A la fin de chaque année scolaire; les élèves, les parents attendent
les décisions des conseils des classes qui vont sceller l’avenir scolaire de
leurs enfants. A cette occasion, le blog pédagogique publie un document[1]
qui relate un débat sur la question qui
remonte au début du siècle passé ; il s’agit d’un débat du Conseil de l’instruction Publique,[2] réuni
en Session ordinaire, au mois de mai 1905, sous la présidence de M°
Machuel, Directeur de l’instruction publique, pour débattre des questions se
rapportant à la situation de l’éducation dans notre pays, parmi lesquelles la
question de l’Examen de passage dans les établissements
d’enseignement.
Nous
allons reproduire et commenter le
document.
Examen de passage dans les établissements d’enseignement
« Le
Président ( Louis Machuel)[3] expose au Conseil les raisons pour lesquelles
il a paru bon de faire figurer cette question à l'ordre du jour.
Trop
souvent, des élèves incapables de suivre avec fruit le programme d'une classe,
y sont cependant admis pour des considérations diverses (âge, désir des
familles, etc.), dont il est difficile aux chefs d'établissement de ne pas
tenir compte, faute d'un règlement précis sur la matière. II faudrait qu'ils
fussent suffisamment armés pour interdire aux élèves, notoirement insuffisants,
l'accès d'une classe trop élevée pour eux ».
commentaire1
Ce premier paragraphe traduit l’inquiétude du conseil de l’instruction
publique, réuni en session annuelle, au mois de Mai 1905, quant au passage de
certains élèves aux classes supérieures, sans avoir acquis les savoirs et les
compétences qui leur permettent de suivre les cours de sa nouvelle classe. Cette
situation est due au fait qu’il n’y avait pas de règlement qui organisait le
passage des élèves d’une classe à une autre, en effet le règlement scolaire du 20 décembre 1886 n’a pas
traité la question du passage des élèves d’une classe à la classe supérieure
alors qu’il a touché la plupart des aspects de la vie scolaire . Il semble
que la question était laissée au soin du directeur de l’école, et aux
instituteurs qui subissaient des pressions diverses. Le conseil voulait leur
donner les moyens d’agir pour « interdire aux élèves notoirement insuffisants
l'accès d'une classe trop élevée pour eux. » et d’unifier les procédures
dans toutes les écoles de la régence.
|
M.
Aurès[4] ( instituteur ) appuie cette
manière de voir. Il voudrait même qu'il y eut, pour passer d'une classe à l'autre, un examen subi devant le maître
actuel et le maître futur, et qu'en aucun cas, un directeur ne put imposer un
élève trop faible à un de ses adjoints.
M.
Duval[5] (Proviseur du lycée Carnot) est d'avis qu'il ne faut pas exagérer
la rigueur du règlement. Ici, plus qu'en France, l'application en serait
délicate; Certains élèves, les étrangers surtout, sont insuffisants, au début,
dans la langue française, tout en suivant fort bien par ailleurs le programme
de la classe; ils se perfectionnent à la longue et arrivent dans les classes
supérieures à bien posséder notre langue. Devons-nous les arrêter dès le seuil
de leurs études ? De plus il y aurait lieu de déterminer la forme de
l'examen, sa date, les sanctions à y apporter. M. Bourgeon,[6] (Le Procureur de la République) tout en admettant le principe de l'examen de
passage, craint qu'une réglementation excessive n'alarme les parents de famille, et ne leur laisse pas assez de garanties
contre une décision trop sévère de l’administration.
Le
Président est d'avis qu'il y aura des tempéraments à apporter à l'application
du règlement ; que certains élèves, d'ailleurs travailleurs, sont lents à
se développer et peuvent très bien réussir dans les classes supérieures, après
avoir suivi péniblement les classes inférieures ; mais que néanmoins c'est
rendre service à un enfant par trop insuffisant que de l'arrêter au seuil d'une
classe où il ne pourra rien faire de bon. L'administration est d'ailleurs
disposée à se montrer aussi libérale que possible dans la pratique.
Commentaire 2
le débat avait opposé des points de vue divergents sur la question de l’institution ou non
d’un examen de passage : l’avis de l’instituteur l’homme de terrain, du proviseur
qui gère un établissement, du procureur de la république qui est à l’écoute des
préoccupations des citoyens et du Directeur de l’instruction publique le premier
responsable éducatif dans la régence.
l’instituteur, défendant la rigueur et l’objectivité, appelle à
l’institution d’un examen devant deux maîtres (le maitre de l’élève et celui
qui va le devenir l’année d’après). Le proviseur, s’il n’est pas totalement
opposé à l’idée, appelle à un peu plus de souplesse et à tenir compte de la
réalité locale marquée par l’hétérogénéité de la population scolaire ;
il craint que trop de rigueur risque de mettre à la rue beaucoup d’enfants
étrangers qui trouvent au début des difficultés dues à la langue française
qui n’est pas leur langue maternelle , estimant que ces difficultés sont
souvent passagères. Or l’arrêt de la scolarité pour cette catégorie est en
contradiction avec les visées ‘civilisatrices ’ des théoriciens du régime colonial.
Le procureur de la république, se range pour l’examen, mais il attire
l’attention sur les éventuelles réactions des parents quant à une
règlementation excessive qui pourrait amener des abus de la part de
l’administration et l’exclusion d’enfants pour des raisons qui ne seraient pas forcément en raison de
leur résultat scolaire.
Le président du conseil et directeur de l’instruction publique, tenant
compte de tous ses avis, prend une position conciliante, c'est-à-dire qu’il était pour l’instauration d’une
règlementation du passage, pour combler le vide « juridique »
laissé par le règlement de 1886 ;
mais d’un autre coté il s’engage à demander aux directeurs de « se montrer aussi libéral que possible dans la pratique. » à la
fin , le directeur de l’instruction
publique a construit sa décision en fonction de celles des autres membres du
conseil, sans toutefois suivre l’instituteur dans sa rigueur , et il s’est
aligné sur l’avis du proviseur quant à la souplesse dans l’application et il
a pratiquement décliné les inquiétudes du procureur. Cette prise de position est
celle d’un pédagogue doublé d’un fin
politicien.
|
Sous
ces réserves, le Conseil émet à l'unanimité le vœu[7] : Que dans tous les établissements
d'enseignement, tout élève dont la moyenne des notes aura été jugée
insuffisante, ne puisse être admis à passer à la rentrée dans une
classe supérieure, s'il n'a pas subi avec succès un examen portant sur le programme
de sa classe actuelle. Cet examen serait subi à la fin de l'année scolaire et,
en cas d'échec, renouvelé à la rentrée des classes.
Commentaire 3
Il s’avère donc que l’idée d’instituer un examen de passage est une
vielle idée qui remonte à l’année 1905 ; débattue par le conseil de
l’instruction publique et adoptée par lui, elle est entrée en vigueur et elle
est devenue un moyen d’évaluation supplémentaire pour certains élèves pour leur permettre de passer à la classe
supérieure.
Cette procédure a continué à exister même après l’indépendance jusqu’en
1969 dans l’enseignement secondaire où on retrouve deux types d’examen de passage
qui ont lieu au mois de septembre :
§ L’examen de passage partiel qui intéressent les élèves - dont la
moyenne annuelle générale serait comprise entre 9 .99 et 9 et même
(8.5 sur décision du conseil) avec des
moyennes annuelles inférieures à 5 dans une ou plusieurs matières principales
- ces élèves doivent passer un examen partiel dans une matière ou plus
En octobre, l’élève
qui améliore sa moyenne est admis en classe supérieure, pour les élèves qui ont
une moyenne annuelle de 8 sur 20 fera
l’objet d’une délibération du conseil de classe.
§ Un examen de passage général pour tout élève
dont la moyenne annuelle générale serait comprise entre 8.99 et 8 sur 20(le
conseil de classe peut décider de descendre à 7.5).
Au mois d’octobre,
et en fonction des résultats de l’examen de passage , tout élève dont la
moyenne générale est égale ou supérieure à 9 sur 20 est admis à passer à la classe
supérieure ; pour les élèves qui ont une
moyenne annuelle inférieure à 9 et égale ou supérieure à 8 sur 20
feront l’objet d’une délibération du conseil de classe , enfin une moyenne
inférieure à 8 entraine automatiquement le redoublement.[8]
|
Source : Conseil de l’instruction Publique - Session
ordinaire, Mai 1905- Bulletin officiel
l'enseignement public N° 51 - Juin 1905, Année 19, pp 826, 827.
Hédi Bouhouch & Mongi Akkrout ,
Inspecteurs généraux de l’éducation
Tunis , Mai 2016
[1]
Conseil de l’instruction Publique - Session ordinaire, Mai 1905- Bulletin officiel l'enseignement public N° 51 - Juin 1905,
Année 19, pp 826, 827.
[2] .Le conseil
de l’instruction publique est une instance créée par la loi du 15 septembre
1888 ( art 3) ,le conseil est présidé
par le directeur de l’instruction publique et comprend 18 membres désignés pour
3 années, ils représentent le pouvoir politique et judiciaire, et les
différents corps de l’enseignement ( inspecteurs, directeurs d’écoles ,
proviseurs de collèges et de lycées et les enseignants) , le conseil a deux
fonctions : une fonction consultative ( il donne son avis sur les réformes
, la gestion et les budgets des établissements … et une fonction disciplinaire
( il se transforme en conseil de discipline)
pour les directeurs et les enseignants.
.
[3] Louis
Machuel fut le premier Directeur de l'Instruction Publique en Tunisie, après
l'établissement du Protectorat. de 1883 à 1908 , il était très attaché au bilinguisme,
il fut le créateur des écoles franco-arabes.
[7] Nous
avons déjà signaler que le conseil n’avait qu’on rôle consultatif , il se
limite à émettre des vœux ou des recommandations , la décision revient à la fin
à l’autorité éducative et à l’autorité
politique
[8] Circulaire 2900 du 21 juin 1959
relative aux conseils des classes
[9]
A l’époque du Ministre Ahmed Ben Salah
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire