 

 

[8]Guide pour l’élaboration d’une politique enseignante. UNESCO 2019

https://www.open.edu/openlearncreate/mod/oucontent/view.php?id=165476&section=1.3

[9]PASEC 2019 : qualité des systèmes éducatifs en Afrique subsaharienne francophone- performances et environnement de l’enseignement-apprentissage au primaire.

Publié en 2020 par le Programme d’Analyse des Systèmes Éducatifs de la CONFEMEN, BP 3220, Dakar (Sénégal) sur www.pasec.confemen.or

[10] Augustin Kalano (2012) op.cité

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