dimanche 23 février 2025

Les pédagogies modernes et les contraintes de la réalité tunisienne

 




Cette semaine, le blog pédagogique propose à ses lectrices et à ses  lecteurs une étude réalisée par le chercheur M.C.Zaouli qu’il a déjà publiée dans la revue Al Hayet Atthakafiya  en novembre 2017 sur « les pédagogies modernes et les contraintes de la réalité tunisienne ».


 Dans cette étude le chercheur analyse  les défis considérables que rencontrent les pédagogies modernes dans notre pays  en raison des mentalités traditionnelles rigides prédominantes et du manque de ressources ainsi que d'infrastructures appropriées. Cependant, il cite quelques rares initiatives qui émergent de temps en temps pour promouvoir ces approches, mais pour le chercheur la généralisation des pédagogies modernes  nécessitent des réformes profondes , un soutien collectif et une formation des différents acteurs éducatifs pour garantir leur succès."

 

"Tout ce que vous faites pour moi sans moi, vous le faites contre moi" – Gandhi

En général, selon la littérature des sciences de l'éducation, la pédagogie désigne l'ensemble des méthodes, moyens et techniques d'enseignement et d'apprentissage visant à transmettre ou à aider l'apprenant à intérioriser les connaissances, compétences et expériences dans les meilleures conditions possibles, en utilisant les théories et principes de l'apprentissage ainsi que les résultats des recherches en éducation.

Les pédagogies modernes se réfèrent aux approches pédagogiques reconnues mondialement, issues des philosophies éducatives modernes et contemporaines et développées par des études et recherches théoriques et pratiques dans le domaine des sciences humaines en général et des sciences de l'éducation en particulier. Parmi les principales approches figurent : la pédagogie par objectifs, la pédagogie par compétences, la pédagogie de projet, la pédagogie différenciée, la pédagogie de l'erreur, la pédagogie par le jeu, et la pédagogie cognitive.

Cette étude ne s’intéresse pas aux détails des approches pédagogiques mentionnées ni sur les philosophies éducatives qui les ont engendrées. Il ne s'agit pas ici de fournir des informations facilement accessibles sur Internet en tapant simplement le titre de l'une d'entre elles dans un moteur de recherche comme Google. Nous nous limitons à rappeler que chaque approche pédagogique repose sur une philosophie spécifique défendant ses idées et ses principes fondamentaux en éducation, affirmant être la seule capable d'assurer la meilleure éducation possible pour l'homme dans la société. Ces approches diffèrent selon des points essentiels tels que leur vision de la vie, leur conception de l'éducation et ses finalités, la priorité donnée à l'individu ou à la société, leur focalisation sur l'enseignant,  ou sur l'apprenant ou sur  la connaissance, et les méthodes qu'elles considèrent comme étant les plus appropriées pour atteindre leurs objectifs éducatifs. Cependant, quelles que soient leurs divergences, elles partagent le fait d'être le reflet de leur cadre civilisationnel et de l'expérience historique des sociétés qui les ont vues naître.

L'objectif de cette étude est triple :

1.   Clarifier le cadre civilisationnel dans lequel les pédagogies modernes ont émergé et offrir une lecture globale reliant notre sujet à des questions plus larges concernant les sociétés qui n'ont pas produit ces pédagogies.

2.   Identifier les principaux obstacles à l'application des pédagogies modernes dans le contexte éducatif tunisien actuel.

3.   Mettre en lumière certaines pratiques de terrain visant à surmonter ces obstacles et à fonder une vision alternative à celles, souvent traditionnelles ou fatalistes, prévalant actuellement.[1]

Les pédagogies modernes ont vu le jour dans le contexte de la modernité et reflètent l'une des manifestations de la rationalisation qui a touché divers aspects de la vie sociale, notamment l'économie, l'administration, l'armée et l'éducation[2]. Cela s'est produit dans les sociétés d'Europe occidentale avant de se diffuser progressivement, de manière inégale, dans le reste du monde.

Les pédagogies modernes, avec leurs apports variés, sont le fruit des philosophies éducatives contemporaines telles que le positivisme, le pragmatisme, le constructivisme et le socioconstructivisme. Elles représentent des réponses diverses aux besoins des sociétés où elles ont vu le jour, tout en constituant des formes de confrontation avec les pédagogies traditionnelles encore influentes.

Le chercheur marocain Mustapha Idmouled souligne que les pédagogies modernes et les innovations éducatives à l'échelle mondiale peuvent être considérées comme des extensions culturelles des productions du centre industriel. En ce qui concerne les sciences de l'éducation, elles font partie des sciences humaines les plus exposées à l'intervention des organisations internationales (UNESCO, UNICEF, Banque mondiale, FMI, etc.). Ces organisations ne cessent de "proposer" aux pays "en développement" des innovations éducatives successives... (Idmouled, 2010).

Ainsi, la question fondamentale qui se pose et qui exige réflexion et recherche est la suivante : comment appliquer des pédagogies modernes, mondialement reconnues mais issues de longues évolutions historiques et sociologiques dans des sociétés qualifiées aujourd'hui de "postmodernes" et "postcapitalistes", dans d'autres sociétés à des conditions économiques, sociales et culturelles différentes ? En d'autres termes, comment mettre en œuvre des pédagogies modernes issues des sociétés les plus avancées dans le processus de modernisation dans des sociétés moins modernisées où coexistent des modes de production et des modes de vie issus d'époques diverses ?[3]

Pour comprendre les difficultés rencontrées par l'enseignant dans l'application des pédagogies modernes dans le contexte tunisien, et l'aider à les surmonter, il est utile de rappeler les différences structurelles qui distinguent nos sociétés de celles des pays occidentaux. Selon de nombreuses études sociologiques, les sociétés occidentales ont produit la modernité comme un système global et sont entrées dans la phase "postmodernité" comme résultat de leur dynamique interne et de leur histoire propre, tout en exploitant de manière croissante les autres sociétés. Ce sont des sociétés technologiquement avancées, culturellement marquées par la pensée rationnelle, politiquement démocratiques et qui utilisent les résultats des recherches scientifiques dans divers domaines, y compris les sciences de l'éducation. Cela leur permet de bénéficier des pédagogies modernes.

Quant à nos sociétés, dites "sociétés périphériques", comme la société tunisienne, elles sont technologiquement moins avancées, culturellement à mi-chemin entre tradition et modernité, économiquement dépendantes des pays  du centre industrialisé, et politiquement en quête d'une démocratie encore fragile. Scientifiquement, elles vivent une dépendance croissante et font face à de nombreuses difficultés qui entravent leur capacité à produire les connaissances nécessaires et à tirer parti des apports des sciences humaines et sociales ainsi que des pédagogies modernes et de leurs applications éducatives.

Les recherches éducatives sur les résultats de l'application des pédagogies modernes en Tunisie révèlent un fossé important et croissant entre les ambitions et les objectifs affichés dans les documents officiels, d'une part, et les résultats observés sur le terrain éducatif tunisien, d'autre part. D'après une étude précédente que nous avons menée sur les attitudes des enseignants envers les innovations pédagogiques en Tunisie, notamment dans le cadre de la réalisation de projet, nous avons constaté que la majorité des enseignants concernés par l'étude valorisaient l'importance de l'application des pédagogies modernes (Chikh Zaouli, 2015). Nous avons relevé ce qui pourrait être qualifié d'adoption "théorique" ou "verbale" de ces pédagogies, probablement motivée par le simple désir d'apparaître moderne et à la page, ou peut-être parce qu'elles reflètent des principes généraux et idéaux difficilement contestables.

Dans ce cas, cela ressemble à l'attitude d'une personne envers des valeurs universelles et absolues telles que la liberté, la justice ou la tolérance, des valeurs rarement remises en question mais dont la mise en pratique est sans cesse reportée. Beaucoup parlent de "changement global" et de réformes capables de résoudre les problèmes éducatifs et en souhaitent la réalisation, mais, en pratique, ils se conforment aux habitudes et traditions éducatives qui les éloignent de l'esprit critique et de la remise en question. 

Ils n'entreprennent que rarement des changements, même minimes, dans leurs pratiques. Ils revendiquent des slogans tels que "changer le système éducatif", "révolution globale" ou "changer le modèle de développement", mais restent en attente de conditions idéales pour s'engager réellement dans ces transformations.

De nombreux pays, tels que Singapour, la Corée du Sud et la Malaisie, qui, jusqu'au milieu des années 1970, étaient dans une situation socio-économique comparable à celle de la Tunisie et de la plupart des pays arabes, figurent aujourd'hui parmi les leaders mondiaux dans divers domaines, y compris l'éducation. Par exemple, la Corée du Sud, qui, dans les années 1950, recevait des aides humanitaires en raison des ravages de la guerre et du sous-développement, dépasse aujourd'hui des pays avancés comme la France dans plusieurs domaines. La société coréenne valorise ses héritages culturels traditionnels et adopte une approche fondée sur le principe "de l'imitation à l'innovation".[4]

Dans le contexte tunisien actuel, plusieurs obstacles empêchent la mise en œuvre des valeurs, concepts et méthodes des pédagogies modernes, creusant davantage l'écart entre les intentions déclarées et la réalité vécue. Cela a engendré une situation marquée par des contradictions à divers niveaux : théorique/pratique, discours/pratique, élite/public, officiel/social, etc.

Voici quelques exemples d'obstacles identifiés dans notre étude :

  • Absence d'enseignants hautement formés et compétents, capables de surmonter les difficultés d'application et d'adapter les approches pédagogiques modernes au contexte tunisien.
  • Insuffisance ou manque d'équipements, de moyens éducatifs et de laboratoires.
  • Charge horaire scolaire excessive au quotidien et hebdomadaire, contrastant avec un faible nombre de jours d'étude annuels.
  • Programmes scolaires surchargés.
  • Faibles compétences générales des élèves en langues et sciences.
  • Salles de classe surpeuplées, limitant l'interaction entre enseignants et élèves.
  • Multiplication des innovations pédagogiques, souvent suivies d'un abandon après leur échec.
  • "Imitation aveugle des expériences occidentales" sans adaptation au contexte tunisien.
  • Relations sociales fragmentées à divers niveaux : enseignant/profession, enseignant/élève, enseignant/parent, école/environnement.
  • Inégalités socio-économiques des élèves, entraînant des préférences pour les enfants de "classes favorisées".

À cela s'ajoute ce que nous avons relevé dans un rapport préparé par des experts étrangers pour le compte de la Banque mondiale, rapport cité par l'experte européenne Françoise Cros dans son ouvrage sur "L'enjeu du projet scolaire en Tunisie". Ce rapport identifie neuf difficultés structurelles caractéristiques du système éducatif tunisien : La domination d'une culture élitiste dans la gestion du système éducatif chez les enseignants et les parents. L'accent mis sur les connaissances plutôt que sur les compétences. Une prise en compte insuffisante, dans les pratiques pédagogiques, de la diversité des besoins et des styles d'apprentissage des élèves. Malgré l'évolution significative de l'intégration des nouvelles technologies de l'information et de la communication, les ordinateurs n'ont pas permis de développer une pédagogie axée sur des méthodes flexibles et sur l'application du principe de différenciation. Une orientation de l'évaluation davantage sommative, visant la sélection et l'orientation précoce, plutôt qu'une évaluation formative axée sur le diagnostic, le soutien et la remédeiation. L'insuffisance de l'enseignement préscolaire . La centralisation excessive de la gestion, qui ne facilite pas l'introduction d'innovations et de solutions adaptées au contexte local. Le manque de formation continue pour les formateurs et les directeurs d'établissements. Les problèmes d'équité et la persistance des disparités entre l'Est et l'Ouest du pays, entre les zones urbaines et rurales, et entre les élèves. (Cros, F., 2008) 


 



Il y a aussi le fait que nous ne pouvons pas séparer les techniques pédagogiques des valeurs qu’elles sous- tendent c’est pourquoi  une action pédagogique moderne ne peut réussir dans un contexte dominé par des tendances traditionnelles « négatives » encore largement présentes dans la société. Les aspects négatifs de l’éducation traditionnelle restent ancrés dans les esprits, et les valeurs traditionnelles « non fonctionnelles » continuent d’être des éléments centraux du système culturel, social et institutionnel éducatif.

Les conceptions traditionnelles du savoir, de l’enseignant et de l’apprenant sont encore fortement présentes dans  la culture générale de la société, notamment parmi une grande partie des enseignants et des parents. Le   savoir est perçue comme immuable, fermé, et extérieur. L’enseignant est vu comme le détenteur exclusif du savoir, infaillible et autoritaire. Quant à l’élève, il est considéré comme un être faible, immature et totalement dépendant des adultes. La pédagogie est souvent dominée par la logique de la récompense et la punition, instillant peur et avidité chez les élèves. Ces derniers interprètent alors la bienveillance ou l’approche horizontale de l’enseignant, telles que recommandées par les pédagogies modernes, comme une faiblesse ou un laxisme. Par conséquent, ils n’intègrent pas consciemment les valeurs morales attendues, ne les acceptent pas volontairement, mais les suivent par crainte ou soumission, jusqu’à ce qu’ils trouvent une opportunité de s’y rebeller.

De plus, les médias contribuent à diffuser des valeurs consuméristes qui favorisent la satisfaction immédiate des désirs, confondent liberté et anarchie, et encouragent la dépendance, l’attentisme, et la recherche de solutions faciles et de gains rapides…

Derrière les concepts, les techniques, les méthodes  et les approches proposées par les pédagogies modernes se trouve une logique sociale et un système cohérent d’idées et de valeurs, celui de la modernité. Malgré les divergences dans les méthodes et les moyens, les pédagogies modernes partagent une rupture commune avec les épistémologies anciennes et les pédagogies traditionnelles. Elles rejettent la pédagogie basée sur la récompense et la punition, l’habitus autoritaire, le paradigme de l’obéissance, la priorité accordée à l’enseignant sur l’apprenant, ainsi que les pratiques d’exhortation, de prêche, de mémorisation et de restitution, et toutes les autres pédagogies traditionnelles qui restent omniprésentes dans la société tunisienne et sont encore pratiquées par de nombreux enseignants à tous les niveaux d’enseignement , malgré les textes juridiques qui insistent sur des principes tels que « l’élève au centre du processus éducatif », « le respect des droits de l’enfant », et « l’intérêt supérieur de l’enfant », ainsi que sur des normes internationales de qualité dans le domaine de l’éducation…

Il semble que le système éducatif tunisien ait toujours été – et reste – plus préoccupé par le respect des normes internationales de qualité que par la réponse aux besoins de la société et aux capacités et aux besoins de ses citoyens. Les slogans pompeux se multiplient, et les discussions sur ce qui devrait être ou ce qui est souhaitable prolifèrent, tandis que peu d’attention est accordée à la lutte contre les obstacles réels et à la stimulation des volontés individuelles et collectives pour tirer parti des apports des pédagogies modernes.

Dans son analyse des raisons de l’échec des innovations pédagogiques introduites par la réforme éducative de 2002, Mustapha Ennaifer, ancien responsable ministériel impliqué dans les réformes de 1991 et 2002, s’interrogeait : « Avons-nous assuré une mobilisation et une compétence suffisantes des acteurs concernés par cette réforme, notamment en surmontant les lacunes en matière de communication autour de la réforme, de leur engagement et, surtout, en garantissant l’adhésion, la formation, la concertation, et le soutien nécessaire aux enseignants ? » (Ennaifer, 2010).

Les approches pédagogiques ont été réduites à un ensemble de techniques, transformant l’acteur éducatif en  un simple « technicien » qui exécute des directives sans réfléchir à leurs implications. Alternativement, cet acteur peut se rebeller contre les « nouvelles techniques ». Dans les deux cas, ces dynamiques renforcent les pratiques éducatives traditionnelles et entraînent des résultats inattendus, ainsi que des dérives qui aggravent les problèmes de l’école, rendant ces derniers biens plus complexes qu’ils ne l’étaient avant l’introduction des pédagogies modernes.

Au cœur de cette réalité en crise, il est impératif de rompre avec le discours des « perroquets » d’ « experts » déconnectés des pratiques de terrain, ainsi que des praticiens qui appliquent mécaniquement les directives ou s’y opposent systématiquement. Une troisième voie existe, entre l’application aveugle et le rejet obtus. Il est possible de dépasser les dichotomies classiques : traditionnel/moderne, théorie/pratique, celui qui sait /celui qui ignore, élite/masse, scientifique/littéraire, réaliste/idéaliste, ou encore raison/transmission... Cette voie consiste à fonder une nouvelle culture centrée sur l’humain, issue de lui-même, une nouvelle culture qui  développe une vision pédagogique adaptée aux spécificités des sociétés postmodernes et à l’ère du savoir, qui offre des opportunités pour surmonter les obstacles et réduire le fossé grandissant entre les aspirations et la réalité.

Nous vivons, comme l’ont affirmé de nombreux chercheurs en sciences de l’éducation, dans une « société pédagogique », où tout revêt une signification éducative, et où la pédagogie n’est plus l’apanage de l’école. Les frontières temporelles et spatiales qui limitaient autrefois l’éducation ont été abolies, rendant la pédagogie omniprésente et engageant tous les citoyens et décideurs politiques (Dasmat et Portois, 2005 ; Beillerot, 1982).

Beaucoup oublient que la pédagogie est une réflexion sur le sens de l’apprentissage et non un simple ensemble de méthodes et techniques.  La « diversité des approches pédagogiques libère plutôt qu’elle ne contraint, enrichit plutôt qu’elle n’appauvrit. L’enseignant est invité à choisir judicieusement l’approche adaptée ou à combiner différentes approches en fonction du niveau de ses élèves et de la nature de chaque leçon »[5]Cependant, il est essentiel de rompre avec les conditionnements négatifs des époques passées, y compris l’ère moderne, pour construire de nouvelles dynamiques en phase avec l’ère de la connaissance. Cela exige une capacité à exploiter les opportunités offertes par cette époque et à s’exercer à faire des choix éclairés.

Dans ce contexte , nous voulons attirer l’attention  sur  l’un des obstacles  à l’év²olutioàn du système éducatif tunisien, c’est celui qui ² réside dans le manque de flexibilité face aux apports des pédagogies modernes, ainsi que dans la survalorisation de certains de leurs fondateurs, comme Piaget, Wallon ou Bloom,  et d’autres dont les théories, bien que fondamentales, ont été conçues avant l’avènement des technologies numériques et leurs impacts. Tout en reconnaissant l’importance des cadres théoriques issus de ces pédagogies modernes, il est légitime d’en examiner les limites et leur pertinence dans un contexte de « société de l’information » encore naissante, marquée par l’absence d’une théorie directrice (Imad, Abdel Ghani, 2017, p. 28).

Selon la « connectivisme »[6], la plus récente des théories de l’apprentissage (2005), le développement des TIC pourrait transformer nos modes d’apprentissage, nous permettant d’apprendre à travers toutes les interactions rendues possibles par les réseaux numériques. Cela requiert de l’enseignant qu’il sache exploiter les opportunités offertes par le Web, et qu’il forme ses élèves à maîtriser les ressources numériques, à en extraire des informations pertinentes tout en se prémunissant de leurs dangers. Dans son ouvrage Changement d’esprit : Comment les technologies numériques transforment nos cerveaux, la neuroscientifique britannique Susan Greenfield explore les impacts des technologies numériques sur les modes de pensée, les compétences cognitives, mais aussi sur le mode de vie, la culture et les aspirations personnelles.[7]

Le changement sociétal ne résulte pas uniquement de lois bien conçues, comme le croient les adeptes du positivisme, DE même que la réforme du système éducatif ne se construit pas uniquement sur les théories scientifiques et les approches  pédagogiques développées par des chercheurs académiques, comme on le croyait  depuis  l’ère industrielle avec les approches techniques et les stratégies politiques et administratives  Il se construit  également grâce  aux expériences personnelles des acteurs éducatifs et sur leurs écrits relatant leurs pratiques et expériences, même modestes. Il est temps de passer d’une logique de réforme imposée par le haut, décidée par les experts et les administrateurs, à une logique qui valorise l’expérience individuelle des éducateurs, les incite à mener des recherches pédagogiques et ouvre le débat au public pour une contribution collective.

Dans la culture coréenne, on considère que « le changement ne se produit pas soudainement », qu’il ne peut être le fait d’individus isolés, ni se limiter aux grandes structures. Il se réalise plutôt à travers de petites unités : chaque individu transforme son espace immédiat (famille, quartier, classe, association). C’est l’accumulation de ces changements partiels qui engendre un changement global. C’est l’essence même du processus de transformation, confirmée par les approches anthropologiques et les évaluations des réformes éducatives dans différents pays. [8].

Malgré les dysfonctionnements du système éducatif tunisien nos études et notre observation directe [9],ont révélé des initiatives positives, des innovations et des expériences pédagogiques individuelles ou collectives, souvent motivées par l’enthousiasme personnel ou la collaboration collective. Ces initiatives traduisent une volonté d’autonomie et d’action dans leur environnement, traitant les élèves comme des individus et l’éducation comme une relation humaine et un processus de communication sociale  capable de concilier entre l’autonomie personnelle et l’intégration sociale.

Cela devrait constituer le profil des éducateurs formés dans des spécialités en lien avec l’espace éducatif, comme la licence appliquée en sciences de l’éducation lancée en septembre 2016 ou le master professionnel en sciences de l’éducation prévu pour septembre 2017. Ces formations doivent être en harmonie avec l’esprit de l’ère du savoir, exploitant ses caractéristiques et répondant à ses exigences. Cela    ne doit pas attendre que les conditions de travail s’améliorent ou que des réformes globales soient mises en œuvre, mais elle doit croire en sa  capacité à changer les choses, en  adoptant le principe du « colibri », qui s’efforce, malgré sa petite taille, de transporter quelques gouttes d’eau avec son bec pour contribuer à éteindre l’incendie qui ravage la forêt sans prêter  pas attention aux moqueries des autres, animé par l’enthousiasme de remplir sa part du devoir.[10]

Pour illustrer l’importance de cette vision que nous défendons et son efficacité sur le terrain, et dans le but de faire connaître les expériences remarquables dans le domaine éducatif tunisien, nous évoquons quelques exemples d’initiatives et de tentatives de changement et d’innovation. Nous avons un besoin urgent de capitaliser toutes les expériences et initiatives exemplaires, qu’elles soient individuelles ou collectives, en les recensant de manière précise, en les valorisant, en les évaluant et en soutenant leurs auteurs matériellement et moralement. Il est également nécessaire de les diffuser largement en utilisant les moyens de communication traditionnels et modernes[11] :

1.   Foued Hamdi, enseignant à l’école primaire Hédi Khélil de Bou Salem (gouvernorat de Jendouba), a construit en novembre 2015 . un théâtre dans son école, sur ses propres fonds, pouvant accueillir 300 spectateurs.

2.   Hatem Ben Slimane, professeur d’éducation technologique au lycée de Menzel Jemil, a obtenu de grands succès dans l’application de la pédagogie par projet. Il a remporté plusieurs prix pour les meilleurs projets attribués par des organisations internationales (comme l’UNICEF) et a visité à ce titre des pays comme l’Égypte, les États-Unis, le Japon, Hong Kong et le Brésil.[12]

3.   Salem Kaddoussi, professeur d’éducation artistique au collège Ibn Sina à Regueb (gouvernorat de Sidi Bouzid), a, avec le club d’art plastique, honoré les meilleurs élèves de son établissement d’une manière très créative. Il a réalisé une fresque murale de 28 mètres de long et de 2,10 mètres de haut, représentant l’élève ayant obtenu la meilleure moyenne du premier semestre (18,77), Ghufran Chaïbi. Il y a également inscrit les noms, les moyennes et rêves d’avenir de tous les premiers des 28 classes. Cet événement a eu lieu le vendredi 17 mars 2017.[13]

4.   Farid Kthiri, directeur du lycée Béchir Sfar à Amdoun (gouvernorat de Béja), a mobilisé les efforts de toute la communauté éducative pour améliorer les résultats des élèves au baccalauréat. Il a notamment réussi à résoudre le problème de la faible attractivité de la filière informatique en collectant du matériel informatique usagé, en ouvrant un atelier de réparation avec ses élèves, et en créant un club informatique. Ce club a permis aux élèves de première année secondaire[14] de découvrir cette discipline et de les inciter à choisir la filière sciences informatiques lors de l’orientation scolaire.

