dimanche 6 décembre 2020

Adieu Si Mohamed Fayala : L’un des illustres précurseurs tunisiens de l’enseignement des Mathématiques en Tunisie

 

 

 

 


L’école tunisienne vient de perdre l’un de ses bâtisseurs et l’un des illustres précurseurs tunisiens de l’enseignement des Mathématiques en Tunisie le Professeur Mohamed Fayala, qui fut parmi les pionniers tant au niveau de l’enseignement secondaire qu’au niveau de l’élaboration de manuels scolaires tunisiens au moment où le pays continuait à utiliser les manuels français.

 

Mohamed Fayala fut tour à tour un enseignant brillant de mathématiques, respecté et aimé par ses élèves, directeur du plus ancien lycée de la ville de Sousse , pour terminer à la tête de la direction régionale de l’enseignement de Sousse qu’il a eu l’honneur de sa mise en place contribuant ainsi à la décentralisation de la gestion des affaires de l’enseignement.

Si Mohamed Fayala est un passionné de l’enseignement, il l’a choisi alors que les portes de la jeune administration du pays lui étaient largement ouvertes, et il est mort alors qu’il rentrait à sa maison après une journée de travail dans son lycée privé.

 

Que Dieu lui accorde sa grande miséricorde.

A cette triste occasion, le Blog pédagogique a tenu à rendre Hommage à notre cher disparu en publiant une nécrologie écrite par son ami le Professeur Adel Ben Youssef qui nous a permis de reproduire le texte qu’il a posté dans sa page personnelle, qu’il en soit remercié pour sa confiance.

Le blog pédagogique.

 

 

 

 

 

https://www.leaders.com.tn/article/31007-mohamed-fayala-l-homme-qui-a-fait-aimer-les-maths-a-ses-eleves



Hier, samedi 28 novembre 2020, s’est éteint à la suite d’une crise cardiaque brusque l’un des bâtisseurs de l’Etat tunisien et l’une des figures de l’éducation et de l’enseignement en Tunisie, le professeur Mohamed Fayala qui est décédé à l’âge de 93 ans alors qu’il rentrait à sa maison du lycée privé qu’il dirigeait depuis des décennies.

Je n’ai pas été un de ses élèves, car à l’époque de ma scolarité secondaire il était Directeur Régional de l’Enseignement de Sousse (entre 1974 et 1990), par contre c’est lui qui m’avait donné ma première nomination en tant que professeur d’histoire et de géographie à l’automne 1988.

 

Feu Mohamed Fayala est né à Mahdia en 1927 où son père Brahim Fayala travaillait à la Société de Transport du Sahel (STAS) à l’époque du protectorat, c’est son père qui l’avait encouragé à poursuivre ses études secondaires puis supérieures, c’est ainsi qu’il rejoignit le collège Sadiki en octobre 1941.

Dans cette institution nationale (Cf. la photo ci-jointe, le premier assis à gauche dans le premier rang), il fut l’élève d’illustres professeurs comme Mohamed Souissi, professeur de Mathématiques qui lui fit aimer les mathématiques, les professeurs Mahmoud Messadi et Abdelwaheb Bakir (l’arabe), les professeurs Mohamed Rokbani et Cheikh Allani (la pensée islamique) sous l’égide du directeur adjoint puis du directeur, Mohamed Attia.

Mohamed Fayala fut un membre actif de la jeunesse scolaire, filiale du Néo destour, il eut comme compagnon de promotion Tahar Chriaâ, Mohamed Mzali (qui l’a précédé de 02 ans), Mohamed Aouani, Noureddine Bou Arrouj, Mokhtar Enneifer, Habib Jeddi et surtout Mohamed Ghnima et Mohamed Fitouri, qui après avoir décroché la deuxième partie du baccalauréat en juin 1950 au lycée Carnot, vont tous les deux l'accompagner en France, pour poursuivre leurs études de Mathématiques et de droit à Bordeaux.

