dimanche 3 octobre 2021

A l'occasion de la rentrée scolaire

 

Adel Haddad

Le blog pédagogique reprend cette semaine du service après les vacances d'été, nous avons choisi pour ce premier numéro de vous proposer un texte émouvant  que j'ai lu sur  la page officielle  de notre ami Adel Haddad  qu'il a voulu un hommage à l'école primaire qui lui a  donné une chance d'être différent de ce que le destin m'avait prévu comme il l'a bien écrit.

Le blog pédagogique remercie notre ami Adel  pour  sa confiance  et espère que d'autres amis suivent son exemple pour rendre hommage à leurs instituteurs et aux écoles qui ont fait d'eux ce qu'ils sont aujourd'hui. Le blog pédagogique serait heureux de publier leurs billets.

Le blog  pédagogique, septembre 2021

 

A l'occasion de la rentrée scolaire

L'école m'a donné une chance d'être différent de ce que le destin m'avait prévu.



Dans mon cœur, il y a une nostalgie particulière pour l'école primaire dans laquelle j'ai étudié, l'école "Bir Al-Fares", qui s'appelle aujourd'hui l'école Ibn Khaldoun située dans la ville de Menzel Témime. Dans cette école fut "le début" et c'était la base. Sur ses bancs j'ai appris la lettre, la phrase, le nombre et le numéro, c'est là où j'ai appris à tenir le porte plume à encre et l'écriture, et dans sa cour, j'ai appris à jouer innocemment et à me soutenir sans l’aide de personne.

Au début de chaque année scolaire, me reviennent à l'esprit les belles images de mon école où nous cultivions la terre et notre esprit et nous mangions les fruits de notre jardin, sous le contrôle bienveillant de nos instituteurs que nous craignions, aimions et respections. Les visages de messieurs kassem Debbish, Al Hadi Ben Daoud, Boubaker Boulila (je lui souhaite une bonne santé), Hamadi Bounaquisha, Abdel Hakim Al Sghaier, Hamouda Bou Jamil, Béchir Al-Somi'i et Mohammad Al-Afif ne m’ont jamais quitté. Dans chacun de ces visages, je reconnais une partie de moi-même qui m'est très chère et que ces Messieurs ont gravée au plus profond de mon âme comme un trésor inépuisable qui ne tarit pas à l'usage mais, bien au contraire, il s'enrichit et fait partie de leur contribution…



 

L'école résumait toute notre vie parce que c'était un espace d'exploration et de libération… On n'y apprenait pas seulement mais on y vivait une nouvelle expérience qui sculptait notre être et l'ancrait loin des coutumes de la famille et des traditions des Kouttabs. Cette expérience a permis à  nos esprits et à nos yeux de s'ouvrir à d'autres mondes pleins de savoirs, de valeurs, de sens, d'espoirs et de confiance en soi et dans les autres…

Chaque matin, nous buvions un mélange de lait, de chocolat et de sucre. Le goût de ce breuvage est encore à ce jour dans ma bouche, goût que les cafés de luxe que j'ai pu boire après cela n'ont jamais pu l'effacer ou le concurrencer... C'était un étrange mélange pour lequel nous nous bousculions comme si nous nous précipitions pour obtenir l'eau de la vie, non pas à cause de la faim ou du besoin, mais plutôt à cause d'une bonne camaraderie, de la chute des différences sociales et d'un sentiment d'égalité.

 

Par les activités agricoles,  nous  avions appris  la grandeur et la tendresse de la terre que nous retournions, et nous surveillions la magie de l'eau que nous déversions sur la terre pendant qu'elle irriguait une graine avec laquelle nous vivions son effort pendant qu'elle faisait exploser les croûtes  du sol  et nous nous  représentions son endurance alors qu'elle poussait vers le ciel. Nous apprenions la patience à partir de la patience de la graine pour aiguiser notre détermination et accroître notre attachement à la terre qui évoluait pour devenir un attachement à la patrie... Nos espoirs grandissaient suivant le rythme de la croissance de la graine et nous nous réjouissions de ses fruits et nous savourions son goût... Le jardin de l'école était un jardin dans nos âmes.

Nos vêtements se ressemblaient, de même que nos livres, cahiers, et nos outils simples... Nous les achetions chez le même magasin, et la marge de choix était très limitée voire inexistante. Le marché ne répondait pas aux différences sociales sauf dans quelques détails qui nous importaient peu et qui ne nous concernaient pas... C'est ainsi que nous étions aux yeux de la plupart de nos instituteurs... Nous étions presque sans nom et sans lignage, et sans aucune affiliation autre que celle d'appartenir à l'école.. Nous étions en compétition afin d'obtenir leur bonne appréciation sur la base de la compétence et de l'assiduité, une saine compétition sans méchanceté, non pas parce qu'on était des saints, mais à cause du climat général où il n'y avait pas de place à la méchanceté et à son développement.

 

Notre école n'était pas un paradis, nos respectables instituteurs n'étaient pas des anges, et nous n'étions pas de ceux qui tendaient à l'innocence... Mais les nécessités du vivre ensemble et ses règles strictes nous ont imposé de concilier entre nos désirs, nos besoins et nos espérances, et de faire la part entre le possible, le disponible, le préférable et l'impossible. Lorsque nous dépassions les limites, l'école nous remettait sur la bonne voie avec douceur et avec violence quand il le fallait. L'instituteur avait le devoir de contrôler nos ongles, ce qu'il y avait entre nos doigts, nos dents, nos cheveux et la propreté de nos corps... Il sentait notre gêne et cachait nos défauts et se contentait de nous chuchoter à l'oreille... Nous étions l'affaire de l'instituteur avec tous nos détails... L'infirmière venait nous ausculter et nous examiner, nous vacciner et nous piquer les bras... Certains parmi nous pleuraient, et d'autres se moquaient de ceux qui pleuraient.

Je me souviens très bien de Sidi Alaya Ben Alaya, qui veillait sur les affaires de l'école. Chaque matin, il remplissait les encriers de nos tables avec l'encre qu'il préparait lui-même. C'était lui aussi qui nous préparait le lait, nous le distribuait, et veillait à la propreté des locaux de l'école. Plus important encore, il résolvait nos petits différends avant qu'ils n'arrivaient aux oreilles du directeur de l'école. Je me souviens très bien qu'il était bon, juste et généreux avec nous et nous offrait ce qu'il avait entre ses mains et dans son cœur ...

Nos familles ne se souciaient peu de notre expérience scolaire quotidienne... Elles avaient une confiance aveugle dans l'école et la considéraient comme l'espace le plus sûr pour nous. Elles laissaient l'école faire de nous ce qu'elle voulait, car elles étaient convaincues que ce l'école faisait de nous ne pouvait être que bon.

Nous devions juste être disciplinés et réussir... L'enjeu était de taille et les attentes étaient bien plus grandes que nous... Nos succès n'étaient jamais des succès personnels. Lorsque nous réussissions, la situation de toute la famille changerait... Nous ne nous battions pas pour nous seulement mais pour tout le monde. Par conséquent, tout le monde se réjouissait de notre réussite, parents, proches, et même nos voisins... La joie était sans hypocrisie et sans commérages ni calcul. C'était une joie noble...

Lorsque j'ai lu mon nom dans un quotidien m'annonçant ma réussite à l'examen d'entrée en première année de l'enseignement secondaire (l'examen de la sixième), j'ai réalisé que j’allais laisser à jamais une belle expérience, vers une autre, complètement différente. J'étais persuadé que mon école m'avait préparé à cette nouvelle expérience... Je n'ai jamais senti que je partais à l'aventure.

C'était il y a plus de cinquante ans. J'étais un petit enfant.. et ce petit enfant, avec sa joie, est resté vigilant au fond de moi-même.

L'école m'a donné une chance d'être différent de ce que le destin avait prévu pour moi.

Adel Haddad, inspecteur général de l'éducation 

M.Temime , septembre 2021

Traduction Mongi Akrout & Abdessalam Bouzid inspecteurs généraux de l'éducation retraités.

Pour accéder à la version  AR, cliquer ICI

 

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