lundi 7 novembre 2016

La rétribution qui revient de droit au maître» selon Al-Qâbisi



«  Si l’enfant tire moins de profit correspondant à la rétribution convenue pour son instruction, la rétribution s’en ressentira dans la même mesure. Si bien que, par l’insuffisance croissante de l’acquisition des connaissances, il en arrive à n’en tirer qu’un profit dérisoire ; de ce fait, la rémunération sera accordée au maître, proportionnellement aux profits que l’élève aura tirés de l’enseignement. »
Al-Qâbisi

   Nous avons meublé nos vacances par  la lecture d'un ouvrage  très intéressat  qui remonte au Xème  siècle  et  qui traite de questions pédagogiques ; nous avons choisi de présenter aux lecteurs du blog pédagogique un court extrait de cet ouvrage dans lequel l’auteur traite du salaire des maîtres, où il défend un principe qui est de plus en plus avancé ces dernières années ; il s’agit de la paye de l’enseignant selon son mérite et selon les résultats  des élèves qui lui sont confiés.

Présentation de l’auteur et   de l’œuvre
Avant de présenter l’auteur et son œuvre, nous devons rendre hommage à AHMED KHALED[1]  qui s’est chargé d’en faire l’étude, l’établissement du texte, les annotations, l’index et la traduction, et qu’il a publié en 1986 ; nous avons puisé dans cette œuvre l’essentiel de cette note.
L’auteur
 « Abû-l- Hasan ‘Ali ibn Muhamed ibn Halaf al Ma’afiri al-Qâbisi al-Faqîh al-qayrawâni naquit en 324 H/935 J-C probablement à Kairouan, et passa sa vie dans cette métropole et y exerça la fonction de mufti ; il fut le chef de l’école malikite d’occident musulman.»
L’œuvre
« Epitre détaillée sur les situations des élèves, leurs règles de conduite et celle des maîtres » ; pour Ahmed Khaled, « la risâla -l-mufassila … est un véritable traité sur l’éducation et l’enseignement en Islam médiéval dans les Kouttabs ; nous y trouvons les principes pédagogiques recommandés aux maîtres … ainsi que les règles de conduite qui leur sont prescrites. »
En lisant l’extrait ci-dessous,  nous  n’avons pas pu nous empêcher de faire le parallèle avec un courant qui occupe  depuis quelques années une place de choix dans les débats sur l’éducation et l’enseignement ; il s’agit de la rémunération des enseignants au mérite ou le « payement by results  », paru aux états unis d’Amérique aux  années  quatre-vingt, repris,  suite à la loi NCLB, No Child Left Behind,  votée en 2002 par  l’administration Bush ; l’Angleterre a suivi l’exemple américain ; le candidat  Sarkozy avait  inscrit  dans son  programme pour l’élection présidentielle de 2007 l’ évaluation  des  enseignants  selon  les  résultats  des élèves".[2] 
Aujourd’hui « De  nombreux  pays  de  l'OCDE  (environ  la  moitié) ont  fait  entrer la reconnaissance du  mérite de  l'enseignant dans sa  rémunération. Par exemple, en Angleterre, les enseignants sont classés dans des catégories salariales différentes selon qu'ils sont reconnus ou pas comme excellents. Aux Etats-Unis, des districts utilisent les résultats des évaluation nationales ( en anglais et en mathématiques) pour estimer le niveau de rémunération des enseignants »[3] et « les établissements  dont  les  résultats  ne  progressent   pas,  d’une  année  à  l’autre,  ou  dont  le niveau  n’est pas suffisant,  s’exposent  à une série de sanctions  croissantes,  si les choses  ne s’améliorent pas au fil des années,  elles peuvent aller jusqu’au  licenciement des équipes enseignantes et à la fermeture  de l’école. »[4]
   En lisant l’extrait ci-dessous, le lecteur sera surpris par la similitude des positions défendues par Al- Qabisi avec les mesures préconisées par les défenseurs du principe de la rémunération de l’enseignant selon les résultats de ses élèves.
L’extrait
Abu l Hasan dit :
 «   Je t’ai mentionné précédemment, de manière à jeter suffisamment de lumière sur les questions que tu as posées,  ce que les maîtres peuvent licitement accepter des élèves ; ce qu’ils ne doivent pas accepter et dont les pieux , parmi eux, s’en préservent…
Tu as demandé, en outre : «  Quand la Khitma[5] est-elle due au maître et dans quelle condition ? Quel doit être le degré du savoir par cœur de l’enfant et celui de sa lecture, les dispositions particulières pour le payement de la rétribution du maître pour que celle-ci lui revienne de droit ?
Abu l Hasan répond :
 « … la Khitma est due au maître dans deux cas :
D’abord, lorsque l’élève récite par cœur le Coran du début jusqu’à la fin ; c’est à ce moment que le maître a droit à la rétribution finale [Khitma [, aux yeux de l’autorité musulmane compétente. Cette rétribution est évaluée selon l’aisance ou la gêne du père et selon les profits que l’élève a tirés de l’enseignement dispensé par le maître, outre la récitation par cœur du Coran. A cette fin, il n’y a pas un temps précis ; seulement on tiendra compte de ce que les gens ont coutume d’observer vis-à-vis d’un tel maître ayant affaire à un tel élève, en se référant à la condition matérielle du père.
