dimanche 17 avril 2022

Extrait des débats de la conférence consultative sur la question de l'enseignement des jeunes indigènes ( partie 3)

 


 

Hédi Bouhouch

Le blog pédagogique poursuit la présentation    d'extraits de discours contradictoires qui ont eu lieu lors de la discussion du budget de l'année 2007 et dont le sujet était quel enseignement pour les tunisiens? 

Nous reproduisons cette semaine l'intervention d'un autre représentant des colons français , il s'agit de M° Omessa  , qui s'est élevé contre les propositions de M° Zaouch , pensant  que "l'instruction pour tous les indigènes est irréalisable… au point de vue financier" , montrant, à l'appui de chiffres et de calcul du coût que cela nécessite.

Résumé de l'intervention de M. Omessa  qui critique la  motion présentée par  M. Zaouch. ( pour revenir à cette motion, cliquer ici)

On ne saurait d’ailleurs prendre au sérieux la motion car, de quelque côté qu’on l’envisage, elle est irréalisable. D’abord, au point de vue financier, M. Zaouch réclame l’instruction pour tous les indigènes, sans indiquer sur quelles ressources il pourrait être donné satisfaction à ce vœu. Dans les commentaires qui ont suivi sa motion, il a parlé de la nécessité de construire des écoles pour environ 125.000 enfants indigènes. Il se trompe dans son calcul, à moins qu’il n’ait voulu parler que des garçons. Si l’on fixe à 1.800 000 le chiffre de la population autochtone et qu’on lui applique la proportion de 18 % qui représente la quantité des enfants d’âge scolaire, on obtient 100.000 unités de plus. On aurait donc à instruire 225.000 enfants.

Si l’on prend pour base qu'une classe de 40 élèves revient à environ 15.000 fr. et que le traitement moyen d’un instituteur est de 2.200 francs, il en résulte, outre une dépense de 375 francs par enfant pour frais de premier établissement, une autre dépense de 55 francs par an. Pour répondre au vœu de MM. les délégués musulmans il faudrait donc imposer au pays un premier sacrifice de 83 millions et il faudrait, par surcroit, inscrire au budget ordinaire un crédit de 12 à 13 millions. 

Ce sont là des chiffres qui, si M. Zaouch avait voulu prendre la peine de les établir lui-même, lui auraient évité le dépôt de sa motion.

Il  est certain que la moyenne de 3 % qui représente la population scolaire indigène de nos écoles est bien faible. M. Zaouch s’indigne qu’elle ne soit pas plus forte après 25 ans de protectorat. Il serait curieux de savoir ce qu’elle pouvait être antérieurement au Protectorat.

En tous cas, en Algérie elle n’est encore que de 4% après 77 ans d’occupation. Il n’y a donc pas lieu de crier à l’abandon et d’invoquer la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. C’est là de la pure déclamation. Les français de 89 étaient d'autres hommes que les Tunisiens de 1907. Les lois doivent répondre à des besoins réels et s’appliquer à des individus propres à les suivre. Avant de songer à donner aux indigènes l’instruction qu’on donne aux français, il faut tendre à transformer la mentalité actuelle des indigènes de manière à la rapprocher de la mentalité française. Sinon on fera une œuvre vaine et néfaste. Or, que convient-il de faire pour tenter de transformer la mentalité des indigènes ? Il faut créer pour eux, progressivement, des écoles manuelles et professionnelles, dirigées par des maîtres français encadrés d’adjoints indigènes.

M. Zaouch prétend que l’école type est l'école franco-arabe. Ce n’est pas, en tout cas, l’opinion qui a prévalu en Algérie. Chez nos voisins, en effet, on s’est prononcé pour un enseignement spécial en faveur des indigènes. On nous parle souvent de l’Egypte, des Indes. Pourquoi ne pas regarder plus près, en Algérie.

