dimanche 20 octobre 2024

La malédiction des souvenirs

 


Magtouf Dhahri

Le blog pédagogique, fidèle à sa tradition, inaugure cette nouvelle  saison par un témoignage émouvant en hommage à une école et à ses instituteurs, ce témoignage est de la plume de mon collègue, M°Magtouf Dhahri, qu’il avait publié sur sa page personnelle le 6 juin 2024 où il évoque ses souvenirs d’écolier au début des années soixante dans une petite école rurale de Gafsa – l’école Bahloula.

M°Magtouf Dhahri  avait décidé de visiter   son école un jour alors qu’il revenait d’une inspection qu’il venait d’effectuer dans la ville de Sned, par ce témoignage – outre l’hommage qu’il a voulu rendre à son école et à ses maitres, M°Magtouf  a tenu à attirer l’attention sur les conditions déplorables des écoles rurales qui souffrent de négligence et de la baisse du niveau de leurs élèves.

Le blog pédagogique – octobre 2024

 

Un jour, je suis passé par hasard devant une école où j'ai fait mes études primaires. Il s’agit d’une école rurale dont le bâtisse blanche représentait, il y a plusieurs décennies de cela,  l’espoir des habitants de la région à l’époque où ils n’avaient aucun espoir. C’est devant cette bâtisse que les gens se réunissaient et où le médecin, la garde nationale et le facteur viennent à eux.

 La nostalgie m'a conduit à l'intérieur de ses murs pour voir ce que mon école  était devenue aujourd’hui. Je me cherchais en elle ; je cherchais cet enfant dont les traits avaient disparu de ma mémoire. Le silence était accablant. En m'approchant des salles de cours, je me suis  demandé où étaient passés leurs pensionnaires ? Les voix des jeunes à l’école ne s’arrêtent généralement pas, comme le cœur battant.

 

Ce silence complet m'a permis de me souvenir de Sidi Mohamed Abdel Maqsoud, qui nous venait de Sfax après chaque vacance, chargé  des dons de la civilisation. Je me suis souvenu aussi de Sidi Ibrahim Al-Hadfi, qui venait chez nous avec son dialecte du jarid et beaucoup de dattes. Je me suis souvenu de Sidi Ismail Al-Meddeb, mon instituteur et notre directeur, et de son bâton brillant, qu'il lui suffisait de lever pour qu’on apprenne par cœur l'intégralité du livre de calcul.

J'ai regardé autour de moi, à la recherche des arbustes qui entouraient l'école, et  que Sidi Ismail en a fait un lieu de révision. Notre maitre nous divisait en petits groupes  et avait désigné à la tête de chaque groupe un chef d’équipe parmi les meilleurs d’entre nous. Nous nous rivalisons pour voir qui résoudrait les problèmes les plus complexes et gagnait ainsi  le sourire de Sidi Ismail comme récompense.

 

J'ai souri  à ses souvenirs parce qu’il devancé les voix qui  appelaient aujourd’hui à prendre en compte les différences individuelles dans l'apprentissage.

 Enfin, je me suis souvenu de Sidi Mohamed Issa, celui qui nous est venu de Kasr Hlal. Il venait de se marier fraichement, sa jeune épouse  sortait très peu et lorsqu'elle posait un seau devant la porte se sa maison, nous courons rapidement avec le sceau jusqu'au puits voisin pour lui apporter de l'eau.

 Tous étaient le maitre, le médecin et l'espoir.

Je me suis approché d'une salle qui semblait être nouvellement construite, sa porte était à moitié fermée. J'ai jeté un coup d’œil  et j'ai vu des élèves silencieux et sans voix, et chacun d'eux portait une ardoise à son front. J'ai poussé la porte pour trouver un groupe, joyeusement rassemblé, autour d'un grand récipient plein de couscous garni  de morceaux de viande. Il y avait des gens de l’école  mais aussi des gens de l’extérieur. Personne ne m'avait reconnu, mais ma tenue officielle a déstabilisé les présents, alors ils ont quitté la salle, à l'exception de l’institutrice. Certains ont quitté l’enceinte de l’école et les autres ont rejoint leur salle  de cours.

J’ai regardé le  grand plat de couscous et les élèves silencieux et j’ai quitté les lieux.

Tout au long de mon trajet de retour , je me demandais comment une simple planche était devenue un moyen d'obtenir le silence et comment elle satisfaisait la faim de l’âme.

 

Magtouf Al Dhaheri, inspecteur principal des collèges et des lycées

Publié le 06/07/2024 sur sa page personnelle

Texte traduction : Mongi Akrout, inspecteur général de l’éducation

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