lundi 17 juin 2019

L'institution d' un examen et d'un diplôme de fin d'études secondaires au Lycée Armand-Fallières à Tunis


 


Hédi Bouhouch

Jusqu'en 1924, l'enseignement secondaire public, assuré par la DIP, donné aux jeunes filles était différent de celui qui était donné aux garçons (durée, programmes et diplômes). Ainsi les lycées de jeunes filles avaient une organisation qui différait de celle des lycées de garçons. A titre d’exemple, la durée des études dans les lycées de jeunes filles était de 5 ans seulement contre 7 pour les garçons, les trois premières années étaient sanctionnées par le certificat d'études secondaires et les deux dernières années (4ème et 5ème année) préparaient au diplôme d'études secondaires.

Ce n'est qu'à partir de 1924 que l'unification des programmes fut décidée, c'est " le décret du 25 mars 1924 qui établit pour l’enseignement secondaire féminin des programmes identiques à ceux des lycées de garçons et offre aux jeunes filles la possibilité de préparer et de passer le même baccalauréat"[1]

Mais avant cette date, le lycée de jeunes filles Armand Fallières, du nom de l'ancien président de la république française [2] (l'actuel Rue de Russie), "préparera déjà ses élèves au baccalauréat d'une part, et au brevet de capacité de l'enseignement primaire[3] d'autre part. Il les prépare en plus désormais comme le font tous les lycées de France au diplôme de fin d'études secondaires qui, plutôt que le baccalauréat, est la vraie sanction des études secondaires féminines"(rapport au président de la république, année 1925).
Ce diplôme ne fut institué en Tunisie qu'en 1925 (arrêté du 2 mars 1925 : voir annexe) alors que le lycée existait depuis 1915[4]. C'est cet examen que nous allons présenter dans ce billet.




Règlement relatif à l'organisation de l'examen de fin d'études secondaires au Lycée Armand-Fallières

ARTICLE PREMIER. — Conformément aux dispositions de l'arrêté du 2 mars 1925, il est institué, auprès du lycée Armand Fallières à Tunis, un jury chargé d'examiner les élèves qui se présenteront pour l'obtention du diplôme de fin d'études.
ART. 2. — Ce jury, nommé par le Ministre, sur la proposition du Directeur général de l'Instruction publique, se réunit à la fin de l'année scolaire. Il est composé de six membres, ainsi qu'il suit :
§  Un délégué de la Direction générale de l'Instruction publique, Président ;
§  La Directrice du lycée ;
§  Deux professeurs de l'établissement et un professeur d'un autre établissement public d'enseignement secondaire ;
§  Un professeur de langues vivantes.
§  Un examinateur spécial pourra être appelé à donner la note sur celles des matières facultatives que le jury ne serait pas en mesure d'apprécier.

Commentaire :
Le jury de l'examen est présidé par un représentant du directeur de l'instruction publique et constitué par la directrice du lycée et quatre professeurs dont un seul ne faisait pas partie du lycée ; néanmoins le jury peut faire appel à des enseignants de l'extérieur pour l'évaluation des matières facultatives que la candidate pourrait choisir (Une langue vivante complémentaire, le dessin, la couture, le solfège)

Art 3— Une deuxième réunion du jury aura lieu chaque année, dans la première semaine qui suivra la rentrée d'octobre, pour examiner les élèves qui, après avoir suivi régulièrement les deux dernières classes, auront échoué, au mois de juillet précédent, aux épreuves écrites ou aux épreuves orales.
ART. 4. — Pourront prendre part à cette deuxième session les élèves qui, pour des raisons jugées valables par le Directeur général de l'Instruction publique, se seront trouvées empêchées de se présenter à l'examen du mois de juillet, mais qui justifieront cependant de la scolarité ci-dessus visée.
ART. 5. — Le bénéfice de l'admissibilité aux épreuves orales, acquis à la session de juillet, demeure valable pour la session du mois d'octobre suivant, à la condition que les aspirantes subiront l'examen devant le jury du même établissement.
Il ne sera fait d'exception à cette dernière condition que par décision spéciale du Ministre prise sur avis motivé des chefs des établissements intéressés.
Commentaire 2 : un examen en deux sessions
L'examen se déroule en deux sessions : la première au mois de juillet, la seconde au mois d'octobre, prennent part à cette deuxième session :
*les candidates qui auront échoué à la session de juillet, aux épreuves écrites ou aux épreuves orales (art3), ces derniers gardent l'admissibilité et repassent uniquement les épreuves orales.
*les candidates qui "se seront trouvées empêchées de se présenter à l'examen du mois de juillet pour des raisons jugées valables "(art 4 )

ART. 6. — Toute aspirante doit déposer ou faire déposer, dans les délais fixés, à la Direction générale de l'Instruction publique les pièces énumérées ci-après :
1° L'acte de naissance constatant qu'elle aura seize ans accomplis avant le 1er août de l'année où elle se présente ;
2° Un certificat de la directrice constatant que l'aspirante a suivi régulièrement les cours de 2ème Brevet et de 1er Brevet.
Dans le cas où une aspirante n'aurait pas suivi les cours des deux dernières années au lycée Armand Fallières, elle devra justifier de la scolarité nécessaire dans l'établissement secondaire qu'elle aura quitté.
ART. 7. — Sur la proposition de la directrice du lycée Armand Fallières des dispenses d'âge pourront être accordées par le Directeur général de l'Instruction publique, mais aucune dispense ne pourra être supérieure à un an.
ART. 8. - L'aspirante doit, au moment de son inscription, désigner les matières facultatives pour lesquelles elle opte.
ART. 9. — Le registre d'inscription est ouvert vingt jours et clos cinq jours avant le commencement de la session.
ART. 10. — L'examen comprend des épreuves écrites et des épreuves orales.
Les épreuves écrites sont éliminatoires : elles portent sur les matières des cours de 2ème Brevet et de 1er Brevet ; elles sont au nombre de  trois :
Une composition littéraire (durée 3 heures) ;
2° Une composition scientifique (durée 3 heures) : (Sciences mathématiques ou sciences physiques ou naturelles) ;
3° Une version et une courte rédaction en langue étrangère d'après une matière donnée dans cette langue (durée pour l'ensemble : 3 heures).
Pour les compositions de langues vivantes, est autorisé l'usage d'un dictionnaire en langue étrangère, sans traduction.
Les sujets sont donnés par le Directeur général de l'Instruction publique.
Les deux premières épreuves ont lieu le même jour, à trois heures d'intervalle ; les compositions de langues vivantes ont lieu le lendemain.
Les aspirantes sont placées sous la surveillance d'un des membres du jury autre que la directrice.
Commentaire 3 : les épreuves de l'examen
L'examen comporte :
* trois épreuves écrites : une composition littéraire (durée 3 heures); et une épreuve scientifique soit une épreuve de mathématiques ou de sciences physiques ou  de sciences naturelles (durée 3 heures) ; et une épreuve de version et une courte rédaction en langue étrangère (durée : 3 heures).
* des épreuves orales pour les admis aux épreuves écrites, elles portent sur l'ensemble des matières, mais chaque candidate peut choisir une ou plusieurs matières facultatives du programme qui ne comptent que si la note ou les notes obtenues sont supérieures à la moyenne, la ou les matières facultatives subies par la candidate seront indiquées  sur le diplôme.

Les compositions, corrigées chacune par un membre du jury, sont jugées par le jury tout entier, qui décide quelles sont les aspirantes admises à subir, les épreuves orales.
L'examen oral porte sur l'ensemble des matières obligatoires.
Les aspirantes peuvent demander, en outre, à être examinées sur une ou plusieurs matières facultatives du programme. Pour chaque note supérieure à la moyenne, mention de l'épreuve subie est faite sur le diplôme.
ART. 11- Les matières facultatives sur lesquelles les aspirantes peuvent être examinées sont : Une langue vivante complémentaire, le dessin, la couture, le solfège. Il n'est fait mention, sur le diplôme, que des épreuves facultatives sanctionnées par une note supérieure à la moyenne.
ART. 12. — Chaque épreuve est cotée de 0 à 20.
Toute note inférieure à 5, soit à l'écrit, soit à l'oral, entraîne l'ajournement.
L'admissibilité n'est prononcée que si l'aspirante a obtenu à l’examen écrit une note moyenne au moins égale à 10.
L'admission définitive n'est prononcée que si l'aspirante a obtenu pour l'ensemble des notes de l'examen écrit et des épreuves obligatoires de l'examen oral une note moyenne au moins égale à 10.
L'ajournement ne peut être prononcé qu'en vertu d'une délibération du jury.
ART. 13. — L'admission est prononcée à la majorité des voix. Le diplôme fait mention des matières facultatives sur lesquelles les aspirantes ont été interrogées. Lorsque l'ensemble de l'examen a donné pour résultat les notes bien ou très bien une mention en est également faite sur le diplôme.
Commentaire4 : l'évaluation et les conditions d'admission
* les épreuves sont notées par un seul correcteur.
*l'admissibilité : pour être déclarée admissible, chaque candidate doit avoir obtenu une moyenne au moins égale à 10 sur 20, à condition de ne pas avoir une note inférieure à 5 dans les épreuves écrites,
* l'admission finale : est déclarée admise toute candidate ayant obtenu une moyenne au moins égale à 10 sur 20, à condition de ne pas avoir une note inférieure à 5 dans les épreuves orales obligatoires.
Le recours à la note éliminatoire aussi bien à l'écrit qu'à l'oral
traduit une certaine rigueur et le niveau d'exigence de cet examen.
* l'article 13 dit que :" L'admission est prononcée à la majorité des voix", en réalité cette remarque nous a interpellé et il nous semble qu'elle n'avait pas lieu d'exister car, comme on vient de le voir, les conditions d'admission sont fixées par la moyenne et il n'y avait pas de rachat qui aurait pu donner lieu à une délibération. 

ART. 14. - Le président du jury, s'il découvre quelque fraude, est tenu de porter immédiatement les faits à la connaissance du Directeur général de l'Instruction publique.
ART. 15. — Les certificats d'aptitude, avec les pièces déposées par les aspirantes, sont transmis au Directeur général de l'Instruction publique pour recevoir son visa.
Le président du jury lui adresse en même temps le procès-verbal de chaque séance, signé par tous les juges, et un rapport sur l'ensemble des examens et sur la force relative des épreuves. Il y joint les compositions faites par chaque aspirante, corrigées et annotées par les membres du jury.
Si le Directeur général estime qu'il y a défaut de forme dans la réception des aspirantes, il refuse son visa au certificat d'aptitude et fait connaître au Ministre les motifs de son refus, en lui transmettant les certificats délivrés par le jury.
ART.16. — Les diplômes sont conférés par le Ministre dans la forme établie.
Commentaire  5: le directeur de l'instruction et le droit de contrôle et de suivi
Outre la présidence du jury par le représentant du Directeur général de l'instruction public, ce dernier dispose d'un pouvoir qui l'autorise à surseoir la décision du jury s'il constate une anomalie quelconque dans l'admission des "aspirantes", en refusant de viser le diplôme et "fait connaître au Ministre les motifs de son refus".
Cette décision est prise après avoir étudié tous les documents que le chef du jury est tenu à lui envoyer à la fin de chaque session ("le procès-verbal de chaque séance, signé par tous les membres du jury, un rapport sur l'ensemble des examens et sur la force relative des épreuves. les copies des candidates corrigées et annotées par les membres du jury).
ART. 17. — Nul diplôme n'est remis à l'aspirante qu'après que celle-ci a apposé sa signature tant sur l'acte même que sur le registre spécial qui sert à constater la remise du diplôme, ou sur un récépissé qui doit être annexé à ce registre. Tout diplôme qui ne porte point la signature de l'aspirante et celle du fonctionnaire qui a fait remise de l'acte est considéré comme sans valeur.
ART. 18. — Le présent règlement aura effet à partir du mois de juin 1925.
Fait à Tunis, le 5 mars 1925.
Le Directeur général,
HENRI DOL1VEUX
Annexes
Annexe 1: Complément d'informations : la population scolaire du lycée en 1925
En 1925, l'année de l'institution du diplôme, le lycée Armand Fallières comptait 711 élèves qui se répartissaient de la manière suivante :
* 546 françaises soit 76.79% de l'ensemble des aspirantes
* 125 tunisiennes, ce qui représentait 17.58 %  dont 12 musulmanes   (1.68%) et 113 israélites (15.89%).
* 28 italiennes
* 2 maltaises
* 20 de nationalités différentes.
Annexe  2
"Le lycée Armand Fallières de la rue de Russie, Créé en 1885 et appelé par décret beylical du 25 avril 1903, école Jules Ferry et transformée en 1914 en « petit lycée Jules Ferry » en conservant uniquement les classes élémentaires préparant à l’enseignement secondaire des jeunes filles tandis que les classes secondaires constituaient le 1er janvier 1915 le lycée Armand Fallières recrutant exclusivement des filles, actuellement lycée de la rue de Russie. En 1904, l’école comptait ses deux premières musulmanes inscrites dans les cours secondaires (en externat surveillé) alors que les garçons musulmans pour la même année étaient au nombre de 123 dans l’enseignement secondaire. Les françaises évidemment constituaient la majorité de l’effectif (plus des trois-quarts), l’autre quart était composé d’israélites, d’italiennes, de maltaises, de quelques élèves de nationalités diverses, et d’un nombre insignifiant de musulmanes, ne dépassant pas jusqu’en 1914 les trois unités".
reproduit à partir du:
Mongi Akrout  et Abdessalam Bouzid , Inspecteurs  généraux de l’éducation retraités
TUNIS, Mai  2019




[1] Évelyne Héry, « Quand le baccalauréat devient mixte », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], 18 | 2003, mis en ligne le 04 décembre 2006, consulté le 15 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/clio/612 ; DOI : 10.4000/clio.612
[2] Armand Fallières fut président de la République française de 1906 à 1913
[3]  C'est un diplôme qui ouvre aux carrières de l’enseignement primaire et certifie un ensemble de savoirs constitutifs d’une culture primaire.
[4] Lycée Armand Fallières de la rue de Russie créé en 1885 et appelé par décret beylical du 25 avril 1903, école Jules Ferry et transformée en 1914 en « petit lycée Jules Ferry » en conservant uniquement les classes élémentaires préparant à l’enseignement secondaire des jeunes filles tandis que les classes secondaires constituaient le 1er janvier 1915 le lycée Armand Fallières recrutant exclusivement des filles.


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