Introduction
Celui qui suit
les recherches publiées ces dernières années sur l'éducation constate
l'abondance des études théoriques et
appliquées qui portent sur la
question des objectifs[1]
et note également que l'intérêt pour ce type de recherches pédagogiques a
dépassé les frontières de son berceau, les
pays anglo-saxons, pour toucher
les pays de l’Europe occidentale comme la France, la Belgique, la
Suisse, les pays de l’Europe de l'est comme l'Union soviétique et le monde arabe comme la Tunisie (Projet de l'éducation
en matière de population). L'observateur
note également que l'approche par objectifs dans les domaines de l'enseignement et de la formation ne se
limite pas au champ scolaire, mais on la retrouve également dans les
établissements non éducatifs, telles que les entreprises économiques qui adoptent une gestion par objectifs.
Les concepts de l'éducation et des objectifs ont
toujours été liés. De nombreux penseurs, philosophes et éducateurs - arabes et
non arabes - ont traité les grandes questions
relatives à l'éducation dans son rapport à la société, au développement
de l'enfant et à l'autorité et bon nombre d'éducateurs - à travers les époques
– se soient rendu compte que leurs systèmes éducatifs n'étaient pas adaptés à
leur époque et à leurs exigences. Malgré
tout cela, le mérite de l'émergence de la question des objectifs dans un
nouveau visage et avec une dimension qu'ils n'avaient pas auparavant revient
principalement aux efforts déployés depuis le début de ce siècle (XX° siècle)
qui ont abouti à une nouvelle approche des questions de l'éducation et de la
pédagogie qui a permis :
1. de se
rendre compte qu'il y a un énorme écart entre les finalités souhaitées et ce
qui est réalisé, ce qui rend nécessaire une méthodologie qui permet de combler
ce fossé et d'assurer l'harmonie entre les buts déclarés et ce qui se passe sur
le terrain. Cela n'aurait pas été atteint sans l'engagement des chercheurs à
étudier les situations scolaires réelles, car il s'est avéré que le fait de se
limiter à examiner les grands problèmes éducatifs - malgré leurs importances et
pertinences - empêche souvent de saisir la réalité du travail éducatif
quotidien et ce qui se passe dans la classe.
2. de s'engager à
revoir de manière critique les objectifs poursuivis du point de vue de leur
nature, de leur formulation, des méthodes de leur élaboration et de leur choix,
car les objectifs poursuivis jusque-là manquent souvent de précision, de clarté
et de faisabilité. En outre, ils sont réduits à traduire des opinions
d'individus (les gens du métier par exemple) ou de groupes limités. En plus de
leur caractère «expérimental», qui a donné naissance à un courant porté par un
certain nombre de chercheurs dont Jean Piaget[2],
qui appellent à ce que le choix des objectifs et leur élaboration soient soumis
à des études auxquelles participeraient
plusieurs disciplines telles que la sociologie, la psychopédagogie, l’économie de l'éducation…
3. de
proposer un ensemble de principes à caractère méthodologique qui aideront à concevoir des objectifs pédagogiques
et permettront d'assurer la cohérence souhaitée entre l'amont et l'aval, de
classer les objectifs et de mieux les formuler.
Certaines références indiquent que c'est F.Bobbit
(1918) qui a été le premier à proposer la meilleure méthode de fixer les
objectifs qui se base sur la prise en compte des facteurs culturels et sociaux
d'une part et des caractéristiques du groupe cible d'autre part. C'est en
réalité Ralph Tyler qui a formulé la problématique des objectifs telle qu'elle
est traitée aujourd'hui, en balisant les grandes lignes d'une méthodologie
utilisée dans le but de concevoir les objectifs et d’éliminer l'écart
susmentionné, et en appelant depuis 1934 à la nécessité d'abandonner les
objectifs trop généraux pour les remplacer par des objectifs précis qui
permettent de suivre le travail
pédagogique sur le terrain et d'élaborer
des tests adéquats pour l'évaluer et mesurer les niveaux d’acquisition.
R.Tyler est considéré comme le pionnier au niveau des
principes généraux, tandis que B.S Bloom est le pionnier dans le domaine de la
formulation des objectifs et de la taxonomie. Cela n'occulte en rien les
contributions de tous les autres qui se sont intéressés aux objectifs[3]
et qui ont contribué à développer et à préciser les concepts et les principes,
à améliorer la méthodologie pour augmenter son efficacité, en incluant d'autres
facteurs de l'acte éducatif qui n'avaient pas intéressé les pionniers. Ils ont
mis en application les principes théoriques, et ils les ont expérimentés sur
les disciplines scolaires (savoirs et enseignement des langues, des
mathématiques, des sciences de la vie et d'autres).
Celui qui se penche sur la question ne manque de
relever deux aspects différents :
* d’un côté un consensus sur les règles liées au
concept d'objectif et sur la nécessité d’avoir des buts précis et atteignables
conformément à la rationalisation du processus d'apprentissage et au souhait
d'élever l'éducation au rang d'une science,
* de l’autre la diversité des points de vue et des
voies utilisées pour traiter les questions, l'abondance de la terminologie
indiquant le même concept et la multiplicité des techniques proposées pour la
rédaction des objectifs pédagogiques.
Nous voulons par cette tentative attirer l'attention
sur ce sujet pédagogique important parce qu'il nous a semblé utile en tant que
matière dense et complexe. Nous avons choisi de nous limiter à présenter les
aspects partagés par les différents auteurs, leurs taxonomies des objectifs
pédagogiques et les exemples de leur point de vue sur la manière de les
choisir. Il reste à l'éducateur d'approfondir par lui-même les questions que
nous traiterons brièvement.
Les points et les aspects communs
Nous avons précédemment mentionné que des efforts ont
été consentis par un certain nombre de chercheurs afin d'étudier les objectifs
inscrits dans les programmes officiels, les curricula et les documents officiels, soit dans le
cadre de la préparation de la réforme des systèmes éducatifs ou bien dans le cadre de l'identification des
finalités que certains établissements d'enseignement ont l'intention
d'atteindre. Cette analyse a permis de constater les insuffisances des
objectifs retenus tant du point de vue du contenu que de la formulation. Cela
s'est répercuté sur les autres facteurs qui composent l'action éducative.
L'analyse a également permis de déduire un ensemble de principes par lesquels
on pourrait mesurer la qualité des objectifs.
Ces principes sont résumés en quelques règles, dont
certaines sont liées aux caractéristiques formelles de l’objectif, et d’autres
à la place de l'objectif dans le processus d’apprentissage et à ses rapports
avec les moyens, les méthodes et
l’évaluation. Jerry Pocztar[4] a considéré ces principes comme un atout
commun à tous ceux qui s'intéressent aux objectifs quelque soit leur angle de
vue.
Et voici maintenant ces théories et les résultats de
quelques unes d'entre elles :
1- Tout objectif pédagogique qu'on ne peut pas
atteindre n'est pas un objectif.
2- Tout objectif pédagogique qui admet des
significations contradictoires n'est pas un objectif.
3- L'objectif pédagogique est totalement indépendant
des moyens qui permettent de l'atteindre.
De ces trois principes découle :
a) Nous pouvons réaliser le même objectif pédagogique
avec de nombreuses méthodes.
b) Si la méthode adoptée ne réussit pas à atteindre
l'objectif, nous devons imputer l'échec à la méthode et non à l'objectif ou aux
élèves.
c) L'objectif pédagogique perd toute valeur en tant
qu'objectif si nous avons essayé toutes les méthodes sans succès.
4- La réussite ou l'échec de l'apprenant est le seul
critère pour juger de la valeur de la méthode adoptée pour atteindre l'objectif, si
l'enseignant réussit à réaliser l'objectif alors la méthode est bonne, s'il
échoue c'est qu'elle est mauvaise sauf si toutes les méthodes ont échoué.
5- Fixer des objectifs ne signifie pas obligatoirement
adopter la pédagogie par objectif, le contraire est vrai.
6- Quand nous fixons un objectif non observable c'est
comme quelqu'un qui parle sans comprendre ce qu'il dit.
7- Tout objectif qu'on ne peut pas atteindre ne peut
pas être pris au sérieux.
8- Il ne peut être question d'évaluation et de
contrôle dans le domaine de l'éducation sans fixer au préalable des objectifs
pédagogiques précis. Autrement dit fixer des objectifs est la condition
nécessaire pour toute évaluation.
De ce 8ème principe on peut déduire que
quand nous évaluons un travail pédagogique qui ne s'était pas fixé un objectif
, c’est que nous ignorons réellement ce que nous évaluons.
9- En principe, il faudrait accompagner chaque
objectif par les outils pour son évaluation. Ce sont ces outils qui
garantissent de l'observer et de le mesurer et de juger de sa validité.
10- Les instruments de mesures sont en principe
indépendants des méthodes et des moyens de réalisation de l'objectif. Il en
résulte :
* que c’est à la pédagogie d’être adaptée à l'objectif
et non le contraire,
* que les instruments d'évaluation doivent être
séparés des activités d'apprentissage.
Telles sont les bases de la théorie des objectifs.
Bien qu'elles soient limitées, elles traduisent d'une part une volonté pour
dépasser ce que l'on reproche aux objectifs utilisés et d'autre part elles
dévoilent une nouvelle vision de l'action pédagogique dont la principale
manifestation est que ses adeptes considèrent le concept d'objectif comme un
pôle central et la meilleure entrée pour la pédagogie ou du moins une entrée
meilleure que l'entrée traditionnelle.
Fin de la 1er partie , A suivre
Hédi Bouhouch , Inspecteur de l'enseignement
secondaire
Tunis , novembre 1983
Pour accéder à la version Arabe, cliquer ICI
[1] Pour ceux qui veulent
creuser la question , ils peuvent revenir aux ouvrages suivants:
-
Louis D'hainaut : Des fins aux objectifs de l'éducation. Collection Education;
2e édition.1980.
-
V.& G. De Landsheere : Définir les objectifs de l'éducation; PUF, pédagogie d'aujourd'hui,
4ème édition 1982.
-
Daniel Hameline : Les objectifs pédagogiques ; les éditions ESF;1979.
-
Jerry Pocztar : La définition des objectifs pédagogiques ; les éditions
ESF;1979.
-
France Fontaine : Les objectifs d'apprentissage, service pédagogique -
Université de Montréal 1977-78.
-
R.F.Mager : Comment définir les objectifs pédagogiques ; Bordas 1977.
[2]
Piaget, J. 1979. Psychologie et pédagogie, Edité
par Denoël / Gonthier, Paris (1979) , p.p 31.36.
[3] Parmi les plus connus de ces auteurs Tyler , Bloom ,D'hainaut , Birzéa et Lavallee
[4] cet auteur a regroupé les règles et a fait de chaque règle une théorie dans le sens mathématique , nous avons puisé de son travail les idées de ce chapitre.
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