Le blog pédagogique poursuit cette semaine la publication de la deuxième partie de l' étude réalisée par la plume du professeur
Mahmoud Tarchouna sur la question de
l'éducation dans la pensée et l'action
de Mahmoud Messadi qu'il a déjà publiée
sur les page du journal "Ech-Chaab du 3 septembre 2011. (
M° Tarchouna ,professeur universitaire
Emérite de langue et de littérature arabe, est le grand spécialiste dans la
pensée et la vie de Mahmoud Messadi ,il a rassemblé son œuvre complète en 2002[1].
Le blog pédagogique remercie
M° Tarchouna de nous avoir permis de publier cette étude et d'avoir accepté de réviser et de
corriger le texte français.
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3. La voie
gouvernementale : démocratisation et réforme de l'enseignement:
Après la
voie syndicale avant
l'indépendance, est venue ,après
l’indépendance, la voie gouvernementale .C’était l'occasion
pour Messadi de mettre en application les réformes qu’il avait préconisées dans les motions et le programme de l’UGTT . La
période qu’il avait passée en tant que directeur de l'enseignement secondaire
au Secrétariat d’Etat à l'éducation
nationale et en tant qu’inspecteur
général de l'enseignement secondaire
(1955 - 1958) lui a permis de connaître
les problèmes de l'éducation de l’intérieur
et lui a facilité , quand il avait été chargé du portefeuille de
l'Education nationale de 1958 à 1968, de
travailler sur le projet de la « réforme de
l'enseignement » et sur le « plan décennal » pour réformer
l’enseignement , généraliser progressivement
la scolarisation et mettre en place le noyau de l’Université tunisienne
en 1960 dans le cadre de l'organisation structurelle de l'enseignement englobant les trois cycles : primaire,
secondaire et supérieur.
Il
conserva les mêmes objectifs qu' il avait cherché à réaliser dans le cadre de l'UGTT, à savoir
la mise en place d'une éducation nationale tunisienne au vrai sens du mot , qui accorde à la langue arabe une importance particulière
- en réaction naturelle à la volonté de
sa marginalisation au temps du
protectorat - avec une ouverture sur la culture
et aux sciences modernes.: « J’avais la chance, dit-il, d’être
chargé du ministère de l'Education :
ceci m’a permis de mettre en place ce que nous avons appelé le « programme
national de l’enseignement tunisien» qui
comprenait essentiellement la sauvegarde de la culture nationale moderne à savoir l'islam et
la langue arabe, mais avec une totale ouverture sur la civilisation moderne et la culture humaine » [1]. Quant à l’éparpillement qui a déjà
été constaté, il
a nécessité « l’unification
des différents régimes et programmes des établissements d'enseignement , « l'intention
étant bien sûr de réformer l'enseignement
Zitounien et son intégration dans le
système de l'éducation nationale. Le troisième objectif était la démocratisation
de l’enseignement c'est-à-dire le rendre accessible à tous les
enfants tunisiens en âge d’être scolarisés, or ce n'était pas facile étant donné le manque
au niveau des cadres enseignants et de l'infrastructure
de base.
Le plan décennal a prévu l’intégration de 65000 enfants chaque année afin et d’absorber
environ sept cent mille élèves à la fin du plan . A la fin des années cinquante, les rapports qu’avait le peuple tunisien vis-à-vis
du mouvement national et de
l'indépendance nationale sont encore tout frais, ce qui explique son engagement et son
grand enthousiasme pour construire bénévolement des écoles dans les
zones rurales en particulier. Le mouvement a pris une telle ampleur qu’à un
certain moment, il a été appelé à
arrêter les constructions en raison du manque d'enseignants
On ne s’est
pas étendu sur l'évaluation de la
réforme de l'enseignement et ses
résultats car plusieurs études qui ont été
publiées, ont montré ses qualités et ses défauts, mais nous signalons
simplement que nous devons à cette réforme la formation de générations d'intellectuels bilingues, et de
cadres qui ont contribué à
l’édification de la Tunisie au cours de
la seconde moitié du XXe siècle. Toutefois
,à cette époque, on lui a reproché d’avoir
donné la priorité à la quantité au dépens de la qualité, et cela est
vrai dans une certaine mesure, mais si l'on compare le niveau des diplômés des différents
établissements d'enseignement des années soixante et sa dégradation après cette
période, malgré la disponibilité de meilleures conditions matérielles, le fruit de cette réforme nous parait mûr , et nous nous risquons de dire qu’il a «mûri prématurément ».
