Mustapha Enneifer |
Le
blog pédagogique a le plaisir de publier cette semaine un post publié le 25 avril dernier par
notre collègue et ami Mustapha Enneifer , l'Inspecteur Général de l'Education
et ancien Directeur général du CENAFFE,dans lequel il propose une stratégie
pour faire face à la situation de l'école tunisienne par ce temps de
confinement et vu la pertinence de l'approche
et de sa valeur, nous avons demandé à Si Mustapha la permission de
publier le document dans le blog pédagogique , nous le remercions pour sa confiance.
Le blog pédagogique
Depuis le confinement, deux millions d’élèves du primaire et du
secondaire ont vu leurs cours suspendus et cent soixante mille enseignants
sont, pour la majorité d’entre eux, en attente passive de la reprise. Pour
remédier à cette situation, le Ministère de l’éducation a pris un certain
nombre de mesures utiles : élaboration et diffusion de cours télévisés,
pour les élèves des terminales, par la chaîne éducative et de supports de cours
par Edunet (Portail Web du ministère) pour divers niveaux d’enseignement et
dans différentes disciplines. Cela est bien mais on doit pouvoir faire plus. Il
faut pouvoir mobiliser l’ensemble du corps enseignant pour encadrer et
orienter, à distance, leurs élèves.
Si j’étais directeur d’un établissement
scolaire, je ne voudrais pas rester les bras croisés. Mon premier geste serait
de me concerter (à distance) avec les membres du conseil
d’établissement et du conseil pédagogique de l’établissement que je
dirige. Par téléphone ou par internet (mail, skype, pro note, facebook, zoom ou
toute autre application) je leur poserais les questions
suivantes : « chers
collègues, que pouvons-nous faire pour que cette année scolaire ne soit pas
perdue pour l’ensemble de nos élèves ? Que pouvons-nous
faire pour que les élèves défavorisés socio-économiquement ou
géographiquement (du fait de l’absence de réseau) ne soient pas
lésés dans l’apprentissage du programme de l’année ? Que
pouvons-nous proposer de faire en concertation? »
Dans un premier temps donc, il faudra se
consulter, se concerter, échanger. Que la concertation réunisse dix enseignants
d’une petite école primaire, ou cinquante d’un collège, ou plus de cent d’un
lycée, Il faudra solliciter l’intelligence collective et la bonne
volonté de l’équipe d’enseignants, celles des élèves (ils peuvent faire
d’excellentes suggestions), celles des membres de l’administration et des
parents pour que la créativité de chacun soit déclenchée. Et l’on verra alors
surgir un flot d’idées et d’initiatives pour motiver les élèves à ne pas lâcher
prise, à apprendre autrement, pour savoir aussi comment les
accompagner dans les apprentissages, comment baliser à distance les leçons à
découvrir, les ressources pédagogiques à exploiter, comment transmettre par
internet, par SMS ou vocalement par téléphone (ou même par support papier s’il
le faut par l’intermédiaire de l’épicier du coin resté ouvert) des sujets de
devoirs à faire ou des corrigés à rendre ou simplement des recommandations. Les
bonnes idées ne manqueront pas. Et il y a déjà des expériences qui
marchent en Tunisie où des enseignants n’ont pas lâché leurs élèves, durant la
période de confinement, et les accompagnent à distance du mieux
qu’ils peuvent.
Dans un deuxième temps, il faudra que chaque
équipe d’établissement étudie les propositions émises et choisisse, parmi
elles, les approches pédagogiques et les méthodes de transmission les plus
réalistes, les plus pertinentes et en même temps les moins discriminantes
socialement. Car, très vite, a été brandi l’argument
qu’il ne faut rien faire pour que les élèves défavorisés
économiquement ne soient pas lésés par rapport aux autres. En effet
l’accompagnement à distance suppose la disponibilité, pour chaque
élève, de l’un des trois médias suivants : un ordinateur avec
une connexion internet, un smartphone, un téléphone basique. Et l’on peut
estimer que 20% à 30% des élèves n’auront accès à aucun de ces moyens et qu’ils
vont être lésés durant la période d’apprentissage en confinement.
Cette donnée ne peut être négligée mais ne devrait
pourtant pas, à mon avis, nous pousser à renoncer
à mobiliser les enseignants pour conseiller et suivre la majorité
des élèves. Il ne me parait pas judicieux, sous prétexte d’équité entre les
élèves, de pratiquer un nivellement par le bas en laissant la
majorité des élèves croupir dans un confinement passif. Il faudrait
au contraire avoir la double ambition, à la fois d’encadrer tous les élèves qui
pourraient être joints à distance et mettre au point des solutions
compensatoires à appliquer plus tard en présentiel aux autres
élèves.
Le troisième temps sera celui du
passage à l’action, chaque enseignant étant responsable de
l’enseignement-apprentissage de ses élèves, aura à exploiter les voies de transmission
et de contrôle des apprentissages disponibles en fonction du contexte de
l’établissement. En liaison avec les enseignants, le directeur aura
à suivre la progression dans les apprentissages et à faire la liste des élèves
ne pouvant participer aux activités. De cette manière, ces élèves
laissés-pour-compte durant la période de confinement seront prioritaires pour
retourner en classe durant la première période de
déconfinement progressif. On pratiquera ainsi une forme de discrimination
positive à leur profit.
Il y a en effet, chez tous les membres de la communauté éducative
tunisienne, des gisements d’intelligence, d’imagination et de générosité d’une
richesse inouïe. Nous en avons eu la démonstration dans
des projets développés par le Ministère de l’éducation avec la
société civile ou la coopération internationale. J’ai eu le bonheur ces trois
dernières années, de contribuer, avec toute une équipe, à la formation de
cadres éducatifs d’une centaine d’établissements de tous les gouvernorats à
l’approche de Soutien au
Comportement Positif en vue d’améliorer le climat scolaire de ces
établissements : notre
équipe a été épatée par le désir d’engagement des enseignants et des élèves,
par leur altruisme, par les talents qu’ils révélaient dans divers domaines.
Oui, on découvrait partout, des richesses humaines bouillonnantes
mais des richesses peu sollicitées.
C’est pourquoi il est plus que temps de libérer, de manière
méthodique, l’initiative intelligente de nos régions et de nos établissements
dans le domaine éducatif, en osant mettre en œuvre, une première fournée de
mesures institutionnelles innovantes inscrites dans la loi (décret
2010-2005 relatif aux commissariats régionaux de l’éducation ; loi
d’orientation de l’éducation et de l’enseignement scolaire 2002-80) :
responsabilisation du Commissariat Régional de l’Education par l’élaboration et
l’exécution d’un projet de région ; responsabilisation de la
communauté éducative et gestion participative des établissements
scolaires par le canal du conseil d’établissement et du
conseil pédagogique, gestion planifiée grâce au projet d’établissement,
reddition des comptes au moyen de l’évaluation et de l’audit.
De cette manière, le temps du corona et du confinement
sera peut-être heureusement aussi le temps de la remise en question
d’un fonctionnement centralisé à l’excès, et donc anachronique, de
notre système éducatif : à côté des orientations et initiatives du niveau
ministériel, il y aura enfin place pour l’initiative de la région et
de l’établissement.
Mustapha Enneifer , inspecteur général de l'éducation
Tunis , le 25 avril 2020
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