lundi 25 mai 2020

Les « ressources humaines du premier cycle de l'enseignement de base. »: le corps des instituteurs (3): systèmes de formation, représentations et attitudes des enseignants du primaire



Hédi Bouhouch
En hommage et à la mémoire de Hédi Bouhouch , le co-fondateur de ce blog, le blog pédagogique consacre les billets du mois de mai à la présentation de la production pédagogique de feu Hédi Bouhouch, et on a choisi de publier un rapport qu'il a préparé en 2010 à la demande du Ministre de l'éducation de l'époque M°Hatem Ben Salem ; ce rapport  vieux de 10 ans reste d'après nous un document de référence d'une grande valeur pour les chercheurs .
Le blog pédagogique, Mai 2020




Introduction

La mise à niveau de l'école primaire est  l'un des thèmes centraux du programme présidentiel pour la période 2009 à 2014. Le Président de la République lui a consacré  le deuxième alinéa  du quatorzième point intitulé «  Un système éducatif pour relever les défis de l'avenir »
 Le Ministère de l'Education et de la formation a décidé de faire de l’année 2009 l'année de l’évaluation, et il a  concentré ses efforts sur l'école primaire afin de la soumettre à une évaluation totale  qui a démarré par un diagnostic de son état  matériel  et organisationnel et de  son mode  de fonctionnement pédagogique. Ce diagnostic devrait  ouvrir la voie à l'élaboration d'un plan d'action national pour promouvoir  et développer l’école primaire afin qu’elle puisse être au diapason et   suivre les innovations  au niveau de la gestion, de la formation, de l'enseignement, de la technologie et de l'évaluation. Ce choix traduit  une conviction qui s’affirme jour après jour et qui  considère l’école primaire  comme l'assise de tous les autres cycles de l'éducation.
  Le  présent rapport représente la IVème et dernière partie du diagnostic de l’état de  l'école primaire publique. Il se rapporte aux ressources humaines : les enseignants, les directeurs, les inspecteurs et assistants pédagogiques. Le rapport décrit leurs caractéristiques démographiques, leurs prérogatives respectives, les modalités de leur recrutement, les mécanismes de leur promotion et leur avancement ; en plus de  la description de la situation actuelle.
Le rapport cherche à identifier leurs perceptions quant au développement de leur profession et au moyens d’améliorer les performances de l’école en particulier  et du système éducatif en général. Il  veut sonder leurs attitudes vis-à-vis de l’approche par compétences, du système d’évaluation du travail des élèves et des moyens de  développer  leurs relations avec les parents et l’environnement.
Ce rapport, préparé sur la base du travail de l'équipe technique de la direction de l’inspection du premier cycle de l’enseignement de base, est coordonné par le directeur, M. Mohammed Ben Daamer, inspecteur général de l'éducation.
Ce rapport est une sorte de bilan qui peut servir de point de départ pour réfléchir à cet aspect fondamental de l'école primaire, étudier les moyens de développer et d'améliorer son rendement et consolider son implication dans les missions  de l'éducation et de l'école fixées par la loi d'orientation relative à l'éducation et à l'enseignement scolaire de 2002. Comme ce rapport  concerne principalement  le cadre  humain de l'école primaire, son état actuel et ses attentes, nous l'avons intitulé  les  « ressources humaines du premier cycle de l'enseignement  de base. »
Hedi Bouhouch, Inspecteur  général de l'éducation
Tunisie / Février 2010

Partie 3 : formation, représentations et attitudes 
4- les systèmes de formation des instituteurs 
 Depuis la réforme de l'enseignement de 1958, le système de formation des enseignants du primaire a connu trois formes, chacune d'entre elles traduit la vision de l'institution pour la fonction de l'instituteur et des orientations de sa préparation professionnelle, académique et pédagogique, traduites par trois structures de formation successives et différentes.
*   la première de ces trois structures est représentée par les écoles normales d'institutrices et les écoles normales des instituteurs. La section de formation des instituteurs était l'une des sections de l'enseignement secondaire. Au début, certaines avaient leurs propres locaux alors que d'autres étaient logées dans les lycées avec les autres sections. Puis à la fin des années soixante, les normaliens eurent leurs propres écoles réparties sur tout le territoire du pays.
Les normaliens partageaient avec d'autres sections presque les mêmes programmes et les mêmes manuels. Les études étaient sanctionnées par le diplôme de fin d'études normales (équivalent au baccalauréat). Ce n'est qu'après que le normalien avait suivi une formation professionnelle lors de sa première année de stage qui est sanctionnée par un certificat de fin de stage en cas de réussite. Cette formule a vécu jusqu'à la fin des années quatre-vingt.
*   Dès les premiers moments de la deuxième réforme éducative et avant même la promulgation de la loi de 1991, le ministère a créé une nouvelle structure de formation des maîtres afin de relever leur niveau académique et professionnel, condition nécessaire pour réaliser les objectifs de l'enseignement de base et ses nouveaux programmes. Ces nouvelles structures sont les Instituts Supérieurs de Formation des Maîtres [2], créés par la loi 1990/108 du 26 novembre 1990. Une année après leur création, est paru le décret 1991/1871 du 7 décembre 1991 qui a fixé l'organisation administrative et financière et le programme des études et de la formation.
Les nouvelles structures étaient rattachées au département de l'enseignement supérieur et supervisées par une direction générale. La sélection de leurs étudiants se faisait par la voie de l'orientation comme pour les autres institutions universitaires.
Le programme de formation associe formation académique en langues, sciences, arts, sciences de l'éducation, sciences humaines et formation professionnelle dans les écoles primaire. La formation s'étale sur 4 semestres et elle est couronnée par un diplôme de fin d'études qui permet le recrutement pour enseigner dans les écoles primaires avec le grade de maître principal. Cette deuxième forme a continué à fonctionner jusqu'en 2007.

