Hédi Bouhouch |
Le blog pédagogique poursuit la présentation d'extraits de discours contradictoires qui ont eu lieu lors de la discussion du budget de l'année 2007 et dont le sujet était quel enseignement pour les tunisiens?
Nous reproduisons cette semaine l'intervention d'un autre représentant des colons français , il s'agit de M° Omessa , qui s'est élevé contre les propositions de M° Zaouch , pensant que "l'instruction pour tous les indigènes est irréalisable… au point de vue financier" , montrant, à l'appui de chiffres et de calcul du coût que cela nécessite.
Résumé de l'intervention de M. Omessa qui critique la motion présentée par M. Zaouch. ( pour revenir à cette motion, cliquer ici)
On ne
saurait d’ailleurs prendre au sérieux la motion car, de
quelque côté qu’on l’envisage, elle est irréalisable.
D’abord, au point de vue financier, M. Zaouch réclame
l’instruction pour tous les indigènes, sans indiquer sur quelles ressources il
pourrait être donné satisfaction à ce vœu. Dans les commentaires qui
ont suivi sa motion, il a parlé de la nécessité
de construire des écoles pour environ 125.000 enfants indigènes. Il
se trompe dans son calcul, à moins qu’il n’ait voulu parler que des
garçons. Si l’on fixe à 1.800 000 le chiffre de la
population autochtone et qu’on lui applique la proportion de
18 % qui représente la quantité des enfants d’âge scolaire, on
obtient 100.000 unités de plus. On aurait donc à instruire 225.000 enfants.
Si l’on prend pour base qu'une classe de 40 élèves
revient à environ 15.000 fr. et que le traitement moyen d’un instituteur est de 2.200 francs, il en résulte, outre une dépense de 375 francs par enfant pour frais de
premier établissement, une autre dépense de 55 francs par an. Pour répondre au
vœu de MM. les délégués musulmans il faudrait donc imposer au pays un premier sacrifice
de 83 millions et il faudrait, par surcroit, inscrire au budget
ordinaire un crédit de 12 à 13 millions.
Ce sont
là des chiffres qui, si M. Zaouch avait voulu prendre la peine de les établir
lui-même, lui auraient évité le dépôt de sa motion.
Il est certain que la moyenne de
3 % qui représente la population scolaire indigène de nos écoles est
bien faible. M. Zaouch s’indigne qu’elle ne soit pas plus forte après
25 ans de protectorat. Il serait curieux de savoir ce qu’elle pouvait être
antérieurement au Protectorat.
En tous
cas, en Algérie elle n’est encore que de 4%
après 77 ans d’occupation. Il n’y a donc pas lieu de crier
à l’abandon et d’invoquer la Déclaration des Droits de l'Homme et du
Citoyen. C’est là de la pure déclamation. Les français de 89 étaient d'autres
hommes que les Tunisiens de 1907. Les lois doivent répondre à des
besoins réels et s’appliquer à des individus propres à les suivre. Avant de
songer à donner
aux indigènes l’instruction qu’on donne aux français, il faut
tendre à transformer la mentalité actuelle des indigènes de manière à la rapprocher de la mentalité française. Sinon
on fera une œuvre vaine et néfaste. Or, que convient-il de faire pour tenter de
transformer la mentalité des indigènes ? Il faut créer pour eux,
progressivement, des écoles manuelles et professionnelles, dirigées par des
maîtres français encadrés d’adjoints indigènes.
M. Zaouch prétend que l’école type est l'école franco-arabe. Ce n’est
pas, en tout cas, l’opinion qui a prévalu en Algérie. Chez nos voisins, en effet, on s’est prononcé pour un enseignement spécial en faveur des indigènes. On nous
parle souvent de l’Egypte, des Indes. Pourquoi ne pas regarder
plus près, en Algérie.
Moraliser
l’enfant, l'habituer à manier quelques outils d’un
usage courant, lui inculquer des notions utiles
sur les industries ou les cultures de la région qu’il habite, lui apprendre l’ordre, l’économie,
voilà, à gros traits, la tâche par laquelle il nous serait permis
plus tard de rapprocher sincèrement les protégés des
protecteurs, au point, peut-être, d’effacer un jour chez les uns et chez les
autres tout malentendu et toute distinction. Mais
n’allons pas trop vite, ne suivons pas les
indications de M. Zaouch si nous tenons à faire quelque chose de sincère et de
durable.
M, Zaouch fait observer à M.
Omessa qu’il ne propose rien de précis et se borne à de vagues formules. A-t-il un programme ?
M. Omessa répond qu’il en a un et que c’est pour ménager le temps de la Conférence qu’il ne l’a pas exposé. La clôture de la
session va être prononcée ce soir et l’on a encore, après le budget de
l’Enseignement en discussion, à examiner celui de l'Administration Générale.
C’est pour cela qu’il s’était résumé. Il peut cependant démontrer qu’il a un programme et
un programme pratique à proposer pour l’enseignement des indigènes. Il
faudrait, à son avis, nommer une commission pour son
établissement définitif.
Voici, toutefois, quelques-unes des idées qu’il pourrait admettre. Mais
d’abord, il estime que la dépense de 83
millions qu’il indiquait tout à l’heure pourrait être réduite,
et de beaucoup. Si l’on construit à meilleur compte, à raison de 4.000 francs par exemple, pour une classe de 60 élèves
au lieu de 40, le sacrifice sera moins lourd. Ce chiffre de 60 paraît élevé à
M. Zaouch. Après 1870, 83 ans après la Révolution qu’il évoquait il n’y
a qu’un instant, les classes de Paris comptaient jusqu’à 200 élèves ; en 1907, à Tunis, elle sont nombreuses celles où sont tassés plus de 80
français. On pourrait ainsi se contenter d’un maître inspecteur français
pour 8 ou 10 classes dirigées par des maîtres indigènes.
En Algérie,
ceux-ci sont payés de 600 à 800 francs par
an. En économisant de tous côtés et en procédant par étapes, il serait facile,
dans quelques années, d’aboutir à des résultats sérieux.
Il va de soi qu’en même temps qu’on construit les écoles et qu’on organise l’enseignement à pratiquer dans chacune d’elles, il faut former le personnel chargé de le donner. Ce personnel doit être spécial. Des cours spéciaux doivent lui être faits. Notions de culture, de jardinage, de métiers divers, il doit en posséder assez pour guider les premières manifestations de vie des enfants. Ceux-ci fréquenteront l'école jusqu’à onze ou douze ans au plus. On leur enseignera les rudiments des langues arabe et française. Ils sauront parler, assez pour se faire comprendre ; ils pourront même griffonner quelques mots ; mais s’ils ne savent pas écrire comme M. Zaouch, le mal ne sera pas grand.
On n’en
fera pas des ouvriers, et c’est seulement un enseignement manuel élémentaire
qui leur serait donné dans ces écoles du premier degré. Chacun d’eux,
ensuite, se répandrait dans son milieu propre, mieux armé
pour la lutte et le cerveau
plus façonné. Quant à ceux aptes à faire
de bons ouvriers, des écoles d’apprentissage leurs seraient ouvertes,
Il ne doute
pas que, dans le nombre des enfants indigènes, il s’en trouvera de particulièrement
dignes d’être poussés vers les études secondaires et
mêmes supérieures. Ceux-là seront les bienvenus dans nos écoles.
Tout
cela, il le reconnaît, est bien concis; mais c’est seulement
dans une commission qu’un pareil débat peut utilement se poursuivre.
Il a l'espoir que, si ces bases étaient adoptées pour le relèvement
de la race autochtone dans un temps plus ou moins éloigné, le rêve de
quelques idéologues épris d’égalité outrancière entre tous les hommes pourrait cesser d’être une chimère»
Présentation
et commentaires par Akrout Mongi ,
Inspecteur général de l'éducation retraité.
Tunis,
avril 2022.
Pour accéder à la version arabe, cliquer ICI
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