dimanche 19 février 2023

Les effets pervers de la réforme éducative de 2002 en Tunisie : Le cas des apprentissages optionnels et de l’option « réalisation de projet »[1] - 4eme partie.

 


 

Dr. Chikh Zaouali

Le blog pédagogique poursuit cette semaine la publication de l' étude réalisée par Dr. Mustapha Chikh Zaouali qui traite de l'importante problématique en rapport avec le devenir des innovations pédagogiques en partant de deux exemples d'innovations introduites en Tunisie avec la réforme de 2002, à savoir les apprentissages optionnels et la réalisation de projet.

Dr. Chikh Zaouali,  commence par nous présenter les deux innovations et leur importance respective dans la formation de l’apprenant et puis il nous décrit minutieusement leurs dérives ou ce qu'il appelle  les " effets pervers " et nous explique le pourquoi de l'échec en insistant sur trois facteurs principaux : le style unilatéral du ministère,  le faible engagement des enseignants et l'opposition de leur syndicat.


Dans ce quatrième et dernier extrait le chercheur nous présente la deuxième innovation   la "réalisation de projet"   et les conditions de sa mise en application , puis il décrit quelques   effets pervers apparus  au cours de  son application sur le terrain ( statistiques à l'appui), l'auteur synthétise ces dérives dans un tableau où il nous montre les écarts entre les attentes du Ministère de l'éducation, en introduisant cette innovation et les résultats sur le terrain. (tableau 7)

 

Le blog pédagogique tient à remercier Dr. Chikh Zaouali pour sa confiance en nous autorisant à publier cette étude très intéressante.

 

 

 

2. Les résultats de la recherche à propos de l’option : « la réalisation de projet »

Nous avons constaté, lors de nos recherches sur le terrain, certains indicateurs qui laissent croire que le ministère de l'éducation a cherché à exploiter les leçons de l'expérience des apprentissages optionnels, c'est ainsi qu’il a opté pour une diffusion restreinte de l’option réalisation de projet. En effet nous avons remarqué que le nombre d'élèves et d'enseignants impliqués dans le nouveau projet innovant était réduit. Le tableau N°4  sur « les groupes et les élèves dans les matières optionnelles au cours de l'année scolaire 2006-2007 » montre le faible nombre d'élèves inscrits dans l'option " réalisation de projet: mille quarante-deux (1042) élèves, soit moins  un pour cent (0,84 %) du nombre total des élèves de troisième année secondaire concernés par les  matières à option :

Tableau N°4 : Groupes et élèves et les matières à option au cours l'année scolaire 2006-2007(3ème année secondaire)

Les options

Nombre de groupes

Total élèves

%

Allemand

1527

29826

23,92

Italien

1603

34 741

27,86

Espagnol

890

18693

15

Russe

47

743

0,60

Chinois

69

976

0,78

Education artistique

1265

26226

21,03

Éducation musicale

229

3417

2,74

Réalisation de Projet

69

1042

0,84

Mathématiques

240

3809

3,05

SVT

318

5210

4,18

Total

6257

124683

100

(Source : Statistiques scolaires. Année scolaire 2006/2007. Bureau des études, de la planification et de la programmation. Ministère de l’éducation)

Parmi les autres aspects des leçons tirées de l'expérience des apprentissages optionnels le choix de l'appellation « réalisation de projet », qui est une appellation précise, claire et qui ne prête pas à des  interprétations, en comparaison avec l'appellation  « apprentissages optionnels», qui a suscité une controverse parmi les enseignants et  qui a été comprise comme une activité optionnelle  pour les élèves, alors que c'était une matière obligatoire. De plus, certains enseignants l'ont rejetée sous prétexte qu'elle obéit au principe du « volontariat et que l'administration n'avait pas le droit d'obliger un enseignant à s'en charger », comme l'indique le deuxième paragraphe du communiqué syndical sur les apprentissages optionnels du 9 septembre 2005.

Nous ajoutons, que contrairement aux débuts  de l'innovation ''  des apprentissages optionnels" la réalisation de projet a bénéficié d'un contexte favorable  lors de son lancement, puisque le syndicat ne s'était pas opposé à l'innovation. D'ailleurs pour éviter une confrontation  avec le syndicat de l'enseignement secondaire et éviter la reproduction de ce qui s'est passé lors de l'expérimentation des" apprentissages optionnels", le ministère a choisi la prudence  et la discrétion pour faire passer l'innovation:pas de campagne d'information  auprès des élèves  ou des enseignants avant la rentrée 2006-2007,le ministère  n'a pas non plus mandaté le corps des inspecteurs ou un autre corps pour encadrer les enseignants au sujet  de la réalisation de projet.