5.   Ramzi Badr, directeur du lycée du 8 février 1958 à Sakiet Sidi Youssef (gouvernorat du Kef), a élaboré et mis en œuvre, en collaboration avec l’ensemble de la communauté éducative, un plan global pour promouvoir l’animation culturelle. Cela a permis à ses élèves de remporter plusieurs prix nationaux dans des domaines tels que le théâtre, la musique, les arts plastiques, ainsi que dans les sports individuels et collectifs.[15]

6.   Néjib Abdoui, directeur du lycée Farhat Hached à Hafouz (gouvernorat de Kairouan), a formé une équipe soudée qui a obtenu des résultats remarquables au baccalauréat 2015. Avec un taux de réussite de 53,90 %, son établissement s’est classé deuxième dans la région, derrière le lycée pilote, dépassant même plusieurs établissements situés dans des zones mieux loties économiquement. Malgré des conditions difficiles, le directeur a su instaurer un climat de travail propice dans son lycée, basé sur des relations humaines solides et un esprit de responsabilité partagée.

En plus de la valeur des initiatives individuelles, les différentes expériences réussies que nous avons citées montrent que le facteur décisif pour surmonter les contraintes du système éducatif tunisien réside dans la mise en œuvre réelle, et non formelle, de l’institutionnalisation de l’esprit d’équipe, du travail participatif et du bénévolat.Ainsi, nous rejoignons les recherches éducatives qui considèrent que « le travail d’équipe et la collaboration sont les facteurs clés de la réussite des innovations pédagogiques » (Tadlaoui, 1991, p. 162).

Les expériences de réussite mentionnées incarnent véritablement le principe de la participation[16] et des fondements du travail collectif, manifestés sous différentes formes de coopération : consultation mutuelle, préparation conjointe des cours et des examens, soutien scolaire gratuit, aides financières aux élèves défavorisés, encadrement en dehors des heures de cours officielles, accompagnement éducatif et soutien psychologique des élèves, impliquant tous les membres de la communauté éducative, y compris la direction, les surveillants généraux, les enseignants, et parfois même des acteurs externes. Ces initiatives incluent également la recherche de ressources supplémentaires et la création de solutions innovantes aux problèmes quotidiens, sans attendre l’intervention des « experts » ou des responsables  de l’administration centrale.

 

Dr. Mustapha chikh zaouali

 Conseiller général, expert en vie scolaire / Ministère de l'Éducation

Traduit par Mongi Akrout , inspecteur général de l’éducation

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Bibliographie

-        إدملود، المصطفى) 2010): الأسس النظرية والرهاناتالاجتماعية الثقافية للمستجدات التربوية           http://histgeo.hisforum.com/t192-topic

-        داسمات، جان بيار. بورتوا،هـوقات( 2005) : تربية ما بعد الحداثة: ترجمة نورالدين ساسي، مراجعة: عبد صولة. تونس: المنظمة العربية للتربية والثقافة والعلوم، إدارة التربية.

-        الشيخ الزوالي مصطفى( 2015): :"اتجاهات المدرسين إزاء التجديدات البيداغوجية المؤسساتية في تونس: التعلمات الاختيارية ومادة إنجاز مشروع نموذجا" أطروحة دكتوراه في علوم التربية بكلية العلوم الإنسانية والاجتماعية بتونس. جوان 2015. 350ص

-        عماد، عبد الغني(2017): علم اجتماع التربية الاتجاهات المدارس والمقاربات. بيروت: منتدى المعارف

-        Beillerot J.( 1982) :La société pédagogique: action pédagogique et contrôle social,Paris : P.U.F

-        Cros,F.(2008: le pari du projet d’école en Tunisie . UNECEF

-        Ennaifer M. )2010(L'évolution de la politique d'éducation en Tunisie. .. Institut de la banque mondiale et Institut de la banque Africaine de developpement. Cours sur le choix stratégique en matière de réformes éducatives. wbi.worldbank.org/.../Ennaifar

-        Tadlaoui, A.(1991) : Etude des représentations sociales des innovations pédagogiques chez les formateurs de maîtres marocains. Ph. D  . Université de Montréal

 



[1]   المفارقة أن مختلف هذه المواقف تؤدي في النهاية،  إلى النتيجة نفسها وهي إعادة إنتاج الوضع القائم على نحو أسوأ مما كان عليه

[2]  وهي المجالات الاربعة كما تحدث عنها عالم الاجتماع الألماني ماكس فيبر في رصده لتطور الدولة الحديثة التي قادت علميات العقلنة والترشيد وأسست لقيم الحداثة

[3] الازمنة المقصودة هي ما قبل الحداثة، الحداثة وما بعد الحداثة. وقد  استلهمنا هذا التساؤل من المفكر المغربي محمد عابد الجابري(1994) الذي يعتبر مثل هذا السؤال "مشكل العصر".... يتحدث الجابري عن هذه القضية في كتابه "الديمقراطية وحقوق الإنسان في المجتمعات العربية".

[4] هو عنوان لأحد الكتب الكورية المشهورة في هذا المجال:

Imitation to Innovation: The Dynamics of Korea's Technological Learning (Management of Innovation and Change) Hardcover – March 1, 1997by Linsu Kim  (Author)

 

[5] [5][5]"البيداغوجيا بين وحدة الموضوع وتباين المقاربات" http://www.startimes.com/?t=18127639

[6] لمزيد التعمق حول هذه المسألة، يمكن الرجوع إلى كتاب "تربية ما بعد الحداثة" (داسماتوبورتوا،، 2005)

3Le connectivisme*

[7] صدر الكتاب بترجمة ايهاب عبدالرحيم علي ضمن سلسلة عالم المعرفة لشهر فيفري 2017 عن المجلس الوطني للثقافة والفنون والاداب، بالكويت

[8]  مثال ذلك ما ورد في كتاب ضخم يتناول الاصلاحات التربوية العمومية بالولايات المتحدة الأمريكية خلال 100 سنة (1895-1995)   وهو يحمل العنوان التالي:Larry CubanDavid Tyack A Century of Public School Reform: Tinkering toward Utopia

[9] بالتوازي مع اهتماماتنا البحثية منذ أكثر من 30 سنة في مجال علم الاجتماع وعلم نفس التوجيه ثم علوم التربية،  فقد عملنا بالتدريس بالمرحلة الابتدائية من 1987 إلى 1990  ثم  بالاعداديات والمعاهد إلى  حد  1996  كمدرس للتربية المدنية وأخيرا العمل في  مجال الاعلام والتوجيه المدرسي والجامعي منذ أكثر من 20 سنة.

 

[10] مثال ذلك ما ورد في كتاب ضخم يتناول الاصلاحات التربوية العمومية بالولايات المتحدة الأمريكية خلال 100 سنة (1895-1995)   وهو يحمل العنوان التالي:Larry CubanDavid Tyack A Century of Public School Reform: Tinkering toward Utopia

[11]     في فرنسا يرصد الموقع التالي بعنوان "المكتبة الوطنية للتجديدات" مختلف التجديدات في المجال التربوي:

http://eduscol.education.fr/cid57491/experitheque-bibliotheque-nationale-des-innovations.html

Expérithèque : Bibliothèque nationale des innovations

 

[12] [12]كوّن "الجمعية التونسية لمستقبل العلوم والتكنولوجيا" (atast ) وهي جمعية تشجع على إنجاز المشاريع التكنولوجية بالوسط المدرسي. تحصل على جوائز عالمية في كبرى المسابقات في التكنولوجيا والروبوتيك ( 580 جائزة بعديد الدول في العالم حسب ما ذكر بنفسه يوم 11نوفمبر 2024في برنامج "المشكاة " باذاعة تونس الثقافية والسيدة افام ( الرابط: https://fb.watch/wSF1cpl02x/

[13] https://www.facebook.com/photo.php?fbid=10210783157166594&set=pcb.10210783157926613&type=3&theater

[14] يقتصر تدريس مادة الإعلامية بمستوى الأولى  ثانوي على تلاميذ المعاهد النموذجية

[15] [15]استقينا تجارب النجاح المتصلة بكل من معهد عمدون وساقية سيدي يوسف من أعمال النّدوة الوطنيّة حول مرافقة المؤسّسات التّربويّة ذات النّتائج المتدنّية في البكالوريا 2016  التي نظمتها وزارة التربية يومي 27 و28 فيفري 2017 بسوسة

[16] وجدنا في تجارب النجاح المذكورة تجسيما  لمقولة المهاتما غاندي: " كل ما تفعله من أجلي بدُوني، أنت تفعله ضدي"

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