En juin 1954 lors de l’oral pour obtenir la licence à la faculté de Bordeaux, le professeur examinateur lui posa une question d’algèbre ardue se rapportant à un nouveau théorème (le théorème de Fox), et en dépit de la difficulté de la question, Si Mohamed avait réussi à y répondre brillamment et il fut reçu parmi les premiers, si bien que son professeur lui a demandé de poursuivre ses études et de s’installer en France lui promettant d’intervenir auprès des autorités françaises pour obtenir la nationalité française, Mais il déclina la proposition en répliquant " je veux rentrer au pays pour participer à former la jeunesse tunisienne , ce qui n’a pas manqué d’étonner son professeur.

En 1954, les trois compagnons rentrent au pays après avoir terminé leurs études avec brio et sont ainsi parmi les premiers diplômés de l’enseignement supérieur qui ont intégré l’administration et le corps enseignant au cours de la première année de la Tunisie autonome à côté des fonctionnaires et des professeurs français. Si Mohamed Fayala avait opté pour l’enseignement alors que son compagnon Mohamed Ghenima avait rejoint la direction financière puis la banque centrale à sa création en octobre 1958 par le professeur Hédi Nouira, il deviendra son gouverneur dans les années quatre-vingt…

Si Mohamed a débuté sa carrière d’enseignant de Mathématiques au Lycée de garçons de Sousse à l’automne 1954, il y resta jusqu’en 1968 en enseignant surtout les classes terminales et c’est son élève Mohamed Hédi Khélil qui venait de rentrer de Paris qui le remplace pour prendre en charge les classes terminales.

En 1974, après une expérience en tant qu’Inspecteur et Inspecteur Général, Mohamed Fayala est nommé à la tête de la nouvelle direction régionale de l’enseignement de Sousse qui couvrait à l’époque tous les gouvernorats du Sahel (Monastir, Mahdia) et du centre (Kairouan, Kasserine et sidi Bouzid). Lorsqu’en 1987/1988 il atteint l’âge de la retraite, son ancien élève et le Ministre de l’Education Nationale de l’époque, Mr. Mohamed Hédi Khélil lui proposa de rester au poste, en prolongeant son exercice durant trois années scolaires successives.

En 1991, il se présenta aux élections législatives partielles et fut élu sur la circonscription de Sousse, il y resta jusqu’en 1994, il évoque ce passage avec une certaine dérision, quand un jour je l'appelle : « Ahlan Monsieur le Député », il me rétorqua : « ce ne fut qu’un bout et non un mandat complet, cher ami » !

Sous la coupole du parlement, il retrouva son collègue du lycée de Sousse et l’ancien ministre de la culture le professeur Mohamed Yaalaoui, et son ancien élève et ancien ministre de l’éducation Mohamed Hédi Khlil et le kairouanais et Imam de la grande mosquée Cheikh Abderrahmen Khlif, tous les quatre vont former un groupe très actif par leur position au cours des discussions des questions relatives à la culture, l’enseignement et l’éducation…

Quand j’enseignais au Lycée de garçons de Sousse puis au lycée pilote de Sousse, je le rencontrais toujours se dirigeant ou sortant de la direction régionale toute proche, ou lorsqu’il rendait de brèves visites à son ami originaire de Kairouan, le directeur du lycée pilote de Sousse, Monsieur Mongi Dridi. Il me parlait alors de ses années d’études en France, et de ses souvenirs au collège Sadikien, il me demandait des nouvelles sur l’avancement de ma thèse sur « L’élite moderne tunisienne : le cas des étudiants des universités françaises 1880/1956"; il me fournissait des données précieuses que je n’ai trouvées ni dans les archives tunisiennes, ni dans les archives françaises !

Il me demandait souvent de venir faire des cours pour les classes terminales lettres dans son établissement, mais mon engagement moral avec le lycée privé Ettawfik dirigé par le respectable, le père et l’ancien haut responsable dans l’état et le parti, Mr. M’hammed Souayeh, m’empêchait de répondre favorablement à la sollicitation de Si Fayala qui respecte mon attitude et me disait avec son sourire habituel : « Le lycée est le vôtre tu seras toujours le bienvenu ».