Afin d'assurer les conditions de réussite de cette nouvelle innovation, le ministère avait accordé un intérêt particulier  à la formation, 2000 enseignants environ ont bénéficié d'une unité de formation sur le thème de la réalisation d'un projet qui a duré trois jours dans les écoles d'été régionales. Cela s'est fait début juillet 2008. Cependant, cette formation n'a pas été reconduite les deux années suivantes, 2009 et 2010, et le sujet de la réalisation de projet était absent des sessions de formation nationales et régionales.

Malgré les indicateurs positifs précités et malgré toutes les mesures pouvant indiquer l'existence de bonnes intentions, nous avons constaté, en parallèle, l'existence de lacunes et de contradictions avec la réalité éducative, qui ont représenté des obstacles majeurs devant le   succès des innovations liées à la réalisation de projet, au contraire,  nous avons enregistré de nombreux effets pervers tant au niveau des  comportements des enseignants qu'au niveau des comportements des élèves et de leurs représentations.

En comparant le nombre d'élèves qui ont choisi l'option “ réalisation de projet  troisième année secondaire en 2008 qui était 1042 élèves, avec celui de leurs camarades inscrits  en 4ème année l'année suivante , soit 1263 élèves, on conclut qu'il y a une augmentation de 221 élèves, soit le nombre de ceux qui n'ont pas suivi l'option  en 3èmeet ne l'ont entamée  qu'en 4eme année. Cela signifie que les administrations de certains lycées n'avaient pas respecté l'une des dispositions stipulées dans les documents officiels réglementant les matières à option, et ont permis à plus de 221 élèves de changer de matière à option au cours de la quatrième année, ce qui est considéré comme faisant partie des conditions peu propices à la réussite de cette innovation pédagogique.

Nous avons, aussi,  remarqué que la région de Sfax se distinguait par le pourcentage élevé d'élèves qui ont "choisi" la réalisation de projet en tant que matière à option (537 candidats sur un total de 1263 inscrits à l'examen du baccalauréat 2008). Nous avons cherché à connaitre les spécificités et les facteurs qui expliquent cela. Nous nous sommes déplacés à Sfax le 18 février 2008 et nous avons découvert que la question n’était pas liée   à des spécificités sociologiques et culturelles qui méritent d'être étudiées, mais à des mesures pratiques prises par l'administration pour remédier à la faible affluence des élèves  dans le reste des matières facultatives, en particulier les troisièmes langues étrangères, et  pour compléter les heures manquantes dans les emplois du temps  des enseignants.

Le tableau N°5 établit la liste des lycées où on trouvait l'option "réalisation de projet » dans la région de Sfax :

Tableau n° 5 : Répartition des élèves du baccalauréat qui ont choisi la réalisation de projet comme option dans les lycées de la région de Sfax en 2008.

N/o

Le lycée

Nombre d'élèves

%

1

18 janvier Jbeniana

155

28,86

2

Al Hzag

34

46,3

3

7novembre Bir Ali ben Khalifa

48

38,9

4

Al Ahd al jadid Skhira

199

37.06

5

Al-Ghariba

50

19,3

6

Lycée privé Ibn Khaldoun à Jbeniana

14

2.6

7

Lycée privé Arrissala  à Jbeniana

2

0.38

8

Lycée privé Ali ben Khalifa

26

4.85

9

Lycée privé Al moustakbel Skhira

9

1.67

 

Total

537

100

(Source : Délégation  Régionale de l'Education à Sfax, Sous-direction de l'Evaluation et des Examens)

Le tableau N°5 montre que le démarrage de l'option "réalisation de projet" a eu lieu dans des lycées  appartenant majoritairement à un milieu rural, villageois  ou semi-urbains dépourvus de nombreuses infrastructures de base. On remarque, selon le même tableau, qu'il n'y a pas de lycées de la ville de Sfax. La plupart des lycées mentionnés dans le tableau ci-dessus peuvent être classés en termes de résultats et de conditions générales comme "inférieurs à la moyenne nationale". Ils peuvent être considérés plutôt, selon les normes adoptées dans la classification des écoles primaires et préparatoires du ministère de l'éducation, parmi les « établissements d'enseignement prioritaire » (PEP). Leurs résultats à l'examen du baccalauréat sont également dans l'ensemble inférieurs à la moyenne nationale. Certains d'entre eux sont des lycées privés fréquentés généralement par des élèves exclus des établissements publics.

