dimanche 22 décembre 2024

Les cours particuliers : dimensions financières, enjeu économique et intérêts financiers extrêmement importants


Hédi Bouhouch

Le blog revient encore une fois à la question des cours particuliers, en reproduisant des extraits d’une étude récente ( elle date de 2022) réalisée pour le Ministère de l’éducation tunisienne par l’UNICEF  dans le cadre Mission d’appui au Ministère de l’Éducation pour l’approfondissement de l’analyse sectorielle et l’élaboration du plan stratégique[1].


L’étude récente souligne que les cours particuliers, bien que réglementés par le décret de 2015, continuent de prospérer sans réel contrôle. Les revenus générés par les cours particuliers informels atteignent 1,5 milliard de TND , représentant 25% du budget du Ministère de l'Éducation.

Malgré les efforts pour limiter leur pratique à l’intérieur des établissements scolaires, ces cours ont introduit des enjeux financiers complexes dans les écoles publiques et restent une charge importante pour les familles, accaparant jusqu’à 29.5% de leurs dépenses éducatives. Leur prolifération est corrélée à la dégradation de la qualité de l’enseignement public.

 

 

 « Éternel problème inextricable les cours particuliers constituent un aspect fondamental déterminant les enjeux, les rapports et les pratiques dans le domaine de la gestion des ressources humaines du secteur de l’éducation.

Le Décret gouvernemental n° 2015-1619 du 30 octobre 2015 n’a pas réussi à mettre fin aux cours particuliers en dehors des établissements scolaires ; « cette règlementation interdisant les cours particuliers à l’extérieur des établissements scolaires n’a eu aucun impact ».

 

Les cours particuliers sont régis par le Décret gouvernemental n° 2015-1619 du 30 octobre 2015, fixant les conditions d'organisation des leçons de soutien et des cours particuliers au sein des établissements éducatifs publics. Ce décret définit les conditions d’organisation des leçons de soutien et des cours particuliers au sein des établissements publics d’enseignement et interdit formellement les cours particuliers en dehors de l’école publique sous peine de sanction disciplinaire du deuxième degré et de révocation en cas de récidive.

 Les cours particuliers autorisés au sein des établissements d’enseignement sont organisés en coordination entre le directeur de l’établissement et les enseignants qui désirent donner des cours particuliers, et ce, après accord du commissariat régional y relevant. Les revenus des cours particuliers sont répartis entre les enseignants (80%), le directeur et son staff (entre 7% à 10%), les ouvriers (entre 3% et 5%). Le reliquat est versé au fonds de l’Association de développement de l’école pour le cas du primaire (10%) ou au budget de l’établissement pour le cas du secondaire (5%)[2] .

Après plus de 7 ans de mise en place des cours particuliers au sein des écoles, le bilan est plus que mitigé. D’une part, cette règlementation interdisant les cours particuliers à l’extérieur des établissements scolaires n’a eu aucun impact, et d’autre part, elle a « introduit les affaires de l’argent » et leurs problèmes au sein de l’école.

« Les cours particuliers en dehors de l’école sont estimés à plus de 1,5 milliard TND, soit plus de 25% de l’ensemble du budget du Ministère. Cela explique la taille des intérêts financiers qui se sont tissés autour de ces cours particuliers les rendant quasi intouchables ».

 

… Les ménages des catégories supérieures et moyennes investissent le plus dans les cours particuliers croyant remédier le mieux par rapport à la dégradation de la qualité dans les écoles publiques.

Aucune analyse scientifique n’a démontré l’impact des cours particuliers sur l’acquisition des connaissances et la réussite scolaire. Toutefois, de simples corrélations montrent que potentiellement les cours particuliers contribuent à une meilleure réussite comme l’illustre le graphique suivant qui met en relation le poids des dépenses en cours particuliers dans les dépenses d’enseignement et les résultats au bac et montre que les gouvernorats qui obtiennent les meilleurs résultats sont généralement les gouvernorats où les ménages consacrent plus de moyens dans les cours particuliers.

Graphique 143 : Poids des dépenses en cours particuliers dans les dépenses d’enseignement et résultats du bac 2022

 

Les cours particuliers représentent, par excellence, le volet informel de l’éducation qui a prospéré à l’instar de ce qui s’est passé pour l’économie du pays depuis 2011.

 Les dimensions financières des cours particuliers ont atteint des proportions très élevées et représentent ainsi un enjeu économique et des intérêts financiers extrêmement importants. L’enjeu financier des cours particulier n’a pas fait l’objet d’études sérieuses ni d’enquêtes approfondies. Toutefois, des estimations sommaires peuvent évaluer les revenus générés par les cours particuliers effectués au sein des écoles sont estimés à plus de 100 millions TND. Cette enveloppe est courtisée par les directeurs, enseignants, staff administratif, etc. générant des pratiques illégales au sein des écoles.

 Quant aux cours particuliers en dehors de l’école, ils sont estimés à plus de 1,5 milliard TND, soit plus de 25% de l’ensemble du budget du Ministère. Cela explique la taille des intérêts financiers qui se sont tissés autour de ces cours particuliers les rendant quasi intouchables.

