Hédi BOUHOUCH | Pour revenir aux billets précédents publiés au mois de mars et avril 2020, cliquer sur les liens
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Au cours de
la première décennie du XXème siècle, et au vu des résultats de la politique
éducative suivie dans la régence par les autorités coloniales, le pays a connu
un débat entre les intellectuels tunisiens de tout bord (anciens sadikiens,
zitouniens et ceux formés à l’enseignement public français). Le débat tournait autour de plusieurs
questions : comme le statut de la langue arabe et sa place dans la civilisation,
la culture et les progrès techniques et scientifiques, les rapports de la
Tunisie avec le monde musulman et l’orient arabe ou avec l’occident et sa
civilisation fondée sur la technique et le rationalisme. Ainsi le débat a
dépassé le cadre de la langue d’enseignement pour inclure les représentations
du type de société souhaitée, et c’est en fonction de ces représentations que
les intellectuels tunisiens allaient déterminer leur position vis-à-vis de la
question de la langue de l’enseignement à l’école.
A- Le débat inter tunisien: la langue arabe, langue
première ou langue seconde.
Si l'on
met de côté les ultras conservateurs de la Zitouna qui ne voulaient pas
entendre de l'enseignement des langues étrangères dans les institutions qu'ils contrôlaient ( la grande
mosquée et ses annexes), le débat a opposé depuis les premières années de la
colonisation deux principaux courants, un courant qui met en avant la langue
française et un courant qui met en avant
la langue du pays. Les partisans du premier courant ont été assimilés aux
anciens sadikiens et ceux du second aux anciens zitouniens[1].
Cette distinction, qui n'est pas loin de la réalité, nous semble un peu
schématique car dans les faits on trouve des
zitouniens et non des moindres qui avaient soutenu le premier courant et
vice versa. Néanmoins nous allons adopter cette distinction malgré notre
réserve.
1- La
position des Madrassyin : la langue arabe langue seconde
Al -
Madrassyin est une appellation qui était donnée aux anciens Sadikiens et aux
diplômés de l’enseignement public instauré par le protectorat depuis 1881.
Cette catégorie avait formé une nouvelle bourgeoisie qui avait adhéré au régime
du protectorat et avait accepté que la langue française soit la langue de
l’administration et de toutes les institutions financières et économiques
modernes.
Ce qui
unissait cette nouvelle élite c’était une culture qui se basait sur la langue
française et un attachement à la civilisation occidentale. Elle est représentée
par « l’association des anciens du collège Sadiki » fondée en 1905,
et leur porte-parole, le journal « le tunisien », paru en 1907,
utilisait la langue française. Leur chef de file était Ali Bach Hamba.
Au sujet de
l’enseignement, ce groupe militait « pour l’extension des écoles
franco-arabes à condition qu’elles soient destinées aux enfants européens et
aux enfants tunisiens en même temps, …
pour mettre en place une société bilingue où le français serait la
langue des sciences, des savoirs modernes, et des institutions économiques,
financières et techniques, alors que le rôle de la langue arabe serait réduit au domaine de la littérature et
des arts». [2] Leur slogan était "
Instruire en français et enseigner l'arabe"
Le groupe se
défendait - au cours des débats avec les autres courants réformistes qui leur
étaient hostiles - de l’accusation qui faisait courir l’idée qu’il voulait la
disparition de la langue arabe et son abandon. Il répliquait à ces accusations en disant « qu' il
appelait à sa modernisation, et proposait un programme d’enseignement où la
langue arabe aura une excellente place, où elle sera enseignée en tant que
langue dans le cadre de l’école franco-arabe, mais en modernisant les
programmes et les méthodes de son enseignement »[3].
Pour résumer,
le courant des Madrassyin insistait sur le besoin du tunisien de connaitre sa
langue maternelle. Il reconnait que l’apprentissage de la langue arabe est
une nécessité pour le tunisien qui ne veut pas perdre sa personnalité et son
entité, mais il considère que la langue française est la langue de la science
et du progrès : « elle est la voie qui mène à la civilisation
moderne que les peuples sous-développés cherchent à atteindre »[4]. Mais
ce courant a dû aussi se battre contre les prépondérants français qui ne
voulaient pas que le jeune tunisien ait la même formation que le jeune
français. Cette divergence s'est manifestée lors du congrès colonial de
Marseille de 1906, puis au congrès de l'Afrique du Nord de Paris de 1908. Les
congressistes tunisiens[5] y
avaient appelé à instituer l’enseignement primaire obligatoire et gratuit dans la régence et à développer
l’enseignement de l’arabe et du français dans le cadre des écoles franco-arabes
où jeunes tunisiens et jeunes français se côtoient ; ou, à défaut, dans
les écoles coraniques modernes ou réformées, où l’on apprend le coran, mais
aussi la langue arabe selon des méthodes modernes. Ils militaient ainsi pour
l’encouragement des tunisiens
à rejoindre l’enseignement secondaire et supérieur. (Lasram)
Le programme
de cette école doit tenir compte de ce vœu de toute la partie éclairée de la
société musulmane de ce pays, vœu qui s'exprime et se résume en cette formule :
instruire en français, enseigner la langue arabe.
1°.— Instruire
en français, parce que l'enfant indigène qui veut s'asseoir sur les mêmes bancs
que l'enfant européen ne peut logiquement demander qu'on instruise tout le
monde dans sa langue ; parce qu'il a grand intérêt à rapprocher sa mentalité de
celle de son protecteur; parce qu'enfin, quand il est en contact avec
l'Européen, il n'y a pas pour lui un autre moyen de lutter sur le terrain
économique et de conserver sa place dans son propre pays.
2°.— Enseigner
la langue arabe, c'est-à-dire l'arabe littéraire, parce que l'indigène le
considère comme le complément de son individualité qu'il tient à ne pas perdre;
comme l'instrument de sa religion à laquelle il est et veut rester attaché;
comme le lien qui l'unit tant au passé dont il a lieu d'être fier, qu'au monde
musulman avec lequel il n'a nullement l'intention de rompre; comme enfin, le
moyen de se maintenir dans le milieu auquel il appartient par treize siècles de
traditions et dont il ne saurait se séparer, sans risquer de rester comme
désaxé et désorienté, entre les deux sociétés arabe et française, objet du
mépris de l'une et de la défiance de l'autre.
Il sait bien que
cet arabe littéraire est en retard sur les langues européennes et qu'il s'est
atrophié par défaut de culture, et non parce que c’est une langue à
déclinaisons; mais il sait aussi que, depuis quelque temps, cet arabe a déjà
brûlé bien des étapes dans certains pays, comme les Indes, la Syrie,
l'Egypte et qu'il possède une riche
littérature qui compte parmi les plus belles productions de l'esprit humain.
Au reste, il le
considère, cet arabe littéraire, comme sa langue maternelle et il dit, avec le
philosophe Paulsen : « Il est infiniment cruel d'arracher à un peuple sa langue
maternelle ; cela équivaut presque à arracher sa langue à un individu. »
Et qu'on ne vienne pas lui dire que
l'arabe ( parlé) vulgaire, qui a sur
l'autre l'avantage d'être parlé, pourra en tenir lieu. D'abord, cet arabe
vulgaire ne s'écrit pas, n'a encore rien produit et semble même impropre, par
suite de son vocabulaire restreint, à l'expression des idées abstraites et des
sentiments élevés. Ensuite, il n'est pas le même partout : il diffère d'un pays
à un autre, souvent d'une région à une autre. Enfin, il s'altère de plus en
plus par suite des mots étrangers qui s'y introduisent. C'est ainsi que l'arabe
parlé en Algérie est farci de mots français, italiens, espagnols, toujours
estropiés
2- La
position des réformistes zitouniens
Le deuxième groupe de réformistes comptait parmi ses membres
des anciens zitouniens comme Salem Bouhajeb, Mohamed Benkhoja, mais aussi des
dissidents des groupes des anciens Sadikiens comme Ali Bouchoucha. Ce groupe
est représenté par le journal « Al-Hadhira » et il avait pour modèle
l’orient arabe et la ligue islamique ou musulmane. Sa référence était
Jamel-Eddin Al Afghani et Cheikh Mohamed Abdou.
Ce groupe avait
annoncé sa position vis-à-vis des orientations de l’enseignement public des
écoles franco-arabes et de la question de la langue, depuis les premières
années du protectorat. Mohamed Es-Senoussi écrivit dans les colonnes
d’Al-Hadhira[6] à l’occasion de l’ouverture
des écoles publiques dans la régence, un article intitulé « al
-Maâref » dans lequel il évalua le rôle de ces écoles dans ces mots : « …
Les écoles tunisiennes étaient bien organisées grâce aux soins de la
direction de l’instruction publique. Les élèves ne manquaient ni de bonne
conduite ni d’éducation, ce qui les aidait à profiter de leurs leçons. Quant
à l’intérêt de ces écoles pour l’enseignement de la langue arabe et de
la langue française en plus de l’enseignement du Coran et des principes de la
religion musulmane (At-tawhid et Al-Fiqh), c’est une chose bien connue dans le
pays ». Et il ajouta : « Bien que l’arabe soit la langue du pays
depuis sa création, les écoles publiques lui accordent autant d’attention que
la langue française, parce qu’elles étaient conscientes de la grande utilité de
la langue française dans le pays pour communiquer avec les arabisants et
vice-versa, à cause du grand besoin du pays dans ce domaine»..
Partant de la
position de ce Cheikh modéré, il apparait que la question de la langue arabe
est, pour lui et pour ses semblables, une question nationale (la langue arabe
étant la langue du pays). Mais cela ne les a pas empêchés de s’ouvrir sur
les langues étrangères et de revendiquer son apprentissage par les jeunes
tunisiens. Le 22 janvier 1889, Béchir
Sfar écrivait, sur les colonnes d’Al-Hadhira, ceci sous la forme d’une
question : « Dans une époque
de communications et de transactions, comme celle d’aujourd’hui, qui ne
reconnait pas le rôle de l’apprentissage
des langues étrangères dans le progrès des nations et dans l’acquisition des savoirs ? »[7].
Pour le
groupe d’Al-Hadhira[8]"la langue arabe est la
langue du pays et elle doit le rester"
et les autres langues étrangères ne sont que des outils et des moyens qui
aident au progrès. Ce classement de l’importance des langues est le
contraire de celui défendu par le groupe des ‘Madrassyin’ qui « mettent
en avant la civilisation occidentale et placent la langue française en premier
et, derrière elle, la langue arabe »[9].Ce groupe est passé à la mise en application de
ses vues en fondant l’association d’Al-Khaldûnia dès 1896. Il cherchait à
« transmettre les sciences modernes en utilisant la langue arabe pour combler le vide causé par l’enseignement
de la grande mosquée , et cela en programmant
des cours et des conférences en langue arabe qui traitent de
questions littéraires, scientifiques et de sciences sociales comme l’histoire,
la géographie, l’économie politique, les règles d’hygiène, la physique et la
chimie, en plus des cours de langue française .»
Ainsi, on
constate que Al Khaldûnia poursuivait des objectifs à l’opposé de ceux du
groupe des Madrassyin. Ces derniers voyaient en elle une menace au bilinguisme,
à la francisation et au modèle de société auquel ils aspirent.
Dans la même
voie, Khairallah Ben Mustapha, ancien sadikien et membre du mouvement
« jeunes tunisiens », a pris l’initiative de fonder la première école
primaire arabisée, connue par l'appellation d'école coranique réformée[10] ou
kouttab moderne. Pour cela, il avait amené des manuels scolaires de l’orient. Cette école
primaire moderne était « une tentative pratique d’arabisation de
l’enseignement primaire en Tunisie qui vient à la suite de l’expérience de la
Khaldounia qui avait arabisé l’enseignement secondaire. »[11]
Ali Bach
Hamba, l'un des chefs du mouvement jeunes tunisiens était opposé au projet des écoles coraniques
réformées, malgré ses amitiés avec Khairallah, car pour lui ce projet menace le
développement des écoles franco-arabes qui constituaient la pierre angulaire du
projet de l’équipe du journal le Tunisien qui rejetait l’arabisation totale de
l’enseignement ; d’ailleurs, Ali Bach Hamba avait rejeté l’enseignement
khaldounien pour les mêmes raisons.[12] .
3- La
position des nationalistes tunisiens au lendemain de la 2ème guerre mondiale
Au lendemain
de la deuxième guerre mondiale, le mouvement national tunisien « s’est lié
au courant de l’Islam et de l’arabité ». La question de la langue est
devenue une partie d’un projet politique. Le journal Al - Mabaheth était le plus grand défenseur de cette
orientation. En 1947, Mahmoud Messadi y
publia un article intitulé « nos problèmes actuels et la politique
scolaire ( éducative) » dans lequel il analyse la politique scolaire du
protectorat et l’attitude de la direction de l’instruction publique par rapport
aux revendications des tunisiens, expliquant que « la tendance qui veut
amener la nation tunisienne vers un enseignement primaire et secondaire arabe,
musulman et moderne devient de plus en
plus forte ».[13]
Quant aux visées des autorités coloniales, Messadi ajoute " que toute
son œuvre et ses institutions visaient à équiper le pays petit à petit d'un
système scolaire, mais c'est un système français qui ne tient compte de la
langue arabe et de la Tunisie que d'une façon formelle et dans les proportions
minimales possibles et la D.I.P avance toutes sortes d'excuses pour justifier
son retard dans l'application les principes islamiques".
L’auteur cite
pour appuyer son point de vue la nature des institutions scolaires aussi bien
primaires que secondaires en écrivant : « Les écoles primaires sont des
écoles sur le modèle des écoles primaires françaises, où tout l’enseignement se
fait en français, en y ajoutant un enseignement de la langue arabe qui se
limite à la langue et aux principes de la religion musulmane, n’occupant que le
tiers de l’horaire hebdomadaire. Quant à l’enseignement secondaire, la direction de l’instruction
publique n’a créé, depuis 1881, que des collèges et des lycées analogues à ceux
qui existaient en France, à part la programmation d’un enseignement facultatif de la langue arabe au même niveau
que d’autres langues étrangères, au
titre de langues vivantes, et selon le règlement des écoles secondaires
appliqué pour l’apprentissage des langues vivantes.»[14]
L’auteur
ajouta que la nation tunisienne voulait se débarrasser du bilinguisme et
arabiser totalement au moins au niveau de l’enseignement primaire, mais la
direction de l’instruction publique a fait la sourde oreille, comme ce fut le
cas au cours des négociations de 1947, au cours desquelles, les représentants
tunisiens voulaient donner à la langue arabe la place qu’elle méritait.
Cette position nette et univoque, qui était
partagée par l’élite intellectuelle tunisienne en plus d’autres facteurs, ont
poussé la direction de l’instruction publique à relancer les négociations avec
les syndicats de l’enseignement en 1949 et à réviser son projet de réforme en
augmentant l’horaire alloué à la langue arabe (comme on l'a déjà vu plus haut)
et en arabisant quelques matières pour
les deux premières années des écoles franco-arabes.
C’est dans le
même cadre de la défense de la personnalité culturelle tunisienne, qui est et
restera arabe et musulmane comme le disait le professeur Mahmoud Messadi, que
plusieurs intellectuels ont continué à poser la question de l’enseignement et
du rôle de la langue arabe dans la formation de la jeunesse. La question
de la culture et de l’enseignement est traitée par plusieurs revues de
l’époque : la revue An-Nadwa leur avait consacré un numéro en 1954 où elle
a essayé de recueillir les avis de plusieurs intellectuels sur le sujet.
B- Le débat inter-français : assimilation ou respect de la personnalité
tunisienne
1- Le
courant pour le respect et la sauvegarde de la culture arabe: un courant
minoritaire.
Machuel était le porte-drapeau de ce
courant, "il a tenté de faire de l'enseignement un creuset où
s'édifiait une communauté de civilisation francophone et arabophone ouverte à
toutes les générations montantes sans distinction d'origine et qui citait des
versets du Coran, les larmes aux yeux ce que ne lui pardonnait aucun
colonialiste» [15].
Imbu de la culture arabo musulmane et ayant vécu l'expérience algérienne,
Machuel prônait une politique scolaire qui respecte la culture arabe. Il
écrivit en 1885: " Il y a ici (Tunisie) toute une vie intellectuelle
qu’il est de notre intérêt de bien connaître pour arriver à la diriger. Évitons
avec soin de retomber ici dans les erreurs commises en Algérie au début de
l’occupation. Par inexpérience des choses musulmanes, on en arriva
inconsciemment à éteindre presque les études arabes sans aucun profit ni pour
l’influence française, ni pour la diffusion de notre langue (...). On a voulu
voir dans les écoles arabes des foyers de fanatisme et on les a détruites sans
calculer les conséquences de cette mesure peu digne d’un pays civilisé tandis
qu’il eût été de bonne politique de les améliorer (Machuel, 1885).
Machuel insistait sur le danger qu’il
y aurait à modifier l’édifice universitaire que les tunisiens « ont
élevé avec tant de soin » , et il ajouta que "les
tunisiens sont tous désireux de s’instruire et il leur est indifférent de
recevoir leur instruction des étrangers. (...) Il serait donc sage de notre
part de les aider à cultiver leur esprit, de les encourager à étudier leur langue
tout en les amenant à étudier la nôtre (...), de créer un courant intellectuel
en faveur de la Tunisie en publiant des ouvrages inédits, en rééditant beaucoup
de ceux qui ont été imprimés au Caire et qui ont tant contribué à grandir le
gouvernement de l’Égypte aux yeux des autres pays musulmans (Machuel)[16].
En réalité, on ne peut pas parler de
courant. L'idée de traiter le tunisien et sa langue sur le même pied d'égalité
que le français était loin d'être partagé par la classe politique française et
les colons. L'essence même du mouvement colonial est une négation de ce
principe. C'est pour cette raison que Machuel faisait l'objet d'une critique
violente et que ses idées furent
rejetées par les milieux officiels et les représentants des colons installés en
Tunisie. Leur chef de file dénonçait la politique scolaire suivie par Machuel,
en avançant son bilan. Il affirmait avec une certaine ironie : "Il
y a vingt-cinq ans que nous avons, en Tunisie, une direction de l’enseignement,
et on compte les arabes qui parlent français et les français qui parlent
arabe ! Et tout récemment, lorsqu’on a voulu installer cinq ou six
commissaires du gouvernement auprès des tribunaux musulmans, on n’a pas pu
trouver assez d’arabisants pour remplir ces fonctions".[17]
Les autorités du protectorat voyait
dans l'école et l'enseignement de la langue française comme les meilleures
armes pour intégrer les tunisiens à la civilisation française, et il ne reste à
la direction de l'instruction publique qu'à fournir tous les efforts pour que
chaque enfant tunisien devienne français pour de vrai , par la langue et
l'esprit tout en continuant à appartenir à son pays et à son milieu"
Mais, les colons radicaux qui appartenaient au parti
des prépondérants étaient opposés à
cette politique et rejetaient l'idée de donner
toute forme d'enseignement moderne pour les jeunes tunisiens, pour eux
un pays comme la Tunisie a besoin en premier lieu d'une main d'œuvre abondante
et que l'enseignement primaire donné aux indigènes doit avoir un caractère pratique pour fournir aux industriel une main d'œuvre
éduquée et expérimentée. [18]
2-Le courant qui veut maintenir
la langue arabe dans son état léthargique
Face au courant
représenté par Machuel, se dressent quatre tendances qui se sont exprimées
clairement à l'occasion de la tenue du congrès colonial de l'Afrique du Nord de
1908. Une première tendance qui était
proche de la position de jeunes
tunisiens, veut " partout où
c’est nécessaire, dans la mesure du possible, l’enseignement du français,
tout en maintenant l’enseignement de l’arabe plus ou moins perfectionné".
Une deuxième tendance utopique et
irréaliste " était pour
l’assimilation et la fusion complètes des éléments français et indigènes",
une troisième tendance, qui consisterait à vouloir ''enseigner l’arabe aux
musulmans et à les écarter de notre civilisation".
La quatrième tendance est défendue
par "le représentant des colons en Tunisie, leur porte-parole, et chef
du parti des prépondérants"(Victor De Carnières). Pour lui, "
l’autorité coloniale devrait assurer aux enfants musulmans…un enseignement qui
exclut toute mixité entre les deux communautés et qui doit être centré sur la
formation d’une main d’œuvre pour les agriculteurs français"[19]. … Il ajouta "que faut-il
faire ? Je vais vous présenter tout un système d’éducation primaire pour
les indigènes. Il faut partir du principe que la société indigène tout entière
est basée sur le Coran. Etes-vous de force à supprimer le Coran ?
Voulez-vous faire disparaître la religion chez les indigènes ? Non,
d’abord vous ne le pourriez pas, et puis, ce serait le plus monstrueux des
attentats contre la conscience humaine : La société civile est basée chez
le musulman sur le Coran.Ne pouvant pas supprimer le Coran, il faut l’utiliser,
il faut l’enseigner dans des conditions telles que disparaissent les défiances
confessionnelles et les haines de religion. C’est le gouvernement qui doit
faire cela. Il doit préparer des professeurs indigènes qui, au sortir
d’une école normale spéciale, sauront que dans le Coran, à côté de maximes
qui peuvent engendrer la haine, il y a toute une doctrine de charité, d’amour des uns
pour les autres. On peut arriver à supprimer la partie de haine et à la
remplacer par un enseignement de tolérance qui exercerait une heureuse influence
et permettrait peut-être le rapprochement des deux races dans le pays où
nous sommes installés. Je demande donc que l’école primaire soit coranique,
mais coranique, entendons-nous : Ce n’est pas le Kouttab, même tel que l’a
réformé M.Khairallah, c’est mieux. C’est une école où, avec l’interprétation
libérale du Coran, on enseignerait à l’indigène qu’il peut aimer le roumi, où
on lui apprendrait les éléments essentiels de la langue française.
L’enseignement devrait être donné en arabe. Cet enseignement devrait
comprendre des notions de sciences et tout particulièrement d’agriculture,
parce que la Tunisie est un pays agricole."
Curieusement, le représentant du
parti le plus réactionnaire et le plus conservateur appelle à enseigner en
arabe les jeunes tunisiens, noble position en apparence car elle cache un désir
d'exclure les jeunes tunisiens de l'enseignement donné aux jeunes européens et
de leur donner un enseignement de second choix pour les maintenir en situation
d'infériorité et au service du colon français.
Cette quatrième tendance va soulever une forte réaction des représentants des jeunes tunisiens présents au congrès. Cette réaction fut exprimée par M. Zaouche qui rappelle ceci : "Nous avons demandé des écoles franco-arabes. M. Khairallah, en attendant qu’il y ait des écoles franco-arabes, dit qu’il accepte des kouttabs réformés, mais pas une fois pour toutes. Non, nous espérons qu’au fur et à mesure que le budget le permettra, on fondera des écoles franco-arabes et cela même dans les centres où il n’y a pas de français qui arrivent à imposer leur point de vue qui consistait à généraliser les écoles franco-arabes, ".
Fin du deuxième chapitre .
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Hédi Bouhouch & Mongi
Akrout, Révision Abdessalam Bouzid, Inspecteurs généraux de l'éducation
retraités.
Tunis 2015
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[1]Cette distinction est utilisée par Bou Gamra dans son ouvrage "la question linguistique en Tunisie"(1985)
[2] Ben Gamra. M H ; la question
linguistique en Tunisie , tome premier .
P. 63. ( en arabe)
[3]Opt,cite. pp, 64-67.
[4]Opt,cite pp 64-67 ( la formule revient à Ali Bach Hamba , publié le journal le Tunisien -1909-)
[5]Mohamed Lasram , issue
d’une vieille famille kairouanaise , a fait ses études au collège Sadiki
, puis en France, à son retour il enseigna au collège Sadiki , il est
aussi interprète et historien, il est parmi les fondateurs de la
Khaldounia en 1894 et de l’association des anciens sadikiens en 1906 , il
proposa la création d’une université islamique moderne.
- Abdeljalil Zaouche ( 1873-1947)
descendant d’une riche famille de Tunis, a fait ses études au lycée saint
Charles ( lycée Carnot) puis à l’université de Paris où il a obtenu une licence
en droit en 1900 , il a exercé au barreau de Tunis quelques temps puis a
ouvert un bureau de comptabilité , fonda des sociétés et des usines , il
présida la Khaldûnia
en 1911 , il fut nommé gouverneur de Sousse en 1917 , puis Maire de Tunis en
1934, Ministre de la plume en 1935 puis de la justice en 1943, connu pour sa
modération et sa capacité d’écoute .
- Khairallah Ben Mustapha ( 1867-1965)
fils d’un ancien haut fonctionnaire proche de Khair-Eddine, fit ses étude au
collège Sadiki et à l’école normale al Alaoui , connu pour ses compétences
pédagogiques et ses méthodes pour l’enseignement de la langue arabe , il
fut un des membres du mouvement réformiste tunisien , journaliste au
journal francophone LE Tunisien , interprète auprès des tribunaux , il
est aussi parmi les fondateurs
de la Khaldûnia,
des anciens sadikiens et membre du mouvement des Jeunes Tunisiens avec Abdeljalil Zaouche , Ali Bach
Hamba, Mohamed Lasram, il présenta au congrès de l’Afrique du Nord de Paris en
1908 un rapport remarquable sur l’enseignement des indigènes en Tunisie (
publié à Tunis en 1910),
il fonda une école coranique moderne totalement arabisée mais où on enseigne la langue française.
[7]Ben Gamra . MH : la question linguistique en Tunisie , Tome
premier, partie textes , les causes du succès , PP 198- 201.
محمد هشام بوقمرة .
القضية الللغوية في تونس، الجزء الأول ، قسم الملاحق .ص،198-201. سلسلةالدراسات
الأدبية رقم 6 - تونس 1985 - طبع بمصنع الكتاب للشركة التونسية للتوزيع -15،شارع
قرطاج- تونس- جويلية 1985.
[8] "Al Hadhira est le
premier journal non officiel qui parait en arabe en 1888 , dirigé par Ali
Bouchoucha , ancien sadikien avec la collaboration de plusieurs des membres du
mouvement réformiste "Al Nahdha (la renaissance) parmi d'anciens sadikiens
et d'anciens zitouniens comme Salem
Bouhajeb, Béchir Sfar, Mohamed Snoussi, Mohamed Ben Khoudja" -(Bougamra ,p.39).
[9]Opt. cite. p, 43.
[10]La traduction de l'appellation "Kouttab réformé"
par " " الكُتّاب العصريn'est pas réussi , Bach
hamba trouve le qualificatif français
"réformé" renvoie au concept
de "réforme" et il voit dans ce choix une tentative pour présenter
ces Kouttabs comme les institutions
revendiquées par les réformistes tunisiens , ce qu'il réfutait et
tentait de les faire avorter" (Ben Gamra .p,61.note,1).
[11]opt cite p 60
[12]Voir
article de Ali Bach Hamba : l’école franco-arabe ou Al Kuttab Al Asri (moderne) opt cite . p. 289-307
[13]Opt cité p , 206
[14]Opt cité p , 203
[15] H. L. M. Obdeijn : L'enseignement de l'histoire dans la Tunisie
moderne (1881 à 1970);
https://repository.ubn.ru.nl/bitstream/handle/2066/148509/mmubn000001_071668225.pdf?sequence=1
[16]
Claude Cortier, « Conquête par l’école et réalités du
« terrain » : quelques aspects de l’action de l’Alliance
française dans le bassin méditerranéen (1883-1914) », Documents pour
l’histoire du français langue étrangère ou seconde [En ligne],
27 | 2001, mis en ligne le 31 janvier 2014, consulté le 09 mars 2019.
URL : http://journals.openedition.org/dhfles/2552
[17]congrès de l'Afrique du nord tenu à
Paris du 6 au 9 Octobre 1908,
[18] Sraeib.N. Enseignement , élites et systèmes de valeur : collège Sadiki de Tunis- http://www.anciens-sadiki.org.tn/sdk_biblio_num/documents_pdf/sadiki_analyseAAN-1971-10_30.
[19] congrès de l’Afrique du Nord, tenue à Paris du 6 au 10
Octobre 1908
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