Je
n'imaginais pas qu'un jour viendra où j'écrirais sur vous ou sur nous dans ce
blog que tu as créé avec Si Mongi pour
que les
personnes qui s'intéressent à l'éducation puissent exposer leurs points
de vue et leurs idées sur les questions
pédagogiques et sur les problèmes de l'enseignement, mais le destin a voulu que
nous exposons aujourd'hui un parcours que nous avons fait tous les deux
ensemble pour s'arrêter sur des étapes qui nous ont rassemblés depuis plus de
cinquante ans. En réalité je ne vais pas écrire sur toi mais plutôt je vais te
causer, tu te rappelles peut être notre première rencontre, c'était, si j'ai
bonne mémoire, en 1968, c'était à la faculté des lettres et des sciences
humaines 9 avril à Tunis, on était dans le même premier groupe de la première année de la section des
lettres arabes, on était venu de toutes les régions du pays à la faculté qui ne
comptait à cette époque qu'un petit nombre
d'étudiants , la plupart d'entre eux ne se connaissaient pas.
A
mesure que nous avancions au cours
l'année académique , nous nous sommes retrouvés tous les deux parmi les
ceux qui fréquentaient la bibliothèque des pères blancs (IBLA) situé à Maakal al Zaim. Nous
commencions à nous rapprocher et nous échangions quelques paroles à propos des
études et d'autres sujets pendant les pauses. Je me rappelle encore de ce père
blanc dont j'ai oublié le nom - Dieu le
bénisse - qui était très serviable, il nous a réservé une
petite salle dans la cour de la bibliothèque, équipée de chaises, d'une table
et d'un tableau noir, nous avions un troisième collègue dont je n'avais plus de
ses nouvelles depuis longtemps. Nous préparions tous les trois les
questions de l'examen de fin d'année
sous la forme d'exposés qu'on discutait et qu'en enrichissait avec nos lectures, et peut-être
le plus important de tout cela c'étaient
ces plans détaillés que nous écrivions sur le tableau noir et les notes qui nous
facilitaient la révision . Le fruit de ces efforts a été que nous avons réussi l'examen parmi les premiers cette
année-là.
Les
années ont passé vite et nous sommes sortis diplômés de l'université et nous
nous sommes séparés, comme le dit le proverbe populaire, comme des poussins de
la perdrix, je crois que tu as été nommé
pour enseigner à Tunis, et moi je suis retourné
au sud et de là je suis parti à
l'étranger dans cadre de la coopération technique. Neuf ou dix ans après , nous
nous sommes retrouvés à nouveau au
ministère de l'Éducation en tant que
jeunes inspecteurs après avoir réussi ensemble
le concours. Tu as été affecté à Tunis,
et moi à la direction régionale de Gafsa
qui comprenait les gouvernorats de Gafsa, de Tozeur et et Sidi Bouzid. Puis nous
sommes retrouvés dans la commission des
inspecteurs d'arabes avec des ténors compétents qui vous imposent leur respect,
comme les regrettés les professeurs
Ahmed Soua et Mohsen Mezghani et d'autres. Travailler
avec une génération d'illustres vétérans
comme les professeurs Moncef Al-Adhar,
Ali Hamrit et Taher Ben Romadhan, qui ont rejoint l'inspection après avoir
exercé le métier d'enseignant pendant des années nous a amenés à se demander ce que nous
pesions, nous les novices ?
Nous
les avons rejoint par la voie du concours qui a été institué pour accéder au
poste d'inspecteur. On se demandait comment allons-nous trouver notre place
parmi eux, alors que notre expérience en
classe n'avait peut-être pas encore mûri, que dire alors du métier d'inspecteur, qu'on entamait sans passer par d'une formation spéciale ,
comme c'est le cas maintenant ? Mais nous avons su nous rapprocher d'eux , les
respecter, les apprécier à leur juste valeur et nous avons réussi à gagner leur confiance en
peu de temps, à nous faire écouter et à les intéresser à nos points de vue et
nos idées.