Les cours particuliers sont préjudiciables à la qualité de l’enseignement. En effet, la prospérité des cours particuliers est inversement proportionnelle à la qualité de l’enseignement dans les écoles publiques : plus la qualité se détériore, plus la demande pour les cours particuliers se ravive. Il est paradoxal de conclure que les enseignants ont donc un intérêt direct et objectif pour la détérioration de la qualité de l’enseignement dans les écoles publiques !

 Le financement privé de l’éducation Les dépenses privées d’éducation n’ont pas fait l’objet d’analyses ni d’enquêtes approfondies. Les données disponibles issues des Enquêtes nationales sur le budget, la consommation et le niveau de vie des ménages menées tous les 5 ans par l’INS, montrent que les dépenses d’éducation représentent en moyenne 2,2% des dépenses totales (situation en 2015, en légère augmentation par rapport à 2010 (2,1%). Les personnes vivant en milieu urbain consacrent plus à l’éducation une part plus importante de leurs dépenses (2,4%) que celles vivant en milieu rural (1,3%). La composante la plus importante des dépenses privées est constituée par les cours particuliers qui représentent 21,6% des dépenses privées d’éducation. Ils atteignent 24 TND par personne et par an en milieu urbain contre 4,6 TND par personne et par an en milieu rural. Bien évidemment, il s’agit de moyennes générales de dépenses par personne, mais il y a un phénomène de sous-estimation et de sous-déclaration de cette catégorie de dépenses qui mérite de faire l’objet d’analyse approfondie et d’estimation compte tenu de la prolifération de ce phénomène durant les dernières années.

Tableau: Dépenses moyennes par personne et par an dans le domaine de l’éducation (2015)

 

Urbain

Rural

Total

Cours particuliers

24.325

4.581

18.088

Dépenses totales de l’éducation

106.464

34.357

83.689

Part dédiée aux Cours particuliers

22.8%

13.3%

21.6%

 

Au total, les dépenses privées d’éducation (environ 84 TND par personne et par an) sont ainsi estimées à 935,7 M TND, soit 1,1% du PIB de 2015 (85491 M TND). Les cours particuliers représentent une enveloppe de l’ordre de 272 M TND, soit 6,7% du budget du Ministère de l’éducation ou 81% des dépenses non salariales du Ministère de l’éducation. Il s’agit d’une enveloppe largement sous-estimée comme il sera montré plus bas. La publication des résultats de l’enquête de consommation de 2021 permettra de disposer de données plus récentes pour mieux appréhender le financement privé de l’éducation et l’importance de la taille financière des cours particuliers. Les données détaillées relatives aux dépenses privées d’éducation telles qu’elles ressortent de l’enquête nationale sur le budget, la consommation et le niveau de vie des ménages de 2015 sont jointes en annexe. Il est intéressant de relever les caractéristiques des ménages qui investissent le plus dans les cours particuliers. Si l’enveloppe globale des dépenses dans les cours particuliers est sous[1]estimée, il demeure significatif de raisonner en termes de proportions et de poids des cours particuliers dans les dépenses d’éducation

Les cours particuliers accaparent 29,5% des dépenses des ménages dans le domaine de l’enseignement. Cette proportion est plus élevée pour …, pour les habitants du Nord-Est et du Centre-Est et pour les catégories socioprofessionnelles moyennes et supérieures.

 

Les cours particuliers accaparent 29,5% des dépenses des ménages dans le domaine de l’enseignement. Cette proportion est plus élevée pour les déciles moyens supérieurs, pour les habitants du Nord-Est et du Centre-Est et pour les catégories socioprofessionnelles moyennes et supérieures. Il s’agit des ménages les plus ciblés par les cours particuliers :



Figure - Poids des cours particuliers dans les dépenses d'enseignement par région


Figure- Poids des cours particuliers dans les dépenses d'enseignement selon les catégories socioprofessionnelles

 

En conclusion de cette partie de l’étude, il est important de signaler que l’analyse du financement de l’éducation a montré que le système s’est créé ses propres contraintes et entraves au développement. La question de financement est devenue le goulot d’étranglement majeur qui inhibe toute initiative de développement ou de réforme dans le secteur. Cette contrainte a été créée par le système lui[1]même dans un contexte « postrévolutionnaire » et d’instabilité gouvernementale. Le rétablissement de l’équilibre financier du secteur passe inéluctablement par une meilleure rationalisation de la gestion de ses ressources humaines ».

Source : République Tunisienne - Ministère de l’éducation  -Mission d’appui au Ministère de l’Éducation pour l’approfondissement de l’analyse sectorielle et l’élaboration du plan stratégique Analyse sectorielle – UNICEF-Novembre 2022.

https://www.unicef.org/tunisia/media/6436/file/analyse-sectorielle-education-2022.pdf

 

Pouraccéder à la version AR, Cliquer ici



[1] République Tunisienne - Ministère de l’éducation  -Mission d’appui au Ministère de l’Éducation pour l’approfondissement de l’analyse sectorielle et l’élaboration du plan stratégique Analyse sectorielle – UNICEF-Novembre 2022.

https://www.unicef.org/tunisia/media/6436/file/analyse-sectorielle-education-2022.pdf

 

[2] Cf. Arrêté ministériel du 15 décembre 2015 définit les tarifs et la répartition des revenus des cours particuliers et Circulaire 106-01-2011 portant organisation des cours de particuliers

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire