III-
L'extraction et le choix des objectifs
1- la
méthode de la source et du filtre : Le modèle de R.Tyler
En 1950 Tyler a conçu un modèle qui se base sur deux
éléments qui sont la source et le filtre dont la fonction est d'aider à
chercher les objectifs généraux et de les trier. La source permet grâce à
l'analyse de lire et de délimiter les objectifs généraux. Quant au filtre,
c'est l'outil de contrôle et de vérification. Il permet de faire le tri et le
choix de ce que l'on estime utile. Le schéma suivant est une illustration de ce
modèle.[1]
Tyler pense, comme indiqué dans le dessin, que les
premières sources d'extraction des objectifs généraux sont au nombre de trois,
qui sont, respectivement, la société, les élèves et les contenus.
L'analyse de la société nous permet donc, selon Tyler,
d'identifier les valeurs intellectuelles et les tendances comportementales
auxquelles les gens prêtent une grande importantes et les compétences
professionnelles et non professionnelles que la société exige de ses membres et
qui aident l'individu à s'intégrer dans la société. L'institution scolaire se
doit d'enseigner ce dont la société en a besoin. Dans ce sens, Tyler dit : « Il
est important d'étudier les comportements, les façons de penser, de ressentir
et de se comporter qui sont importants dans notre société et qui aident un
individu à devenir un véritable membre de cette société.
Quant à l'étude des élèves, elle vise à identifier leurs besoins physiques,
intellectuels, émotionnels et leurs compétences qui traduisent leurs
préoccupations et leurs intérêts, ainsi qu'à identifier leur niveau et leurs
prérequis avant de suivre l'apprentissage.
Quant aux contenus, qui constituent la troisième
source, elles indiquent les types de savoirs et la nature des connaissances
utiles pour tous les membres de la société, ainsi que les savoirs et les
connaissances qui sont destinés aux spécialistes de chaque domaine.
Le processus d'analyse des trois sources conduit à un
grand nombre d'objectifs, que Tyler considère comme des «objectifs généraux
temporaires» et les soumet à deux filtres qui sont :
-
La philosophie de l'éducation ou la vision éducative qui prévaut
dans la société (conservatisme / changement - discipline - libération -
subordination - autonomie ...) ou la vision que l'établissement d'enseignement
adopte (dans le système américain). Ce premier filtre se charge de classer les
objectifs généraux temporaires selon leur importance au point de vue de la
société pour retenir ceux qui sont conformes aux valeurs de la société, à ses
tendances et à ses principes et il exclut ceux qui leur sont contraires.
-
La théorie de l'apprentissage : ce 2ème filtre permet
de faire le tri des objectifs généraux temporaires en fonction de leur
conformité ou non aux principes de la psychologie et aux règles de l'éducation.
C'est ce filtre qui clarifie les lois de l'apprentissage, et il est utile pour
connaître la nature des élèves et leur capacité à assimiler et à se représenter.
Ce tri conduit à une nouvelle liste d'objectifs que
Tyler appelle «les objectifs pédagogiques arrêtés» .
Ainsi, avec sa proposition, Tyler a cherché à
surmonter le fossé observé entre l'éducation et la vie, en considérant la
société comme une source, et à concilier les besoins collectifs et les besoins
individuels par l'analyse des préoccupations et des centres d'intérêt des
élèves et en trouvant une adéquation entre les contenus des matières scolaires
et les exigences de la vie sociale.
Cependant, cette proposition, malgré sa large
diffusion et son fonctionnalisme, n'est pas sans défauts. On reproche à
Tyler sur le plan intellectuel l'excès de
«positivisme» représenté dans sa croyance que la société a un total
contrôle sur les valeurs et dans sa reconnaissance des principes qui y
prévalent sans les remettre en question ou les revoir. On a reproché aussi à
Tyler sur le plan méthodologique le fait de reporter le travail des filtres à
la deuxième étape, ce qui peut conduire à des «dérives» au cours de l'étape de
l'analyse, ce qui a amené certains d'entre eux (par exemple Goodlad) à insister
sur la nécessité de tenir compte des valeurs à toutes les étapes de
l'élaboration du programme.
Cependant, ces critiques, malgré leurs pertinences, ne
diminuent en rien la valeur du modèle et son efficacité. Toutes les personnes
qui se sont intéressées aux objectifs ont adopté la règle de la source et du
filtre tout en modifiant un peu les
sources et leur contenu, comme le montre le tableau suivant:
B.S. Bloom |
R.Tyler |
|
La civilisation contemporaine, les impératifs de la
vie sociale |
La société |
1 |
Les élèves |
Les élèves |
2 |
La nature de
la discipline ou la spécialité |
Le contenu de
l'enseignement |
3 |
Les activités
professionnelles auxquelles se préparent les élèves |
--------------------- |
4 |
Il ressort clairement de ce tableau comparatif que
"Bloom" a ajouté une quatrième source qui est la nature de la matière
à enseigner. Il s'agit de l'analyse de la matière en question afin de dégager
la structure des concepts qu'elle contient et les processus cognitifs requis
par ces concepts, et pour déterminer dans quelle mesure cette matière contribue
à la maîtrise d'autres matières. Cette quatrième source nous permet de déduire
que «Bloom», contrairement à «Tyler», pense dans le cadre des matières, tandis
que «Tyler» pense dans le cadre des objectifs communs à plusieurs disciplines.
- 2 - La proposition de César Birzéa
La proposition de cet auteur s’inscrit dans une vision
globale qui cherche à suivre une démarche progressive dans l'élaboration des
objectifs pédagogiques, en allant du général vers le spécifique et de
l’abstrait vers le concret. L'extraction selon lui est l'un des deux processus
suivants : le premier est le passage des finalités vers les buts et le deuxième
consiste à convertir les buts en objectifs généraux, comme l'illustre le schéma
suivant :
a) - Le schéma distingue trois sources pour choisir
les finalités, qui sont la nature de l'homme, de la société et du savoir. Nous
remarquons que ces sources ne diffèrent pas fondamentalement des sources
précédemment identifiées.
b) - Le schéma comprend deux stations avant d'atteindre
les objectifs généraux, ce qui le distingue du modèle de «Tyler», qui a négligé
les finalités.
- Les finalités : l'auteur entend par finalités
les grands choix du système éducatif et les orientations de la politique
éducative.
- Les buts : Ils sont dérivés des finalités et
traduisent les profils souhaités de la personne qu'on a l'intention d'éduquer
et de former d'une part et le type de société que l'on espère construire par la
politique éducative d’autre part. Il est nécessaire que les buts correspondent
aux caractéristiques du système politique et social.
- Les objectifs généraux : Ils sont dérivés des
buts et ils précisent les domaines des changements éducatifs à réaliser chez
les apprenants. Les objectifs généraux mentionnés ne diffèrent pas de ceux de
"Tyler" car ils sont présentés, dans le deux modèles, selon une
formulation générale et exhaustive valable pour diverses matières scolaires.
A partir des objectifs généraux on procède au choix
des objectifs qui correspondent aux situations pédagogiques et aux contenus
spécifiques à chaque matière. Puis ces objectifs sont organisés de façon à
faciliter leur réalisation. Cette organisation est faite selon les taxonomies
ou autres moyens.
- 3 - La Méthodologie de De Landsheere[2]
Les De Landesheere ne s'étaient pas contentés
d'extraire les objectifs généraux, mais ils ont présenté une méthodologie qui
couvre les différents niveaux d'objectifs et qui montre comment passer du plus
général et abstrait au plus pratique et précis. Leur méthode s'intéresse à la
fois à la discipline et aux processus mentaux qui seront liés à cette
discipline.
Cette méthode prévoit trois phases, à savoir :
- Recenser les finalités,
- Recenser et
classer les objectifs généraux,
- Recenser et
classer les objectifs spécifiques.
a- L'étape du recensement des finalités consiste à analyser les trois sources possibles des
objectifs pédagogiques, à savoir la fonction sociale de l’éducation, l’opinion
de la société sur les objectifs de l’éducation et la philosophie de
l’éducation. Cette analyse conduit à l'établissement d’une liste d'objectifs
abstraits.
b - La deuxième étape comprend deux phases : la première «l'explicitation» et la seconde est la
«discrimination / la spécification». L'explicitation est le commencement de la
précision des contenus éducatifs en définissant ses grands domaines et ses
chapitres (par discipline ou un groupe de disciplines) et en indiquant les domaines qui seront
concernés (cognitif / affectif /
psychomoteur ) et la part de chacun d'entre eux, ainsi que les processus
mentaux sur lesquels les élèves vont s'entraîner.
Quant au processus de discrimination spécification,
qui est la deuxième phase, il consiste à classer les objectifs généraux générés
à partir des objectifs abstraits en deux groupes selon les types et les niveaux
d'enseignement d'abord, puis selon l'importance de chacun des objectifs.
c- La troisième étape nécessite deux processus
: «la concrétisation et la discrimination ». La concrétisation consiste à
analyser en détail le contenu qui a pu être réalisé à l'étape précédente, et à
déterminer les capacités exactes requises des élèves.
Ce processus doit aboutir à l'établissement d'une
liste d'objectifs spécifiques (par discipline à ce stade) qui sera suivi par la
classification des objectifs selon trois critères, la valeur de l'objectif, son
coût et sa faisabilité pédagogique appropriée.
Ainsi, les deux auteurs ont établi un lien entre trois
types d'objectifs, les finalités, les objectifs généraux et les objectifs
spécifiques, avec l'application graduelle des contenus, des processus mentaux
et de la classification des objectifs. Ils ont ainsi réussi à assurer une
cohérence entre le niveau supérieur et le niveau inférieur.