*   Depuis le démarrage de la réflexion autour de l'école de demain, et au vu de l'évaluation des composantes de la formule des ISFM en juin 2004, il a été reconnu que ces institutions n'apportent  pas un  plus sur le plan des connaissances et que les étudiants considéraient qu'ils refont une  année du lycée, et que ce qu'on leur présentait n'avait aucun rapport avec les savoirs universitaires puisque les cours étaient assurés par des enseignants de l'enseignement secondaire.
Par ailleurs, l'évaluation avait révélé la baisse du niveau des diplômés en langue et surtout en langue française à la suite de la passation d'un test standardisé en 2004/2005.
En se référant aux différents système de formation des maîtres  des pays développés surtout en ce qui concerne le niveau universitaire requis pour rejoindre le métier d'enseignant dans les écoles primaires, il a été décidé de créer une nouvelle structure pour remplacer les trois derniers ISFM.

Ces nouvelles structures instituées par le décret 2007/2116 du 14 aout 2007 sont appelées "Institut des Métiers de l'Enseignement l’Education) et de la Formation", cette troisième formule adoptée pour former les maîtres a amené une élévation du niveau universitaire des futurs enseignants du primaire, puisque le concours d'accès n'est ouvert qu'aux détenteurs d'une licence au moins, et que la formation dure une année universitaires couronnée par une évaluation certificative. La formation a été conçue sur la base d'un référentiel professionnel qui associe savoirs académiques et formation pédagogique (théorique et pratique). Les instituts ont accueilli leurs premières promotions au mois de février 2008 et n’ont  pas été encore évalués puisqu'ils viennent de démarrer.

5- Les représentations et les attitudes des enseignants du primaire
5.1 Les représentations
Pour connaître les représentations des enseignants sur leur métier, le rendement de l'école et leurs rapports avec les inspecteurs on a procédé par enquête auprès d'un échantillon de 1364 personnes. Le dépouillement de l'enquête et l'analyse des réponses ont permis de dégager les représentations suivantes :
5.1.1 - les représentations relatives aux moyens de faire évoluer le métier
Trois grandes tendances se dégagent :
- la première voit que l'évolution du métier doit commencer par la formation de l'enseignant. Ce premier groupe appelle par conséquent à revenir à la formule des ISFM  qu'il considère comme la formule la mieux outillée pour assurer une formation de qualité adaptée au métier.
- Pour le deuxième groupe, l'évolution du métier dépend de la création d'une nouvelle génération d'instituteurs : les maîtres spécialisés, ce qui permet d'alléger le fardeau de la préparation des leçons et réduira par conséquent l'échec scolaire qui résulte de la diversité des matières et des domaines.
- Le troisième groupe appelle à approfondir la formation des enseignants dans le domaine des NTIC dont l'impact sur l'évolution de l'enseignement est de plus en plus confirmé.


