dimanche 9 janvier 2022

L'enseignement de l'histoire aux yeux des élèves tunisiens des années soixante

 


Hédi Bouhouch

Le blog pédagogique propose à ses lecteurs  un document extrait d'une étude sur  " l'enseignement de l'histoire dans la Tunisie moderne (1881 - 1970) réalisée par H. L. M. Obdeijn  chercheur hollandais à la fin des années soixante et publiée en 1975. Le chercheur a procédé à une enquête auprès des élèves de la troisième année secondaire de l'époque ( qui correspond à la 9ème année actuelle)  et  des élèves de la 6ème année qui était la classe terminale qui préparait au baccalauréat.


L' enquête   a été réalisé dans six établissements : deux lycées à Tunis, et un lycée  à Béja,  un autre à Sousse, à Sfax et à Gabes. elle « avait pour but de sonder l'attitude des élèves dix ans après  l'introduction de l'enseignement renouvelé de l'histoire, l'enquête a été menée en mars-avril 1969 » L'échantillon  est constitué de 221 élèves choisis au hasard , 35% étaient des filles et 65% des garçons.

 Le questionnaire comprenait deux parties, la première portait sur l'attitude des élevés à l'égard des différentes matières enseignées, et la deuxième est consacrée à l'enseignement de l'histoire.»

Nous allons nous intéresser dans ce billet aux réponses des élèves à la 1er question relatives aux  préférences des élèves , la question qui leur fut posée est la suivante :  « En histoire, quelles leçons préférez -vous ?   les élèves devraient choisir parmi   cinq  thèmes  qui sont : l'histoire mondiale, l'histoire arabe, l'histoire tunisienne, l'histoire de l'Europe et l'histoire  du Maghreb»


voici  les résultats obtenus

TABLEAU I : La moyenne de tous les élèves interrogés

 

Histoire Arabe

Histoire Tunisienne

Histoire Mondiale

Garçons

17%

31%

52 %

Jeunes Filles

20 %

33%

47 %

% Moyen

18%

32.5%

49.5%

 

voilà les commentaires faits par le chercheur

 « L'examen des réponses a révélé que le choix a pratiquement porté sur l'histoire mondiale, arabe et tunisienne , aussi les quelques cas de préférence européenne (10 au total) ont ils été assimilés à l'histoire mondiale et les voix pour l'histoire  du Maghreb (au nombre de trois) à l'histoire arabe.

 Les résultats obtenus sont indiqués dans le tableau I.

 - Près de la moitié des personnes interrogées (49,5%) préfèrent l'histoire mondiale .

- 32, 5% ( des élèves se prononcent pour l'histoire tunisienne et 18% préfèrent les leçons d'histoire arabe

A remarquer que les jeunes filles sont plus portées vers l'histoire arabo-musulmane que les garçons; est ce à mettre en rapport avec la remarque de Jacques Berque que les femmes semblent assurer la sauvegarde des valeurs traditionnelles dans la société islamique ?

 

TABLEAU II : Comparaison 3e année 6e année

 

Histoire Arabe

Histoire tunisienne

Histoire Mondiale

3e année

24%

41%

35%

 6e année

11%

26%

63%

 

L'examen du tableau II montre qu'en troisième année, l'histoire mondiale est nettement moins appréciée qu'en sixième année,  les matières qui constituent l'essentiel du programme de la troisième année c'est-à-dire  l'histoire arabe et l'histoire tunisienne remportent 65% des voix. 

Ce qui frappe, c'est que l'histoire tunisienne dépasse largement l'histoire arabe, bien que l'histoire proprement tunisienne n'occupe qu'une petite place dans le programme.  L'idée de la nation tunisienne semble être plus attirante que les théories de la grande nation arabe.  Un élève déclarait « Il faut que chaque tunisien sache l'histoire de son pays pour que, quand un étranger lui demande quelque chose sur l'histoire tunisienne, il sache répondre, sinon on se moque de lui ». A côté de ce motif assez secondaire, l'argument suivant revient souvent «C'est notre patrie» .

Une jeune fille le formule ainsi «Dans les cours chacune de nous a son mot à dire, car nos parents et nos arrières grands parents ont vécu dans l'histoire et on connaît bien l'histoire de notre patrie, car à chaque fête nationale, on se rappelle notre histoire ». 

L'histoire arabe toutefois a aussi ses adeptes « je veux savoir ce qu'ont fait les Arabes d'autrefois, et bien connaître ainsi ma religion».

TABLEAU III : La 6e année:

SCIENCES

Histoire Arabe

Histoire tunisie

Histoire Mondiale

Garçons

8,5%

31,5%

60%

Jeunes Filles

28,5%

43%

28.5%

% Moyen

14,5%

34,5%

51%

 

LETTRES

Histoire Arabe

Histoire Tunisie

Histoire Mondiale

Garçons

7,5%

18%

73%

Jeunes Filles

9 %

27.5%

68%

% Moyen

4,5%

21%

71.5%

 

 

Histoire Arabe

Histoire Tunisie

Histoire Mondiale

Garçons S + L

9 %

24%

67%

Filles S + L

14,5%

33%

52.5%

% Moyen

11 %

26%

63%

 

Le tableau III donne une vue d'ensemble de la sixième année.  On remarque que l'histoire mondiale a la préférence de 63% des élèves tandis que l'histoire tunisienne et l'histoire du monde arabe remportent respectivement 27% et 10% des voix .

