Nous terminons avec la note de cette semaine l’histoire
de la réforme de 1958 par la présentation des différentes mesures prises pour
faire face à l’urgence du moment et du plan décennal du développement éducatif
( pour accéder à la première partie cliquer ICI et pour accéder à la deuxième partie cliquer ICI )
IV.
Les mesures urgentes et le plan d’avenir
1.
Les mesures urgentes
Le 16 septembre 1958, le secrétariat à
l’éducation nationale, de la jeunesse et du sport a organisé une conférence de presse,
c'est-à-dire avant la parution de la loi de l’enseignement, au cours de
laquelle le Ministre Messadi annonça les nouvelles mesures qui vont enter en
application à la rentrée (Le président Bourguiba les avait déjà présentées au
cours de la cérémonie de la fin de l’année scolaire en juin
1958) ; parmi ses nouvelles mesures, nous citons :
a.
La réduction de la durée de la scolarité : il a
été décidé de réduire la durée des études primaires et secondaires d’une année chacune ;
elles se feront désormais en six ans au lieu de sept.
b.
La réduction de l’horaire hebdomadaire des études à
l’école primaire, les deux premières années font 15 heures par semaine, les
quatre autres niveaux font 25 heures au lieu de 30 précédemment, soit une
réduction de 5 heures par semaine.
Cette double réduction de la durée de la scolarisation
et de l’horaire hebdomadaire a permis une meilleure gestion des salles de cours ;
en effet, la même salle est utilisée par deux classes en une journée ; les
écoles publiques ont ainsi pu accueillir, au cours de l’année scolaire 1958-59,
7474 classes avec seulement 4400 salles disponibles[1].
c.
Revoir la place du français à l’école primaire : les
deux premières années de l’école primaire
ont été arabisées totalement, l’apprentissage du français ne commence qu’en
troisième année, en lui consacrant 14 heures 25 mn en 3ème, et en 4ème, et 13h 45mn en 5ème et en 6ème, sur un total de 25 heures.
Nombreux sont ceux qui ont vu dans cette décision un retour au
bilinguisme et l’abandon de l’arabisation, alors que d’autres en ont vu une
situation provisoire imposée par la
situation du pays qui dépendaient beaucoup de l’aide étrangère et surtout
l’aide française[2].
En réalité, plusieurs facteurs avaient imposé ces choix dont l’enseignement
obligatoire inscrit dans la loi de 58 , la situation était complexe et le
choix difficile : fallait-il opter pour la sélection scolaire et ouvrir
les portes de la scolarisation à un nombre réduit d’enfants ou mettre en place
un enseignement démocratique en dépit du manque d’enseignants qualifiés ?
Il semble que les donnés démographiques avaient orienté le choix ; le
nombre d’enfants non scolarisés atteignait 700000 et le nombre devrait
atteindre 980000 en 1966, le rythme de la scolarisation reste tel qu’il était à l’époque du protectorat et
au cours des premières années de l’indépendance. Le pays a opté pour la
généralisation de la scolarisation tout en veillant à maintenir un niveau
acceptable , en centrant les apprentissages
sur la langue arabe, la langue française , le calcul , l’éveil
scientifique et l’éducation morale et civique.
La situation diffère au secondaire, la
langue arabe est devenue la langue essentielle de la culture et de la formation ;
l’étude de la langue et de la littérature arabe a pris la place de la langue et
de la civilisation française, dont le statut est devenu secondaire ; l’arabe est devenue la langue véhiculaire pour
toutes les matières de la section - A-
dont l’expansion devrait suivre
le rythme de la formation d’enseignants tunisiens qualifiés » ; parallèlement, la section -B- où
l’enseignement continue à être bilingue , »[3] devrait voir ses effectifs
se réduire jusqu’à sa disparition totale .
