dimanche 20 juin 2021

Les incidents qu'a connus le baccalauréat tunisien

 


Hédi Bouhouch

Même si l'examen du baccalauréat tunisien s'est déroulé dans la plupart du temps dans des conditions normales, voire satisfaisantes, il a néanmoins connu au cours de son histoire de graves crises qui ont entrainé l'annulation de toute ou une partie de la session et l'organisation d'une nouvelle session. Le blog pédagogique propose à ses lecteurs ces principales crises qui ont permis à chaque fois d'améliorer les procédures afin d'éviter le renouvellement des mêmes erreurs. 


Le premier incident : la fuite des sujets et l'annulation de la session de Juin 1975.

M° Mohamed Hédi Khlil, directeur de l'enseignement secondaire de l'époque, en a parlé dans ses mémoires[1] : « Dès le premier jour de cette session, des rumeurs ont commencé à circuler parmi les candidats et les parents qui parlent d’une fuite de quelques sujets du bac. Le ministre Driss Guiga était à l’étranger, et je fus convoqué pour participer à une réunion de travail avec le Premier Ministre à laquelle participaient le secrétaire d’état Hédi Zghal et l’inspecteur général de l’éducation Abdelaziz Ben Hsan. J’ai présenté un rapport détaillé sur la question, après quoi le Premier Ministre avait demandé mon avis quant à la possibilité de refaire la session. J’ai répondu que cela était nécessaire pour sauvegarder la crédibilité des examens et qu’il est possible d’organiser une nouvelle session dans une semaine pour tous les candidats…»

 « L’enquête a révélé que l’origine de la fuite était le bureau du directeur du Lycée Sadiki dont le fils a planifié avec un groupe d'amis pour s’emparer des sujets. Pour cela ils ont préparé une salle d’opération dans une usine de marbre désaffectée où ils ont réussi à décacheter les enveloppes sans les détériorer après avoir fait fondre les cachets de cire, ensuite  ils ont  fait  une copie de chaque sujet, puis ils ont remis les originaux dans les enveloppes qu'ils ont recachetées avec des faux cachets avant de les remettre dans le bureau du directeur comme si rien ne s’était passé. L'enquête menée au niveau du ministère a permis d'identifier les responsables grâce à la coopération des directeurs des établissements qui ont eu écho à propos des sujets fuités ».

Ce grave incident a été à l'origine d'un changement de procédures : il fut décidé de ne plus laisser tous les sujets sous la responsabilité des directeurs des centres d'écrit  sans  prendre des mesures de sécurité et de créer des centres de dépôts des sujets au niveau régional, sous la garde des forces de police, ce qui oblige les directeurs des centres d'écrit de se déplacer chaque matin pour se faire livrer les sujets de la journée sous une bonne escorte.

 

Le deuxième incident : la fuite des sujets et l'annulation de la session de 1979

Alors qu'il avait en charge les examens à l'époque, M° Khlil a évoqué cette deuxième crise dans ces termes : « La source de la fuite cette fois-ci était l'agent chargé de dactylographier les sujets et de faire le tirage des épreuves. Ce fut une désagréable surprise car l'agent en question avait la confiance de tous les responsables, mais il est probable qu'il fut soudoyé par quelques riches personnes qui voulaient que leurs enfants réussissent leur baccalauréat avec une bonne moyenne vu l'importance de la moyenne dans le processus de l'orientation universitaire. Dans le souci de sauvegarder la réputation de la Tunisie et de la valeur du baccalauréat, j'ai proposé à nouveau d'annuler la session, d'organiser une nouvelle session et d'éloigner l'agent impliqué dans la fuite. J'ai pris l'engagement de prendre en charge personnellement la préparation des sujets. Ainsi, nous avons organisé une nouvelle session dans un cours délai en utilisant les machines modernes utilisées dans la formation de techniciens de l'école professionnelle de Bab El Alouj, et en répartissant les responsabilités entre les agents, de sorte qu'il est difficile pour chaque agent de savoir ce que fait son collègue. »"

Le troisième incident : erreur dans la distribution des sujets (session de contrôle 2005).

Contrairement aux deux précédents cas, il ne s'agit pas d'une fuite des sujets, mais d'une erreur dans la distribution des sujets. En 2005, lors de la première journée de la session de contrôle, le mercredi 22 juin 2005, les responsables d'un des centres d'examen se sont trompés d'enveloppes et ont distribué les sujets prévus pour la journée du lendemain ( jeudi) ; en s'apercevant de la faute, ils ont essayé d'y remédier mais c'était trop tard puisque les sujets ont été dévoilés. Le ministère, en apprenant l’incident M° Najar, avait pris la décision de reporter les épreuves prévues pour la journée du jeudi à une date ultérieure (le mardi 29 juin) afin de laisser le temps à la direction générale  de préparer de nouveaux sujets. 

