Le blog pédagogique poursuit cette semaine la publication des extraits des mémoires[1] de Mohamed Mzali dans lequel il évoque ses passages au ministère de l'éducation, dans cet extrait, tiré du chapitre IV, intitulé : Allers retours au Ministère de l'éducation nationale. Mzali a voulu comme il l'écrivait
rétablir sa vérité et se " faire
justice d'une accusation infondée que certains …, n'ont pas hésité à
reprendre ici et là", il commence par nier " la paternité de l'arabisation de l'enseignement de la
philosophie" ensuite il réfute
"la disparition de Voltaire" des programmes , enfin Mzali refute
l'accusation selon laquelle il "aurait défendu
l'enseignement zitounien "tout en affirmant que d'après
lui " en aucune façon l'enseignement zitounien ne pouvait être tenu pour
le terreau de ce qui allait devenir plus tard le phénomène intégriste". Telles étaient les vérités de
Mohamed Mzali, puisse l'histoire en être
juge. |
...»J'allais pendant quatre ans, de 1976 à 1980,
m'attaquer aux nombreux problèmes que j'ai trouvés en reprenant mes fonctions à
la tête de l'éducation nationale.
Qu'il
me soit permis de faire justice d'une accusation infondée que certains comme
Charfi, n'ont pas hésité à reprendre ici et là.
Je
n'ai jamais arabisé l'enseignement de la philosophie ni retirer du programme
tel ou tel auteur jugé «dangereux». L'arabisation de l'enseignement de la
philosophie fut l'œuvre de Driss Guiga,
comme en témoigne un des numéros du journal officiel de l'année 1975, une année
avant ma reprise en charge du ministère de l'Éducation nationale [2]
c'est pour réduire l'influence des philosophes rouges qu'il avait proposé
l'arabisation de l'enseignement de la philosophie. Au cours d'une réunion du bureau politique en
juin 1974, en pleine période d'examens, il n'avait pas hésité à lire, devant
nous quelques copies de dissertation de philosophie au ton révolutionnaire
particulièrement exalté pour emporter l'adhésion de Hédi Nouira à son projet d'arabiser
l'enseignement de la philosophie, afin de créer, dans son esprit un contre-feu
à l'influence dominante de la pensée marxiste et révolutionnaire parmi les
élèves et les étudiants.
Les
préjugés et les idées reçues ont la vie dure, un militant marxiste, rompu en
principe à la dialectique et à l'esprit critique, Gilbert Naccache affirme
simplement par ouï-dire dans un article intitulé "voyage dans le désert
tunisien"[3]
" (…) car un jour, on s'est aperçu
qu'il y avait incompatibilité entre la nature du régime et la culture, c'était
en 1976, le ministre de l'Éducation d'alors, Mzali, a considéré que la culture française était porteuse de
contestation et il a fait modifier en conséquence les programmes scolaires, il
a notamment arabisé la philosophie,
c'est-à-dire supprimer l'enseignement de la philosophie française en tant que
philosophie du questionnement,(…) Espérant
qu'il est de bonne foi, je souhaite qu'il eu l'occasion de lire ma mise au
point et qu'il se pose …des questions.
En
conclusion, il faut laisser la paternité de l'arabisation de l'enseignement de
la philosophie à son initiateur, Driss
Guiga et ne pas me l'attribuer, pour, pensent certains, aggraver mon cas.
Quand
à la disparition de Voltaire, c'est de la part de Charfi, une illusion d'optique, l'enseignement de
l'œuvre de Voltaire a toujours fait partie du programme de littérature
française en 6e année secondaire tout comme Montesquieu, Diderot et les
encyclopédies.
On
les a toujours enseignés dans ce cadre et on continue à le faire, je ne pense
pas un seul instant que l'universitaire de la stature d'Abelwaheb Bouhdiba ,
qui avait présidé alors la Commission des programmes, aurait pu collaborer à
une entreprise dérationalisation du contenu des programmes de philosophie, ni
qu'il aurait pu cautionner d'élimination de Descartes, de Spinoza, de Freud ou
même de Marx, je ne pense pas non plus,
que les nombreux professeurs français[4] qui avaient fait partie de
cette commission, auraient pu accepter un virage vers l'obscurantisme! En
réalité, il avait été décidé simplement d'ajouter l'étude de philosophes
musulmans, tel que Abu Hamed Al Ghazali[5], Avicenne[6], ou
Avéroes[7].
J'ajoute encore que les professeurs
tunisiens de philosophie mais aussi bien dans l'enseignement secondaire
que supérieur, avaient gardé leurs
postes et fait simplement l'effort de s'exprimer en arabe. Driss Guiga a dû
remercier plusieurs enseignants français de philosophie ou les reconvertir dans l'enseignement du
français.
J'ajoute encore que le professeur
Charfi, que j'apprécie en tant qu'homme et dont je respecte les convictions,
s'est laissé déborder par le ministre
Charfi, puisqu'il a déclaré à Jeune Afrique[8] que: " … parfois
dans le passé des mesures à caractère "démagogique" ! ou politicien
ont été prises notamment en réaction à la montée de la gauche et contre
laquelle on a cru bon d'infecter une dose d'arabisme et d'islamisme. Ce fut une
erreur, jointe à beaucoup d'autres, dont on mesure désormais les conséquences…"
.
Si
je suis visé, je souhaiterai qu'il soit persuadé que je n'ai agi, sous
l'autorité de Hédi Nouira, que par conviction et non par calcul politicien et
que cela m'a beaucoup coûté ne serait-ce que parce que j'ai été renvoyé deux
fois du ministère de l'Éducation.
Puisque
nous sommes dans le rétablissement de certaines vérités, faisant justice de
quelques autres contres vérités, je
voudrais réfuter une autre accusation que des contempteurs, peu soucieux du
respect de la vérité historique, n'ont pas hésité à m'adresser en la truffant en de sous-entendus infondés. J'aurais défendu l'enseignement zitounien
que ces mêmes critiques considéraient tout à fait à tort comme le ventre
qui a enfanté l'intégrisme.[9]
D'abord un rappel historique : l'université de
la Zitouna, vieille de plus de 13 siècles[10] a joué de la même manière
que sa sœur aînée du Maroc l'université Quarawyne (fondée par une princesse de
kairouan)… le rôle de véritable conservatoire de l'identité culturelle
tunisienne.
D'éminents juristes, penseurs et écrivains
Tunisiens y ont été formés. Ainsi le cheikh Ali Ibn Zyad ( son tombeau se
trouve à la Casbah), qui a introduit dans notre pays le livre El Mouatta de l'imam Malek qui enseignait à Médine, et qui a poussé le Cadi Assad Ibn
Fourat, le Conquérant de la Sicile,
aller apprendre le malikisme[11] à Médine…
…Ainsi
Ibn Khaldoun, le père des sciences
sociales, Salem Bouhajeb, Taher et Fadhel Ben Achour[12], Tahar Haddad, ou le poète
Abou Kacem Chebbi… furent les produits de cet enseignement. D'un autre côté, il
est prouvé statistiquement que les étudiants intégristes se sont multipliés au
sein des facultés scientifiques et sur les bancs des universités européennes et
non au sein de la Zitouna, ni même
majoritairement au sein des facultés littéraires de l'université tunisienne.
Dans la
Zitouna, l'enseignement, certes traditionalistes, était marqué par quiétisme et
une tempérance propre à la pratique majoritaire de l'islam populaire tout à
fait modéré. En outre l'enseignement
littéraire pousse à la réflexion critique et aux questionnements interrogatifs.
Il engendre des contre-feux naturels à
l'endoctrinement simplificateur.
Tel ne paraît pas être le cas de
l'enseignement scientifique qui semble pousser à l'affirmation catégorique ou
tout au moins à la simplification opératoire, là réside, peut-être,
l'explication de ce paradoxe étonnant mais indiscutablement prouvé par les
statistiques objectifs et neutres: la masse des étudiants intégristes se
recrutent en majorité au sein des facultés scientifiques et techniques.
En
tout état de cause, au moment où j'exerçais
des responsabilités à la tête du ministère de l'éducation nationale, la
question de l'intégrisme n'était pas à l'ordre du jour. En aucune façon
d'enseignement zitounien ne pouvait être tenu pour le terreau de ce qui allait
devenir plus tard le phénomène intégriste. Au contraire, ma ferme conviction
demeure que l'enseignement traditionnel et non manipulé, d'une religion prônant
la tolérance pouvait constituer un barrage devant ceux qui voulaient utiliser
la religion pour des objectifs
politiques de conquête du pouvoir par la violence…»
Mohamed Mzali, ancien premier ministre
Extrait de son livre " Un premier ministre de Bourguiba témoignage"
-Sud Edition – Tunis. avril 2010. P.p 201-204
Pour accéder à la version arabe, cliquer ICI
[1] Mohamed
Mzali: Un premier ministre de Bourguiba témoignage -Sud Edition – Tunis. avril
2010
[2]
C'est à Driss Guiga qu'on doit l'orientation universitaire à partir de
1975, je regrette que le temps m'ait
manqué pour amender ou perfectionner
cette «innovation».
[3]
Paru dans une revue intitulée : les incorruptibles en 2003
[4] Je me rappelle avoir lu des
rapports rédigés par des enseignants français qui se plaignaient de la
faiblesse de leurs élèves en langue française! … je précise encore une fois que
ces élèves de classes de philosophie en 1975 , ''tellement médiocre en français
"étaient des élèves de première année secondaire en 1967 ou 1969 ,
c'est-à-dire qu'il étaient le produit de la décennie Messadi
[5] Théologien de l'Islam
(1058-1111)
[6] Médecin et philosophe d'origine
iranienne (980-1037) dont les ouvrages
furent des références jusqu'en Europe.
[7] Philosophe arabe
(1126-1198).
[8] N° 1530 du 30 avril 1990.
[9]
Un décret beylical paru le 1er novembre 1842 porte
institution de l'université de la grande
mosquée . Le 4 novembre 1884 parut un décret disposant que les examens des
élèves de la grande mosquée seront passés à Dar El Bey de Tunis.
[10] Au
moment de mettre sous presse ce manuscrit, je viens de lire dans le
syndrome autoritaire ( presse de Sciences Po, avril 2004), dont l'auteur,
Michel Camau et vincent Geisser sont des chercheurs reconnus comme spécialistes
du Maghreb : " … la thèse d'une hégémonie islamiste fabriquée par le pouvoir
afin de casser l'influence de la gauche universitaire … le mythe du complot
mzaliste contre la gauche laïcisante – nous semble non seulement caricatural
mais aussi aveugle…" et ils ajoutent : " thèse rarement étayée d'éléments historiques probants (
archives, preuves, témoignages…). Pour le cas de la Tunisie, ce type d'analyse
grossière sera tenu jusqu'au début des années quatre-vingt-dix…"
[11]
L'un des quatre
rites de la Sounna – dont les fidèles sont dits " sunnites" institué
par Malek Ibn Anas, né et mort à Medine ( 715/795)
[12] Fadhel ben Achour a été mon professeur de
philosophie musulmane en 7 ème année au collège Sadiki . Nous sommes
devenus amis. J'eu le triste privilège de prononcer son oraison funèbre en
avril 1970 au cimetière du Jellaz en présence de son père Cheikh Tahar et Béhi
Ladgham, premier ministre.
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