dimanche 2 mai 2021

A la mémoire de SI El Hédi

 


Hédi Bouhouch

En hommage à la mémoire du professeur Hédi Bouhouch, Que Dieu le bénisse, qui nous a quitté il y a quatre ans déjà,  le blog pédagogique a choisi de publier l'hommage qui lui avait rendu le professeur Amor bennour au cours de la cérémonie qui a été organisée au mois de juillet 2017 pour célébrer le quarantième jour de la mort du professeur Hédi Bouhouch.


 Le professeur Amor Bennour - comme il va le montrer dans cet hommage- était un grand ami du défunt depuis l'université du temps  où ils étaient tous les deux étudiants dans la section de la langue et la littérature arabe; à leur sortie diplômé de l'université , ils s'étaient séparés, mais le hasard  leurs chemins s'étaient de nouveau croisés, ayant participé et réussi le même concours d'inspection  au début des années quatre vingt  et depuis ils ne s'étaient plus séparés jusqu'à la mort de Si Hédi.

Le professeur Amor nous relate toutes ces stations communes dans un style attachant , une  belle langue  et surtout avec une grande sensibilité.

Merci Si  Amor que Dieu vous préserve en bonne santé.

Le Blog pédagogique .

 

Je n'imaginais pas qu'un jour viendra où j'écrirais sur vous ou sur nous dans ce blog que tu as créé avec Si Mongi  pour que  les  personnes qui s'intéressent à l'éducation puissent exposer leurs points de vue et leurs idées  sur les questions pédagogiques et sur les problèmes de l'enseignement, mais le destin a voulu que nous exposons aujourd'hui un parcours que nous avons fait tous les deux ensemble pour s'arrêter sur des étapes qui nous ont rassemblés depuis plus de cinquante ans. En réalité je ne vais pas écrire sur toi mais plutôt je vais te causer, tu te rappelles peut être notre première rencontre, c'était, si j'ai bonne mémoire, en 1968, c'était à la faculté des lettres et des sciences humaines 9 avril à Tunis, on était dans le même premier groupe  de la première année de la section des lettres arabes, on était venu de toutes les régions du pays à la faculté qui ne comptait à cette époque qu'un petit nombre  d'étudiants , la plupart d'entre eux ne se connaissaient pas.

A mesure que nous avancions au cours  l'année académique , nous nous sommes retrouvés tous les deux parmi les ceux qui fréquentaient la bibliothèque des pères blancs  (IBLA) situé à Maakal al Zaim. Nous commencions à nous rapprocher   et  nous échangions quelques paroles à propos des études et d'autres sujets  pendant  les pauses. Je me rappelle encore de ce père blanc  dont j'ai oublié le nom - Dieu le bénisse - qui était très serviable, il nous a réservé   une petite salle dans la cour de la bibliothèque, équipée de chaises, d'une table et d'un tableau noir, nous avions un troisième collègue dont je n'avais plus de ses nouvelles depuis longtemps. Nous préparions tous les trois les questions  de l'examen de fin d'année sous la forme d'exposés qu'on discutait  et qu'en  enrichissait avec nos lectures, et peut-être le plus important de tout cela  c'étaient ces plans détaillés que nous écrivions sur le tableau noir et les notes qui nous facilitaient la révision . Le fruit de ces efforts a été que nous avons  réussi l'examen parmi les premiers cette année-là.

Les années ont passé vite et nous sommes sortis diplômés de l'université et nous nous sommes séparés, comme le dit le proverbe populaire, comme des poussins de la perdrix, je crois que  tu as été nommé pour enseigner à Tunis, et moi  je suis retourné au sud et de là je suis parti  à l'étranger dans cadre de la coopération technique. Neuf ou dix ans après ,  nous  nous sommes retrouvés à nouveau  au  ministère de l'Éducation en tant que jeunes inspecteurs après avoir  réussi ensemble le concours. Tu as été  affecté à Tunis, et moi  à la direction régionale de Gafsa qui comprenait les gouvernorats de Gafsa, de Tozeur et et  Sidi Bouzid. Puis nous sommes retrouvés dans la commission  des inspecteurs d'arabes avec des ténors compétents qui vous imposent leur respect, comme les regrettés  les professeurs Ahmed Soua et Mohsen Mezghani et d'autres. Travailler avec une génération d'illustres vétérans comme les  professeurs Moncef Al-Adhar, Ali Hamrit et Taher Ben Romadhan, qui ont rejoint l'inspection après avoir exercé le métier d'enseignant pendant des années  nous a amenés à se demander ce que nous pesions, nous les novices ?

 

Nous les avons rejoint par la voie du concours qui a été institué pour accéder au poste d'inspecteur. On se demandait comment allons-nous trouver notre place parmi eux, alors que  notre expérience en classe n'avait peut-être pas encore mûri, que  dire alors du métier  d'inspecteur, qu'on entamait  sans passer par d'une formation spéciale , comme c'est le cas maintenant ? Mais nous avons su nous rapprocher d'eux , les respecter, les apprécier à leur juste valeur et  nous avons réussi à gagner leur confiance en peu de temps, à nous faire écouter et à les intéresser à nos points de vue et nos idées.

