dimanche 26 février 2023

Brève histoire des Kouttebs : la plus vieille institution d'enseignement en Tunisie - partie1-

 

Hédi Bouhouch

Le blog pédagogique consacre une série d'articles dédiés  à la plus vieille institution d'enseignement qui remonte au moyen âge, il s'agit du Kouttab qui était l'unique lieu où les jeunes tunisiens musulmans apprenaient le Coran et les rudiments de la langue arabe. Cette vieille institution a bien résisté au temps malgré l'apparition de nouvelles institutions modernes surtout avec le protectorat français.


Le Koutteb : la plus ancienne institution d'enseignement en Tunisie

A l'origine, cette appellation "Koutteb" est la plus courante. Mohamed Taher Ben Achour écrivait dans son ouvrage "Alayça Assobhou bi Karib" : « les musulmans avaient appelé la maison où on enseignait le Coran Al Maktab ou Al Koutteb … alors que l'appellation de Medrassa  est apparue avec les  Hafsides qui avaient  installé des Medrassa pour les sciences et avaient désigné à sa tête  un  "Alem " (un savant ) pour assurer l'enseignement".

En plus de ces deux appellations ( Koutteb - Medrassa), on trouve dans les écrits et  dans les usages d'autres appellations  comme celle d'école coranique " Al Mektab Al Koraani". Taher Ben Achour écrivait dans le même ouvrage en parlant de l'enseignement traditionnel : "l'enseignement est constitué de trois cycles  … son commencement se fait à l'école coranique (Al Mektab Al Koraani)… cet enseignement a continué à exister à l'état décrit par Ibn Khaldoun du temps des Hafsides. Ces établissements ont continué à assurer l'enseignement primaire et à préparer les étudiants pour poursuivre leurs études à la Mosquée Az-Zaitouna et ses annexes."

Mais l'appellation qui est restée aujourd'hui, c'est Al Koutteb qui est l'appellation officielle adoptée par le Ministère des affaires religieuses.

Les Kouttebs sont les plus anciens lieux d'enseignement en Tunisie

Les Kouttebs peuvent être considérés comme les plus anciennes institutions d'enseignement en Tunisie[1] malgré l'apparition des écoles modernes avec l'arrivée des communautés européennes au milieu du XIXe siècle ( les écoles congréganistes, italiennes , maltaises), puis les écoles publiques fondées par le protectorat français (les écoles françaises et les écoles franco-arabes) et puis les Kouttebs modernes  appelés aussi  les Kouttebs réformés ou encore les écoles coraniques modernes; le Koutteb traditionnel a survécu en continuant à accueillir les enfants des classes populaires surtout dans les campagnes où l'école publique n'est pas arrivée, mais aussi dans les villages et les villes.

 

AL Koutteb à l'époque moderne précoloniale

Le fonctionnement des Kouttebs

 

L'enseignement élémentaire se donnait dans les Kouttebs qui accueillaient les enfants âgés de cinq à quinze ans. C'était une sorte d'école privée à une seule classe de 12 à 20 garçons. L'enseignement y était assuré par un Moueddeb. Khairallah Ben Mustapha[2] en a fait une description dans des termes peu élogieux : " local exigu et insalubre et absence d'hygiène et des méthodes d'enseignement archaïques, les enfants apprennent l'alphabet arabe et le coran par cœur. L'enseignement donné au kouttab ne met à contribution que la mémoire. Pendant tout son séjour à l'école coranique, l'enfant ne fait qu'accumuler dans sa mémoire les versets du livre sacré, sans en comprendre le sens".

Le Moueddeb était payé directement par les parents. " Sa rétribution varie, suivant la situation de fortune de ceux-ci, de soixante centimes à trois francs par mois. Dans certaines localités, il reçoit du blé, de l'orge, de l'huile, mais fort peu d'argent."[3]

Tentatives de réformer les kouttebs avant le protectorat.