5.1.2 Les représentations relatives au rendement de l'école
Les personnes enquêtées voient que l'évolution et l'amélioration du rendement de l'école dépendent de trois facteurs complémentaires :
- 40%  des enquêtés pensent que l'évolution et l'amélioration du rendement de l'école dépend de la révision des modalités actuelles de passage et de redoublement mises en place depuis l'entrée en vigueur de l'approche par compétence et l'adoption de l'évaluation critériée basée sur les concepts de maîtrise, de niveau de maîtrise, de  critères …
- Pour 34% des enquêtés, l'évolution et l'amélioration du rendement de l'école dépend de l'amélioration de l'infrastructure de l'école et des outils de travail qui se répercutent actuellement d'une manière négative sur le rendement de l'école et entravent le travail efficace.
- 10% des enseignants enquêtés pensent que l'amélioration du rendement de l'école dépend d'un engagement plus actif de la famille.
En résumé, on peut dire que les enquêtés évoquent des facteurs qui leur sont externes et se rapportent à d'autres éléments comme les modalités de passage et de redoublement, l'infrastructure, la famille…

5.1.3- Les représentations relatives au développement des rapports avec l'inspecteur
Les enquêtés proposent trois entrées différentes pour développer et améliorer leurs rapports avec le corps des inspecteurs pédagogiques :
- 36% d'entre eux pensent que la relation qui lie l'enseignant et l'inspecteur doit être fondée sur trois valeurs qui sont : la coopération, le respect et le partenariat (ou l'association).
- Un autre groupe moins nombreux pense que la consolidation des liens entre les deux partenaires dépend de l'importance et de l'efficacité des activités de formation, car les rencontres et les débats aident à améliorer les pratiques pédagogiques et à traiter les difficultés professionnelles, ce qui ne manque pas d'améliorer les rapports enseignant/inspecteur.
- Le troisième groupe pense que l'amélioration des rapports entre les deux protagonistes nécessite une révision des critères de l'évaluation du travail de l'enseignant et l'attribution de la note, car actuellement, les mécanismes de l'évaluation impactent négativement les rapports entre inspecteur et enseignant.
"Étude sur les reformes curriculaires  par l'approche par  compétence - cas de la Tunisie"
5.2- l'attitude des enseignants
Pour connaître l'attitude des enseignants, on a procédé par enquête qui a concerné 1360 enseignants. L'enquête réalisée en 2009 à propos de l'approche par compétences dans le cadre d'une étude comparative d'un certain nombre de systèmes éducatifs pour connaître les positions des enseignants vis-à-vis de plusieurs questions relationnelles et pédagogiques (voir le rapport de Louise la fontaine et Mohamed Ben Fatma, paru sous le titre : "Étude sur les reformes curriculaires par l'approche par compétence - cas de la Tunisie"   
5.2.1- Attitudes des enseignants vis-à-vis de leurs collègues
92 % des enquêtés déclarent qu'ils ont avec leurs collègues des rapports de coopération et concertation, seulement ces rapports n'arrivent pas au niveau d'un travail commun pour réaliser des projets pédagogiques communs. Seuls 20% des enquêtés reconnaissent dans ce type de rapport d'étroites collaborations ayant un caractère sentimental.
5.2.2 - Attitudes des enseignants vis-à-vis de leurs collègues
*   3/4 des enquêtés déclarent que leurs rapports avec le directeur se limitent  surtout aux affaires administratives. Viennent ensuite les questions pédagogiques mais à un moindre degré. Nous précisons qu'en dépit des déclarations des enseignants, leurs rapports pédagogiques avec leur directeur ne dénotent pas une véritable interaction pédagogique qui débat de questions et de difficultés à la recherche de solutions. Il s'agit plutôt de rapports administratifs (tirage des sujet des examens, photocopie, validation formelle de la répartition pédagogique…).

*   3/4 des enquêtés déclarent que la fonction de l'inspecteur consiste à  encadrer et à aider les enseignants à améliorer leurs pratiques par les rencontres pédagogiques, alors que l’autre quart voit dans l'inspecteur un moyen de pression administrative puisqu'il détient le pouvoir d'attribuer les notes aux enseignants. Cette attitude pourrait s'expliquer par la grille des critères utilisés pour évaluer le travail des enseignants et que ces derniers demandent leur révision.