A ce stade, je me dois  de te rappeler ton  engagement  dans le projet d'éducation en matière de population bien avant de devenir inspecteur. Cette expérience  t'a permis d'acquérir  un savoir communiquer  et se  comporter avec  les différents acteurs éducatifs. Elle t'a permis d'acquérir aussi  des compétences au niveau de l'enseignement et de l'animation de groupes , et des savoirs dans les nouvelles approches pédagogiques dont la plus importante  était  la pédagogie par  objectifs  qui a commencé à s'introduire dans les classes  timidement. Par une heureuse coïncidence, au cours de ma dernière année en tant  qu'enseignant avant mon retour de l'étranger,  j'ai suivi une session de formation à cette nouvelle pédagogie animée par  l'un des illustres  spécialistes  de cette approche. Je n’ose pas citer son nom maintenant de peur de me tromper, bien que je garde toujours les documents qu’il nous a distribués ainsi que les documents d’éducation en matière de population  auxquels tu as  contribué . Tu as été l'un des défenseurs de cette approche et j'étais enthousiaste à l'idée de l'appliquer dans nos classes, ce n'était pas si facile de convaincre nombre de nos collègues pour  l'adopter pour des raisons qui demandent beaucoup de temps à exposer et à expliquer.

 Et nous l'avons utilisée  jusqu'à ce que la deuxième réforme de l'enseignement l'ait adoptée  au début des années 90, et tu as été  l'un de ses acteurs les plus importants. Nous sommes promus  au grade d' inspecteur  principal  la même année et tu m'a devancé  au grade d'inspecteur général. Entre-temps, tu avais intégré le cabinet du ministre, puis tu l'as quitté pour reprendre ton métier d'inspecter, tandis que moi  j'avais rejoint l'Inspection générale de l'éducation  depuis sa création. Tu  as également rejoint, par la suite la direction générale des examens . Ainsi après avoir eu l'habitude de nous rencontrer  à l'occasion des réunions  de la commission des inspecteurs d'arabe , les nécessités organisationnelles nous ont permis de nous rencontrer dans les réunions du ministère, jusqu'à ce tu eus pris la tête de l'Inspection générale. C'était, je pense, en 2001. Ainsi  nous sommes retournés au travail côte à côte. Là je dois revenir en arrière pour parler de ta relation avec l'inspection avant que tu rejoignes  l'inspection générale et durant ton passage à sa tête .  Je parle ici des qualités auxquelles tu n'as jamais dérogé tout au long de ton parcours,  parmi ces qualités, je citerai les plus importantes  comme le  respect des relations humaines, ton engagement envers la responsabilité et ta défense du corps des inspecteurs. Ton  dévouement au travail et l'appréciation du travail des autres, le professionnalisme dans le traitement de diverses questions, le courage avec lequel tu exprimais tes opinions et tes points de vue  sans calculs, et la méthodologie claire dans le travail  administratif  et la méthodologie scientifique dans tout ce qui concerne le savoir.

Quant aux rapports humains, je ne t'ai jamais vu te disputer avec un collègue ou le haïr, ou le boycotter, même ceux qui font des erreurs, Tolérant comme tu étais, tu préférais confronter et prodiguer des conseils. Ce type de rapports était aussi bien avec les inspecteurs que les  agents de l'administration  de l'inspection, et ce sont peut-être que ces rapports  qui nous ont permis de  devenir avec le temps de plus en plus forts et soudés entre nous, les trois  hauts responsables de l'inspection, (toi, moi-même  et M. Ftouh Daoud ) et  le reste des fonctionnaires, au point de former une famille qui partage les moments de joie.

Nous nous réjouissons des succès de nos enfants et nous fêtons leurs mariages, et je ne me souviens pas qu'un jour où je suis rentré chez moi  après le travail en état de colère ou de doute.  Je remercie Dieu pour cette relation qui a duré après notre  retraite et jusqu'à tes derniers jours parmi nous. Quant à ton  sens  de responsabilité, il s'est manifesté  à plusieurs occasions, dont la  plus importante ce que vous  avez donné  au corps  des inspecteurs  en cherchant à lui faire occuper  la place qu'il  mérite dans le système éducatif, de sorte que l'un des ministres a dit  un jour que  ce ministère était le ministère des inspecteurs.

 

Tu tenais  à la présence de l'inspecteur dans la plupart des commissions  constituées par le ministère, quelle que soit sa mission, et tu également  su maintenir  l'approche   et les principes de l'inspection  sur lesquelles elle fut fondée. A l'époque, le Ministre Mohamed Charfi  voyait dans l'inspection une institution plus proche d'un syndicat que d'une administration. Je dirais que tu as contribué à renforcer cette orientation dans la défense des intérêts des inspecteurs selon l'adage bien connu: Soutiens ton frère dans toutes les situations. Tu considérais l'inspection générale comme un syndicat   responsable qui préserve les droits, encadre  et forme, ce qui était en fait une continuation de  travail à la présidence de l'amicale des inspecteurs. Tu as également contribué à la rédaction du texte final du statut  du corps de l'inspection avant ton arrivée à  l'inspection générale, lequel statut fut  élaboré  par une commission dont j'étais le rapporteur  M° Abdelmajid Al Gharbi et M° Ftouh Daoud étaient parmi ses membres influents. Ta contribution au texte  traduisait  ton  grand empressement à donner à l'inspecteur le statut qu'il mérite moralement et matériellement. Tu as  tenu  également à poursuivre   l'organisation  des séminaires annuels de l'inspection  qui encourageaient l'inspecteur à la rechercher et faisaient progresser ses compétences, et tu tenais à assister à toutes ces rencontres,  non pas en tant qu'officiel et superviseur, mais en tant qu'auditeur qui suit  avec intérêt les communications et contribuait à enrichir le  débat et à  clarifier les idées.