 La nette préférence pour l'histoire mondiale se comprend par l'orientation du programme,  en même temps, elle prouve que les responsables tunisiens ont réussi à dépasser le stade du chauvinisme étroit et à ouvrir aux élèves une fenêtre sur le monde entier .

D'une manière générale, les jeunes filles sont plus tournées vers l'histoire arabe et tunisienne que les garçons en 6° année.

 En comparant les scientifiques aux littéraires, il se révèle que ces derniers sont beaucoup plus universalistes que les scientifiques,  Ceci s'explique probablement par l'orientation des programmes les littéraires sont, de par leurs études, plus en contact avec d'autres civilisations que les scientifiques.

 L'analyse des motivations exprimées montre que l'histoire mondiale est préférée surtout à cause de son aspect universaliste ; un élevé déclare « je suis homme avant d'être tunisien »;  plus détaillée est la réponse suivante  « les leçons d'histoire mondiale sont, à mon avis, une source de culture générale et permettent à l'homme de connaître son "monde " dans son passé, son présent et son avenir » ; cela ne va pas au détriment des autres leçons car «les cours d'histoire mondiale englobent les intérêts de toute autre catégorie d'histoire» .

 

Tous ces arguments sont résumés dans la réponse suivante « L'histoire mondiale est une science complète,  tous les problèmes humains m'intéressent en tant qu'homme, de plus, si l'étude territoriale vient en deuxième lieu, c'est parce que cette étude est un chapitre de l'histoire humaine » .

Un élève qui exprime sa préférence pour l'histoire européenne déclare « Je pense que l'Europe est la région la plus dynamique et la plus ouverte;  La Tunisie est influencée surtout par la civilisation européenne ».

Ceux qui préfèrent l'histoire arabe sont relativement peu nombreux. Il semble que la plupart des jeunes ne se sentent guère concernés par le nationalisme arabe ;  est ce une désaffectation devant les malheurs du moment,  Les partisans de l'histoire arabe avancent des arguments bien développés « il est temps de nous rappeler que nous sommes des arabes avant tout et que notre ouverture sur le monde extérieur et surtout occidental, ne doit pas se faire aux dépens de nos relations avec nos frères surtout pendant la période historique que nous vivons et dans laquelle nous risquons la dislocation. Je sens que, par notre histoire commune, notre position et nos aspirations communes d'unité et de coopération, nous pouvons être quelque chose dans le monde ».  La nostalgie du passé glorieux joue aussi son rôle : « j'ai l'honneur d'étudier ainsi une histoire pleine de victoires pour ma nation ». Une jeune fille déclare : « les pays arabes ayant perdu à cette époque le prestige dont ils jouissaient auparavant, je veux connaître le développement du monde arabe à tous les points de vue ; je veux revivre au moins par l'histoire, cette époque et connaître les causes qui ont donné au monde arabe l'état actuel ».

 En connaissant les causes du déclin, on peut aider à la reconstruction du monde arabe. C'est ce qui compte pour une élève qui déclare : « Je n'admets pas l'idée d'un tunisien, mais je me sens arabe». D'autres nuancent davantage leur attitude et pensent que l'un n'exclut pas l'autre : « étant arabe, il est plus avantageux que je connaisse le monde arabe ; ainsi je connaîtrai une partie de l'histoire tunisienne ; pour les autres histoires, je m'en charge».

L'histoire tunisienne est préférée par 27% des élèves de la 6e année. Une jeune fille précise : « ces leçons me plaisent et je suis attirée vers l'histoire tunisienne plus que vers les autres histoires, car la Tunisie est mon pays et avant de connaître l'histoire des autres, il faut consacrer son temps à connaître son pays ».

Certains mettent du lyrisme dans leurs réponses': « j'ai besoin de comprendre les situations dans lesquelles vivait mon pays, d'assimiler les efforts grandioses, le sang qui a coulé et de concevoir clairement les différentes étapes par lesquelles a passé mon pays pour aboutir enfin à l'indépendance, à la liberté et de jouir ainsi de notre vie ». Un autre ajoute : « elle me permet de mieux comprendre la situation actuelle en visant son évolution et ainsi elle me sera utile dans ma vie».

Source :  Obdeijn (Herman L. M.) : L'enseignement de l'histoire dans la Tunisie moderne (1881-1970)https://repository.ubn.ru.nl/bitstream/handle/2066/148509/mmubn000001_071668225.pdf?sequence=1

Extraits choisis par Mongi AKROUT, inspecteur général de l'éducation.

Tunis , décembre 2021

Pour accéder à la version AR, CLIQUERICI

1 commentaire:

  1. Merci bien, cher inspecteur, pour cette étude bien bénéfique...c'est une sorte de feedback très éloquente... aujourd'hui nous avons besoin de telle étude pour notre éventuelle réforme..

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