5.2.3 - Attitudes des enseignants vis-à-vis des élèves et de leurs parents.
*   92% des enquêtés déclarent qu'ils n'ont avec leurs élèves que des rapports d'enseignement et d'apprentissage. Ainsi ils privilégient la mission d'enseignement et négligent la mission éducative. Ils ne se soucient que très peu de la personnalité de leurs élèves et ne s'intéressent pas aux besoins de l'enfance. Ils ne pensent que rarement à réaliser des projets qui entrainent les enfants au travail de groupe ou à organiser des sorties et des visites qui développent chez l'apprenant la capacité de l'observation de son environnement, ce qui aide à renforcer les liens affectifs entre les apprenants d’un côté et leur environnement et la patrie de l’autre.
*   Un peu plus de 76% des enseignants enquêtés affirment qu'ils sont prêts à coopérer avec les parents d'élèves en leur consacrant un laps de temps au cours des récréations  ou en dehors des  cours pour répondre à leurs questionnements. D’un autre côté, un cinquième des enquêtés affirment qu'ils n'avaient aucun contact avec les parents. Cette attitude nous interpelle puisque la loi d'orientation de 2002 a donné à la famille et aux parents le statut de partenaires de l'école car leurs actions sont complémentaires dans la formation et l'éducation de la jeunesse.
5.2.4 Attitudes des enseignants vis-à-vis de l'approche par compétence
*Si la majorité des enquêtés, (1100) dans le cadre de la préparation de l'évaluation de l'approche par compétences en 2009, étaient d'accord pour dire que sur le plan théorique l'APC est une approche idéale du point de vue de ses principes, de son esprit et de ses finalités, ils constatent que sur le plan pratique elle est difficile à mettre en application sur le terrain, parce qu'elle est chronophage et qu'elle double la charge de travail. Tous sont d’accord que l'évaluation formative et la remédiation qui s'en suit est très lourde. Mais ceci ne les empêche pas d’apprécier l'esprit de coopération créé par la mise en place de l'évaluation diagnostic au début de l'année scolaire. Les enquêtés espèrent que les autorités administratives et pédagogiques prennent en considération le surplus de travail que cela exige, après avoir ajouté la fonction de l'évaluation dans les attributions de l'enseignant.
*Concernant les pratiques pédagogiques nécessaires à l'APC, les études ont montré que les enseignants respectent les exigences de l'approche telles qu'elles sont dans les programmes et les guides lors de la préparation de leurs leçons, mais ils  s'en détachent lors  des cours et s'orientent plutôt vers la pédagogie par objectifs qu'ils maîtrisaient et pratiquaient avant l'arrivée de l'APC. Ainsi, il semble que leur engagement pour la nouvelle approche n'était que fictif et théorique pour éviter le jugement de l'inspecteur. Cette attitude peut s'expliquer par le fait que les enseignants ne voient dans l'approche qu'une mesure administrative parmi d'autres imposées d'en haut. Elle peut s'expliquer aussi par la qualité et la pertinence des programmes de formation qu'ils ont suivis et qu'ils jugent trop courts. Après ces cycles de formation, l'approche est perçue comme un dogme et un ensemble de mesures figées et momifiées, qui tend à couper l'enseignant de tout ce qu'il a appris durant sa vie professionnelle. Tout cela a été à l'origine d'une dérive de l'APC  par rapport à ses principes et à son esprit.

*Dans le domaine de l'évaluation formative, les enseignants enquêtés reconnaissent qu'ils se limitent à attirer l'attention sur leurs erreurs sans arriver à connaître leurs origines ( ce qui est réellement difficile ) ce qui les empêche d'en faire des occasions  d'apprentissage. Ils reconnaissent aussi que l'évaluation certificative qu'ils pratiquent est centrée beaucoup plus sur les produits plutôt que sur les processus, et donc elle ne fournit pas d’informations pertinentes sur les vrais apprentissages. De tout ce qui précède, découle un quasi consensus autour de la nécessité de réviser le système d'évaluation et du passage automatique. On retrouve ici la même position exprimée par 53000 instituteurs à l'occasion de la consultation d'avril 2009. 

5.2.5- Attitudes des enseignants vis-à-vis de la formation continue
Les résultats de l'enquête concernant le registre de la formation continue et sa contribution à l'amélioration de leurs pratiques pédagogiques, ont permis de dégager les attitudes suivantes:
- 83% reconnaissent l'utilité de la formation continue mais ils constatent que la formation qu'ils ont eue ne répond pas à leurs attentes et à leurs besoins.
- Les enquêtés estiment que la FC souffre de l'absence de l'aspect participatif et qu'elle avantage les cours et les exposés au dépens des ateliers et de la production.
- Les enquêtés estiment que la période réservée à la formation est courte (4 jours par an) surtout devant les difficultés que rencontrent les enseignants et les défis de qualité que l'école primaire cherche à réaliser.
-les enseignants enquêtés pensent que la formation qui est faite hors des locaux des CREFOC perd une partie de son impact à cause des mauvaises conditions matérielles.

Fin  de la partie 3 , A SUIVRE pour revenir à la partie 1 cliquer ici , pour la partie 2, cliquer ici.
Hédi Bouhouch , Inspecteur général de l'éducation , 2010
Traduit par Mongi Akrout et Abdessalam Bouzid , inspecteurs généraux de l'éducation
Tunis , Mai 2020
Pour accéder à la version Arabe , cliquer ICI





[1] Décret 2003/2432 du 24 novembre 2003 fixant le statut particulier du corps des personnels enseignants exerçant dans les écoles primaires relevant du ministère de l'éducation nationale, jort 97 du 5 décembre 2003
[2]


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