Je n'oublie  pas  tes encouragements  aux jeunes inspecteurs lorsque la direction des  programmes nous a demandé l'élaboration  d'une nouvelle génération de livres de langue. Malgré notre expérience et notre expertise dans ce domaine et sans penser à la notoriété ou à la question matérielle, nous avons proposé de faire partie de la  commission d'évaluation avec les deux éminents  professeurs Salaheddin Chérif et Hisham Rifi et de laisser l'élaboration du manuel à la nouvelle génération,  Dieu sait  combien nous avons aidé  et accompagné ces auteurs. Malheureusement l'expérience fut un échec.

 Quant à ton dévouement au travail et dans l'accomplissement de ton devoir, je citerai dans ce cadre là une seule  chose, c'est ta force  pour vaincre la maladie.  Parce que tu étais plus fort qu'elle je ne t'ai jamais entendu te plaindre ou capituler sauf lors de notre dernière rencontre au café quand tu m'as dit que tu es fatigué.

Quant à l'administration, je ne t'ai jamais vu, lors de nos réunions au ministère, et en présence du ministre, te précipiter pour prendre la parole, comme le font certains de vos collègues, pour ne rien dire. Toi , tu ne parlais  que quand on vous le demande. Tu le faisais   avec confiance et tu osais  critiquer vos collègues présents si nécessaire sans les attaquer ou les  blesser.  C'est pour cela que tu as le respect de l'adversaire avant l'ami comme on le dit . Et si tu  demandais  la parole c'est pour rectifier un point de vue ou pour prendre la défense des inspecteurs .

Je reviens à notre travail côte à côte à l'inspection générale, qui repose sur le travail d'équipe fondé sur la concertation, la coopération et le respect de l'opinion de l'autre. Tu n'avais jamais abandonné ta démarche depuis que nous étions dans les commissions d'inspecteurs.  Tu savais écouter  et tu notais tout ce que tu entendais  et tu avais une grande capacité  de synthèse, si bien que quand tu exprimais ton avis ou ton point de vue , tu étais convainquant , car les présents trouvaient dans ton point de vue une part d'eux-mêmes. Cette approche  ne t'empêchait pas de responsabiliser tous tes collaborateurs  dans la gestion de leurs dossiers, comme si vous fonctionniez selon le principe de Ziad Ibn Abih dans sa politique, souple sans faiblesse et sévérité sans violence.

Cette  même approche  se manifestait chez toi dans le domaine du savoir, notre expérience commune  lors de l'élaboration  du manuel des classes terminales en est la meilleure preuve. tu prenais beaucoup de soin  dans le choix des textes et leur conformité  aux spécifications demandées ce qui nous obligeait parfois à abandonner certains textes qui nous avaient demandé beaucoup  de temps de recherches pour une raison ou une autre. Tu accordais un soin particulier aux questions linguistiques en particulier. Nous nous efforcions de revenir aux sources et nous relisons chaque fois notre travail et celui de notre coauteur M. Brahim Ben Salah, et nous  avons tenu à intégrer  dans le manuel  un appareil pédagogique qui n'avait jamais existé auparavant en termes de diversité et de richesse.

 Mon frère Hédi, j'ai commencé mes paroles  par te rappeler notre première rencontre alors que nous étions étudiants , c'était une rencontre autour du savoir, et j'ai terminé mes paroles avec notre travail à l'inspection générale de l'éducation,  et c'était aussi un travail sur le savoir. J'ai évoqué tout cela très brièvement, j'ai ainsi omis de parler de certaines   stations qui nous ont réunis tout le long de ce voyage. Pour des raisons impérieuses, je regrette mon absence lors de tes funérailles, mon seul réconfort c'est cette dernière image que je garde de nos rencontres au café où l'on parlait de nos affaires personnelles, de l'éducation, du Ministère qui a  perdu sa mémoire  et dont l'ingratitude est devenue notoire .

Paix à ton âme cher ami  toi qui est à l'au-delà  

فسلام عليك وأنت في دار الحقّ كما تردّد العامة المؤمنة وسلام علينا ونحن في دار الباطل.

Amor Bennour , Inspecteur général de l'éducation et ancien directeur à l'inspection général de l'éducation .

Juillet 2017.

Texte traduit par Mongi Akrout et Abdessalam Bouzid , Inspecteur généraux de l'éducation

Tunis, avril 2021

Pour accéder à la version arabe , cliquer ICI

 

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