Outre les sources d'extraction des objectifs, nous
trouvons chez certains auteurs un intérêt particulier pour les critères de
sélection des objectifs. Nous allons nous limiter à présenter les critères
proposés par Mc Neal (1969) et L. D' Hainaut (1980)
Mac Neal a identifié trois critères dont la
combinaison permettrait la sélection d'objectifs, dont certains sont liés à la
discipline, d'autres sont liés aux métiers pour lesquels les élèves seront
éligibles, enfin certains sont liés au groupe ciblé.
a- L'analyse des thèmes de la discipline ou de la
spécialité afin d'identifier des questions nouvelles et originales pour les
inclure dans la liste de nouveaux objectifs.
b - L'adéquation à la vie quotidienne : Cette adéquation est obtenue en déterminant ce dont
les individus ont besoin dans leur vie en termes d'informations, de
connaissances, de capacités, d'aptitudes et de compétences requises pour les
activités professionnelles dans la société.
c - Les préoccupations des élèves : "Mac Neal" se méfie de ce critère car il
estime que les intérêts et préoccupations exprimés par les élèves sont
circonstanciels et peuvent ne pas être suffisamment révélateurs de leurs
préoccupations réelles.
Quant à Louis D'Hainaut[3],
il a préféré dans son livre ''Des buts aux objectifs pédagogiques'' les
critères à considérer lors du choix d'une liste d'objectifs pédagogiques. Nous
avons choisi de les présenter sous forme d'un tableau pour en faciliter la
lecture.
Signification |
Le critère |
Dans quelle mesure les objectifs servent-ils les
grands choix et leur correspondance avec les valeurs culturelles et dans quelle
mesure réalisent-ils les besoins des individus et des groupes ? |
1-Cohérence avec les finalités |
Quels sont les buts qu'on pourrait atteindre avec
cet objectif ? Quels savoirs, savoir-faire et savoir-être permet-il
d'acquérir ? |
2-Adéquation avec les buts |
Adéquation de l'objectif avec la maturité
intellectuelle et affective de l'élève Dans quelle mesure s'appuie-t-il sur les prérequis
et correspond-il aux préoccupations véritables des élèves. |
3-Adéquation avec la population cible |
Quelle est l'importance du champ de l'application
des acquis qui résulteront de l'objectif ? Quelle est l'importance de ces
acquis ? est-il possible de les
appliquer sur de nouvelles situations non étudiées en classe ? Quelle durabilité pour ces acquis ? |
4- Domaine de l'objectif |
Les ressources matérielles et humaines nécessaires
pour la réalisation de l'objectif (la durée, les agents, les équipements,
l'argent…) |
5- Coût |
Dans quelle mesure l'objectif répond-il aux attentes
des apprenants, des enseignants et des parents ? Quel impact sur la
motivation de l'élève pour les études et pour la vie scolaire en général ? |
6-Effet affectif |
L'objectif retenu par «D'Hainaut» est celui qui répond
au plus grand nombre de ces critères. Néanmoins, il suggère que certains
critères peuvent être combinés pour réduire leur nombre et soumettre chaque
objectif à ces critères :
- Critère
d'utilité : la portée de l'objectif et sa valeur (ce qui peut être utile pour
l'individu et pour le groupe).
- Critère
économique : rapport coût-bénéfice.
- Critère
pédagogique : combiner l'utilité à l'effet affectif.
Conclusion
Ce sont les points saillants de l'approche des objectifs
pédagogiques que nous avons tenté de présenter brièvement. Nous espérons que
cela ne l'a pas défigurée. Nous avons délibérément négligé les techniques de
formulation des objectifs spécifiques et les problèmes qu'ils soulèvent qui ne
sont pas sans embarras pour la théorie de l'apprentissage. Il n'est pas exagéré
de dire que ceux qui sont intéressés par les questions l'éducation à cette époque
de transformations et des changements ne peuvent plus ignorer cette approche.
Car, les objectifs occupent aujourd'hui une place importante dans de nombreux
systèmes éducatifs et le concept d'objectif est devenu l'un des concepts sans
lesquels la planification de l'éducation, la théorie de l'évaluation et la
théorie des programmes ne peuvent être correctes.
Si certains ne voyaient dans les objectifs qu'une
réaction à l'imprécision et à la stérilité résultant des objectifs vagues,
leurs dimensions réelles vont sans aucun doute au-delà pour s'inscrire dans un
courant de recherche pédagogique dont les promoteurs s'efforcent de faire
progresser le domaine de l'éducation du stade de «l'artisanat éclairé» au stade
du «relativisme pédagogique».
Fin de l'étude .
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Hédi Bouhouch , Inspecteur de l'enseignement
secondaire
Tunis , novembre 1983
Traduction Mongi Akrout et Abdessalam Bouzid,
inspecteur généraux de l'éducation.
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