Hédi Bouhouch |
Le blog pédagogique poursuit la présentation d'extraits de discours contradictoires qui ont eu lieu lors de la discussion du budget de l'année 2007 et dont le sujet était quel enseignement pour les tunisiens?
Nous reproduisons cette semaine le discours de De Carnières , le chef du parti des prépondérants qui représente les colons ultra conservateurs qui rejette l'idée d'un enseignement mixte qui intègrerait les enfants tunisiens et appelle pour un enseignement à deux vitesses. De Carnières[1] " et ses collègues désirent, une instruction séparée estimant qu’elle ne doit pas être donnée en même temps aux français et aux indigènes pour des raisons d’ordre technique et d’ordre moral ", il s'agit là d'une attitude qui n'était pas exempte de racisme.
L'intervention
de De Carnières en réponse à M° Zaouch
De Carnières
dit qu’il n’étonnera personne en disant qu’il ne partage pas les opinions de M. Zaouch. ( pour retrouver le discours de M. Zaouch, cliquer ici)
M. Zaouch a constaté la
faillite de la Direction de l’Enseignement en Tunisie ; il est
d’accord avec lui sur ce point. Après 22 années
d’enseignement français, il est certain qu’on devrait trouver
beaucoup d’arabes parlant français et beaucoup de français parlant l’arabe. Il croit que la Direction de l’Enseignement a pris un mauvais système qui
donne peu de résultats.
Les indigènes qui veulent être instruits sont en réalité très peu nombreux.
Les pétitions signées en faveur du développement de l’instruction, ont été récoltées
par un député qui est allé les chercher dans tous les douars.
Ils mettent d’ailleurs peu d'empressement à fréquenter les écoles et leur nombre a diminué depuis quelques années. Pour remédier à cette diminution,
M. le Directeur de l'Enseignement avait inventé un moyen très
simple d’avoir des élèves. Il donnait aux«
moueddebs » une prime de 0 fr. 50 par élève
de l'école coranique qu’ils envoyaient à l’école franco-arabe.
Il arrivait
alors que les élèves faisaient acte de présence les premiers jours du mois seulement, pour permettre au moueddeb de toucher sa
prime.
Il a signalé
ce fait, aujourd'hui que ce système n’existe plus, voici ce qui se produit dans les grands villages : il n’y a que 40
ou 50 élèves indigènes avec 5 ou 6 français et une douzaine d’italiens. Si le maître veut
s’occuper des indigènes qui restent en retard sur les français et même sur les
italiens, il est obligé de sacrifier ces derniers. Si au contraire il
veut s’occuper des européens, il est obligé de négliger les indigènes.
A Soliman,
ville de 3.000 habitants, il n’y a à l’heure actuelle que
quelques tirailleurs qui parlent le français et cependant il
y a une école française qui existe
depuis 20 ans. Il a fait interroger
des arabes dans la campagne, il leur est indifférent d’aller à
l’école; ils s’en défient même.
Donc, le
mouvement indiqué par M. Zaouch, est un mouvement factice. Il rend
hommage à M. Zaouch, en qui il reconnaît un sentiment tout autre que chez
l’indigène tunisien sur ce point, il ne veut pas sonder son intention,
mais il pense que s’il existait une classe d’hommes comme M. Zaouch,
la fusion pourrait, ainsi que le disait M. Omessa, se faire plus vite.
Il veut le
rapprochement entre les français et les indigènes, mais dans toutes ses propositions,
M. Zaouch ne tient pas compte de ce que la Tunisie n’est entrée dans la voie
de la civilisation que depuis 20 ans environ.
M. Zaouch met en avant les principes républicains, il n'en a pas le droit
s'il est sujet fidèle du Bey. La révolution de 1789 qu’il invoque est le
résultat d’un long état de souffrances et de travail; pour arriver à ce point, il faudra
beaucoup de temps à la Tunisie. On ne peut pas
considérer la population indigène actuelle, d’une manière générale, comme étant
égale intellectuellement, à la population française.
Il a déposé
un ordre du jour au nom de ses collègues agricoles pour la réforme
des écoles franco-arabes. Ce que lui et ses collègues désirent, c’est
l’instruction séparée estimant qu’elle ne doit pas être donnée en même temps
aux français et aux indigènes pour des raisons d’ordre technique et d’ordre
moral.
L’indigène
qui arrive à l’école ne sait rien, rien au moins de ce que les
français savent quand ils y viennent ; le professeur ne peut donc
donner le même enseignement aux deux éléments sans causer un
préjudice à tous. Il n’est pas possible qu’il y ait dans une même
école des élèves qui sortent des douars et des élèves des fermes françaises Les
classes différentes sont absolument nécessaires.
A d'autres
points de vue, il est certain que les indigènes et nous, n’avons pas les mêmes
conceptions de l’existence; les arabes ne cachent rien à leurs enfants de ce
qu’il est d’usage de cacher aux nôtre, si bien que dès le plus jeune
âge, les petits indigènes savent des choses que nos enfants ignorent encore à
15 ou 16 ans.
Un père de
famille français éprouvera toujours une profonde répugnance à mettre
son fils dans une école avec les indigènes. Nous trouvons chez ces derniers une
telle indifférence au point de vue des mœurs que nous ne pouvons
manquer d’en être émus.
Le journal
Le Tunisien racontait il y a quelques jours qu’il ne comprenait pas pourquoi
après 25 ans d’occupation, on laissait le spectacle de « Karacouz »
ouvert à tous et il ajoutait qu’il y avait des centaines et des centaines
d’enfants qui allaient voir ce spectacle.
En 1884,
il est allé voir Karacouz (comme tout le monde) et il a trouvé des femmes et
des enfants qui avaient l’air de s’amuser beaucoup à ce spectacle.
Karacouz[2]
n’était pas ce que l’on représente aujourd’hui, c’était un homme politique.
Il demande aux membres de la Conférence de
s’opposer à ce que les centaines et les centaines de petits indigènes viennent
raconter aux petits français le spectacle de Karacouz.
Désireux de
ne pas froisser ses collègues indigènes, en généralisant, il indiquera
seulement en passant le manque absolu de moralité qui existe dans certains
milieux musulmans. Sans doute il y a des exceptions mais ce n’est pas
sur des exceptions qu’on doit baser un système scolaire.
Il a
été profondément ému lorsqu’il a, à diverses reprises, reçu les
confidences désespérées de familles françaises qui
avaient eu la douleur et l’humiliation de voir leurs enfants
pervertis par leurs camarades indigènes !
Il
n’y a pas un seul colon, ajoute-t-il, qui ne désire
la séparation absolue entre les français et les indigènes dans nos
écoles.
L’école
franco-arabe est une école de démoralisation. On ne peut évidemment faire
partout 2 écoles, cela coûterait trop cher ; mais il semble
que l'on puisse avoir partout deux classes dans une école. Un maître français,
maître de l’école, faisant la classe aux européens, pourrait avoir
sous ses ordres un élève sorti de l’école normale indigène qui ferait
la classe aux indigènes.
Il faudrait
en profiter pour former un corps enseignant qui soit en état de donner aux
indigènes l’enseignement du Coran, avec son interprétation libérale. Ce livre
n’est pas, comme on pourrait le croire, un livre seulement religieux ; c’est
aussi un manuel de morale, un code des lois musulmanes et des
coutumes. Il renferme les plus belles idées de droit et de justice et de hautes
leçons de tolérance et d’humanité, qu’il s’agit de mettre en lumière.
Si l’on
arrivait à interpréter dans ce sens le Coran, on aurait
rendu un immense service à tout le
monde. Ce serait le premier pas vers la fusion rêvée.
Sans arriver
de suite à une fusion de races, que la situation particulière de la femme arabe
empêche, on peut tendre auparavant à une fusion d’idées.
Ainsi donc, on peut
donner un enseignement moral, on peut changer petit à petit les mœurs
des indigènes, on peut leur dire que la première chose est d’avoir l’esprit
large. On peut obtenir ce résultat en mettant dans toutes les écoles un
professeur sorti de l’école normale indigène, qui sera placé *sous la
surveillance d’un professeur français. (Applaudissements.)
M.
de Carnières formule ainsi son amendement: «La
Conférence Consultative demande la réforme complète des écoles
franco-arabes de façon à ce que français et indigènes y
reçoivent une instruction suffisante.» M. Omessa
dit qu’il votera l’amendement de M. de Carnières. Mais il estime qu’il
conviendrait de préciser par un texte les indications qui se
sont dégagées de ce débat. La Conférence semble
unanime à reconnaître que c’est l’enseignement manuel et
professionnel que l’on doit appliquer aux indigènes. Aussi propose
t-il l’addition suivante à l’amendement déposé : « La Conférence émet le
vœu : « Que
l’enseignement aux indigènes ait surtout pour base l’enseignement manuel
et professionnel, qu’au point de vue de la connaissance
des langues arabe et française il soit surtout pratique et qu’il
soit assuré par un personnel spécial, composé de français et d’indigènes, et
spécialement préparé à cet effet. » L’amendement de M. de Carnières,
avec adjonction de la motion de M. Omessa, est mis aux voix et adopté. |
Présentation
et commentaires par Akrout Mongi ,
Inspecteur général de l'éducation retraité.
Tunis,
avril 2022.
Pour
accéder à la version arabe, cliquer ICI
[1]
Victor de Carnières, né le 26 février 1849 à
Maubeuge et décédé le 26 mars 1917 à M'Raïssa sur la presqu'île du cap Bon est
un agriculteur, journaliste, homme politique et porte-parole de la population
française en Tunisie pendant le protectorat français. Il est le fondateur du
journal. wilkipedia.
[2] Le karakouz (arabe
: كراكوز)
est un genre théâtral satirique d'ombres, directement inspiré du Karagöz turc (قاره گوز),
dont les débuts en Tunisie
remontent au xvie siècle . Ce type de spectacle joue fortement sur
les doubles significations, le calembour,
la satire et la caricature. Parmi les thématiques traitées figurent
la superstition populaire, la sexualité ou
encore les femmes. .certaines scènes ont un
caractère obscène ou
irrespectueuses vis-à-vis des ministres
ou du bey lui-même.
Le
spectacle a connu son apogée sous le protectorat français,
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