L'enquête a révélé une succession de défaillances qui ont amené l'erreur :

- une défaillance première au niveau du centre de dépôt, le responsable avait inversé l'emplacement des enveloppes en mettant le sac contenant les sujets de la première journée dans le casier destiné au sac de la 2ème journée et vice versa.

- une deuxième défaillance s'est produite quand le président du centre d'écrit ne s'est pas déplacé au centre de dépôt, comme il devrait le faire, pour prendre les sujets et remplir le formulaire de livraison après vérification de toutes les données selon le protocole. Il a confié la mission à son adjoint qui n’est autre que le responsable du centre de dépôt, celui-ci avait étrangement outre passé tout le protocole de livraison, il n'avait pas pas cru nécessaire de remplir le formulaire.

- une troisième défaillance a eu lieu dans le bureau du chef de centre d'écrit. Ce dernier n'a pas suivi la procédure qui consiste à ouvrir le sac plastique qui contenait les sujets en présence de ses deux adjoints qui doivent attester qu'il s'agit bien des épreuves de la journée avant de passer dans les salles d'examen.

- Enfin la dernière défaillance a eu lieu au moment de l'ouverture des enveloppes, le chef du centre a ouvert toutes les enveloppes dans la même salle, alors que le protocole imposait l'ouverture de chaque enveloppe devant les élèves de la section concernée après avoir montré que l'enveloppe était bien fermée et après avoir lu devant les candidats toutes les informations indiquées sur l'enveloppe comme la date, la matière, la section …

Ce sont ces défaillances qui traduisent une moindre vigilance qui caractérise le comportement de la majorité des intervenants au cours de la session de contrôle. Cet incident a obligé le ministère à repenser le mode de fonctionnement des centres de dépôt comme le déchargement du responsable de toutes autres missions, et prévoir une formation pour eux. Enfin les présidents des centres d'écrit sont désormais dans l'obligation d'envoyer le PV de l'ouverture des sachets plastiques à la délégation régionale par fax dès que la vérification est faite et avant de passer dans les salles pour procéder à l'ouverture des enveloppes et à la distribution des épreuves sur les candidats         

Le quatrième incident : une nouvelle fuite des sujets de la session principale 2012.

Le lundi 11 juin 2012, c'est la 4ème journée des épreuves écrites. Une rumeur commence à circuler  à propos d'une fuite de sujets du baccalauréat , ce n'était la première fois , quelques temps plus tard , Le Ministère  de l’Education Nationale confirme la fuite de l'épreuve d'arabe, précisant que les  sujets ont été postés sur le réseau social Facebook, un jour avant la date prévue de l'épreuve.

L'enquête a montré que l'origine de la fuite est le centre de dépôt des sujets relevant de le la délégation régionale de Ben Arous. L'agent chargé de la garde a profité de la nuit pour s'introduire dans la salle où sont stockées les enveloppes des sujets et a ouvert l'enveloppe de l'épreuve d'arabe, puis il a photocopié les sujets qu'il a remis à une candidate. Celle-ci a fait appel à un professeur d'arabe pour lui traiter les sujets, ensuite elle a partagé les sujets avec des amies.

Toutes les personnes impliquées dans la fuite furent arrêtées et elles ont écopé de sanctions allant de l'emprisonnement à des amendes par Le tribunal de première instance de Tunis.

Le ministère a décidé de reporter toutes les épreuves du baccalauréat prévues le mardi 12 et mercredi 13 juin, au vendredi 15 et samedi 16 juin, à la même heure. Quant à l’épreuve d’arabe elle était programmée pour le jeudi 14 juin, à partir de 8h du matin. "Cette décision vise à garantir l'égalité des chances entre les candidats et à assurer la crédibilité des examens nationaux".

Cette décision a amené la Direction générale des examens à assurer dans un délai très court la préparation des épreuves de remplacement en travaillant jour et nuit. Ce fut une prouesse qui relève du miracle.

Ce grave incident a montré la fragilité du système mis en place depuis plusieurs années (depuis la première fuite de 1975). Du coup, le ministère de l'éducation a décidé d'installer dans les centres de dépôts un système de surveillance électronique centralisé.

Akrout Mongi & Abdessalam Bouzid, Inspecteurs généraux de l'éducation

Tunis, Mai 2021

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[1] صدور كتاب إسهامات و مواقف للأستاذ محمد الهادي خليل

http://akroutbouhouch.blogspot.com/2017/04/blog-post_24.html

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