La
question de la relation du plan décennal avec le développement économique a été soulevée, il a semblé que le plan
décennal était isolé du reste des secteurs de développement. En fait, ce
n’était pas le cas, car il est devenu
plus tard l'un des fondements de ce qu’on a appelé « Le plan directeur national tunisien
pour le développement économique et social, qui a été préparé au cours des années
1961 et 1962 »[2]
Messadi a essayé de convaincre les
responsables de l'UNESCO qui conditionnaient
l’assistance de l’organisation
pour chaque projet de réforme à l'aspect de la rentabilité économique en leur disant : « Il ne peut y avoir de croissance économique en l’absence de
personnes qui la font et la créent que nous devons former dans les écoles pour acquérir les capacités intellectuelles et scientifiques nécessaires
pour garantir à l’économie et à la
croissance économique toute l'efficacité
et toute la productivité ... » [3]
On a
reproché également à cette réforme la destruction de l’enseignement zitounien ; or cette question mérite d'être
clarifiée, car c’est une question très
sensible si bien qu’ il y a encore des gens qui ont la nostalgie des « cercles » de la Grande Mosquée
et qui continuent à trainer ses répercussions jusqu’à nos jours.
La réforme a
démarré à partir du diagnostic de la situation de la Zitouna dans les années cinquante, et la
chose la plus dangereuse qui caractérisait cette situation
était l’enchevêtrement entre les différents cycles : primaire, secondaire et supérieur,
cela se voit particulièrement au
niveau des programmes qui ne faisaient
pas de distinction entre les trois niveaux ; ainsi on retrouve presque les
mêmes matières : la lecture
du Coran, le culte du monothéisme (تَوْحيد, tawhid)
,la Sounna( Conduite et pratique du prophète) , la morale , le Hadith ( les propos attribués au prophète), les rites ( al
farayedh), les principes de la jurisprudence ainsi que la grammaire, la
rhétorique et la poésie ancienne. L’enseignement se basait sur les écrits
anciens, tels que « Metn al Ajrūmīya
,Le commentaire d’ al Ajrūmīya , d’Ibn Hisham ,
Al Alfya expliquée
par Ibn Aquil , et Le commentaire d’al Alfya par Al-
Makkùdi . Le plus grave c’était l’absence des sciences modernes telles que les
mathématiques, la physique et la chimie.
Cette
situation a rendu nécessaire le transfert des deux cycles primaire et secondaire de l'enseignement
zitounien aux établissements
scolaires nationaux et la spécialisation
de l’enseignement zitounien dans les
sciences de la religion au
niveau de l’enseignement supérieur , à l’image du reste des facultés de
l’enseignement supérieur , l’accès à cet
enseignement est désormais conditionné par
l'obtention du baccalauréat, comme toutes les institutions de
l'enseignement supérieur. Ainsi l’enseignement zitounien n’a pas été supprimé
ou aboli, mais il fut promu et modernisé et les études qu’il assure
furent unifiées comme c’était le cas des autres
spécialités de la jeune
Université tunisienne, et parmi les aspects de cette modernisation , on cite le remplacement des leçons qui
étaient données dans des cercles animés
par le maitre ( Cheikh) adossé à l’une des colonnes de la mosquée et entouré par ses étudiants assis ou accroupis par des cours donnés dans des
locaux modernes situés au boulevard 9
avril à coté des autres sections de
l'université.
Messadi
avait parlé de cet objectif en
disant: « (Je voulais ) donner à
l'enseignement Zitounien un statut
digne de la place de la religion dans notre entité culturelle et
dans notre civilisation, et préserver la dignité de La
Mosquée Zitouna en tant qu’
institut scientifique en le classant parmi les instituts supérieurs, au même niveau
que les autres instituts de l’université moderne en le spécialisant dans les sciences religieuses afin qu’il ajoute
dans ce domaine une nouvelle et
brillante phase aux glorieuses phases du passé ( …) . Tel fut la nouvelle situation grâce à la politique qui poursuivait deux
objectifs , d’un coté la volonté de sauver la grande mosquée de la Zitouna de la situation archaïque , et de l’autre coté faire tout pour sa renaissance et sa modernisation afin qu’elle redevienne la Mecque du
savoir et la destination des
étudiants qui lui viennent de la Tunisie et d’ailleurs à la
recherche du savoir et de la foi,
et afin qu’elle forme même
une nouvelle génération de Ouléma
et de sources de lumière comme c’était
le cas au cours des périodes glorieuses
qu’elle avait connues" [4]
Il n’a
cessé d’exprimer son admiration pour quelques professeurs ( Cheikhs) de la Zitouna dont il avait suivi les cours avec son
frère, ou ceux qu’il a eu comme professeurs au collège Sadiki tels que Cheikh Mohammed Belkadhi , le cheikh
Abdelaziz Djaït et Cheikh Mohammed Tahar Ben Achour . Il a profité de leurs
cours sur la pensée islamique et de sa
relation avec la logique, la jurisprudence , avec la vie sociale et le culte, ainsi que sa
relation avec la métaphysique ;
il résume tout ce qu’il a
appris de ses professeurs dans ces
termes : « la dimension spirituelle »
et il conclut son témoignage en leur souhaitant
la miséricorde « car ,comme il le dit,
je leur dois cet élément de mon
humanité qui m’ a enraciné dans mon islamité
et mon arabité » [5]
Cette mise
au point était nécessaire pour enlever
toute équivoque au sujet de la réforme
de l'enseignement de La Zitouna. La dite réforme
a été dénaturée et fut considérée comme une suppression de la
Zitouna , mais elle n'a pas connu une
période transitoire qui aurait pu préparer les gens pour accepter le
changement ; elle fut trop
précoce et d’un seul trait ce qui
choqua les gens qui sont restés jusqu’à nos jours choqués , en dépit de tout ce qui est arrivé plus tard au niveau de l’évolution de la
Zitouna et sa promotion au rang d’une université avec plusieurs instituts spécialisés dans les sciences de la
religion fréquentés par des étudiants maghrébins et africains.
4. La philosophie de l'éducation:
Il reste un aspect de l’activité de Messadi , c’est celui qui est en rapport avec son
action internationale dans le domaine de l'éducation et ce qu’il a engendré comme réflexion
autour des problématiques et des finalités de l’éducation . Il a présidé
la Commission nationale
de l'UNESCO et la délégation
tunisienne à sa conférence générale au
cours de deux sessions de
1958 à 1968 et de 1973 à 1976, puis il a été élu membre du conseil
exécutif et membre consultatif de l'Institut international de
planification de l'éducation . En 1971, il
participa en tant que l'une des sept personnalités mondiales à qui
le Secrétaire général de l'Organisation
a demandé leur avis sur la question : «Où va
l'éducation? » à une Commission pour le développement de l'éducation
dirigée par Edgar Faure . La réponse de Messsadi est publiée
dans un article en français intitulé : « L'éducation aujourd'hui et
demain » au sein d’un livre collectif sous le titre "Apprendre à être " Nous nous
sommes référés à cet article
pour connaître ses idées sur la philosophie de l'éducation .
Messadi part
de la distinction faite par le penseur anglais Toynbee entre le Zélotisme et le hérodianisme[6]: le
premier consiste è rechercher des solutions
pour le temps présent dans le
passé, Le second - à l’opposé du
premier - fait face au présent et prospecte l’avenir . Toynbee critique la première
orientation car elle ne résout pas les
problèmes actuels, mais elle les occulte derrière le voile du passé, comme
l'autruche qui enfouit
sa tête dans le sable croyant qu’elle se cache de ses poursuivants .
Il critique
aussi la seconde orientation tout
en la
considérant plus utile que la première. Toutefois, elle n’est pas créative, mais tend à imiter les autres
et n'ajoute rien à la civilisation moderne. Ce qui l’a entaché le plus c’est l'aliénation et la dépendance des
autres. Messadi donne l’exemple de la
Turquie à l'époque de Kemal Ataturk qui a adopté la laïcité occidentale et a
procédé à la formation d'une société moderne et instruite, mais à la manière
occidentale avec un déni total de son passé,
ce qui l’a amené -par exemple- à
remplacer les caractères arabes par les
caractères latins ; ceci semble aux
yeux de Messaadi une solution radicale, mais
le fait qu’elle a touché plusieurs secteurs en même temps et la
vitesse à laquelle elle fut appliquée
ont contribué à la naissance d'une génération désemparée et égarée choquée par la vitesse des transformations et par l’application du modèle étranger
artificiellement .D’autre part, et on
peut retrouver la même confusion et le même égarement chez certains peuples africains bilingues et
biculturels perdus entre deux langues et
deux cultures. L'adoption de la solution turque par la Tunisie risque fort d'aboutir
aux mêmes résultats.
Par
conséquent, le problème le plus important auquel l'éducation est confrontée à
l'époque moderne est celui-ci : « Comment dans un pays quelconque , la culture, les techniques et le système
éducatif peuvent-ils sauvegarder son
identité et comment la diversité
des peuples et des civilisations
peut-elle enrichir le patrimoine humain sans affronter les mécanismes contemporains et universels [7] vers lesquels se dirige inéluctablement la civilisation mondiale ? C'est à ce grave problème que
les pays aussi bien développés que sous développés doivent
trouver une solution urgente.[8].
Avant de
répondre à cette problématique, Messadi présenta certains postulats pour préparer
la voie à la solution qu’il
propose, dont le plus important est
celui-ci : l’éducation possède une force libératrice pour l’homme et a
un rapport très solide avec la civilisation et la culture et leur avenir. Le deuxième postulat est
que l’éducation est universelle et supra
nationale , qu’il y a un grand fossé technique entre l'Amérique
et l'Europe, ainsi qu'entre l'Occident dans son ensemble et le Tiers Monde, ce
dernier étant obligé face à la
révolution technologique
contemporaine de s’ouvrir
au monde développé afin de
bénéficier de ses expériences à travers
la réforme de son enseignement tout en évitant le risque « d’aliénation » et « de la perte de leur spécificité » parce que la similitude des civilisations -
de son point de vue- détruit l’esprit d'aventure
et la diversité humaine. L'accélération
du développement scientifique et technologique exige d’être à jour dans le domaine des innovations
, avoir une formation continue et
apprendre à l’élève et à
l'étudiant comment apprendre.
En
partant de ces postulats, et en dépassant les inconvénients des deux
orientations décrites par Toynbee
, il semble que la solution serait dans
« l’orientation de
l’homme vers l'activité créatrice, grâce à laquelle ses potentialités internes
seraient en constante augmentation , et permet de maitriser la machine ainsi que le monde
qui l’entoure , en particulier les moyens numériques et électroniques et
les ordinateurs. La nouvelle éducation est appelée à réaliser
la dimension humaine dans la civilisation et
activer les forces créatrices de
l'être humain. C’est ainsi que la révolution scientifique et
technologique offre à l’homme non
seulement son identité , mais surtout sa liberté et le sauve de l'aliénation, de la dépendance vis-à-vis
des autres et de l’imitation non productive . La réalisation d’un projet de cette ampleur nécessite
non seulement la contribution de
la science et de la technique, mais aussi
la pensée, la philosophie et les arts . Ce sont
eux qui donnent à la civilisation
sa dimension humaine
et permettent à
« l’homme de s’auto contrôler et de contrôler l’univers
, un contrôle au niveau de sa dignité ». Ceci, bien sûr, n'est pas une solution
individuelle, mais concerne les
différents peuples qu’ils soient
développés ou en voie de développement.
Telle est la philosophie de l'éducation
envisagée par Messadi depuis le début des années soixante-dix, avant même
l’explosion de la révolution numérique et électronique. Avant que la
"mondialisation" ne devienne
une doctrine imposée par le pouvoir de l'argent et des armes et la pression de
l'espace et du temps, l'auteur est arrivé à cette conception après avoir traversé des étapes pratiques
telles que l'enseignement et le militantisme syndical pour l'éducation, la responsabilité de la
planification et de la réforme, la
généralisation de l’enseignement et
l'utilisation de l’éducation pour
délimiter les caractéristiques de l'identité nationale et libérer le
tunisien de l'aliénation et de la
dépendance, ainsi que des traditions et de l'attachement au passé et la
sanctification du patrimoine .
Fin de la note , pour revenir à la première partie , cliquer ICI
Mahmoud Tarchouna
Tunis , 2011
Traduction Mongi
Akrout , inspecteur général de l'éducation retraité & Brahim Ben
Atig , Professeur émérite et révisée par M° Tarchouna
Pour accéder à la version AR, cliquer ICI
[2] voir Mahmoud Tarchouna , nouveaux éléments à propos de Messadi , la vie
culturelle , janvier 1981, publié à nouveau modifié dans le livre Al Adab Al Mourid , 5° édition
,1997 , p 145.
[6] Hérodianisme et zelotizme - deux options de la société ou de
l'état du défi historique, dans la terminologie de A. Toynbee.Les noms donnés
par le nom de groupes religieux et sociaux de l'ancien Israël, qui étaient sous
la domination de l'Empire romain. Dans le premier cas, "Hérodien"
prend maintenant et adapte( analogie dans les événements historiques ultérieurs
-.Dans le second cas, le «zélote» conserve soigneusement le passé, ne pas
accepter la réalité " Arnold Toynbee estime que "hérodianisme"
une réponse plus efficace au défi des deux alternatives comme «zélote» tente de
se cacher dans le passé, comme l'autruche, enfoui dans le sable, et
"Hérodien" regarde hardiment le présent et l'avenir.
http://answersis.com/fr/questions/227759
[1] les œuvres complètes / Mahmoud Messadi : rassemblées et
présentées par Mahmoud Tarchouna - Tunis , la maison du sud , 2002 , 478 pages.
جزاكم الله خيرا انصح كل الزملاء بالاطلاع و التمعن في هذا المقال
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