RAPPEL
EGRA ((Early Grade Reading Assessment,) " est une évaluation orale des prérequis des élèves des écoles primaires liés au déchiffrage ainsi que la compréhension orale et écrite" Le rapport a réservé le chapitre 6 aux enseignants, à leurs profils, leurs caractéristiques, leurs pratiques et leurs représentations, tout cela à partir d’un questionnaire de 70 questions administré oralement par l’observateur pendant 20 minutes. vu l'importance des données et des
conclusions de cette étude et après
avoir publié un premier billet la
semaine passée consacré aux acquis
des élèves (pour la revoir , cliquer ici) ; le blog pédagogique publie
cette semaine un deuxième billet qui s'intéresse aux enseignants . |
L'échantillon constitué de 240 enseignants (parité entre les
deux langues) révèlent plusieurs informations très importantes :
- une population relativement jeune : 86% ont moins de 50 ans
;
- un niveau académique élevé : 70% bac +2 et bac +4 et plus (en 1969/70 ils ne
représentaient que 1% et en 2006 [1] ils étaient 22,3 %) ; mais très peu ont suivi
un cursus dédié au métier : 18% seulement (ils étaient 56.5 % en 2006 et 20.1 %
en 1969/1970[2]).
- une mosaïque de spécialités (plus de 20 spécialités), ce
qui soulève d'énormes difficultés pour organiser la formation continue, mais ce
qui pose un véritable problème et qui pourrait expliquer en partie le niveau de
l'enseignement, c'est la faible présence de spécialistes. Ainsi seuls 19 % de
l'échantillon des enseignants du français avaient fait des études de français.
On trouve la même proportion chez ceux qui enseignent la langue arabe (17%
avaient fait des études d'arabe). La situation est plus grave pour les
disciplines scientifiques puisqu'on ne compte parmi les enseignants de langue
arabe qui se chargent des matières scientifiques qu'un seul qui a fait des
études d'ingénieur, un seul des études en mathématiques et 4 des études en
S.V.T, ce qui ne représente en tout que 5% du total des enseignants en arabe.
1. Les caractéristiques des enseignants
Des enseignants jeunes et un corps majoritairement féminin
«
D’après
l’enquête, les enseignants de français qui ont 40 ans ou moins représentent 56%
des effectifs, les enseignants d’arabe de la même tranche d’âge constituent
43,9% du total des enseignants. Les plus de 50 ans constituent à peine plus de
14% des effectifs pour les deux langues, sans doute en raison du droit de départ à la retraite
dont ils bénéficient dès l’âge de 55 ans.Les enseignantes de français sont majoritaires
avec une proportion de 72,7%. »
Une majorité titulaire d'un bac + 4 et plus
« On note … une nette amélioration du
niveau académique avec des titulaires d’une maîtrise ou plus, (60% en arabe et
près de 60% en français) avec des profils similaires pour les deux langues. Si
l’on compte les diplômés des Instituts supérieurs de formation des maîtres (bac
+2), on atteint les 70%.
Concernant
la spécialité d’origine, on relève le très faible nombre d’enseignants issus de
filières scientifiques : seuls 1% sont issus d’une filière mathématique, idem
pour la physique, ce qui pourrait avoir un impact sur les compétences
disciplinaires et les démarches si l’enseignant n’a pas reçu la formation
initiale/continue nécessaire.
La diversité des formations d’origine reflète le mode de recrutement qui a été
retenu ces dix dernières années sachant que plus de 20% des enseignants d’arabe
viennent d’autres spécialités qui ne figurent pas dans le questionnaire.»
3. - Ancienneté et expérience professionnelle inférieure à 10 ans en majorité
« La majorité des enseignants ont entre 3 et 10 ans d’expérience avec un taux de 44,4 % pour les enseignants d’arabe. Plus de 58,3% des enseignants d’arabe ont été recrutés durant les dix dernières années. Parmi ceux qui ont été recrutés, 14,2% ont plus de 40 ans. Ils sont issus de différentes filières et recrutés tardivement. On constate également un recrutement massif d’enseignants de français, pendant ces dix dernières années, soit 46,6 % alors que 56% ont 40 ans ou moins.
Environ le quart des enseignants en situation précaire
«On note un pourcentage assez important de personnel non titulaire si l’on considère le taux de vacataires, suppléants et contractuels qui représentent plus de 30% des enseignants de français et 22,6 % pour l’arabe. Le nombre de non-titulaires est nettement plus important en français qu’en arabe, ce qui pourrait avoir un impact sur la motivation des enseignants. Les données ne permettent pas ici de déterminer l’impact de cette variable, vu la taille de l’échantillon des enseignants. Cependant on relève que si les non titulaires sont plus nombreux parmi les enseignants de français il n’en demeure pas moins que la motivation des élèves en français est nettement plus grande que celle des élèves en arabe.»
2. Les pratiques des enseignants en rapport avec l'apprentissage de la lecture
Le temps alloué à la lecture dans la classe de langue
«D’après
les déclarations des enseignants, le temps de l’apprentissage de la lecture est
de l’ordre de deux heures trente minutes par semaine dans chacune des deux
langues compte non tenu du dédoublement des classes.
Bien entendu, outre le volume horaire, plusieurs paramètres interviennent,
notamment la manière dont cette durée est exploitée par l’enseignant. Les
textes officiels fixent le nombre de séances de lecture à 22 séances de 45
minutes pour la 3ème année langue arabe (programmes
allégés). En français 20 textes sont programmés pour l’année 20-21 pour 20
séances de lecture.
La
lecture à voix haute en arabe est de 53 minutes par semaine, la lecture
compréhension dépasse à peine les 85 minutes (volume horaire en classe
entière). Mais, ce qui retient l’attention, c’est le temps alloué à
l’enseignement de la grammaire en arabe, auquel on consacre le volume horaire
le plus important.
En français aussi le temps dédié à la grammaire équivaut à celui de la lecture compréhension, loin devant l’enrichissement du vocabulaire.»
Réaction des enseignants face aux difficultés d’apprentissage
*
La
majorité des enseignants déclarent s'en remettre aux parents !
« En cas de difficultés d’apprentissage, les enseignants sont plus nombreux à s’en remettre aux parents (AR : 61,5% les informent, 47,5 % coopèrent avec eux) qu’à chercher à apporter une réponse aux besoins des élèves en leur consacrant plus de temps (26,8 %). Les réponses sont similaires pour le français, sachant que les enseignants déclarent motiver davantage leurs élèves.»
*
Rares
sont ceux qui recourent à la remédiation par l'évaluation
«En revanche, ils
recourent assez peu à l’auto-évaluation et à l’évaluation par les pairs au
niveau des élèves, ce qui aurait pu, en cas de difficultés, mobiliser ceux-ci
et leur apprendre à gérer leurs apprentissages. (AR 43,9 %, FR 36%)
La conception des épreuves d’évaluation ne semble pas être un sujet qui suscite
du stress alors que ses enjeux sont considérables si l’on se réfère aux
conditions de passage d’un niveau à l’autre qui dépendent entièrement de
l’évaluation de l’enseignant.»
* Une majorité déclare ne pas assurer des cours de soutien
«
La majorité des enseignants d’arabe et de français n’assurent pas de cours de
soutien à leurs élèves, notamment en arabe : Il s’agit de cours dispensés au
sein de l’école et destinés à des groupes plus ou moins importants issus de
classes d’un même niveau.
Les enseignants ne donnent pas de devoirs à faire à la maison de façon systématique, moins de la moitié le
font en arabe et en français.»
4. Collaboration entre enseignants
«D’après leurs réponses, les enseignants collaborent avec leurs collègues à une écrasante majorité, à plus de 80% pour les deux disciplines et dans la plupart des domaines qui touchent à leur métier, entre autres la préparation de fiches pédagogiques ou d’épreuves d’évaluation.»
5. Encadrement pédagogique et formation continue
«Le rythme des visites d’inspection et d’assistance est assez fréquent. 50% environ d’enseignants d’arabe et de français déclarent avoir eu une visite d’inspection tous les deux ans et une visite d’assistance pédagogique deux fois par an ou plus.
Les enseignants qui ont déclaré avoir bénéficié d’une formation continue, y compris en matière d’apprentissage de la lecture, représentent 77,5% en français et 86,7% en arabe.»
8. Résumé des résultats du questionnaire enseignant«Jeunes et diplômés, tel est le profil des enseignants [3] aujourd’hui. Le rajeunissement du corps enseignant s’accompagne d’un meilleur niveau académique, ce qui peut constituer un levier d’amélioration et une grande opportunité pour faire évoluer le système éducatif. On note cependant une certaine différence entre le profil pédagogique des enseignants d’arabe et ceux du français
Ainsi les représentations des enseignants d’arabe révèlent qu’ils surestiment les compétences de leurs élèves en lecture. Près de 80% d’entre eux pensent que les élèves en difficulté constituent une minorité. Cela suppose que les élèves en difficulté ne sont pas pris en charge. Cette hypothèse est confortée par le faible engagement des élèves dans leurs apprentissages, qui a été mis en évidence dans le chapitre précédent.
D’après leurs déclarations, les enseignants s’en remettent aux parents
lorsqu’ils voient que des enfants sont en
difficulté. Ainsi leurs représentations sont appelées à évoluer de
manière qu’ils se sentent responsables des apprentissages de
leurs élèves. Une formation sur l’apprentissage de la lecture et
sur l’évaluation pourrait également s’avérer nécessaire. Un renforcement de capacités en matière de TIC est recommandé aussi,
plus de 50% des enseignants n’utilisant pas
l’internet pour développer leurs pratique pédagogiques.