L'effet pervers le plus important,  révélé par la recherche à partir des statistiques officielles des ministères de l'Éducation et de l'enseignement supérieur et à travers les observations de terrain et les entretiens que nous avons menés, est peut- être le « phénomène de gonflement des notes»  de l'épreuve de la réalisation de projet, que ce soit en cours d'année scolaire ou à l'examen du baccalauréat, malgré les absences fréquentes des élèves lors des séances de la réalisation d'un projet et bien que  la plupart d'entre eux n’aient pas réalisé de véritables projets qui valent les notes obtenues au baccalauréat. Notre recherche est arrivée à montrer que cet phénomène était présent dans toutes les sections, il n'est pas aussi spécifique à une session puisqu'on le retrouve à la session 2008 comme à la session 2009. Il n'est pas non plus affecté par la variable de réussite ou d'échec à l'examen du baccalauréat, car tous les élèves quel que soit leur résultat obtiennent des notes excellentes dans cette option, qu'ils aient réussi ou non au baccalauréat.

L'une des enseignantes en charge de cette option  nous a révélé qu'elle subissait  la pression de l'administration pour améliorer les notes qu'elle avait attribuées  à ses élèves à la fin du premier trimestre de l'année scolaire 2008/2009, en rapportant  ceci  : "Le proviseur m'a confié  la responsabilité de l'option de réalisation de projet... et comme  je n'avais pas reçu de formation préalable, j'ai eu du mal à encadrer  un groupe de 16 élèves de troisième année, et le premier trimestre s'est achevé sans que les élèves se mettent d'accord   sur un projet  et  sans la constitution  des équipes. Or j'étais tenue de donner à chaque élève une note qui entrera dans le calcul de la moyenne trimestrielle, alors j'ai décidé de mettre des notes entre 10 et 12 sur 20 selon une évaluation personnelle  du  sérieux des élèves et leur assiduité et j'estimais que j'étais très indulgente , à ma grande surprise, le directeur du lycée m'a reproché ces notes et s'est dit étonné par leur  faiblesse, en ajoutant , il aurait été mieux que ces élèves soient restés avec l'option  de la langue italienne  ".

Les graphiques ci-dessous montrent l'importance des notes entre 16 et 20 obtenues par les candidats et les bacheliers dans l'épreuve de réalisation de projet en comparaison avec les notes obtenues dans les autres options. (Bac 2008 et bac 2009)

Graphique 1 : les écarts des taux des notes  entre 16 et 20 dans les matières à options  pour tous les candidats au bac 2008 et bac 2009.

Source : Direction générale des examens du ministère de l'Éducation.

Graphique 2 : les écarts des taux des notes  entre 16 et 20 dans les matières à options  pour  les candidats admis  au bac 2008 et bac 2009.



Source : Direction de l'Information et de l'Orientation Universitaire du ministère de l’Enseignement Supérieur.

Sur la base des taux affichés dans les graphiques ci-dessus, on peut dire que "la réalisation de projet" est devenue l'option qui permet d'obtenir de bonnes notes, en plus c'est l'option  la "plus facile" selon la perception les élèves. L'un d'entre eux nous a déclaré lors d'une des campagnes d’information que nous  organisons  dans les lycées : « La meilleure matière à option est la réalisation de projet... L'élève  ne fait rien pendant toute l'année et obtient 18 sur 20 à l'examen final." Ceux qui réussissent au baccalauréat répètent cette phrase chaque année qui arrive aux oreilles d'une partie des élèves de 2ème année secondaire, ce qui ne manque pas d’affecter leur rapport  aux matières à option.

Dans le même ordre d'idées, nous avons constaté sur le terrain, à chaque rentrée scolaire, de plus en plus de demandes de changement d'options, et généralement c'est l'abandon d'une langue étrangère au profit du projet. Ces demandes proviennent aussi bien d'élèves de troisième que de quatrième année. En principe et selon les dispositions qui régissent les options, ces demandes devraient être rejetées, mais dans la pratique, nous avons constaté plusieurs manifestations de non-respect de ces dispositions par les administrations des établissements.

Parmi les conséquences de l'inflation remarquable des notes attribuées aux projets figurent l'augmentation constante de la proportion des élèves qui choisissent  cette option à la fin de la 2ème année secondaire, ainsi cette proportion  est passée de 0,84 % durant la première année d'expérimentation à 2,63 % l'année suivante, puis à 3,45 % en 2008/2009, pour atteindre 5,27 % en 2009/ 2010. Néanmoins, la proportion  reste très faible en comparaison  avec la proportion d'élèves qui optent pour  d'autres  options telles que la langue italienne, la langue allemande, la langue espagnole ou l'éducation artistique. Il est à noter que le nombre d'établissements où l'option "réalisation de projet existe a atteint 123 lycées sur un total de 470 dans tout le pays (soit 24,95%), selon les statistiques officielles pour l'année scolaire 2008/2009.

Nous ajoutons également que le document pédagogique relatif à la réalisation d'un projet ne précise pas le nombre d'élèves par groupe ni le nombre d'élèves par projet, comme c'était le cas pour le document pédagogique relatif aux  apprentissages optionnels. Peut-être que  l'intention était  de rechercher la flexibilité et la diversité et laisser plus de liberté aux enseignants et à l'administration des établissements pour prendre des initiatives. Cependant, les données recueillies sur le terrain ont révélé des effets pervers dont se sont plaints les enseignants. Nous avons constaté lors de notre suivi sur le terrain que la distinction n'est pas claire pour les enseignants entre le groupe et les équipes par projet , nous avons également remarqué qu'il y a un écart dans le nombre d'équipes dans chaque groupe, et une différence quant au nombre de participants  dans le même  projet , enfin nous avons relevé que le nombre de projets encadrés par enseignant est très variable , tout cela atteste d’une grande différence dans l'effort requis par l'enseignant pour assurer un bon encadrement. Cette disparité était une source de grogne et de « sentiments de discrimination et d'injustice» qui nous sont parvenus de la bouche d'enseignants qui avaient en charge des groupes surchargés, surtout  lorsqu'ils voient  leurs collègues qui travaillent avec  un petit nombre d'élèves. Ceci a eu lieu lors des entretiens focus réalisés dans le cadre de la présente étude (nous avons réalisé deux entretiens dans la région de Mahdia et un entretien dans la région de Zaghouan). Le tableau suivant atteste de la réalité de l'écart précité dans la région de Sfax.

Tableau N°6 : Répartition du nombre d'élèves par projet dans les lycées de la région de Sfax (baccalauréat 2008)

Nombre d'élèves par projet

Fréquence

%

Un seul élève

21

20,8

Deux élèves

16

15,84

3 élèves

13

12,87

4 élèves

20

19,8

5 élèves

9

8.91

6 élèves

4

3.96

7 élèves et plus

18

17.82

Total des projets

101

100

Source : Délégation Régionale de l'Education à Sfax, Sous-direction de l'Evaluation et des Examens.

Le tableau N°6 ci-dessus montre que le nombre d’élèves par projet varie beaucoup, entre un seul élève par projet (plus de 20%  des projets  dans toute la région)   et  plus de sept élèves par projet  (cela a concerné  18 projets) et nous avons même  trouvé dans certains cas 20 élèves  pour le  même projet.

Il faut mentionner ici que permettre de réaliser des projets par un seul ou deux élèves  (21 et 16 cas respectifs enregistrés à Sfax ) constitue une entorse à l'un des principes de base sur lesquels repose l'option de la réalisation d'un projet, qui est l'initiation au travail de groupe. Cette entorse résulte  soit d'une méconnaissance de ce principe ou à un manquement à celui-ci, il s'agit d'un comportement contraire aux attentes du Ministère et qui constitue un obstacle majeur à la réussite de l'innovation.

Le tableau n°7 résume les manifestations les plus importantes de la contradiction entre les attentes du Ministère et la réalité de l'expérience de l’option " réalisation de projet ":

Tableau 7 : L’expérience de l’option réalisation de projet entre les attentes du ministère de l'éducation et les effets pervers.

Les attentes du ministère

Les effets pervers

 

Préparer l'élève aux activités de  la recherche scientifique qu'il va entreprendre au stade de l'enseignement supérieur."

 

Développer chez lui l'esprit d'initiative.

L'initier à la recherche de l'information.

Approfondir sa formation dans le domaine qu'il choisit lui-même.

 

 

Consacrer le principe du «traitement positif de  la diversité et l'hétérogénéité des élèves»

 

Utilisation par les enseignants de nouvelles méthodes d'animation et de démarches pédagogiques peu familières avec le schéma traditionnel dominant :

1. travail d'équipe,

2. l'ouverture sur l'environnement,

3. Intégration des TIC dans l'apprentissage,

4. Intensification de la coopération et de la complémentarité  entre les enseignants des différentes disciplines (concrétisant le principe d'interdisciplinarité).

..

 

 

- L'absence de suivi ou d'encadrement officiel et d'accompagnement des enseignants

- L'enseignant n'a pas une répartition annuelle des activités et l'absence  d'un carnet de suivi.

-Le dossier de suivi de l'élève n'est pas disponible

- L'absence d'initiatives individuelles de la part des élèves et des enseignants.

- Le non-respect de l'horaire réservé à l'option et la fréquence des absences des élèves et de l’enseignant. (l'innovation a participé au laisser aller dans les établissements).

- L'option est imposée par l'administration  du lycée et non respect du principe du libre choix de l'élève;

- L'utilisation de l'internet de façon négative (plagiat de travaux  d'autrui).

- L'absence de l'exploitation des spécificités de la région, des activités hors de la salle de classe, et de la coopération avec des personnes de l'extérieur du lycée (la non application du principe de l'ouverture sur le milieu).

- plus de cloisonnement disciplinaire devant le sentiment d'impuissance des enseignants de répondre aux exigences de la réalisation de projet(le non-respect de l’interdisciplinarité et la complémentarité des disciplines).

- dégradation du niveau général des élèves qui sont inscrits dans cette option , et l'obtention de bonnes notes  en l'absence de véritables projets , ce qui a eu des effets négatifs sur les autres options  aux yeux des élèves et sur les rapports au savoir en général : en comparaison avec le reste des options , la réalisation de projet vient en tête , puisque les élèves obtiennent des notes remarquables au baccalauréat   qu'ils ne méritent pas, nous avons trouvé que plus de 80% des admis et qui ont choisi la réalisation de projet comme option  avaient obtenu des notes supérieures à 16/20, dans les autres options, la proportions des très bonnes notes est faible , elle est inférieures à 1% en Math et en SVT, et inférieure à 7% en italien  et en allemand par exemple.

- selon les dires d'un élève qui résume la perception de ses camarades de l’option de réalisation de projet : «c'est la meilleure option, on ne fait rien au cours de l'année et on a 18 au bac».

- les enseignants chargés de cette option subissent une pression de la part de leurs collègues qui étaient hostiles aux innovations, ils vivent un état de malaise, d'inquiétude et d'incertitude en l'absence d'encadrement.

- L'expérience de l'option '' réalisation de projet" vécue par les enseignants a généré une réticence chez eux quant à s'engager dans n'importe quelle nouvelle innovation que le ministère proposerait à l'avenir.

 

Conclusion

L'expérience des apprentissages optionnels a démarré en octobre 2003, et après moins de trois ans, le ministère de l'Éducation a pris la décision d'y mettre fin en mars 2006. En soi, c'est une reconnaissance par le ministère lui-même qu'il s'était  empressé de prendre la décision  de son introduction. Quant à l'option " la réalisation d'un projet", malgré la tentative de l'autorité de tutelle de tirer les enseignements de l'échec de l'expérience des apprentissages optionnels, et en dépit d'une certaine concordance  entre les  attitudes des enseignants et les objectifs et les démarches attendus  de cette innovation pédagogique, nous avons pu constater de nombreux effets pervers nous sont apparus ce qui nous amène  à reconnaitre l'échec du ministère à instaurer cette innovation également.

Plusieurs facteurs ont contribué à marginaliser ces deux innovations et à empêcher la réalisation de leurs nobles objectifs et des approches pionnières. Ces facteurs sont liés aux caractéristiques mêmes de l'innovation, à la méthode du ministère pour l'introduire, à la position du syndicat, à l'environnement social, culturel et politique, aux conditions de travail des enseignants et à leurs réactions et à l'évolution de leurs attitudes à l'égard de l'innovation proposée.

Dans son évaluation de l'expérience des apprentissages optionnels  , l'un des participants à la recherche - l'auteur du récit de vie n° 9 –que je nomme Borhan, a résumé son opinion dans les termes suivants  : "brusquement, le ministère a parachuté une expérience pleine d'imagination et de flexibilité... sur une réalité qui avait été pendant de nombreuses années caractérisée par la prédominance de l'automatisme, de l'ordre et de la discipline littérale aux textes et aux lois..."(Cheikh Zaouali 2014)

En attendant une préparation minutieuse d'une réforme globale, le système éducatif actuel en Tunisie a besoin de mesures urgentes et de réformes partielles qui corrigeraient certains des aspects négatifs de la situation actuelle et les défauts qui caractérisent nombre de ses sous-composantes et ses outputs. Et c'est peut-être dans ce contexte, que la note de service n°167 a été émise le 8 janvier 2015 par la direction générale du deuxième cycle de l'enseignement de base  et secondaire, adressée aux délégués régionaux de l'éducation, les invitant à « organiser une journée d'évaluation de l'option réalisation de projet ,  avec la participation des inspecteurs pédagogiques, des directeurs des lycées , des enseignants, des conseillers en information et en orientation scolaire et universitaire, et des élèves, pour faire un  diagnostic de la réalité de cette option, et présenter des propositions et donner  un avis sur son éventuel  maintien ou sa suppression, à partir de l'année scolaire 2015/2016.[2]

Nous espérons que les données contenues dans cette étude puissent aider à se faire une opinion précise et approfondie sur la matière à option réalisation de projet  et aider  les élèves, les enseignants, le cadre d'encadrement administratif et pédagogique, et les  différents acteurs du Ministère de Éducation à prendre la décision appropriée sur le sort de cette option.

Enfin, nous ajoutons que selon les données actuelles de la réalité de cette option de projet, les effets pervers sont devenus aujourd'hui encore plus graves que lors du temps de notre recherche. Le nombre d'élèves qui choisissent la réalisation de projets s’est multiplié plusieurs fois, passant de 1263 (1,26%)lors de son démarrage Bac 2008, à 19056(13,25% du nombre total des candidats au bac 2014), tandis que le nombre d'élèves qui avaient opté pour la langue allemande a baissé, passant de 23 030 élèves au baccalauréat 2008 (soit 22,98 % du nombre total des candidats au bac) à 19 036 élèves au baccalauréat 2014, soit 13,24 %, c'est dire presqu'autant que ceux qui avaient choisi  la réalisation d'un projet.

Et tandis que les candidats  qui avaient obtenu une note supérieure à 10/20 en allemand à l'examen du baccalauréat 2014 étaient 6 724 élèves (35,32 %), ils étaient de 18 043 élèves (94,68 %) pour ceux qui avaient choisi la  réalisation de projet,  sachant que la langue allemande est généralement choisie par les meilleurs élèves en termes de résultats scolaires. On s'attend donc, après quelques années, à ce que l'option " réalisation d'un projet" devienne la  première matière à option, si la tendance actuelle se poursuit. Cette tendance  sera au détriment des troisièmes langues étrangères... La raison, comme le disent la plupart des élèves, "ne faites rien et vous obtenez les meilleures notes.". Selon ce qui se dit  dans le milieu  scolaire, des projets finisse vendent, s'achètent et passent d'un élève à un autre, et les mêmes projets se répètent chaque année. Des éléments étrangers qui n'ont aucun rapport avec  l'établissement scolaire interfèrent pour proposer leurs services et pour conclure des affaires...[3]

 

Fin de l'étude , pour revenir à la 1er partie, cliquer ICI et à la 2ème partie, cliquer ICI et à la 3ème partie, cliquer ICI.

 

Dr. Mustapha Chikh Zaouali, Conseiller général en information et en orientation scolaire et universitaire.

Traduction Mongi Akrout, inspecteur général de l'éducation

Pour accéder à la version arabe, cliquer Ici



[1]Cette étude a été publiée en langue arabe dans la revue «"Al Hayat Athaqafia" (la vie culturelle) n°264 – octobre 2015.Revue du ministère des affaires culturelles -Tunisie

 

[2]Le 30 avril 2015, le Ministère de l'Education a organisé une journée d’étude sur« l’option réalisation de projet » au Centre National de Formation des Formateurs en Education (CENAFFE). La journée a commencé par notre intervention s’intitulant « l’option Réalisation de projet : entre enjeux ambitieux et effets pervers ».

[3]En septembre 2015 le ministère de l’Éducation a pris sa décision d'annuler l’option réalisation de projet. Il semble que les résultats de notre recherche aient contribué dans une certaine mesure à prendre cette décision.

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