Au milieu du XIXème siècle, avec le courant réformiste qu'avait connu la Tunisie qui s'est traduit par la fondation de l'école militaire et puis du collège Sadiki, plusieurs tentatives de réformes  de l'enseignement à la Mosquée Az-Zaitouna ont été initiées. C'est dans ce cadre que le gouvernement du Bey a commencé à s'intéresser aux Kouttebs au moment où le besoin se faisait de plus en plus pressant pour assurer une meilleure préparation aux futurs étudiants de la grande Mosquée et ses annexes. Et, pour préparer la réforme des Kouttebs, le gouvernement avait  lancé en 1875 une enquête  pour connaitre l'état des lieux en demandant aux différents Caïds ( l'équivalent des gouverneurs actuels) de lui faire un rapport sur l'état de l'enseignement de leur région. Ces rapports ont montré que seuls 14000 enfants fréquentaient les Kouttebs, avec une moyenne de 20 élèves par Koutteb et que certaines régions en manquaient comme les régions du nord et de l'ouest. Les rapports ont montré aussi que la plupart des Moueddebs qui exerçaient dans ces Kouttebs n'avaient pas les qualifications nécessaires pour assurer l'enseignement des enfants.

 

Suite à ce diagnostic, le gouvernement a décidé qu'à partir de janvier 1876 les candidats à la fonction de Moueddeb devraient présenter une attestation délivrée par le syndicat des Moueddebs ou par les parents. Ce fut là les seules mesures décidées pour améliorer l'enseignement dans le Kouttebs.

La réforme ne s'était pas poursuivie en raison peut être des événements qui sont survenus à cette époque qui avaient précédé l'occupation française. 

Il semble que les choses n'ont guère évolué. Un témoignage d'un étranger le confirme. Voici ce qu’écrivait Pierre Foncin[4] (1882), l'inspecteur général de l'éducation, à propos des Kouttebs: « Sous la direction d’un vieillard impassible armé d’une longue baguette, des enfants accroupis presque tout le jour dans une chambre basse crient à tue-tête dans un vacarme assourdissant, chacun ayant sur les genoux une planchette sur laquelle sont inscrits des versets du Coran. Ils s’époumonent à les répéter sans en comprendre un mot, jusqu’à ce qu’ils les sachent imperturbablement par cœur. Ce genre d’étude n’appartient à aucune classification connue. Il n’offre aucun danger politique, mais il est aussi contraire à l’hygiène qu’abêtissant…»[5].

 

Fin de la première partie- A suivre.

Mongi Akrout & Abdessalam Bouzid, Inspecteurs généraux de l'éducation.

Tunis, février 2023.

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[1][1] Abû-l- Hasan ‘Ali ibn Muhamed ibn Halaf al Ma’afiri al-Qâbisi al-Faqîh al-qayrawâni naquit en 324 H / 935   A J-C probablement à Kairouan, et passa sa vie dans cette métropole et y exerça la fonction de mufti ; il fut le chef de l’école malikite d’occident musulman et nous a laissé un ouvrage très intéressant sur les Kouttabs appelé : " Epitre détaillée sur les situations des élèves, leurs règles de conduite et celles des maîtres » traduit  par Ahmed Khaled.

http://bouhouchakrout.blogspot.com/2016/11/la-retribution-qui-revient-de-droit-au.html blog pédagogique - 7 novembre 2016

[2] Khairallah Ben Mustapha:l'enseignement primaire des indigènes en Tunisie, rapport présenté au congrès de l'Afrique du nord tenu à Paris, du 6 au 10 octobre 1908." Souvent le kouttab, surtout dans les villages, est installé dans un local situé au rez-de-chaussée, mal éclairé et mal aéré. Aussi, l'humidité suinte-t-elle aux murs, et une demi-obscurité y règne-t-elle toujours. Quelquefois, il se trouve au premier étage, dans une salle élevée sur un magasin ou un passage voûté et à la laquelle on accède par des escaliers étroits et rapides. De forme généralement carrée et peu spacieuse, cette salle, au plafond bas, reçoit l'air par l'entrée et la lumière par une fenêtre vitrée qui, malheureusement, reste presque toujours close. Point de cour de récréation "

[3] Khairallah Ben Mustapha .opt cité

[4] Pierre  Foncin, Professeur des lycées (1863-1873). - Agrégé d'histoire et de géographie (1863). - Professeur à la Faculté des lettres de Bordeaux

[5] Cité par Manzano, F. Le français en Tunisie, enracinement, forces et fragilités systémiques : rappels historiques, sociolinguistiques, et brefs éléments de prospective.  

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