Signalons que ce schéma est conforme au
contenu du discours de Bourguiba au collège Sadiki en 1958, déjà cité, au sujet
de la langue d’enseignement au deuxième degré ( secondaire) , où il fut créé
trois filières ou sections : la section - A- ou la section arabisée, la
section-B- ou la section bilingue avec
une prédominance de la langue française qui reste la langue d’enseignement des
matières scientifiques, techniques, les sciences humaines ( histoire,
géographie et philosophie) et même l’éducation physique ; et la
section - C- ou la section française
pour les élèves français et les élèves tunisiens qui n’ont pas étudié
l’arabe[4] .
1. Le plan
décennal du développement éducatif
Le secrétariat d’état à l’éducation nationale,
à la jeunesse et au sport avait préparé un plan décennal qui couvre la période
de l’année scolaire 1959- 60 à l’année scolaire 1968- 69 ;le plan a fixé l’évolution
de l’effectif des élèves pour réaliser la scolarisation totale et les besoins en instituteurs et en
professeurs, en bâtiments et en équipement . (Voir les tableaux
ci-dessous)
a.
L’effectif élèves et étudiants
Au début du plan, la population scolaire
et estudiantine était de 245023, dont 92.61 % à l’école primaire. A son terme,
la population scolaire atteindrait 9906892, soit une augmentation de 661869.
Annexe : tableau 1
année scolaire
|
primaire
|
moyen
|
secondaire
|
supérieur
|
1957/1958
|
226919
|
1230
|
15569
|
1350
|
1966/ 1967
|
777686
|
28586
|
93790
|
6830
|
augmentation
|
550767
|
27356
|
78221
|
5480
|
Remarque :
ce tableau est préparé à partir de N .Sraieb (1968) les données relatives à l’enseignement
secondaire remontent aux années scolaires 1958-59 et 1968-69 alors que les données concernant
l’enseignement moyen remontent aux
années scolaires 1959-60 et 1968 -- 69.
b.
Le cadre enseignant
La formation d’instituteurs et de professeurs
était parmi les soucis des responsables de la réforme de 1958 qui ont été
obligé de surseoir l’application de certaines décisions, comme l’arabisation de
l’enseignement secondaire, jusqu’à ce que la formation d’enseignants tunisiens soit achevée, car le nombre d’enseignants ,
en 1958, était de 5615 dont 95.42 %
exerçaient à l’école primaire ; le plan prévoit d’atteindre 19620 au cours
de l’année 1968-69, soit une augmentation de 14005.
Les
besoins de l’enseignement primaire en instituteurs unilingues et bilingues
étaient en augmentation continue, passant de 3253 au cours de l’année scolaire
1958-59, à 8315 en 1968-69.
Annexe :
Tableau 2 : cadre enseignant
année scolaire
|
primaire
|
moyen
|
secondaire
|
1957/1958
|
5358
|
34
|
223
|
1966/ 1967
|
14937
|
791
|
3892
|
augmentation
|
9579
|
757
|
3669
|
Remarque :
ce tableau est préparé à partir de
N.Sraieb (1968) les données relatives à
l’enseignement secondaire remontent aux années scolaires 1958-59 et 1968-69 alors que les données concernant
l’enseignement moyen remontent aux
années scolaires 1959-60 et 1968 -- 69.
Les grandes priorités étaient donc, à cette
époque
:
-
L’augmentation de la capacité des écoles normales
d’instituteurs (ouverture de deux nouvelles écoles normales, l’une à la Marsa,
l’autre à Monastir, et des sections normales dans les lycées ; c’est ainsi
que cette section fut ouverte dans 23 lycées répartis dans toutes les régions
du pays ; le nombre d’élèves inscrits dans la filière normale atteint 3419,
au cours de l’année scolaire 1967-68.
-
Création d’une école normale pour la formation de
professeurs de collège en 1958, qui s’est transformée en école normale de professeurs adjoints dans un
premier temps, puis en école normale supérieure de l’enseignement technique.
-
L’augmentation de la capacité de l’école normale
supérieure pour former des professeurs d’enseignement secondaire.
c. Les bâtiments
scolaires
Le responsables de l’enseignement et
l’état espéraient pouvoir élargir la scolarisation et l’augmentation de l’effectif
des élèves, sans être obliger d’augmenter ni le nombre d’enseignants, ni le
nombre de classes ; car entamer de nouvelles constructions « représente
l’un des soucis qui entravent la généralisation de la scolarisation »,[5] car les besoins nouveaux
en écoles et en salles sont très importants.(
voir tableau ci-dessous )
ANNEXE : tableau évolution du
nombre d’écoles, de lycées et de salles
augmentation
|
1966/ 1967
|
1957/ 1958
|
||
1430
|
2005
|
575
|
primaire
|
nombre
établissement
|
76
|
115
|
39
|
Moyen
et secondaire
|
|
7306
|
10101
|
2795
|
primaire
|
nombre
de salles
|
2397
|
3357
|
960
|
Moyen
et secondaire
|
Le plan
décennal éducatif prévoit 2120
établissements scolaires à la rentrée 1967-68, dont 94.57 % écoles primaires dont le nombre
de salles de classes serait quadruplé ; et il prévoit un triplement du nombre
de collèges et de lycées et un doublement des salles de classes , sans compter
les ateliers les besoins étaient estimés à 507 unités et logements de fonction
dont les besoins étaient estimés à 2939 unités.
d.
Les manuels scolaires
La question des moyens didactiques parmi
les principales priorités des responsables de la réforme scolaire : les
choix pédagogiques arrêtés à l’époque axaient sur la « libération des
esprits par l’explication et la compréhension au lieu du cours magistral ;
c’est pour cela en même temps que le secrétariat d’état s’était occupé de
l’élaboration des manuels scolaires, parallèlement à la formation des enseignants[6]» ; il s’agit de
manuels scolaires nationaux qui
expriment l’esprit des nouveaux programmes et de ses orientations, pour
remplacer les manuels français ou des pays arabes d’orient qui étaient en cours dans les écoles
tunisiennes .
Pour remplir cette mission, le
secrétariat d’état à l’éducation nationale, à la jeunesse et au sport a créé
l’office pédagogique dont la mission était l’élaboration et l’édition des
manuels et du bulletin pédagogique. Cette nouvelle institution est devenue un facteur
« d’encouragement des auteurs de manuels scolaires, parmi le corps
enseignant et le corps des inspecteurs pédagogiques, et aussi un moyen pour
mettre à la disposition des parents et des élèves des manuels à des prix assez bas.»
Conclusion
Telles furent les grandes orientations
de la loi de l’enseignement et de la réforme qu’elle a engendrée ; une
réforme qui voulait , en même temps, réparer les dégâts causés par le modèle
d’enseignement de la période coloniale (faible taux de scolarisation des
tunisiens, marginalisation de la langue et de la culture nationale), et mettre
en place un enseignement national qui permettrait au pays de suivre les progrès
scientifiques et technologique, et de rattraper les systèmes éducatifs
démocratiques. Cette tâche fut confiée à un ministre qui a eu temps de réaliser
cette réforme ( Mahmoud Messadi est le seul ministre de l’éducation qui est
resté au poste durant une décennie sans interruption ), qui a eu tout le temps
pour mettre en place le cadre juridique de la réforme, l’appliquer et suivre sa
réalisation.
La réforme de 1958 fut une réforme
globale ; elle a renouvelé et unifié la structure de l’enseignement et de
ses programmes, et elle a engagé « la bataille » de la généralisation
de l’enseignement.
La loi de 1958 est restée en vigueur
jusqu’en 1991 , mais est- ce que cette longévité signifiait que les principes
généraux et les grands choix concernant la structure de l’enseignement,
l’orientation des élèves ,les sections et les filières , le statut de la langue
arabe …sont restés immuables, sans amendements ni changements depuis
1958 ?
Enfin on est en droit de se poser
plusieurs questions à propos de la
réforme de 1958 : a-t-elle réalisé
les espoirs de l’élite nationale quant à la généralisation, la gratuité et l’obligation
de la scolarisation et la rénovation des programmes scolaires ? Quels
furent les résultats du plan décennal de l’enseignement ? Que reste-t-il
de cette grande réforme dans la mémoire de l’éducation tunisienne et de celle
des générations qui étaient les produits de cette réforme ?
Hédi Bouhouch & Mongi Akrout ,
Inspecteurs généraux de l’éducation
Tunis, octobre 2014
Articles publiés par le
blog pédagogique sur le même thème
Bennour,
A. « A propos de le réforme éducative : les références
juridiques : première partie ».; Blog pédagogique
Bennour, A : « A propos de le
réforme éducative :les références de la réforme scolaire : deuxième
partie » ; Blog pédagogique
http://bouhouchakrout.blogspot.com/2015/11/histoire-des-reformes-educatives-en.html#more
Bouhouch et Akrout . Rapport
de la commission sur l’enseignement secondaire[1] L’Action 18-9-1967, ; Blog pédagogique
Jerbi,A. La
politique éducative ou quelle politique éducative pour quelle réforme de
l'éducation?
Boukhari . O. la
gouvernance du système éducatif tunisien
Bennour, A : Les
références de la réforme scolaire : Deuxième partie
Bouhouch et Akrout. Histoiredes réformes éducatives
en Tunisie depuis le XIXème siècle jusqu’à no jours :les réformes de la période
précoloniale (1ère partie) . Blog pédagogique
Bouhouch et Akrout.Histoire des réformes éducatives
enTunisie depuis le XIXème siècle jusqu’à no jours : les réformes de la période
précoloniale(2ème partie) ; Blog pédagogique
Bouhouch et Akrout. Histoire des réformes
scolaires : les réformes à l’époque du protectorat :première
partie : Les réformes l’enseignement Zitounien; Blog pédagogique.
http://bouhouchakrout.blogspot.com/2015/11/histoire-des-reformes-scolaires-les.html#more
http://bouhouchakrout.blogspot.com/2015/12/histoire-des-reformes-scolaires-les.html
Les réformes scolaires depuis l’indépendance
1ère partie : les réformes de la période transitoire 1955 - 1958
[1] Dans la conférence
de presse du 16 septembre 1958 , Messadi
déclarait « que les
caractéristiques qui manquaient à l’enseignement étaient surtout la généralisation et l’adaptation :
notre enseignement manque d’extension aussi bien verticale qu’horizontale , car dans les pays
développés l’enseignement doit atteindre tous les enfants à un âge déterminé et cela par l’obligation de l’enseignement
primaire , ceci sur le plan horizontal , quant au plan vertical l’enseignement
doit toucher le primaire , le secondaire
et le supérieur » opt cité ; p 26.
[2] La première
position a été exprimée par Mohamed Mzali, la deuxième a été rapporté par Sraieb,
N. (s.d.). L'idéologie de l'école en Tunisie coloniale (1881-1945) . In:
Revue du monde musulman et de la Méditerranée, N°68-69, 1993. pp. 239-254.
[3] Messadi , opt cité p 38, voir le paragraphe des
programmes nationaux : la langue arabe et la littérature arabe et la
pensée islamique.
[4] La question fut traitée par Bourguiba dans le discours du
1 octobre 1959 où il disait « qu’il est tout a fait naturel de diviser l’enseignement secondaire
en deux sections :la section classsique ou permanente … et la section transitoire »
il a ensuite énuméré les lycées et les gouvernorats qui comptent les sections
classiques ( Ibn Charaf, lycée de Sfax, celui de Kairouan , de Monastir, Menzel
Temime , rue Al Pacha »
Opt
cité P 56
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire