dimanche 23 mai 2021

Les objectifs pédagogiques ( troisième partie)

 

 

Hédi Bouhouch

Dans le  cadre de l'hommage à la mémoire du professeur Hédi Bouhouch qui est décédé il y a  quatre ans , le blog pédagogique -  dont il fut le cofondateur en 2013-  propose à ses lectrices et à ses lecteurs la dernière partie de l'étude faite par  Si Hédi et publiée dans le 4ème numéro du Bulletin pédagogique (nouvelle série) en novembre 1983, consacrée à la présentation de la pédagogie par objectifs.

 Hédi Bouhouch fut avec une équipe de pédagogues l'un des pionniers qui ont contribué à faire connaitre cette approche en Tunisie par le biais du fameux programme de l'éducation en matière de population plus connu sous l'appellation arabe " Attarbiia Al Omranya" qui était animé par un petit groupe très engagé et enthousiaste qui comprenait Hédi Bouhouch, Mabrouk Manai,Naima Kochtane, mohamed Besbes…et grâce aux efforts de ce groupe l'approche par objectifs a eu beaucoup d'adeptes  qui appartiennent à différentes disciplines comme les sciences naturelles , l'histoire géographie, l'arabe … et elle  fut adoptée officiellement par la réforme de 1991 dont les différents programmes furent construits selon cette approche.  

 

 

III- L'extraction et le choix des objectifs

1- la méthode de la source et du filtre : Le modèle de R.Tyler

En 1950 Tyler a conçu un modèle qui se base sur deux éléments qui sont la source et le filtre dont la fonction est d'aider à chercher les objectifs généraux et de les trier. La source permet grâce à l'analyse de lire et de délimiter les objectifs généraux. Quant au filtre, c'est l'outil de contrôle et de vérification. Il permet de faire le tri et le choix de ce que l'on estime utile. Le schéma suivant est une illustration de ce modèle.[1]

 


Tyler pense, comme indiqué dans le dessin, que les premières sources d'extraction des objectifs généraux sont au nombre de trois, qui sont, respectivement, la société, les élèves et les contenus.

L'analyse de la société nous permet donc, selon Tyler, d'identifier les valeurs intellectuelles et les tendances comportementales auxquelles les gens prêtent une grande importantes et les compétences professionnelles et non professionnelles que la société exige de ses membres et qui aident l'individu à s'intégrer dans la société. L'institution scolaire se doit d'enseigner ce dont la société en a besoin. Dans ce sens, Tyler dit : « Il est important d'étudier les comportements, les façons de penser, de ressentir et de se comporter qui sont importants dans notre société et qui aident un individu à devenir un véritable membre de cette société.

Quant à l'étude des élèves, elle vise à identifier leurs besoins physiques, intellectuels, émotionnels et leurs compétences qui traduisent leurs préoccupations et leurs intérêts, ainsi qu'à identifier leur niveau et leurs prérequis avant de suivre l'apprentissage.

Quant aux contenus, qui constituent la troisième source, elles indiquent les types de savoirs et la nature des connaissances utiles pour tous les membres de la société, ainsi que les savoirs et les connaissances qui sont destinés aux spécialistes de chaque domaine. 

 

Le processus d'analyse des trois sources conduit à un grand nombre d'objectifs, que Tyler considère comme des «objectifs généraux temporaires» et les soumet à deux filtres qui sont :

- La philosophie de l'éducation ou la vision éducative qui prévaut dans la société (conservatisme / changement - discipline - libération - subordination - autonomie ...) ou la vision que l'établissement d'enseignement adopte (dans le système américain). Ce premier filtre se charge de classer les objectifs généraux temporaires selon leur importance au point de vue de la société pour retenir ceux qui sont conformes aux valeurs de la société, à ses tendances et à ses principes et il exclut ceux qui leur sont contraires.

- La théorie de l'apprentissage : ce 2ème filtre permet de faire le tri des objectifs généraux temporaires en fonction de leur conformité ou non aux principes de la psychologie et aux règles de l'éducation. C'est ce filtre qui clarifie les lois de l'apprentissage, et il est utile pour connaître la nature des élèves et leur capacité à assimiler et à se représenter.

Ce tri conduit à une nouvelle liste d'objectifs que Tyler appelle «les objectifs pédagogiques arrêtés»   .

Ainsi, avec sa proposition, Tyler a cherché à surmonter le fossé observé entre l'éducation et la vie, en considérant la société comme une source, et à concilier les besoins collectifs et les besoins individuels par l'analyse des préoccupations et des centres d'intérêt des élèves et en trouvant une adéquation entre les contenus des matières scolaires et les exigences de la vie sociale.

Cependant, cette proposition, malgré sa large diffusion et son fonctionnalisme, n'est pas sans défauts. On reproche à Tyler  sur le plan intellectuel  l'excès de  «positivisme» représenté dans sa croyance que la société a un total contrôle sur les valeurs et dans sa reconnaissance des principes qui y prévalent sans les remettre en question ou les revoir. On a reproché aussi à Tyler sur le plan méthodologique le fait de reporter le travail des filtres à la deuxième étape, ce qui peut conduire à des «dérives» au cours de l'étape de l'analyse, ce qui a amené certains d'entre eux (par exemple Goodlad) à insister sur la nécessité de tenir compte des valeurs à toutes les étapes de l'élaboration du programme.

Cependant, ces critiques, malgré leurs pertinences, ne diminuent en rien la valeur du modèle et son efficacité. Toutes les personnes qui se sont intéressées aux objectifs ont adopté la règle de la source et du filtre tout en modifiant  un peu les sources et leur contenu, comme le montre le tableau suivant:

 

 

B.S. Bloom

R.Tyler

 

La civilisation contemporaine, les impératifs de la vie sociale

La société

1

Les élèves

Les élèves

2

La nature de la discipline ou la spécialité

Le contenu de l'enseignement

3

Les activités professionnelles auxquelles se préparent les élèves

---------------------

4

 

 

 

Il ressort clairement de ce tableau comparatif que "Bloom" a ajouté une quatrième source qui est la nature de la matière à enseigner. Il s'agit de l'analyse de la matière en question afin de dégager la structure des concepts qu'elle contient et les processus cognitifs requis par ces concepts, et pour déterminer dans quelle mesure cette matière contribue à la maîtrise d'autres matières. Cette quatrième source nous permet de déduire que «Bloom», contrairement à «Tyler», pense dans le cadre des matières, tandis que «Tyler» pense dans le cadre des objectifs communs à plusieurs disciplines.

- 2 - La proposition de César Birzéa

La proposition de cet auteur s’inscrit dans une vision globale qui cherche à suivre une démarche progressive dans l'élaboration des objectifs pédagogiques, en allant du général vers le spécifique et de l’abstrait vers le concret. L'extraction selon lui est l'un des deux processus suivants : le premier est le passage des finalités vers les buts et le deuxième consiste à convertir les buts en objectifs généraux, comme l'illustre le schéma suivant :

 


a) - Le schéma distingue trois sources pour choisir les finalités, qui sont la nature de l'homme, de la société et du savoir. Nous remarquons que ces sources ne diffèrent pas fondamentalement des sources précédemment identifiées.

b) - Le schéma comprend deux stations avant d'atteindre les objectifs généraux, ce qui le distingue du modèle de «Tyler», qui a négligé les finalités.

 

- Les finalités : l'auteur entend par finalités les grands choix du système éducatif et les orientations de la politique éducative.

- Les buts : Ils sont dérivés des finalités et traduisent les profils souhaités de la personne qu'on a l'intention d'éduquer et de former d'une part et le type de société que l'on espère construire par la politique éducative d’autre part. Il est nécessaire que les buts correspondent aux caractéristiques du système politique et social.

- Les objectifs généraux : Ils sont dérivés des buts et ils précisent les domaines des changements éducatifs à réaliser chez les apprenants. Les objectifs généraux mentionnés ne diffèrent pas de ceux de "Tyler" car ils sont présentés, dans le deux modèles, selon une formulation générale et exhaustive valable pour diverses matières scolaires.

 

A partir des objectifs généraux on procède au choix des objectifs qui correspondent aux situations pédagogiques et aux contenus spécifiques à chaque matière. Puis ces objectifs sont organisés de façon à faciliter leur réalisation. Cette organisation est faite selon les taxonomies ou  autres moyens.

- 3 - La Méthodologie de De Landsheere[2]

Les De Landesheere ne s'étaient pas contentés d'extraire les objectifs généraux, mais ils ont présenté une méthodologie qui couvre les différents niveaux d'objectifs et qui montre comment passer du plus général et abstrait au plus pratique et précis. Leur méthode s'intéresse à la fois à la discipline et aux processus mentaux qui seront liés à cette discipline.

Cette méthode prévoit trois phases, à savoir :

- Recenser les finalités,

- Recenser et classer les objectifs généraux,

- Recenser et classer les objectifs spécifiques.

a- L'étape du recensement des finalités consiste à analyser les trois sources possibles des objectifs pédagogiques, à savoir la fonction sociale de l’éducation, l’opinion de la société sur les objectifs de l’éducation et la philosophie de l’éducation. Cette analyse conduit à l'établissement d’une liste d'objectifs abstraits.

b - La deuxième étape comprend deux phases : la première «l'explicitation» et la seconde est la «discrimination / la spécification». L'explicitation est le commencement de la précision des contenus éducatifs en définissant ses grands domaines et ses chapitres (par discipline ou un groupe de disciplines)  et en indiquant les domaines qui seront concernés (cognitif / affectif  / psychomoteur ) et la part de chacun d'entre eux, ainsi que les processus mentaux sur lesquels les élèves vont s'entraîner.

Quant au processus de discrimination spécification, qui est la deuxième phase, il consiste à classer les objectifs généraux générés à partir des objectifs abstraits en deux groupes selon les types et les niveaux d'enseignement d'abord, puis selon l'importance de chacun des objectifs.

 

c- La troisième étape nécessite deux processus : «la concrétisation et la discrimination ». La concrétisation consiste à analyser en détail le contenu qui a pu être réalisé à l'étape précédente, et à déterminer les capacités exactes requises des élèves.

Ce processus doit aboutir à l'établissement d'une liste d'objectifs spécifiques (par discipline à ce stade) qui sera suivi par la classification des objectifs selon trois critères, la valeur de l'objectif, son coût et sa faisabilité pédagogique appropriée.

Ainsi, les deux auteurs ont établi un lien entre trois types d'objectifs, les finalités, les objectifs généraux et les objectifs spécifiques, avec l'application graduelle des contenus, des processus mentaux et de la classification des objectifs. Ils ont ainsi réussi à assurer une cohérence entre le niveau supérieur et le niveau inférieur.

Outre les sources d'extraction des objectifs, nous trouvons chez certains auteurs un intérêt particulier pour les critères de sélection des objectifs. Nous allons nous limiter à présenter les critères proposés par Mc Neal (1969) et L. D' Hainaut (1980)

Mac Neal a identifié trois critères dont la combinaison permettrait la sélection d'objectifs, dont certains sont liés à la discipline, d'autres sont liés aux métiers pour lesquels les élèves seront éligibles, enfin certains sont liés au groupe ciblé.

a- L'analyse des thèmes de la discipline ou de la spécialité afin d'identifier des questions nouvelles et originales pour les inclure dans la liste de nouveaux objectifs.

 

b - L'adéquation à la vie quotidienne : Cette adéquation est obtenue en déterminant ce dont les individus ont besoin dans leur vie en termes d'informations, de connaissances, de capacités, d'aptitudes et de compétences requises pour les activités professionnelles dans la société.

c - Les préoccupations des élèves : "Mac Neal" se méfie de ce critère car il estime que les intérêts et préoccupations exprimés par les élèves sont circonstanciels et peuvent ne pas être suffisamment révélateurs de leurs préoccupations réelles.

Quant à Louis D'Hainaut[3], il a préféré dans son livre ''Des buts aux objectifs pédagogiques'' les critères à considérer lors du choix d'une liste d'objectifs pédagogiques. Nous avons choisi de les présenter sous forme d'un tableau pour en faciliter la lecture.

 

Signification

Le critère

Dans quelle mesure les objectifs servent-ils les grands choix et leur correspondance avec les valeurs culturelles et dans quelle mesure réalisent-ils les besoins des individus et des groupes ?

1-Cohérence avec les finalités

Quels sont les buts qu'on pourrait atteindre avec cet objectif ?

Quels savoirs, savoir-faire et savoir-être permet-il d'acquérir ?

2-Adéquation avec les buts

Adéquation de l'objectif avec la maturité intellectuelle et affective de l'élève

Dans quelle mesure s'appuie-t-il sur les prérequis et correspond-il aux préoccupations véritables des élèves.

3-Adéquation avec la population cible

Quelle est l'importance du champ de l'application des acquis qui résulteront de l'objectif ? Quelle est l'importance de ces acquis ?  est-il possible de les appliquer sur de nouvelles situations non étudiées en classe ?  Quelle durabilité pour ces acquis ?

4- Domaine de l'objectif

Les ressources matérielles et humaines nécessaires pour la réalisation de l'objectif (la durée, les agents, les équipements, l'argent…)

5- Coût

Dans quelle mesure l'objectif répond-il aux attentes des apprenants, des enseignants et des parents ? Quel impact sur la motivation de l'élève pour les études et pour la vie scolaire en général ?

6-Effet affectif

 

L'objectif retenu par «D'Hainaut» est celui qui répond au plus grand nombre de ces critères. Néanmoins, il suggère que certains critères peuvent être combinés pour réduire leur nombre et soumettre chaque objectif à ces critères :

- Critère d'utilité : la portée de l'objectif et sa valeur (ce qui peut être utile pour l'individu et pour le groupe).

- Critère économique : rapport coût-bénéfice.

- Critère pédagogique : combiner l'utilité à l'effet affectif.

Conclusion

Ce sont les points saillants de l'approche des objectifs pédagogiques que nous avons tenté de présenter brièvement. Nous espérons que cela ne l'a pas défigurée. Nous avons délibérément négligé les techniques de formulation des objectifs spécifiques et les problèmes qu'ils soulèvent qui ne sont pas sans embarras pour la théorie de l'apprentissage. Il n'est pas exagéré de dire que ceux qui sont intéressés par les questions l'éducation à cette époque de transformations et des changements ne peuvent plus ignorer cette approche. Car, les objectifs occupent aujourd'hui une place importante dans de nombreux systèmes éducatifs et le concept d'objectif est devenu l'un des concepts sans lesquels la planification de l'éducation, la théorie de l'évaluation et la théorie des programmes ne peuvent être correctes.

Si certains ne voyaient dans les objectifs qu'une réaction à l'imprécision et à la stérilité résultant des objectifs vagues, leurs dimensions réelles vont sans aucun doute au-delà pour s'inscrire dans un courant de recherche pédagogique dont les promoteurs s'efforcent de faire progresser le domaine de l'éducation du stade de «l'artisanat éclairé» au stade du «relativisme pédagogique».

 Pour aller à la version arabe, cliquer ICI

Fin de l'étude .

Pour revenir à la première partie, cliquer ICI et pour revenir à la deuxième partie, cliquer ICI

 

Hédi Bouhouch , Inspecteur de l'enseignement secondaire

Tunis , novembre 1983

Traduction Mongi Akrout et Abdessalam Bouzid, inspecteur généraux de l'éducation.

Pour accéder à la version Arabe, cliquer ICI



[1] voir référence (b) , p 41 , et la référence 7 , p.26 , le 2° graphique.

[2] voir référence (b) , p.29 , pour plus de détail on peut consulter l'ouvrage de C.Birzéa cité déjà cité, p 27.

[3] référence (a ) , p.80-94.référence (a ) , p.80-94.référence (a ) , p.80-94.référence (a ) , p.80-94.

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