Concernant le temps alloué aux différentes activités de la classe on note le volume horaire surdimensionné de la grammaire notamment
en arabe et une faible attention à l’enrichissement
du vocabulaire, si utile pour la compréhension et qui
occupe moins du tiers du temps par rapport à la grammaire.»
commentaire Voilà la réaction de M° Abdessalam Bouzid , inspecteur général des écoles primaires qui a eu l’opportunité de diriger l’ISFM de Sfax
depuis sa création jusqu’à sa fermeture (6 ans) et de l’IMEF de Sfax depuis
2006 jusqu’à 2010 à la suite de la lecture du rapport
et plus particulièrement de la partie consacrée aux enseignants ; il a
écrit ceci : « Cela me rappelle les discussions que les enseignants
aimaient faire pour " expliquer le bas niveau de compétence en
lecture ou dans toutes les disciplines de leurs élèves ". Tout fait
social peut être cité : télévision, parents démissionnaires, pauvreté,
distances parcourues par les enfants pour se rendre à l’école, inconfort
pédagogique, programmes, manuels, politique de l’éducation, système de
l’évaluation, laxisme social, perte de rôle d’ascenseur social, absence de
débouchés, chômage, ……. et que sais-je encore ? De toutes les causes
possibles rien ni personne n’est oublié sauf
le côté pédagogique qui relève de l’enseignant et de son
désintéressement. Est-ce là une
manifestation de comportement d’autruche qui n’est autre qu’une attitude de
déni. Ce rapport, me semble-t-il, pêche par la même tare : le déni. Lui
non plus ne parle pas de ce problème tabou. C’est pourquoi je vois qu’aucune
solution sérieuse n’est présentée ».
Ce qu'avait voulu dire notre ami inspecteur sur l'importance de" l'effet du maître "concorde totalement avec les conclusions de plusieurs recherches. Dans une étude sur les déterminants des performances scolaires au primaire au Sénégal, Kalano (2012)[4] passe en revue les différents déterminants qui agissent sur la qualité des performances des élèves des écoles primaires. Citant plusieurs auteurs, il conclut que " la compréhension de l’inefficacité de certaines écoles primaires est à chercher dans les facteurs proprement scolaires (Verspoor, 2005), et internes au processus pédagogique (Duru-Bellat, 2003) et les différences de niveau d’efficacité entre les classes tiendraient en partie aux enseignants. D'autres chercheurs comme " Gauthier et Dembélé (2004) soutiennent l’idée qu’aujourd’hui ce que font les enseignants en classe est sans conteste le premier des déterminants scolaires de l’apprentissage et de la réussite des élèves (UNESCO, 2000) et tout concourt à penser que les facteurs internes à l’école comptent pour beaucoup dans la réussite des apprenants et que les enseignants y contribuent pour une part non négligeable[5] . Pour Darling-Hammond (2000, cité par Anderson, 2004), l’établissement et les maîtres sont très largement responsables des différences d’apprentissage entre les élèves, bien plus que ne le sont les différences concernant les effectifs et l’hétérogénéité des classes. Selon UNESCO/BREDA (2005a) l’effet maître global est très important en Afrique. Il est estimé à 27,4% en moyenne[6] dans neuf pays[7] … et il atteint même environ 40% sur trois d’entre eux[8]. Ces résultats donnent à penser que « l’enseignant est la pièce maîtresse de la qualité de l’enseignement en Afrique »[9]. Dans les pays développés , l’effet maître est estimé à des chiffres compris entre 5 et 15%.» Le
blog pédagogique. |
Présentation et commentaire Mongi
Akrout et Abdessalam Bouzid, Inspecteurs généraux de l'éducation retraités
Tunis, mars 2022
Pour accéder à la version AR, Cliquer
ICI
[1] Bouhouch, H ( 2020) : Les « ressources humaines du premier cycle de l'enseignement de base. » Partie 1- Le blog pédagogique 11 mai 2020 - http://bouhouchakrout.blogspot.com/2020/05/les-ressources-humaines-du-premier.html.
Répartition du corps enseignant du primaire selon leur
niveau académique en 2006 : ( 5.93 % sous le bac/ 36.5 %/ avec le bac/
36 % DFES normales / 21.5% I.S.F des maîtres / 0.8% la maîtrise.
[2] Bousnina.M ( 1991) . Développement scolaire et disparités régionales en Tunisie , publication de l'université de Tunis I-
[3] Ce changement qui date de la dernière décennie
est remarquable eu égard à la faible qualification académique qui prévalait
jusqu’alors et qui avait été mise en évidence lors de l’enquête TIMSS 2011.
Cette enquête avait signalé un grand décalage par rapport aux standards
internationaux qui n’existe plus désormais. :
https://www.iea.nl/publications/study-reports/national-reports-iea-studies
(Tunisia, National report)
[4] Augustin Kalano (2012) : Des déterminants des performances scolaires au primaire au Sénégal. Editions universitaires européennes
[5] Heyneman (1986), Sall
(1996), Barahinduka (2006), Dieng (2006), Anderson (2004) et Kantabaze (2006),
[6] Bernard, Tiyab, &
Vianou, 2004)
[7] Burkina Faso, Cameroun,
Côte d’Ivoire, Madagascar, Sénégal, Guinée, Mali, Niger, Togo
[8] Madagascar, Guinée et
Mali
[9] UNESCO/BREDA, 2005a : 146
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