dimanche 24 mars 2024

Pour des passerelles efficaces entre l’éducation, la formation professionnelle et le marché du travail.

 

M.Brahim Toumi

Le Blog pédagogique a le plaisir de mettre  à la disposition de ses fidèles lectrices et lecteurs le texte d'une communication  fort intéressante présentée par M° Brahim Toumi, ancien directeur général du Centre national de formation de formateurs et d’ingénierie de formation (CENAFFIF) et de l’Agence tunisienne de la formation professionnelle (ATFP) et consultant international en formation professionnelle et emploi, lors  d'une rencontre organisée par l'association tunisienne pour la qualité de l'éducation ( ATUQUE) dans le cadre de ses activités  et ce la samedi 24 février 2024 au sein de l'école supérieure École Supérieure des communications de Tunis(SUP’COM).


Le blog a tenu à publier cette communication parce qu'elle traite d'une question qui n'a cessé d'être une source de débats et de controverses passionnées depuis des décennies, il s'agit du rapport  entre l'éducation et la formation professionnelle dans notre pays, M° Toumi nous a fait un bref historique de ce rapport chaotique entre les deux composantes de formation de notre jeunesse ( avec leurs succès et leurs déboires) , pour appeler à la fin  à " améliorer les performances de l'ensemble du système éducatif et de formation en créant et en activant un système d'information et d'orientation scolaire et professionnelle qui valorise tous les parcours et reconnaît les acquis scolaires et professionnels quel que soit leur lieu de leur acquisition."

Le blog tient à remercier M. Brahim pour nous avoir permis de publier cette belle et riche communication.

Pour des passerelles efficaces entre l’éducation, la formation professionnelle et le marché du travail.

 

Les Modèles de passage entre l'éducation, la formation professionnelle et le travail

Le modèle de passage linéaire entre l’éducation, la formation et le travail :

Ce modèle est présenté comme une chaine de trois étapes successives :

1.    l'enseignement de base ;

2.    l'enseignement secondaire et/ou formation professionnelle

3.    l'enseignement secondaire, suivi de l'enseignement supérieur.

Le modèle du Continuum éducation – formation – travail:

Ce modèle suppose l'existence de différents types de transitions entre les trois champs (éducation – formation – travail), quelque soit l'ordre dans lequel les individus y passent.

Les caractéristiques du modèle linéaire sont:

-      la simplicité, car chaque période a ses propres caractéristiques et se poursuit sans interruption

-      la nécessité d'avoir un système éducatif unifié avec des passerelles efficaces entre les différentes voies.

-      le contrôle du rendement de l’ensemble du système y est plus facile à assurer:

ü par un système de régulation des flux entre les différents parcours.

ü par une prise en compte des besoins en compétences du marché du travail en lien avec les entreprises de production et des aspirations des individus et de la société.

-      la nécessité d’avoir un consensus sur les questions fondamentales relatives au système éducatif entre les différents partenaires qui transcende les différences politiques et partisanes.

Les caractéristiques du modèle du Continuum éducation-formation-travail

-      Il n'y a pas un ordre définitif pour les périodes d'éducation, de formation et d'emploi, car cemodèle se caractérise par une transition en douceur d'une étape à l'autre et dans les deux sens.Selon Aude Mellet et Michel Carton[1], « l'éducation formelle et informelle, l'enseignement de base professionnel, et la formation obtenue dans les établissements d'enseignement ainsi que sur les lieux de travail, sont complémentaires et interconnectées, quelque soit l'ordre dans lequel ils sont acquis. Les savoirs et les compétences acquises à travers les différents parcours peuvent être reconnus sous certaines conditions ».

-      Cela la nécessite la mise en place de dispositifs de gouvernance spécifiques pour répondre aux divers intérêts des participants à l'éducation, à la formation et à l'apprentissage tout au long de la vie. Ces dispositions doivent refléter un compromis entre le droit à l'éducation/à la formation et leur droit et leurs besoins de gagner leur vie par le travail.

-      Cela suppose l’existence d'un système de reconnaissance des compétences acquises au cours du « parcours personnel des individus.

Ce schéma montre les possibilités de transition entre les différents champs : éducation – formation – travail dans les deux sens.

 


 

Tentative de diagnostiquer le système tunisien

Le modèle tunisien est-il de type linéaire ?

Le système tunisien est passé par différentes étapes, le régime actuel ayant pris sa forme générale depuis le début des années 1990 avec la promulgation :

-      de la Loi n°91-65 du 29 juillet relative au système éducatif,

-      et de la loi d'orientation de la formation professionnelle, loi n°93-10 du 17 février 1993.

Ainsi est né un système de formation professionnelle ayant sa propre identité, « en rupture quasi totale » avec le système éducatif:

         Entre les années 2003 et 2009, il y a eu une tentative pour intégrer ou rattacher la formation professionnelle à l'éducation :

         la formation professionnelle est rattachée à l'éducation pour former un seul ministère : le ministère de l'Éducation et de la Formation

         Plusieurs mesures ont été prises à travers des amendements de la loi de l'éducation et la promulgation d’une nouvelle loi relative à laformation professionnelle en 2008 pour introduire des éléments de complémentarité entre les deux systèmes

         Création des collèges techniques et d’un baccalauréat professionnel

Cependant, ces mesures n'ont pas été pleinement couronnées de succès (certainesdispositions des deux lois n’ont même pas été mises en œuvre, comme le bac professionnel et les passerelles avec l’enseignement supérieur) et n'ont pas permis l'intégration totale de la formation professionnelle dans le système éducatif, ce qui a créé deux systèmes qui ont du mal à parvenir à l'harmonie et à une intégration complète.

Le résultat est:

-      Une diminution de l'efficience et de l'efficacité du système dans son ensemble en raison du manque de cohérence dans les parcours suivis

-      Une perte de temps et de ressources financières pour la société, les familles et les individus. Souvent, la personne qui suit une formation professionnelle est quelqu'un qui a passé trop de temps à l'école (redoublement + l'atteinte d'un niveau supérieur au niveau requis pour entrer dans une formation professionnelle), par exemple : Pour préparer un brevetde technicien professionnel (BTP), la règlementation prévoit qu’il faut avoir le niveau de deuxième année du secondaire, mais en réalité on y trouve souvent des élèves de  niveau de la quatrième année du secondaire qui ont cumulé parfois plusieurs échecsàl'examen du baccalauréat.

-      Des pratiques dans le système de formation professionnelle qui exigent parfois le niveau du baccalauréat pour telle de formation, même si les programmes de formation ont été conçus sur la base des acquis de la deuxième année du secondaire.

En résumé : Ce système ne peut pas être considéré comme un modèle linéaire.

Le système tunisien est-il un modèle de type Continuum ?

Compte tenu de l'absence d'une intégration complète de l'éducation et de la formation professionnelle, le système tunisien aurait pu être proche du modèle de continuum entre éducation - formation - travail. Certaines caractéristiques confirment cette approche théorique et d'autres la réfutent.

         Les arguments pour:

-      La possibilité de rejoindre la formation professionnelle en situation d'interruption des études ;

-      La possibilité de faire plus d'une seule formation ;

-      L'existence de formations courtes ciblant des métiers ou des compétences requises par le marché du travail ;

-      L'existencede liens assez développés avec les milieux professionnels à plusieurs niveaux : études techniques, ingénierie de formation, ingénierie pédagogique et la formation avec les entreprises de production ;

-      L'existence d'un système de formation continue pour les travailleurs des entreprises économiques et pour les individus en quête de promotion par la formation.

En revanche :

-      L'absence d’un système d’information et d’orientation professionnelle efficace : informations fragmentées et incomplètes où les individus jouent un rôle central ;

-      Le recrutement dans les sessions de formation professionnelle manque parfois manque de transparence: Système de concurrence - Sous-utilisation des capacités du système -taux d'abandon relativement élevés ;

-      L'absence de mécanisme de retour à la formation en cours d'emploi (système de congé pour la formation ou programmes de mise à niveau).

En résumé, le système tunisien de formation professionnelle a :

-      Le potentiel (lesmoyens) de s'intégrer dans le système éducatif, mais les possibilités sont sous-exploitées.

-      Un lien avec le marché du travail qui ne doit pas être compromis.

Quel modèle pour des passerelles efficaces entre l'éducation et la formation ? 

-      Les domaines à améliorer :

ü Améliorer les performances de l'ensemble du système éducatif et de formation en créant et en activant un système d'information et d'orientation scolaire et professionnelle qui valorise tous les parcours et reconnaît les acquis scolaires et professionnels quel que soit leur lieu de leur acquisition.

ü Œuvrer à l'intégration ou au renforcement de l'intégration de la formation professionnelle dans le système éducatif en faisant mieux connaitre les parcours d'éducation, de formation et d'enseignement supérieur et en ouvrant des passerelles entre eux.

ü Renforcer le partenariat avec le secteur de la production.

ü Veiller à l'adoption de la culture de l'évaluation périodique et objective des programmes et plans de réforme afin de consolider les acquis et corriger faiblesses.

ü Développer la formation professionnelle continue, qui cible les jeunes déscolarisés et les personnes désireuses de se reconvertir, cette formation continue doit inclure le système actuel de formation continue etdoit être ouverte à tous les niveaux d'enseignement, y compris les jeunes déscolarisés précoces. 

ü Contribuer à la lutte contre le décrochage scolaire par une intervention précoce d'une part, et un traitement ultérieur en donnant aux décrocheurs la possibilité de se réinscrire dans l'enseignement et la formation professionnelle continue.

 

Brahim Toumi, ancien directeur général du Centre national de formation de formateurs et d’ingénierie de formation .

Traduit par Mongi Akrout, inspecteur général de l'éducation

Tunis, février 2024

 

Pour accéder à la version Arabe,Cliquer ICI



[1](Michel Carton et Aude Mellet - Le Continuum éducation-formation-travail décent - Perspectives transformationnelles en faveur de l’inclusion – septembre 2021

 

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