A
ce stade, je me dois de te rappeler ton engagement dans le projet d'éducation en matière de
population bien avant de devenir inspecteur. Cette expérience t'a permis d'acquérir un savoir communiquer et se comporter avec les différents acteurs éducatifs. Elle t'a
permis d'acquérir aussi des compétences au
niveau de l'enseignement et de l'animation de groupes , et des savoirs dans les
nouvelles approches pédagogiques dont la plus importante était la
pédagogie par objectifs qui a commencé à s'introduire dans les classes
timidement. Par une heureuse coïncidence,
au cours de ma dernière année en tant qu'enseignant
avant mon retour de l'étranger, j'ai
suivi une session de formation à cette nouvelle pédagogie animée par l'un des illustres spécialistes de cette approche. Je n’ose pas citer son nom
maintenant de peur de me tromper, bien que je garde toujours les documents
qu’il nous a distribués ainsi que les documents d’éducation en matière de
population auxquels tu as contribué . Tu as été l'un des défenseurs de
cette approche et j'étais enthousiaste à l'idée de l'appliquer dans nos classes,
ce n'était pas si facile de convaincre nombre de nos collègues pour l'adopter pour des raisons qui demandent
beaucoup de temps à exposer et à expliquer.
Quant
aux rapports humains, je ne t'ai jamais vu te disputer avec un collègue ou le
haïr, ou le boycotter, même ceux qui font des erreurs, Tolérant comme tu étais,
tu préférais confronter et prodiguer des conseils. Ce type de rapports était
aussi bien avec les inspecteurs que les agents de l'administration de l'inspection, et ce sont peut-être que ces rapports
qui nous ont permis de devenir avec le temps de plus en plus forts
et soudés entre nous, les trois hauts
responsables de l'inspection, (toi, moi-même
et M. Ftouh Daoud ) et le reste
des fonctionnaires, au point de former une famille qui partage les moments de
joie.
Nous
nous réjouissons des succès de nos enfants et nous fêtons leurs mariages, et je
ne me souviens pas qu'un jour où je suis rentré chez moi après le travail en état de colère ou de
doute. Je remercie Dieu pour cette relation
qui a duré après notre retraite et jusqu'à
tes derniers jours parmi nous. Quant à ton sens de
responsabilité, il s'est manifesté à
plusieurs occasions, dont la plus
importante ce que vous avez donné au corps
des inspecteurs en cherchant à
lui faire occuper la place qu'il mérite dans le système éducatif, de sorte que
l'un des ministres a dit un jour que ce ministère était le ministère des inspecteurs.
Tu
tenais à la présence de l'inspecteur
dans la plupart des commissions
constituées par le ministère, quelle que soit sa mission, et tu
également su maintenir l'approche
et les principes de l'inspection
sur lesquelles elle fut fondée. A l'époque, le Ministre Mohamed
Charfi voyait dans l'inspection une
institution plus proche d'un syndicat que d'une administration. Je dirais que
tu as contribué à renforcer cette orientation dans la défense des intérêts des
inspecteurs selon l'adage bien connu: Soutiens ton frère dans toutes les situations.
Tu considérais l'inspection générale comme un syndicat responsable qui préserve les droits,
encadre et forme, ce qui était en fait
une continuation de travail à la
présidence de l'amicale des inspecteurs. Tu as également contribué à la rédaction
du texte final du statut du corps de l'inspection
avant ton arrivée à l'inspection
générale, lequel statut fut élaboré par une commission dont j'étais le rapporteur
M° Abdelmajid Al Gharbi et M° Ftouh
Daoud étaient parmi ses membres influents. Ta contribution au texte traduisait ton grand empressement à donner à l'inspecteur le
statut qu'il mérite moralement et matériellement. Tu as tenu également à poursuivre l'organisation
des séminaires annuels de l'inspection qui encourageaient l'inspecteur à la rechercher
et faisaient progresser ses compétences, et tu tenais à assister à toutes ces
rencontres, non pas en tant qu'officiel
et superviseur, mais en tant qu'auditeur qui suit avec intérêt les communications et
contribuait à enrichir le débat et à clarifier les idées.
