Le blog revient encore une fois à la question des cours particuliers, en reproduisant des extraits d’une étude récente ( elle date de 2022) réalisée pour le Ministère de l’éducation tunisienne par l’UNICEF dans le cadre Mission d’appui au Ministère de l’Éducation pour l’approfondissement de l’analyse sectorielle et l’élaboration du plan stratégique[1]. L’étude récente souligne que les cours particuliers, bien que réglementés par le décret de 2015, continuent de prospérer sans réel contrôle. Les revenus générés par les cours particuliers informels atteignent 1,5 milliard de TND , représentant 25% du budget du Ministère de l'Éducation. Malgré les efforts pour limiter leur
pratique à l’intérieur des établissements scolaires, ces cours ont introduit
des enjeux financiers complexes dans les écoles publiques et restent une
charge importante pour les familles, accaparant jusqu’à 29.5% de leurs
dépenses éducatives. Leur prolifération est corrélée à la dégradation de la
qualité de l’enseignement public. |
« Éternel problème inextricable les cours
particuliers constituent un aspect fondamental déterminant les enjeux, les
rapports et les pratiques dans le domaine de la gestion des ressources humaines
du secteur de l’éducation.
Le
Décret gouvernemental n° 2015-1619 du 30 octobre 2015 n’a pas réussi à mettre
fin aux cours particuliers en dehors des établissements scolaires ;
« cette règlementation interdisant les cours particuliers à l’extérieur
des établissements scolaires n’a eu aucun impact ». |
Les
cours particuliers sont régis par le Décret gouvernemental n° 2015-1619 du 30
octobre 2015, fixant les conditions d'organisation des leçons de soutien et des
cours particuliers au sein des établissements éducatifs publics. Ce décret
définit les conditions d’organisation des leçons de soutien et des cours
particuliers au sein des établissements publics d’enseignement et interdit
formellement les cours particuliers en dehors de l’école publique sous peine de
sanction disciplinaire du deuxième degré et de révocation en cas de récidive.
Les cours particuliers autorisés au sein des
établissements d’enseignement sont organisés en coordination entre le directeur
de l’établissement et les enseignants qui désirent donner des cours
particuliers, et ce, après accord du commissariat régional y relevant. Les
revenus des cours particuliers sont répartis entre les enseignants (80%), le
directeur et son staff (entre 7% à 10%), les ouvriers (entre 3% et 5%). Le
reliquat est versé au fonds de l’Association de développement de l’école pour
le cas du primaire (10%) ou au budget de l’établissement pour le cas du
secondaire (5%)[2]
.
Après
plus de 7 ans de mise en place des cours particuliers au sein des écoles, le
bilan est plus que mitigé. D’une part, cette règlementation interdisant les
cours particuliers à l’extérieur des établissements scolaires n’a eu aucun
impact, et d’autre part, elle a « introduit les affaires de l’argent » et leurs
problèmes au sein de l’école.
« Les cours particuliers en dehors de l’école sont
estimés à plus de 1,5 milliard TND, soit plus de 25% de l’ensemble du budget
du Ministère. Cela explique la taille des intérêts financiers qui se sont
tissés autour de ces cours particuliers les rendant quasi
intouchables ». |
…
Les ménages des catégories supérieures et moyennes investissent le plus dans
les cours particuliers croyant remédier le mieux par rapport à la dégradation
de la qualité dans les écoles publiques.
Aucune
analyse scientifique n’a démontré l’impact des cours particuliers sur
l’acquisition des connaissances et la réussite scolaire. Toutefois, de simples
corrélations montrent que potentiellement les cours particuliers contribuent à
une meilleure réussite comme l’illustre le graphique suivant qui met en
relation le poids des dépenses en cours particuliers dans les dépenses
d’enseignement et les résultats au bac et montre que les gouvernorats qui
obtiennent les meilleurs résultats sont généralement les gouvernorats où les
ménages consacrent plus de moyens dans les cours particuliers.
Graphique 143 : Poids des
dépenses en cours particuliers dans les dépenses d’enseignement et résultats du
bac 2022
Les
cours particuliers représentent, par excellence, le volet informel de
l’éducation qui a prospéré à l’instar de ce qui s’est passé pour l’économie du
pays depuis 2011.
Les dimensions financières des cours
particuliers ont atteint des proportions très élevées et représentent ainsi un
enjeu économique et des intérêts financiers extrêmement importants. L’enjeu
financier des cours particulier n’a pas fait l’objet d’études sérieuses ni
d’enquêtes approfondies. Toutefois, des estimations sommaires peuvent évaluer
les revenus générés par les cours particuliers effectués au sein des écoles
sont estimés à plus de 100 millions TND. Cette enveloppe est courtisée par les
directeurs, enseignants, staff administratif, etc. générant des pratiques
illégales au sein des écoles.
Quant aux cours particuliers en dehors de
l’école, ils sont estimés à plus de 1,5 milliard TND, soit plus de 25% de
l’ensemble du budget du Ministère. Cela explique la taille des intérêts
financiers qui se sont tissés autour de ces cours particuliers les rendant quasi
intouchables.
Les
cours particuliers sont préjudiciables à la qualité de l’enseignement. En
effet, la prospérité des cours particuliers est inversement proportionnelle à
la qualité de l’enseignement dans les écoles publiques : plus la qualité se
détériore, plus la demande pour les cours particuliers se ravive. Il est
paradoxal de conclure que les enseignants ont donc un intérêt direct et
objectif pour la détérioration de la qualité de l’enseignement dans les écoles
publiques !
Le financement privé de l’éducation Les
dépenses privées d’éducation n’ont pas fait l’objet d’analyses ni d’enquêtes
approfondies. Les données disponibles issues des Enquêtes nationales sur le
budget, la consommation et le niveau de vie des ménages menées tous les 5 ans
par l’INS, montrent que les dépenses d’éducation représentent en moyenne 2,2%
des dépenses totales (situation en 2015, en légère augmentation par rapport à
2010 (2,1%). Les personnes vivant en milieu urbain consacrent plus à
l’éducation une part plus importante de leurs dépenses (2,4%) que celles vivant
en milieu rural (1,3%). La composante la plus importante des dépenses privées
est constituée par les cours particuliers qui représentent 21,6% des dépenses
privées d’éducation. Ils atteignent 24 TND par personne et par an en milieu
urbain contre 4,6 TND par personne et par an en milieu rural. Bien évidemment,
il s’agit de moyennes générales de dépenses par personne, mais il y a un
phénomène de sous-estimation et de sous-déclaration de cette catégorie de
dépenses qui mérite de faire l’objet d’analyse approfondie et d’estimation
compte tenu de la prolifération de ce phénomène durant les dernières années.
Tableau:
Dépenses moyennes par personne et par an dans le domaine de l’éducation (2015)
|
Urbain |
Rural |
Total |
Cours
particuliers |
24.325 |
4.581 |
18.088 |
Dépenses
totales de l’éducation |
106.464 |
34.357 |
83.689 |
Part
dédiée aux Cours particuliers |
22.8% |
13.3% |
21.6% |
Au
total, les dépenses privées d’éducation (environ 84 TND par personne et par an)
sont ainsi estimées à 935,7 M TND, soit 1,1% du PIB de 2015 (85491 M TND). Les
cours particuliers représentent une enveloppe de l’ordre de 272 M TND, soit
6,7% du budget du Ministère de l’éducation ou 81% des dépenses non salariales
du Ministère de l’éducation. Il s’agit d’une enveloppe largement sous-estimée
comme il sera montré plus bas. La publication des résultats de l’enquête de
consommation de 2021 permettra de disposer de données plus récentes pour mieux
appréhender le financement privé de l’éducation et l’importance de la taille
financière des cours particuliers. Les données détaillées relatives aux
dépenses privées d’éducation telles qu’elles ressortent de l’enquête nationale
sur le budget, la consommation et le niveau de vie des ménages de 2015 sont
jointes en annexe. Il est intéressant de relever les caractéristiques des
ménages qui investissent le plus dans les cours particuliers. Si l’enveloppe
globale des dépenses dans les cours particuliers est sous[1]estimée,
il demeure significatif de raisonner en termes de proportions et de poids des
cours particuliers dans les dépenses d’éducation
Les
cours particuliers accaparent 29,5% des dépenses des ménages dans le domaine
de l’enseignement. Cette proportion est plus élevée pour …, pour les
habitants du Nord-Est et du Centre-Est et pour les catégories
socioprofessionnelles moyennes et supérieures. |
Les
cours particuliers accaparent 29,5% des dépenses des ménages dans le domaine de
l’enseignement. Cette proportion est plus élevée pour les déciles moyens
supérieurs, pour les habitants du Nord-Est et du Centre-Est et pour les catégories
socioprofessionnelles moyennes et supérieures. Il s’agit des ménages les plus
ciblés par les cours particuliers :
Figure - Poids des
cours particuliers dans les dépenses d'enseignement par région
Figure- Poids des cours
particuliers dans les dépenses d'enseignement selon les catégories
socioprofessionnelles
En
conclusion de cette partie de l’étude, il est important de
signaler que l’analyse du financement de l’éducation a montré que le système
s’est créé ses propres contraintes et entraves au développement. La question de
financement est devenue le goulot d’étranglement majeur qui inhibe toute
initiative de développement ou de réforme dans le secteur. Cette contrainte a
été créée par le système lui[1]même
dans un contexte « postrévolutionnaire » et d’instabilité gouvernementale. Le
rétablissement de l’équilibre financier du secteur passe inéluctablement par
une meilleure rationalisation de la gestion de ses ressources humaines ».
Source : République
Tunisienne - Ministère de l’éducation
-Mission d’appui au Ministère de l’Éducation pour l’approfondissement de
l’analyse sectorielle et l’élaboration du plan stratégique Analyse sectorielle
– UNICEF-Novembre 2022.
https://www.unicef.org/tunisia/media/6436/file/analyse-sectorielle-education-2022.pdf
Pouraccéder à la version AR, Cliquer ici
[1] République
Tunisienne - Ministère de l’éducation
-Mission d’appui au Ministère de l’Éducation pour l’approfondissement de
l’analyse sectorielle et l’élaboration du plan stratégique Analyse sectorielle
– UNICEF-Novembre 2022.
https://www.unicef.org/tunisia/media/6436/file/analyse-sectorielle-education-2022.pdf
[2] Cf. Arrêté ministériel du 15 décembre 2015 définit les tarifs et la répartition des revenus des cours particuliers et Circulaire 106-01-2011 portant organisation des cours de particuliers
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