Aujourd’hui à l’occasion de l’ébranlement du planning
de l’éducation nationale en raison de la pandémie du Covid-19 et du confinement
qui s’en est suivi avec un arrêt des cours, il faudra saisir l’opportunité qui
s’offre pour revisiter notre système d’éducation et de formation tous niveaux
confondus et nous interroger sur la finalité de l’école. Au lieu de cela, il
semble que les décideurs se réfugient dans le bricolage. Pour certains niveaux
on programme les examens sur les cours dispensés aux premier et second
semestres de l’année scolaire, pour le niveau bac on projette de reprendre les
enseignements en pleine saison de la chaleur avec des masques en sus, des
salles de classes non climatisées, des élèves et des enseignants désabusés
après un mois et demi environ de confinement. Et les examens du bac porteront
sur toutes les matières du programme de terminale, les élèves devront tout
réviser et l’on sait dans quelles conditions pour beaucoup déjà pauvres et davantage
appauvris par l’arrêt obligé des activités de leur mère, de leur père ou des
deux à la fois.
Posons-nous la question : bien performer aux
examens de toutes les matières est-ce vraiment nécessaire pour réussir un
cursus universitaire ? Et si certaines matières servent à améliorer une
moyenne générale alors que le niveau dans les matières principales laisse à
désirer, en quoi cela est-il utile si l’élève par exemple projette de se
spécialiser dans le domaine correspondant à la filière du secondaire qu’il
a choisie ou vers laquelle il a été orienté?
Il y a des pays qui organisent autrement l’examen de
fin du cycle secondaire pour l’accès à l’université. En Grande Bretagne les
examens portent sur les programmes des deux dernières années du secondaire et les
élè²ves choisissent 4 à 5 matières, en Italie l’examen comporte une épreuve de
culture générale, aux USA le diplôme de fin d’études secondaires n’autorise pas
l’accès à l’université. La possibilité de choix des matières à passer invite à
une responsabilisation et une précision de la vocation de l’élève, l’épreuve de
culture générale et la prise en considération des acquis des deux dernières
années du lycée permettent d’évaluer la capacité des élèves d’appropriation des
connaissances et de leur intégration en un savoir réfléchi et durable.
Cela est aux antipodes du bachotage ou, selon le terme
de Boris Cyrulnik, du « perroquetage », autrement dit apprendre par
cœur les cours qui s’y prêtent et « dégurgiter » une partie de son
contenu à l’examen selon le cher principe tunisien « بضاعتكم ردت إليكم »
« votre marchandise vous est rendue », comme si le savoir transmis
par l’enseignant lui appartenait. Quant aux matières qui ne se prêtent pas au
« parcœurisme » comme les mathématiques par exemple, on multiplie le traitement
de séries, les cours particuliers aidant, jusqu’à développer une sorte de
mécanique intellectuelle et à l’examen, on procède par analogie avec tous les
risques de se tromper sur le modèle faute d’attention à de petits détails dans
l’énoncé. Néanmoins le « parcœurisme » est encouragé du fait que
toutes les matières font l’objet de cours particuliers où la reproduction du
discours prime sur la réflexion, l’approfondissement des connaissances,
l’esprit critique et l’imagination.
Qu’attendre d’une telle approche pédagogique qui
encourage à la passivité plutôt qu’à la responsabilité, à la reproduction
plutôt qu’à la créativité et l’éclosion des talents, à l’inégalité sociale
entre ceux qui bénéficient de soutien scolaire de « qualité » – ou
plutôt assurant la réussite aux examens- et ceux qui ne peuvent y
accéder ? N’oublions pas que lorsque l’école fonctionnait comme ascenseur
social dans notre pays, elle drainait les intelligences et les talents des
localités les plus reculées et les plus pauvres, l’intelligence étant la chose
la mieux partagée entre les humains. Seulement certains ont la bonne méthode
pour l’entretenir et la développer, d’autres ne l’ont pas.
Un examen du bac avec une inflation de matières
cloisonnées, sans épreuve orale, sans épreuve de culture générale
constitue-t-il réellement le bon laisser-passer pour l’accès à des études
universitaires qualifiantes ? Les jeunes qui réussissent à ce bac sont-ils
bien préparés au monde du travail qui les attend lorsqu’ils devront gagner leur
vie ?
Si tous les bacheliers doivent accéder à
l’enseignement supérieur et par suite à des emplois de cadres supérieurs, de
professions libérales, ou se destinent à l’entrepreneuriat, ils auront à
s’insérer dans l’économie de la connaissance qui est celle d’aujourd’hui.
L’économie de la connaissance est tirée par la recherche scientifique, la
recherche et développement et l’innovation qui se réalisent généralement en
équipe et en réseaux. Afin de s’intégrer et d’évoluer dans une telle économie,
le savoir spécialisé ne suffit plus, il y a nécessité de capacité de
compréhension des systèmes, de capacités de travail collaboratif dans un cadre
pluridisciplinaire, de communication souvent dans plus d’une langue et bien
d’autres « soft skills ».
Il est évident que l’on ne peut réviser dans
l’immédiat notre système éducatif. Par contre, vu les conditions difficiles
dans lesquelles vont se dérouler les examens du bac, on peut, sans trop de
bouleversements interdits par le conservatisme ambiant, introduire une petite dose
de simplification par la réduction du nombre de matières obligatoires et la
concentration sur les matières principales de chaque filière, et une petite
dose de responsabilité en permettant aux candidats d’opérer un choix d’une ou
deux matières parmi les autres celles qui les intéressent le plus. Ce qui est à
craindre si on ne fait rien c’est le décrochage scolaire en masse, un risque
que notre pays qui a toujours misé sur son capital humain ne peut se permettre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire