lundi 25 avril 2016

Partie V : les années quatre- vingt, les travaux préparatoires de la réforme de 1991 (Troisième partie)


Nous clôturons cette semaine l’étude de la période des années quatre vingt par la présentation des principales mesures  et les évolutions  qu’avaient connues la scène éducative à la fin de la décennie ( depuis 1987), et surtout l’aboutissement des travaux de réflexion et la préparation de la loi d’orientation en 1988 qui a préparé la voie à la loi de 1991.
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III.          Les préparatifs pour la réforme de 1991
1.    Mohamed Sayah lance une vaste opération d’évaluation du système et ouvre la voie à la réforme et constitue des commissions d’études
Depuis la nomination de Mohamed Sayah au ministère de l’éducation et de l’enseignement supérieur, avec le rang de Ministre d’état en mai 1987 , les efforts du ministère s’étaient dirigés vers une opération de diagnostic de l’état du système éducatif pour identifier ses principales défaillances à tous les niveaux ; pour effectuer cette tâche , le Ministre a constitué six (6) commissions de réflexion et d’étude au cours d’une réunion tenue le premier octobre 1987[1] , chaque commission fut chargée d’une question comme l’indique le tableau suivant :
Les six commissions et leur centre d’intérêt
le responsable
Le centre d’intérêt
commission
La direction des programmes
Evaluation de l’expérience de la 7ème et de la 8ème année
N°1
La direction des programmes, présidée par le professeur Med Annabi professeur d’enseignement supérieur, démarrage des travaux lé 7/11/87, fin des travaux fin juin 1988
les programmes des sciences physiques et de la technologie  au premier cycle de l’enseignement secondaire
N°2
le directeur de l’enseignement secondaire, fin des travaux fin décembre 1987
l’orientation de la fin du 1er cycle
N°3
la direction de l’enseignement primaire , l’évaluation sera faite par l’INSE au cours de l’année

l’expérience de l’initiation aux travaux manuels à l’école primaire
N°4

les projets du 7ème plan
N°5

le devenir des collèges professionnels et la manière de gérer leurs matériels[2] après la décision de la suppression de l’enseignement professionnel
N°6


La réflexion portait essentiellement sur :
-         les projets en cours d’exécution qui visaient à combattre le redoublement et le décrochage au niveau de l’école primaire ;
-         le système d’orientation à la fin du tronc commun de l’enseignement secondaire.
-         L’expérience de l’introduction de l’enseignement des sciences physiques et de la technologie dès le 1er cycle dans les lycées pilotes.
-         La manière de gérer les conséquences de la décision de la suppression de l’enseignement professionnel, prise par le conseil des ministres en octobre 1978 le matériel et surtout penser aux moyens de réutiliser l’important matériel  qui se trouvait dans les collèges professionnels, surtout que l’acquisition de ce matériel s’est faite dans le cadre d’un accord entre le gouvernement tunisien et la banque Africaine de développement qui a financé les acquisitions  de ce matériel.
Mais ces commissions n’ont pas eu le temps de commencer leurs travaux, la destitution du président Bourguiba et l’arrivée de Zine Al Abidine Ben Ali et la constitution d’un nouveau gouvernement dirigé par Hédi Baccouche avaient mis fin à ces commissions.
2.    La période 1987 -1989  : poursuite de la réflexion sur les grandes questions de l’éducation et la question de la préparation d’une nouvelle loi.

a.     Le début de la réflexion  sur une nouvelle loi de l’éducation : en réalité , l’idée de promulguer une nouvelle loi remonte au mois de Mai 1987 avec le Ministre Sayeh, car la loi en vigueur ( loi de 1958) n’était plus adaptée à la réalité et à l’évolution du système éducatif, c’est dans ce cadre qu’une commission présidée par le secrétaire d’état Mde Hédi Khelil et comprenant deux juristes  Sadok Belaid et Béchir Takkari fut chargée de préparer une nouvelle loi , la commission a poursuivi ses travaux jusqu’au mois de janvier 1989[3]
b.    Le Ministre Chelly lance le projet de la nouvelle loi éducative
Dès les premiers mois de son installation , le nouveau ministre de l’éducation et de l’enseignement supérieur, le 7 novembre 1987 et ses deux secrétaires d’état,  ont décidé de reprendre  les questions  soulevées par le gouvernement précédent ;  les nouveaux responsables avaient conclu qu’il était nécessaire de préparer une nouvelle loi pour remplacer la loi de 1958 qui était encore en vigueur alors qu’elle n’était plus conforme à la réalité de l’école , après les multiples aménagements et modifications qui avaient touché les finalités du système , les grandes orientations des programmes , la structure de l’enseignement , les sections…
Dès le mois de janvier 1988 , les commissions de réflexion reprennent leurs travaux qui ont abouti à la rédaction d’un document de synthèse qui avait recommandé l’organisation d’une large consultation sur les grandes orientations de la future réforme éducative , une réunion , présidée par le secrétaire d’état Hédi Khlil  le 17 février , a été consacré à la préparation de l’organisation de la consultation .
Une deuxième réunion eut lieu le 23 février 1988 présidé par le ministre Tijani Chelly au cours de laquelle , il annonce clairement les motifs de la  réforme du système , disant à ce propos : «  la question de la réforme est d’une importance pour l’avenir de la collectivité nationale… qu’il est anormal qu’il subsiste encore quelques aspects négatifs alors que le pays a accédé à l’indépendance voila déjà quelque temps ,il est temps de réfléchir sérieusement  à l’avenir ce secteur sensible, et de revoir son organisation pour le réformer et lui donner plus d’efficacité » .
Le ministre a déclaré que la réforme du système éducatif est l’une des priorités du nouveau gouvernement ,elle est aussi l’une des questions qui préoccupe l’opinion publique nationale , c’est la raison pour laquelle son département a la volonté  de préparer un projet de loi cadre qui remplacerait la loi de 1958[4] , « car le texte de 58 est largement dépassé par la réalité  et sa révision est devenue une nécessité , elle doit se faire en tenant compte des nouveaux défis que rencontrent notre pays » [5] , le ministre présenta ensuite les grandes finalités de la nouvelle loi , qui doit,  d’après lui:

-         Réduire le nombre de défaillants au niveau des deux cycles primaire et secondaire ;
-         Assurer la scolarisation de tous les enfants jusqu’à l’âge de 15 ou 16 ans pour éradiquer l’analphabétisme ;
-         Relever le niveau de l’enseignement tunisien.
« Ce sont ces finalités qui nous ont poussé à penser à mettre en place le système de l’école de base en dépit du coût très élevé que devrait supporter la collectivité nationale »
c.     Chelly lance une consultation au sujet du projet de réforme
 La commission de réflexion sur la nouvelle loi a préparé un document pour encadrer et guider la consultation, ce document comporte :
-         les grands principes de la réforme et ses moyens, l’idée était d’élaborer une loi d’orientation qui précise les principes fondamentaux de la réforme, qui seront complétés par des textes d’application (décrets et arrêtés).
-         Sept axes principaux : la structure du système du point de vue administratif  - la mise en place de l’école de base - la rénovation de l’enseignement secondaire et du baccalauréat -  les conditions d’accès à l’enseignement supérieur et ses différentes filières - la recherche scientifique -  le cadre enseignant  - l’enseignement privé - le financement du système éducatif. (voir les détails dans le tableau suivant)

les axes
libellés
les orientations

1
la structure du système éducatif sur le plan administratif
la mission du ministère est la conception, la coordination et le contrôle / création d’un conseil national de l’éducation et de la recherche scientifique , avec une fonction consultative surtout au niveau de la conception / création de structures administratives décentralisées ( des universités  et des académies pour l’enseignement scolaire) .
2
l’école de base
c’est le premier niveau de l’enseignement qui dure 9 ans, sa mission est de remédier aux insuffisances du système actuel qui n’a pas donné des solutions aux élèves qui ne réussissent pas au concours d’entrée en 1ère année de l’enseignement secondaire, la mise en place se fera progressivement , à la fin de l’école de base , l’élève serait orienté selon ses résultats et ses mérites , soit vers l’enseignement secondaire , soit vers l’enseignement professionnel, l’élève qui n’achèverait pas l’école de base sera orienté vers l’apprentissage professionnel.
3
l’enseignement secondaire et l’examen du baccalauréat
c’est le deuxième niveau ( l’équivalent du deuxième cycle de l’enseignement secondaire de l’époque), il  comporte deux sections ( la section générale et la section technique), avec la possibilité de réfléchir à une troisième section professionnelle .
la section générale comporte deux cycles , le premier assure une formation générale le deuxième est un cycle de spécialisation, la section technique  associe la formation spécialisée à la formation en sciences humaines et en langue.
Le baccalauréat est un diplôme de fin d’études secondaire qui donne accès à l’enseignement supérieur selon des modalités données.
les élèves qui ne réussissent pas cet examen auront la possibilité de suivre une formation spécifique pour faciliter leur insertion dans le marché de l’emploi.
4
l’enseignement supérieur et la recherche scientifique
création d’une année préparatoire  qui permet à l’étudiant, selon ses moyens et ses aptitudes, de rejoindre l’enseignement supérieur long  qui aboutit au troisième cycle ,ou  de poursuivre ses études dans un cycle court.
avec la possibilité d’accéder en fin du cycle à l’enseignement supérieur long,- l’importance du 3ème cycle dans la formation de cadres , d’enseignants et de chercheurs- renforcement de la recherche scientifique.                  
5
le cadre enseignant
la nouvelle loi doit  contenir des mesures qui concerne le cadre enseignant( la formation continue, un système d’évaluation  du parcours professionnel, révision des  conditions du recrutement, fixer les règles déontologique de la profession)
6
l’enseignement privé
revoir son rôle et sa participation dans la réalisation des finalités du système éducatif et la révision les conditions relatives à ce secteur
7
le financement du système éducatif
Bien que la scolarité soit gratuite à l’école de base, la réforme du système éducatif nécessite de trouver un cadre juridique pour mobiliser les moyens supplémentaires dans le respect du principe de la justice sociale  


d.    Les axes de la consultation et son organisation
Au cours d’une réunion avec les responsables du ministère consacré à la préparation du lancement de la consultation, le ministre a insisté sur son importance dans le processus de l’évaluation et de la réforme, il attend qu’elle lui donne une idée sur les positions des différentes parties sur les questions suivantes :
-          La mise en place de l’école de base (avec La possibilité d’utiliser le rapport de l’école de demain et la nécessité d’adopter une démarche souple et progressive au niveau de l’application) et les modalités de passage pour le cycle suivant (le cycle secondaire) ;
-         La durée du tronc commun et les mécanismes de l’orientation
-         La diversification du baccalauréat
-         L’organisation d’une année préparatoire après le baccalauréat et les modalités d’accès à l’enseignement supérieur ;
-         L’encouragement du secteur privé et la révision de son rôle ;
-         la question de l’arabisation des matières scientifiques au secondaire et la place de la langue française dans le système éducatif tunisien
-         Le financement du système éducatif[6]
A la fin de la réunion, le ministre a annoncé que   « la consultation aura lieu durant le mois de mars 1988, ce sera une large consultation qui touchera toutes les parties qui sont intéressées par la question éducative, sachant que certaines composantes de la société civile vont organiser à leur tour la consultation au sein de leurs propres structures.
Quant à la consultation réservée au corps enseignant, une  stratégie et un calendrier  furent arrêtés, la consultation doit partir de l’école primaire et du lycée selon une démarche pyramidale (école primaire puis la circonscription, puis la délégation régionale ); pour le secondaire la consultation doit partir du lycée pour remonter jusqu’à la direction régionale de l’enseignement secondaire) ; les propositions des écoles et des lycées devraient être synthétisées à la fin du mois de mars , les régions doivent remettre leur rapport le 15 avril 1988.
e.     Mohamed Hédi Khlil poursuit l’action
Le remaniement ministériel du 11 avril 1988 qui a entrainé le départ de Tijani Chelly et la promotion de son secrétaire d’état Mohamed Hédi Khlil  et le  scindement du ministère en deux départements (l’un pour l’éducation nationale, l’autre pour l’enseignement supérieur)    n’a pas  arrêté le processus :
§  le travail de réflexion s’est poursuivi , la consultation ne fut pas une vaine opération , le nouveau ministre avait poursuivi le travail qui a été entamé alors qu’il était secrétaire d’état, en juin 1988  ,le projet de loi était fin prêt, il fut soumis au premier congrès du parti au pouvoir en juillet 1988 qui l’adopta, puis il fut approuvé par le conseil des ministres avant d’être soumis au conseil économique et social et puis présenté au conseil supérieur de l’éducation le 6 janvier 1989, seulement le gouvernement n’a pas  transmis le projet au parlement pour son adoption pour des raisons qui sont restés mystérieuses , le 3ème remaniement ministériel  et l’arrivée de Feu Mohamed Charfi  finit par classer le projet.
§  La mise en place de l’école de base de neuf ans, progressivement à partir de la rentrée 1989/1990 avec de nouveau programmes et de nouveaux manuels, surtout après avoir réussi à convaincre la Banque Mondiale de financer le projet  , par un prêt de 90 millions de dinars .
§  Le démarrage de l’analyse des programmes scolaires de plusieurs disciplines comme la langue arabe, l’histoire, la géographie, l’éducation islamique dans le cadre de commissions permanentes créées au sein de la direction générale des programmes et de la formation continue, il s’agit des commissions sectorielles :[7]

-       Ce sont des commissions consultatives dont  «  les membres sont nommés par le ministre de l’éducation pour deux ans et formés par des enseignants, de membres du personnels d’encadrement pédagogiques représentant les trois cycles d’enseignement et des représentants des différents secteurs et institutions nationales concernées par des programmes de la commission » art 3 ; de chaque commission peuvent «  émaner des sous commissions spécialisées chargées de réaliser des tâches  techniques comprenant des membres qui ne font partie de la commission sectorielle » art 4.
-       Les commissions sectorielles seront chargées de réfléchir sur les contenus des programmes  des deux cycles de l’école de base et de l’enseignement secondaire , et  de proposer les réformes à même de permettre aux contenus de ces programmes d’être au diapason de l’évolution des savoirs et des méthodes  d’enseignement , la commission est aussi appelé à proposé les plans de formation adaptés pour mettre à jour les savoirs des enseignants et  renouveler leurs méthodes de travail et améliorer leurs performances.
Conclusion
Les années quatre vingt  furent au début  une période difficile d’attente et de doute sur l’avenir politique et économique du pays , sur le secteur éducatif , c’était une période de réflexion  et de travail sur de grands dossiers  et  les aspects de défaillance  du système ( échec scolaire, décrochage, baisse du niveau, inadéquation entre la formation et les besoins de l’économie…) , le travail de réflexion avait amené les responsables à conclure que les objectifs fixés étaient loin d’être réalisés  et qu’il était nécessaire de redonner vie  au  système  en adoptant  une nouvelle réforme éducative  à même de répondre  aux défis de l’étape et de sauver l’école tunisienne  d’où le projet de l’école de base qui a été au centre des préoccupations  de toutes les commissions de réflexion de 1982 à 1989 , et qui n’attendait qu’un ministre  doté d’une vision et d’une volonté de réforme réelle.
Hédi Bouhouch & Mongi Akrout , Inspecteurs généraux retraités
Tunis ; octobre 2015

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[1] Le ministre a présidé plusieurs réunion d’évaluation, mais les informations sur cette période sont très réduites, nous avons tiré  nos principales  informations de PV de réunions du cabinet du ministère  pour la période allant du mois d’octobre 1987 au mois de Mars 1987.
[2]  La sixième commission  a été ajoutée au cours de la réunion du  cabinet le 24 octobre 1987.

[3]  Ces informations nous ont été données par M° Mde Hédi Khelil ( févriet 2016)
[4] Opt cité , l’introduction du document  de la consultation , paraphée par le professeur Tijani Chelly
[5]  Opt cité
[6]  Document sur les grandes orientations de la réforme du système éducatif, janvier 1998 .La première page destinée aux personnes concernées par la consultation est signée par le ministre Tijani Chelly.
[7]  Arrête du ministre de l’éducation nationale du 27 janvier 1989 relatif à la création de commissions sectorielles permanentes  pour étudier les programmes  et les moyens d’enseignement. JORT N° 9 du 7 février 1898.

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