Moraliser l’enfant, l'habituer à manier quelques outils d’un usage  courant,  lui inculquer des notions utiles sur les industries ou les cultures de la région qu’il habite, lui apprendre l’ordre, l’économie, voilà, à gros traits, la tâche par laquelle il nous serait permis plus tard de rapprocher sincèrement les protégés des protecteurs, au point, peut-être, d’effacer un jour chez les uns et chez les autres tout malentendu et toute distinction. Mais n’allons pas trop vite, ne suivons pas les indications de M. Zaouch si nous tenons à faire quelque chose de sincère et de durable.

M, Zaouch fait observer à M. Omessa qu’il ne propose rien de précis et se borne à de vagues formules. A-t-il un programme ?

M. Omessa répond qu’il en a un et que c’est pour ménager le temps de la Conférence qu’il ne l’a pas exposé. La clôture de la session va être prononcée ce soir et l’on a encore, après le budget de l’Enseignement en discussion, à examiner celui de l'Administration Générale. C’est pour cela qu’il s’était résumé. Il peut cependant démontrer qu’il a un programme et un programme pratique à proposer pour l’enseignement des indigènes. Il faudrait, à son avis, nommer une commission pour son établissement définitif.

Voici, toutefois, quelques-unes des idées qu’il pourrait admettre. Mais d’abord, il estime que la dépense de 83 millions qu’il indiquait tout à l’heure pourrait être réduite, et de beaucoup. Si l’on construit à meilleur compte, à raison de 4.000 francs par exemple, pour une classe de 60 élèves au lieu de 40, le sacrifice sera moins lourd. Ce chiffre de 60 paraît élevé à M. Zaouch. Après 1870, 83 ans après la Révolution qu’il évoquait il n’y a qu’un instant, les classes de Paris comptaient jusqu’à 200 élèves ; en 1907, à Tunis, elle sont nombreuses celles où sont tassés plus de 80 français. On pourrait ainsi se contenter d’un maître inspecteur français pour 8 ou 10 classes dirigées par des maîtres indigènes.

En Algérie, ceux-ci sont payés de 600 à 800 francs par an. En économisant de tous côtés et en procédant par étapes, il serait facile, dans quelques années, d’aboutir à des résultats sérieux.

Il va de soi qu’en même temps qu’on construit les écoles et qu’on organise l’enseignement à pratiquer dans chacune d’elles, il faut former le personnel chargé de le donner. Ce personnel doit être spécial. Des cours spéciaux doivent lui être faits. Notions de culture, de jardinage, de métiers divers, il doit en posséder assez pour guider les premières manifestations de vie des enfants. Ceux-ci fréquenteront l'école jusqu’à onze ou douze ans au plus. On leur enseignera les rudiments des langues arabe et française. Ils sauront parler, assez pour se faire comprendre ; ils pourront même griffonner quelques mots ; mais s’ils ne savent pas écrire comme M. Zaouch, le mal ne sera pas grand.

On n’en fera pas des ouvriers, et c’est seulement un enseignement manuel élémentaire qui leur serait donné dans ces écoles du premier degré. Chacun d’eux, ensuite, se répandrait dans son milieu propre, mieux armé pour la lutte et le cerveau plus façonné. Quant à ceux aptes à faire de bons ouvriers, des écoles d’apprentissage leurs seraient ouvertes,

Il ne doute pas que, dans le nombre des enfants indigènes, il s’en trouvera de particulièrement dignes d’être poussés vers les études secondaires et mêmes supérieures. Ceux-là seront les bienvenus dans nos écoles.

Tout cela, il le reconnaît, est bien concis; mais c’est seulement dans une commission qu’un pareil débat peut utilement se poursuivre. Il a l'espoir que, si ces bases étaient adoptées pour le relèvement de la race autochtone dans un temps plus ou moins éloigné, le rêve de quelques idéologues épris d’égalité outrancière entre tous les hommes pourrait cesser d’être une chimère»

Présentation et commentaires  par Akrout Mongi , Inspecteur général de l'éducation retraité.

Tunis, avril 2022.

Pour accéder à la version arabe, cliquer ICI

 

 

 

 

 

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