Je
n'oublie pas tes encouragements aux jeunes inspecteurs lorsque la direction des
programmes nous a demandé l'élaboration d'une nouvelle génération de livres de langue.
Malgré notre expérience et notre expertise dans ce domaine et sans penser à la
notoriété ou à la question matérielle, nous avons proposé de faire partie de la
commission d'évaluation avec les deux
éminents professeurs Salaheddin Chérif
et Hisham Rifi et de laisser l'élaboration du manuel à la nouvelle génération, Dieu sait combien nous avons aidé et accompagné ces auteurs. Malheureusement
l'expérience fut un échec.
Quant à ton dévouement au travail et dans
l'accomplissement de ton devoir, je citerai dans ce cadre là une seule chose, c'est ta force pour vaincre la maladie. Parce que tu étais plus fort qu'elle je ne
t'ai jamais entendu te plaindre ou capituler sauf lors de notre dernière
rencontre au café quand tu m'as dit que tu es fatigué.
Quant
à l'administration, je ne t'ai jamais vu, lors de nos réunions au ministère, et
en présence du ministre, te précipiter pour prendre la parole, comme le font
certains de vos collègues, pour ne rien dire. Toi , tu ne parlais que quand on vous le demande. Tu le
faisais avec confiance et tu osais critiquer vos collègues présents si nécessaire
sans les attaquer ou les blesser. C'est pour cela que tu as le respect de l'adversaire
avant l'ami comme on le dit . Et si tu
demandais la parole c'est pour
rectifier un point de vue ou pour prendre la défense des inspecteurs .
Je
reviens à notre travail côte à côte à l'inspection générale, qui repose sur le travail
d'équipe fondé sur la concertation, la coopération et le respect de l'opinion
de l'autre. Tu n'avais jamais abandonné ta
démarche depuis que nous étions dans les commissions d'inspecteurs. Tu savais écouter et tu notais tout ce que tu entendais et tu avais une grande capacité de synthèse, si bien que quand tu exprimais
ton avis ou ton point de vue , tu étais convainquant , car les présents trouvaient
dans ton point de vue une part d'eux-mêmes. Cette approche ne t'empêchait pas de responsabiliser tous tes
collaborateurs dans la gestion de leurs
dossiers, comme si vous fonctionniez selon le principe de Ziad Ibn Abih dans sa
politique, souple sans faiblesse et sévérité sans violence.
Cette
même approche se manifestait chez toi dans le domaine du
savoir, notre expérience commune lors de
l'élaboration du manuel des classes
terminales en est la meilleure preuve. tu prenais beaucoup de soin dans le choix des textes et leur conformité aux spécifications demandées ce qui nous
obligeait parfois à abandonner certains textes qui nous avaient demandé
beaucoup de temps de recherches pour une
raison ou une autre. Tu accordais un soin particulier aux questions linguistiques
en particulier. Nous nous efforcions de revenir aux sources et nous relisons
chaque fois notre travail et celui de notre coauteur M. Brahim Ben Salah, et
nous avons tenu à intégrer dans le manuel un appareil pédagogique qui n'avait jamais existé
auparavant en termes de diversité et de richesse.
Paix
à ton âme cher ami toi qui est à
l'au-delà
فسلام
عليك وأنت في دار الحقّ كما تردّد العامة المؤمنة وسلام علينا ونحن في دار الباطل.
Amor Bennour , Inspecteur général de l'éducation et
ancien directeur à l'inspection général de l'éducation .
Juillet 2017.
Texte traduit par Mongi Akrout et Abdessalam Bouzid ,
Inspecteur généraux de l'éducation
Tunis, avril 2021
Pour accéder à la version arabe , cliquer ICI
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