dimanche 6 mars 2022

Les enseignants et l'innovation

 


D.Zaouali 

Docteur Mustapha Cheikh Zaouali vient de publié un  livre  sous le titre " Les enseignants et l'innovation", il s'agit d'un ouvrage qui reprend une partie d'une thèse de doctorat que l'auteur avait soutenue en 2015 dont le sujet s'intitulait : "
 Attitudes des enseignants à l’égard des innovations  pédagogiques institutionnelles en Tunisie : Le cas des apprentissages optionnels et de l’étude de projet."


L'ouvrage et la thèse  traitent une question très importante qui détermine de la destinée de tout projet de réformes éducatives, il s'agit de l'attitude du principal acteur qui est chargé de l'implémentation  de la  réforme sur le terrain, on parle ici de l'enseignant. Plusieurs études ont montré que le succès de toute innovation pédagogique dépend entre autre de l'attitude de l'enseignant " ce sont les enseignants qui sont  les acteurs majeurs des réformes, et ce sont  eux qui pourront en assurer le succès" [1] et que " l’effet d’une politique éducative n’est jamais mécanique et que le changement dépend de l’acceptation par les professionnels"  or cette acceptation n'est pas acquise facilement, à cause de la résistance " presque naturelle" aux changements et aux innovations , c'est ce que l'auteur a essayé d'analyser dans sa thèse et dans son livre.

Vu l'importance du sujet et son originalité, le blog pédagogique a voulu  en donner à ses lectrices et ses lecteurs une brève présentation en reprenant le résumé de la thèse et la présentation de l'ouvrage réalisée par M° Moncef Khmiri.

Le blog pédagogique - Mars 2022

 

 

Présentation du livre


Qu'en est-il des raisons qui éternisent les maux de notre système éducatif ? Quels sont les moyens d'empêcher l'aggravation de sa crise? Comment pouvons-nous parvenir à une réforme de fond de notre école tunisienne lui permettant de remplir ses fonctions essentielles, et quelles seraient les entrées à cette réforme ? Qu'est-ce qui a entravé les tentatives des réformes successives ? Pourquoi n'avons-nous pas pu, depuis vingt ans, promouvoir, ne serait-ce que partiellement, les performances de notre système éducatif ? Ce sont là des questions que se posent la plupart des tunisiens (éducateurs, politiciens, parents et journalistes...) ce qui dénote une complexité aux contours difficiles à saisir. Essayer de répondre à ces problématiques complexes ou d'en aborder certaines relève bien de l’aventure et une sorte d’adhésion à l’idée du philosophe Pythagore qui disait : « Choisissez toujours le chemin qui vous semble le plus approprié, même s'il est le plus difficile : l'habitude se  chargera de le rendre agréable».

 C'est pourquoi j'ai craint pour le chercheur Mustapha Cheikh Zaouali lorsque je l'ai vu travailler sur la réforme de l'éducation de 2002. Je me suis demandé dans quelle mesure la dite réforme parviendrait à réaliser les objectifs qu'elle s’est fixés en rapport avec la réalité sociale, économique et politique dominante à l'époque, et en rapport également avec les attitudes des enseignants, leurs  personnalités et leurs parcours, et enfin en rapport avec la réalité propre de l'institution éducative. En plus de sa tentative à vouloir s’enquérir des controverses et polémiques qui ont entaché la question des matières à option dans le cadre du système des apprentissages formels, ainsi que les réactions qui ont dépassé le cadre de l'école pour être abordées par des politiciens et des leaders d'opinion à l'intérieur et à l'extérieur de la Tunisie.

Je craignais qu'il s’embourbe dans les sables mouvants d'un sujet que tout le monde évitait parce que le problème est très épineux, et que la question de l'innovation est difficile à cerner scientifiquement d'une manière précise, comme ce fut souvent indiqué chez la plupart de ceux qui ont travaillé sur le concept des innovations pédagogiques et éducatives, en plus des appréhensions que j’ai eu quant au profil du public visé par ce livre, qui ne devrait pas dépasser certains encadrants pédagogiques au sein de notre système éducatif. Mais ma crainte s'est rapidement dissipée. Au fur et à mesure que j'avançais  dans ma lecture du livre, j'ai eu la certitude qu'il était à la portée de tous ceux  qui ne cessent de parler à longueur de journée du déclin de l'école tunisienne parce que le livre est écrit dans une langue innovante et fluide qui questionne soigneusement les textes de référence sans se risquer à porter des jugements de valeur et se limite à poser  des interrogations  afin de recueillir quelques éléments de réponses.

En dépit de l’acharnement de l'écrivain, du fait de son extrême prudence académique, à vouloir se référer à chaque fois aux chercheurs confirmés dans les domaines des sciences de l'éducation en général, notamment ceux qui se sont spécialement penchés sur la question des innovations pédagogiques afin d'assurer une rigueur scientifique et objective sans laquelle aucune recherche scientifique ne serait crédible, il ne nous a pas privés de jouir de ce que permettait le curriculum caché, à savoir la connaissance des biographies d'enseignants animés par beaucoup d’originalité  et de profondeur, des acteurs qui avaient des positions controversées face aux innovations instaurées par la dernière réforme de l'éducation en 2002. Les observations de terrain, les « focus groupe » et les entretiens individuels, permettent au lecteur de savourer des détails attachants sur des parcours de vie individuels qui ont jeté leur ombre sur le comportement de ces individus dans les étapes ultérieures quand ils sont devenus  enseignants. Tantôt, ils s’approprient les innovations et s'enthousiasment pour leur application, tantôt ils les rejettent ou encore ils prennent à leur égard une attitude de spectateurs passifs, en attendant l'émergence de nouveaux éléments dans la réalité éducative qui trancheraient la question dans un sens ou un autre.

L'histoire retiendra ce nouvel ouvrage qui va enrichir notre bibliothèque pédagogique tunisienne et arabe, compte tenu de l'originalité des questions qu'il traite d'une part, et de la rareté des écrits spécialisés en matière  de pédagogie, d’enseignement, et de l'évaluation du devenir des réformes éducatives successives. C’est également du fait que le livre soumet les divers obstacles à l'épreuve de l'étude objective et de la lecture analytique d'autre part. Il sera également reconnu que ce livre a dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Il a en effet cherché à démanteler la logique des syndicats qui rejettent toute réforme (Nous nous sommes trouvés en présence de programmes de réforme souvent en rupture avec ceux qui seront appelés à les mettre en œuvre). Une logique sous-tendue soit par une phraséologie moderniste mais qui paralyse en réalité tout projet qui cherche à faire sortir l'école des bas-fonds dans lesquels elle s'est embourbée, soit animée par des considérations d’ordre identitaire brandissant l'étendard de la préservation de l'authenticité, pérennisant ainsi une situation scolaire précaire. 

Les principales conclusions de Mustapha Chikh Zaouali concernant les attitudes des enseignants à l'égard des innovations pédagogiques ainsi que leurs réactions spontanées vis-à-vis des nouveaux programmes et approches qu'on leur propose, nous renvoient nécessairement à la métaphore du crayon (à laquelle recourent tous ceux qui ont travaillé sur la question complexe de l'innovation  parmi  les chercheurs arabes et étrangers). Cette métaphore met au premier plan du processus de changement certains pionniers, à savoir le comité de pilotage, ou le projet lui-même. Le crayon ayant deux bouts, d’un côté la pointe fine dédié à l’écriture, (et le nombre de ceux qui jouent ce rôle est très faible), à l’autre bout il y a la gomme qui représente  les opposants cherchant à empêcher (gommer) toute avance pour les projets innovants ; puis il  y a le corps du crayon qui est le réservoir (le plus grand nombre) qui rassemble tous les acteurs qui sont prêts à adopter le changement, mais à condition de les motiver ou leur assurer une récompense quelconque (formation continue, motivations diverses…).


Ce livre est à la fois important et agréable à lire.

Il est agréable parce que sa langue n'est pas tombée dans le pédantisme tissé de grandes définitions, de concepts éloquents et de termes savants, une coquille calcifiée habituellement utilisée par les universitaires pour impressionner leurs lecteurs et pour se leurrer eux-mêmes croyant qu'ils avancent des vérités révélées du ciel. Au contraire, la langue du livre s'est aventurée à emprunter tantôt à la littérature et tantôt à la philosophie, parfois à la psychologie et elle est allée jusqu'à l'écriture de scénarios en échafaudant les biographies étudiées, ce qui a fourni un élan de lecture attrayante en plein milieu de la quête d’une vérité fugace et le traitement d’âpres questions.

Il est également important pour au moins deux raisons :

1. - Parce qu'il permet au lecteur qui s'intéresse à l'école et qui suit l'histoire des réformes qu'elle a vécues, de comprendre le fonctionnement du système éducatif de l'intérieur et les  diverses interactions invisibles qui se produisent dans ses méandres et qui  constituent dans la plupart des cas la cause de son bon ou mauvais fonctionnement  beaucoup plus que  l'effet des mesures et instructions dictées d'en haut. Il se peut que Mustapha Cheikh Zaouali, partagé, de par sa formation et ses centres d'intérêt, entre la sociologie et les sciences de l'éducation, ait pris cette voie (bien qu'il ne le déclare pas explicitement dans son livre), influencé par les thèses des modernistes dans les écoles de sociologie qui penchent du côté de « l'analyse des modes d'action ordinaires employés par les acteurs sociaux ordinaires pour réaliser des activités ou des travaux ordinaires », ce que Harold Garfinkel appelle « le raisonnement sociologique pratique ».    

2-  Parce qu'il permet au lecteur, qui s'interroge sur ce qui entrave l'application des  réformes et des innovations  pédagogiques successives,  de prendre conscience de la cause des dérives aigues entre les nobles finalités affichées par la littérature de la réforme et les visions pionnières inscrites dans les références-cadre et entre le contexte du terrain qui est censé accueillir ces réformes et les orientations des enseignants censés être la locomotive de la modernisation et  l’un de ses principaux leviers.

La lecture de l'ouvrage de Mustapha Cheikh Zaouali, ouvre à mon sens deux grands horizons : un horizon sur l'épistémologie  des matières à option dans notre système éducatif, comme système innovant et en harmonie avec ce que le monde développé reconnaît aujourd'hui comme  la diversité du profil  de l'élève du XXIe siècle, et la nécessité de briser les barrières épaisses entre les différents domaines d'apprentissage et de préparer  d'une façon précoce  à des parcours académiques divers auxquels  il fera face plus tard. Et un second à travers lequel nous dépistons  l'arsenal d'obstacles et de freins qui constituent le mur de résistance à tout ce qui est moderne et inhabituel. Pourrons- nous un jour endiguer leurs discours nihilistes et improductifs.

Il convient également de préciser que l’ouvrage « Les enseignants et l'innovation» est un extrait de la thèse de doctorat de Mustapha Cheikh Zaouali «Attitudes des enseignants à l’égard des innovations pédagogiques institutionnelles en Tunisie : Le cas des apprentissages optionnels et de l’étude de projet.» Le fait de reposer  le  sujet à ce moment particulier qui connait un large débat national sur les questions de l'éducation et de l'enseignement contribuera sans doute à lancer une réflexion générale sur la prochaine réforme de l'éducation et les mécanismes qui seront adoptés pour surmonter les difficultés, neutraliser les contraintes et réinventer l’entrée appropriée pour reconstruire tout le système des matières à option selon une nouvelle perspective qui capitalise les acquis du passé et circonscrit les causes de son échec.

 

Moncef  Khemiri (Conseiller général d’orientation à la retraite)

 

Traduction : Mongi Akrout &Abdessalam Bouzid, Inspecteur généraux de l'éducation retraités et revue par l'auteur .

Présentation des réformes éducatives en Tunisie

Chapitre premier : quelques résultats dévoyées de la réforme de 2002 en Tunisie : les matières à option et  la réalisation de projets  comme exemple type 

I - Les matières à option et  la réalisation de projets

1- Motivations de l'étude et justifications du choix des deux innovations

2- Le cadre juridique des matières optionnelles et de la réalisation du projet

3- Le cadre théorique

4- le cadre pédagogique

II- Des exemples des dérives des innovations sujet de la recherche

1- Les résultats de la recherche au sujet des matières à option

2- Les résultats de la recherche au sujet de la réalisation de projet

Sources et références

Deuxième chapitre :  Parmi les obstacles de la réforme de 2002 en Tunisie : Le style du Ministère et les conditions de travail dans l'établissement scolaire

Introduction

Premièrement : Le style du ministère  dans le domaine des innovations pédagogiques

 Signification du concept de style du ministère  dans le domaine de l'innovation

Distinction entre les concepts de "style" et de "moyen"

Le style du ministère au regard des approches en rapport avec l'innovation pédagogique

Le style de la réforme de 2002

Les résultats de notre recherche au sujet de l'expérience des matières optionnelles et de la réalisation de projet

L'information et la formation

Les grandes lignes du discours officiel au ministère de l'éducation

La corrélation entre le style du ministère et les caractéristiques du climat politique en place

Enregistrement de quelques succès isolés

Deuxièmement : Conditions de travail au sein de l'établissement d'enseignement

1- Le modèle de gestion administrative existant

2- La vie scolaire

3- Les caractéristiques des élèves

4 - La place des enseignants

5- La crise du système éducatif et la crise de la société

Conclusion

Les sources et les références

Troisième chapitre  : les enseignants et l'innovation

Introduction

Le concept d'innovation

Les documents officiels organisant l'innovation pédagogique en Tunisie

La référence théorique de l'étude

Les questions de l'étude

L'outil de l'étude

Les résultats de l'étude

Les types d'orientation vis-à-vis de l'innovation

Les facteurs émotionnels

Les facteurs professionnels   

Les motivations du choix  de la  profession d'enseignement

Les spécificités de la  profession d'enseignement et la spécificité de l'innovation dans le domaine éducatif

L'innovation est incarne la valeur de la liberté

L'effet de la formation et le rapport avec l'inspecteur

L'effet du directeur de l'établissement

Remarques générales et conclusions

Conclusion

Les ressources et les références

Les annexes

Premièrement : brève présentation des personnes et de leur biographie

Deuxièmement :  les détails des biographies

Biographie n° 1 : Mme Nour

Biographie n° 2 : M. Abdallah

Biographie n° 3 : M.Youssef

Biographie n° 4 : M. Labib

Biographie n° 5 : Mlle Samia

Biographie n° 6 : M.Taher

Biographie n° 1 : M.Ramzi

Biographie n° 1 : M.Fadhel

Biographie n° 1 : M.Borhan

Annexe 2: les apprentissages optionnelles dans les communiqués du Syndicat de l'enseignement secondaire

Annexe 3 : les matières optionnelles dans les sites du journal le Destour et ikhwanonline.com.

Annexe 4 :  Les deux exercices qui ont suscité la polémique sur les apprentissages optionnels en 2003

 

 

 

Résumé de la thèse

Titre de la thèse:      Attitudes des enseignants à l’égard des innovations  pédagogiques institutionnelles en Tunisie : Le cas des apprentissages optionnels et de l’étude de projet.

Résumé

Nous sommes partis de la problématique générale et fondamentale suivante: Comment pourrons-nous appliquer « des innovations pédagogiques institutionnelles » répandues à l’échelle mondiale, mais  qui sont aussi,  le résultat d’évolutions historiques et sociologiques de long terme des sociétés occidentales qualifiées par les sociologues aujourd’hui comme « postmodernes, » et « ayant un mode de production  post-Capitaliste » ? Comment appliquer ces innovations dans une société telle que la société tunisienne interfèrent les conditions et les modes de vie pré-modernistes, modernistes et post-modernistes?

Notre recherche a porté sur la clarification des problèmes dus à l’application de deux cas d’innovations pédagogiques institutionnelles en Tunisie : Les apprentissages optionnels et l’étude de projet.

Pour entamer notre recherche, nous avons posé un ensemble de questions portant sur les attitudes des enseignants à l’égard de ces deux modèles d’innovations et sur les facteurs qui influencent lesdites attitudes. Nous avons démontré les limites des approches économistes et technicistes de l’éducation et nous avons adopté une approche alternative d’ordre culturel et anthropologique.                Pour collecter nos données, nous avons eu recours à plusieurs techniques et supports de recueils de données. Ceux-ci regroupent notamment le questionnaire (n = 162), le focus group, l’observation directe sur le terrain, les récits de vie (n=9), l’analyse de contenu de  documents officiels et de statistiques aussi bien du ministère de l'Éducation que ceux du syndicat des enseignants.

Nous n’avons pas trouvé de rejet de principe de l'innovation pédagogique par la majorité des enseignants ayant participé à notre recherche. Nous n’avons pas trouvé, non plus, de différences significatives intéressantes dans les attitudes des enseignants à l’égard des apprentissages optionnels et de l’étude de projet,  liées à l'un ou à l’autre des facteurs suivants: la discipline scolaire enseignée, la formation sur les  innovations objet de la recherche et l'expérience directe liée à ces innovations. En outre, nous avons constaté que l’attitude réelle à l’égard des innovations pédagogiques est le produit de l'équilibre des forces et des interactions entre une variété de paramètres individuels en rapport avec la personnalité de l'enseignant et avec les facteurs institutionnels liés au système éducatif  et à son environnement social. Enfin, notre étude a révélé non seulement  plusieurs effets pervers de la réforme éducative de 2002, en Tunisie, mais  également un écart grandissant entre, d’une part, les paris d'innovations pédagogiques escomptés et d’autre part, les résultats et les performances limitées dans la réalité.

 

 

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[1] Dupriez, Vincent : Politiques Éducatives, Formation et accompagnement des Enseignants : Comment favoriser la mise en œuvre effective d’une politique éducative à partir d’une stratégie d’accompagnement des enseignants ?,  université catholique de Louvain (Belgique)

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