Ensuite, quand l’élève apprend à lire tout le coran dans le texte sans qu’une seule lettre lui échappe, et qu’il ajoute à cela une orthographe et une vocalisation interne correctes ainsi qu’une belle calligraphie, on prendra l’initiative d’évaluer ce qui revient de droit à son maître, selon la coutume des gens dans ce cas. Toutefois, celui qui récite] la prédication    [de mémoire, en y ajoutant une belle écriture, une vocalisation interne précise, une orthographe et une lecture avec une vocalisation désinentielle ( i’râbu qirâ’atin) exactes, doit payer juridiquement une rémunération supérieure à celle  accordée par quiconque  ne récite pas le coran par cœur , mais arrive à le lire seulement dans le texte .
A mesure que la connaissance de chacun de ces deux enfants diminue par rapport à ce que je t’ai décrit, le salaire qui doit être payé au maître, d’après l’initiative juridique, est inférieur au salaire accordé par quiconque a parachevé sa formation. Dans ces deux cas, le salaire légal du maître est à la charge de l’élève, lorsqu’il a terminé la Khitma du Coran ; c’est le cas du maître qui n’a pas stipulé, pour la Khitma, une rémunération déterminée. S’il l’a stipulée, celle-ci lui sera accordée à condition que l’enfant ait fini d’apprendre] le coran    [soit par cœur, soit] en le lisant [dans le texte, ] selon les clauses du contrat  . [
Si l’enfant tire moins de profit correspondant à la rétribution convenue pour son instruction, la rétribution s’en ressentira dans la même mesure. Si bien que, par l’insuffisance croissante de l’acquisition des connaissances, il en arrive à n’en tirer qu’un profit dérisoire ; de ce fait, la rémunération sera accordée au maître, proportionnellement aux profits que l’élève aura tirés de l’enseignement. Mais si le maitre n’a pas stipulé, pour la Khitma, un salaire préfixé, c’était bien pour être en droit de le déterminer de sa propre initiative, une fois que l’enfant l’aurait terminée. Et si la capacité de bien connaitre l’orthographe, la vocalisation interne des mots et la lecture coranique dans le texte s’est trouvée réduite chez l’enfant, à tel point qu’on ne peut prétendre qu’il est instruit, qu’aura-t-il alors récolté de sa Khitma ?
Dans ces conditions, le maître n’a pas droit au payement de la rétribution finale (Khitma). Si l’on constate que l’enfant est incapable d’écrire sans fautes ce qu’on lui dicte, de lire exactement et de poursuivre sa lecture, il faut en conclure que le maître s’est montré défaillant dans sa tâche, au cas où il serait capable de bien enseigner. S’il est par ailleurs, reconnu coupable de tromperie, étant incapable d’enseigner, les docteurs sont d’avis qu’il mérite d’être châtié pour avoir manqué de soins envers l’enfant dont il s’est chargé, et fait peu de cas de ses engagements, qu’il doit être privé de sa fonction .Ces mesures sont justes quand le maître a l’habitude de se monter défaillant dans sa tâche et de faire croire qu’il enseigne bien, alors qu’il n’en est rien.
Certains [  savants ]considèrent qu’un tel maître ne mérite pas d’être contraint à s’appliquer assidument à sa tâche, mais qu’il mérite plutôt d’être admonesté et blâmé sévèrement par l’Imam chef de la communauté musulmane équitable. S’il  invoque comme excuse le manque d’intelligence de son élève, qui , une fois examiné, se montre réellement bête, à tel point qu’il ne retient pas ce qu’on lui enseigne, et ne comprend pas exactement ce qu’on lui explique , alors le maître ne recevra qu’une petite rétribution pour l’avoir gardé et élevé , non pour l’avoir instruit ; cela se fera à condition qu’il ait informé d’avance le père du manque d’intelligence de l’enfant ; car s’il l’a fait, et que le père lui a consenti quelques rémunération, ce consentement devient un engagement. S’il est abstenu de l’en informer, il l’a bien trompé, et celui qui leurre ne mérite, pour sa duperie, ni salaire ni récompense. » p p 139-140
Présentation et commentaires : Hédi Bouhouch & Mongi Akrout , inspecteurs généraux de l’éducation retraités
Tunis, Août , 2016














[1] Ahmed Khaled , professeur agrégé d’arabe, inspecteur de l’enseignement secondaire , avait occupé plusieurs fonctions , maire de la ville de Sousse, secrétaire d’état à l’éducation ( 198 , ministre de la culture( 1989-1990)
[2] Evaluer les enseignants : la paye au mérite ?
Par François  Jarraud
[3] Quelle  efficacité  pour  la  paye  au mérite ? Par François Jarraud
[4] opt .cité Jarraud.F
[5] Le mot ‘hitma’ a ici le sens de rétribution correspondant au passage coranique enseigné ( annotation  donnée par  l’auteur de l’étude et l’établissement du texte Ahmed Khaled

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