En 1996 nous avons une longue rencontre dans son bureau au lycée à l’occasion de la visite du président de l’Association des Anciens Elèves du Collège Sadiki, Mr. Foued Mbazza et son Secrétaire Général, Feu Hamadi Sahli pour relancer « La Revue Sadikienne » dans sa nouvelle collection, il m’avait proposé alors de rejoindre son comité de rédaction, ce que j’ai fait et je continue aujourd’hui à y écrire malgré les difficultés que rencontrent les revues culturelles depuis 2011…

Malgré son attachement à sa ville natale (Kairouan) qu’il visitait de temps à autre, son amour pour la ville de Sousse était exceptionnel pour preuve son choix d’épouser la fille de la figure du football et le président de la Patriote de Sousse, Rachid Shili, qui fut une amie de jeunesse de ma mère que Dieu la garde. Si Mohamed a été élu aussi membre du conseil municipal de la ville de Sousse à plusieurs reprises.

Je n’ajouterai grand-chose à propos des dizaines manuels de Mathématiques élaborés, soit par lui seul ou avec le professeur français d’origine polonaise et grand fervent du sport de la marche, Henri Trebitch, ces manuels couvraient les différents niveaux et en particulier les manuels destinés aux élèves des terminales, sans oublier sa contribution dans l’élaboration des sujets du bac durant plusieurs années.

Au cours de l’année scolaire 1963/1964 il a créé avec Mohamed Hédi Khélil le premier bulletin scientifique et pédagogique de Mathématiques, ils ont choisi de l’appeler "Al -Khawarizmi" (du nom du grand savant mathématicien, géographe, astrologue et astronome Muhammad Ibn Mūsā al-Khuwārizmī né à Khawarizm en 780 ap. J.-C et mort à Bagdad en 850 ap. J.-C.). La revue a réussi à s’imposer et a continué à paraître et à être distribuée dans tout le pays régulièrement pendant plusieurs années avec la collaboration de nombreux enseignants, la revue était une source et une référence pour les professeurs de Mathématiques, ils y font recours pour préparer leurs leçons et leurs devoirs.

 

 

En 2014, je l’ai sollicité pour participer à mon programme radiophonique « Témoignages vivants » que j’anime à la Radio Monastir, mais il a décliné ma demande en me disant : « Mon fils Adel, épargne moi cela , je n’aime pas apparaitre dans les moyens d’information (radio et télévision) comme le font n’importe qui, quand j’ai insisté en lui disant que je tenais à parler avec un professeur, un éducateur et un haut responsable de l’éducation et de l’enseignement de la belle époque , il m’a rétorqué en souriant : « Je te conseille d’inviter mon élève Si Hédi Khélil », j’ai suivi son conseil et j’ai contacté Mr. Hédi Khélil, son élève et l’ancien ministre de l’éducation nationale et j’ai enregistré avec lui au mois d’août 2017 dans sa ville natale Korba. Comme à l’accoutumée, Si Mohamed a suivi les trois épisodes de témoignage de son ancien élève et il m’avait remercié lors de notre rencontre quelque jours après.

L’œuvre de l’homme, ses qualités, ses publications et ses réalisations dans le domaine scolaire et éducatif sont là pour évoquer le riche parcours de Si Mohamed, je profite de l’occasion pour proposer aux autorités régionales et en premier lieu le commissariat régional de l’enseignement de donner le nom du défunt à l’un des établissements secondaire de la ville, je pense que cela n’est pas trop demandé à Mr. Négib Zbidi, le délégué régional de l’enseignement.

Le corps du défunt a été inhumé après la prière d’Al Asr au cimetière de Sousse route de Monastir, le dimanche 29 novembre en présence des membres de sa famille, de ses anciens élèves, ses collègues et ses amis venus de toutes les villes du Sahel et d’autres régions malgré l’épidémie et le couvre feu qui débute à 19 heures.

Que Dieu accorde sa miséricorde à l’éducateur, l’ami,le responsable le professeur Mohamed Fayala.

 

 

Adel Ben Youssef, Professeur d’histoire contemporaine à la faculté des lettres et des sciences humaines de Sousse et ami du défunt.

Sousse, le 29 Novembre 2020 

Présentation et traduction Mongi Akrout & Abdessalam Bouzid, inspecteurs généraux de l’éducation retraités.

Pouraccéder à la version Ar, cliquer ici

 



 

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