lundi 4 juillet 2016

Mémoire de l’éducation : Le passage d’une classe à la classe supérieure

A la fin de chaque année  scolaire; les élèves, les parents attendent les décisions des conseils des classes qui vont sceller l’avenir scolaire de leurs enfants. A cette occasion, le blog pédagogique publie un document[1] qui relate un  débat sur la question qui remonte au début du siècle passé ; il s’agit d’un débat  du Conseil de l’instruction Publique,[2]   réuni en  Session ordinaire,  au mois de mai 1905, sous la présidence de M° Machuel, Directeur de l’instruction publique, pour débattre des questions se rapportant à la situation de l’éducation dans notre pays, parmi lesquelles la question de l’Examen de passage  dans les établissements d’enseignement.

Nous allons reproduire et  commenter le document.

Examen de passage dans les établissements d’enseignement

« Le Président ( Louis Machuel)[3]   expose au Conseil les raisons pour lesquelles il a paru bon de faire figurer cette question à l'ordre du jour.
Trop souvent, des élèves incapables de suivre avec fruit le programme d'une classe, y sont cependant admis pour des considérations diverses (âge, désir des familles, etc.), dont il est difficile aux chefs d'établissement de ne pas tenir compte, faute d'un règlement précis sur la matière. II faudrait qu'ils fussent suffisamment armés pour interdire aux élèves, notoirement insuffisants, l'accès d'une classe trop élevée pour eux ».
commentaire1
Ce premier paragraphe traduit l’inquiétude du conseil de l’instruction publique, réuni en session annuelle, au mois de Mai 1905, quant au passage de certains élèves aux classes supérieures, sans avoir acquis les savoirs et les compétences qui leur permettent de suivre les cours de sa nouvelle classe. Cette situation est due au fait qu’il n’y avait pas de règlement qui organisait le passage des élèves d’une classe à une autre, en effet le règlement scolaire du 20 décembre 1886 n’a pas traité la question du passage des élèves d’une classe à la classe supérieure alors qu’il a touché la plupart des aspects de la vie scolaire . Il semble que la question était laissée au soin du directeur de l’école, et aux instituteurs qui subissaient des pressions diverses. Le conseil voulait leur donner les moyens d’agir pour « interdire aux élèves notoirement insuffisants l'accès d'une classe trop élevée pour eux. » et d’unifier les procédures dans toutes les écoles de la régence.

M. Aurès[4] ( instituteur  ) appuie cette manière de voir. Il voudrait même qu'il y eut, pour passer d'une classe à l'autre, un examen subi devant le maître actuel et le maître futur, et qu'en aucun cas, un directeur ne put imposer un élève trop faible à un de ses adjoints.
M. Duval[5]  (Proviseur du lycée Carnot) est d'avis qu'il ne faut pas exagérer la rigueur du règlement. Ici, plus qu'en France, l'application en serait délicate; Certains élèves, les étrangers surtout, sont insuffisants, au début, dans la langue française, tout en suivant fort bien par ailleurs le programme de la classe; ils se perfectionnent à la longue et arrivent dans les classes supérieures à bien posséder notre langue. Devons-nous les arrêter dès le seuil de leurs études ? De plus il y aurait lieu de déterminer la forme de l'examen, sa date, les sanctions à y apporterM. Bourgeon,[6] (Le Procureur de la République)  tout en admettant le principe de l'examen de passage, craint qu'une réglementation excessive n'alarme les parents de famille, et ne leur laisse pas assez de garanties contre une décision trop sévère de l’administration.
Le Président est d'avis qu'il y aura des tempéraments à apporter à l'application du règlement ; que certains élèves, d'ailleurs travailleurs, sont lents à se développer et peuvent très bien réussir dans les classes supérieures, après avoir suivi péniblement les classes inférieures ; mais que néanmoins c'est rendre service à un enfant par trop insuffisant que de l'arrêter au seuil d'une classe où il ne pourra rien faire de bon. L'administration est d'ailleurs disposée à se montrer aussi libérale que possible dans la pratique.
Commentaire 2
le débat avait opposé des points de vue divergents  sur la question de l’institution ou non d’un examen de passage : l’avis de l’instituteur l’homme de terrain, du proviseur qui gère un établissement, du procureur de la république qui est à l’écoute des préoccupations des citoyens et du Directeur de l’instruction publique le premier responsable éducatif dans la régence.
l’instituteur, défendant la rigueur et l’objectivité, appelle à l’institution d’un examen devant deux maîtres (le maitre de l’élève et celui qui va le devenir l’année d’après). Le proviseur, s’il n’est pas totalement opposé à l’idée, appelle à un peu plus de souplesse et à tenir compte de la réalité locale marquée par l’hétérogénéité de la population scolaire  ; il craint que trop de rigueur risque de mettre à la rue beaucoup d’enfants étrangers qui trouvent au début des difficultés dues à la langue française qui n’est pas leur langue maternelle , estimant que ces difficultés sont souvent passagères. Or l’arrêt de la scolarité pour cette catégorie est en contradiction avec les visées ‘civilisatrices ’ des théoriciens du régime colonial.
Le procureur de la république, se range pour l’examen, mais il attire l’attention sur les éventuelles réactions des parents quant à une règlementation excessive qui pourrait amener des abus de la part de l’administration et l’exclusion d’enfants pour des raisons  qui ne seraient pas forcément en raison de leur résultat scolaire.
Le président du conseil et directeur de l’instruction publique, tenant compte de tous ses avis, prend une position conciliante, c'est-à-dire  qu’il était pour l’instauration d’une règlementation du passage, pour combler le vide «  juridique » laissé par le règlement de 1886 ;  mais d’un autre coté il s’engage à demander aux directeurs  de « se montrer aussi libéral  que possible dans la pratique. » à la fin , le directeur de  l’instruction publique a construit sa décision en fonction de celles des autres membres du conseil, sans toutefois suivre l’instituteur dans sa rigueur , et il s’est aligné sur l’avis du proviseur quant à la souplesse dans l’application et il a pratiquement décliné les inquiétudes du procureur. Cette prise de position est celle d’un pédagogue  doublé d’un fin politicien.

Sous ces réserves, le Conseil émet à l'unanimité le vœu[7] : Que dans tous les établissements d'enseignement, tout élève dont la moyenne des notes aura été jugée insuffisante, ne puisse être admis à passer à la rentrée dans une classe supérieure, s'il n'a pas subi avec succès un examen portant sur le programme de sa classe actuelle. Cet examen serait subi à la fin de l'année scolaire et, en cas d'échec, renouvelé à la rentrée des classes.
Commentaire 3
Il s’avère donc que l’idée d’instituer un examen de passage est une vielle idée qui remonte à l’année 1905 ; débattue par le conseil de l’instruction publique et adoptée par lui, elle est entrée en vigueur et elle est devenue un moyen d’évaluation supplémentaire  pour certains élèves   pour leur permettre de passer à la classe supérieure.
Cette procédure a continué à exister même après l’indépendance jusqu’en 1969 dans l’enseignement secondaire où  on retrouve deux types d’examen de passage qui ont lieu au mois de septembre :
§  L’examen de passage partiel  qui intéressent les élèves - dont la moyenne  annuelle générale    serait comprise entre 9 .99 et 9 et même (8.5 sur décision du conseil)  avec des moyennes annuelles inférieures à 5 dans une ou plusieurs matières principales -  ces élèves doivent passer un examen  partiel dans une  matière ou plus
En octobre, l’élève qui améliore sa moyenne est admis en classe supérieure, pour les élèves qui ont une  moyenne annuelle de 8 sur 20 fera l’objet d’une délibération du conseil de classe.
§  Un examen de passage général pour tout élève dont la moyenne annuelle générale serait comprise entre 8.99 et 8 sur 20(le conseil de classe peut décider de descendre à 7.5).
Au mois d’octobre, et en fonction des résultats de l’examen de passage , tout élève dont la moyenne générale est égale ou supérieure à 9 sur 20  est admis à passer à la classe supérieure ; pour les élèves qui ont une  moyenne annuelle inférieure à 9 et égale ou supérieure à 8 sur 20 feront l’objet d’une délibération du conseil de classe , enfin une moyenne inférieure à 8 entraine automatiquement le redoublement.[8]
ce système fut abandonné en septembre 1969[9] .


Source : Conseil de l’instruction Publique - Session ordinaire, Mai 1905- Bulletin officiel l'enseignement public N° 51 - Juin 1905, Année 19, pp 826, 827.

Hédi Bouhouch & Mongi Akkrout , Inspecteurs généraux de l’éducation
Tunis , Mai 2016









[1] Conseil de l’instruction Publique - Session ordinaire, Mai 1905- Bulletin officiel l'enseignement public N° 51 - Juin 1905, Année 19, pp 826, 827.
[2] .Le conseil de l’instruction publique est une instance créée par la loi du 15 septembre 1888 ( art 3) ,le conseil est  présidé par le directeur de l’instruction publique et comprend 18 membres désignés pour 3 années, ils représentent le pouvoir politique et judiciaire, et les différents corps de l’enseignement ( inspecteurs, directeurs d’écoles , proviseurs de collèges et de lycées et les enseignants) , le conseil a deux fonctions : une fonction consultative ( il donne son avis sur les réformes , la gestion et les budgets des établissements … et une fonction disciplinaire ( il se transforme en conseil de discipline)  pour les directeurs et les enseignants.
.
[3] Louis Machuel fut le premier Directeur de l'Instruction Publique en Tunisie, après l'établissement du Protectorat. de 1883 à 1908 , il était très attaché au bilinguisme, il fut le créateur des écoles franco-arabes.

[4] M. Aurès instituteur à l'école annexe du collège Alaoui
[5] M Duval Proviseur du Lycée Carnot
[6] Procureur de la République à Tunis
[7] Nous avons déjà signaler que le conseil n’avait qu’on rôle consultatif , il se limite à émettre des vœux ou des recommandations , la décision revient à la fin à l’autorité éducative  et à l’autorité politique


[8] Circulaire 2900 du 21 juin 1959 relative aux conseils des classes
[9]  A l’époque du Ministre Ahmed Ben Salah

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire