lundi 6 avril 2020

Les travaux du conseil supérieur de l’éducation nationale (La première session- 9 juillet 1971) - Partie2



Hédi BOUHOUCH
Le blog pédagogique poursuit  la reproduction des documents relatifs au conseil supérieur de l'éducation nationale , l'héritier de l'ancien du conseil de l'instruction publique,  cette semaine nous entamons la publication du procès verbal de la première réunion de ce conseil tenue au mois de juillet 1971, dans un contexte politique particulier, après le limogeage de l'ancien ministre de l'éducation Ahmed Ben Salah.

En lisant le procès verbal de cette  première réunion , on constate une grande différence avec les réunions du CIP de la période colonial comme la session de 1905 que le blog a présenté au cours des semaines passées.
Pour présenter ce PV , le blog pédagogique a sollicité la contribution de M° Mokhtar Ayachi qui a bien voulu répondre à notre requête comme à son habitude , qu'il en soit remercié.
Le blog pédagogique

Le Conseil Supérieur de l'Education, créée en 1888 au sein de la Direction Générale de l'Enseignement Public en Tunisie (5 ans après la fondation de cette dernière), a connu  plusieurs changements au niveau de son appellation, de sa composition et dans ses prérogatives, du début de la période coloniale jusqu'à l'an 2000.
Il convient de rappeler ici que ce Conseil a été créé dans le cadre des nouvelles lois sur l'éducation, édictées par le Président du Conseil des Ministres français, et (en même temps) ministre de l'Éducation, Jules Ferry, lors de la décision de mainmise de la IIIème République sur ce service public. Les dispositions juridiques, ou législatives, prises en France, dans le cadre des mesures démocratiques, trouvaient automatiquement leur projection ou échos dans les colonies, au profit des communautés françaises et européennes qui y vivaient à l'époque.
Cette institution, qui représente un "Comité de Pilotage" ou  une sorte de "parlement de l'éducation" pour le système éducatif public français en Tunisie, si elle a été initialement créée en faveur de la communauté étrangère, les Tunisiens en ont également bénéficié en tant que nouvelles traditions démocratiques introduites dans le pays, tout comme d’autres codes démocratiques et valeurs humaines universelles aussi importantes. Cette structure éducative a été, heureusement, adoptée après l’indépendance, par la loi du 4 novembre 1958, qui a fondé le système éducatif national, dont l'article 38 stipule la création d'un «Conseil Supérieur de l’Education Nationale».
Cependant, cette mesure est restée lettre morte, compte tenu des « crispations » politiques qui seraient liées aux circonstances des lendemains de l’indépendance : opposition youssefiste puis tentative de coup d'État, fomenté  par le groupe Lazhar Chraïti, etc…
 Malheureusement, ce Conseil Supérieur de l’Education  n'a pas connu de continuité dans son activité, voire même dans sa mise en place réelle, car son histoire, après l'Indépendance du pays, n'a été qu'une série d'interruptions, dont la dernière en date a été exprimée par le décret de juin 1971. Ce dernier, lui accordant un caractère consultatif, annonçait, tout de même, pour la première fois, après 13 ans, son activation. La première réunion de ce Conseil a eu lieu, sous la supervision du Premier ministre  Hédi Nouira.
Le P.V. de cette réunion (que le blog se propose de publier), est d'une grande importance,  vu qu’il annonce  les orientations  politiques pour la période  de la décennie post Mahmoud Messaâdi (1958-1968/69) d'une part, et l'orientation socialiste (ou travailliste) du projet d’Ahmed Ben Salah et de l'UGTT, d'autre part.
L’on peut nous demander, enfin, si le type de discours officiel, et  particulièrement les (sept) points mentionnés dans l’intervention de Hédi Nouira, annoncent vraiment une nouvelle orientation de la politique éducative nationale au cours de cette deuxième décennie de l'indépendance
Ou  encore, est-ce que le plan décennal (1959-1969) de développement économique et social, intégrant le projet du système éducatif dans le cadre des investissements dans les ressources humaines (notamment pour la fonction économique de l'éducation),  a déjà traité ces points  importants mentionnés dans le discours de Nouira ? Par ailleurs, ce discours, lui-même, n'a-t-il pas été une reprise, en effet, de ce qui était dit précédemment, dans les nombreux discours d'Ahmed Ben Salah ?
Mokhtar Ayachi


Le discours du Premier Ministre M° Hédi Nouira
Monsieur le Ministre
Messieurs , Mesdames

J’ai l’honneur de présider, au nom du chef de l’état, la première réunion du conseil supérieur  de l’éducation , et puisque mon ami et collègue M° le ministre de l’éducation  nationale va vous parler plus longuement sur la mission de votre conseil, permettez-moi d’émettre quelques remarques sur ce qu’on pourrait appeler notre politique éducative.
L’éducation est la base du mouvement de la croissance nationale continue
Avant toute chose, il est connu que nos choix éducatifs sont des choix nationaux, parce que  de notre point de vue , l’éducation et l’enseignement sont la base du changement social et de la transformation de la mentalité  sociale et de l’interaction entre la société et son environnement et donc  la base  de la formation d’une société consciente.
l’éducation et l’enseignement sont aussi la base du mouvement de la croissance continue et global, car ils permettent en même temps la développement des potentialités et des ressources humaines, qui sans elles il serait impossible de créer les richesses matérielles  qui constituent la base de la croissance économique et du progrès social.

Les choix éducatifs intéressent la nation entière
C’est pour cela que je considère que les choix éducatifs doivent se faire au niveau national,  et il n’est pas question  que le gouvernement, ou l’administration, ou  un groupe social   quelque soit sa valeur monopolise ces choix   que je considère comme une affaire de la nation entière.
L’ère n’est plus une ère de l’enseignement pour l’enseignement, mais l’enseignement pour le bien de la société
Ce ci d’une part ,  d’autre part l’éduction se trouve entre deux  courants : le courant romantique et le courant économique pur.
Le courant romantique
Ce courant considère l’éducation comme une fin en soi et qu’elle n’a de finalité que l’acquisition des savoirs et de la science , sans aucune autre ambition , ce courant était prédominant dans le passé… mais à notre époque-ci l’apprenant ne peut plus resté à l’écart de la société  et celle-ci ne peut plus  renier le détenteur du savoir…
C’est ainsi que le courant romantique pur qui exposait la société au danger et la mettait entre les mains des ignorants  fut  abandonné pour céder la place à un deuxième courant qui respecte les compétences scientifiques selon leur degré de leur maîtrise de la  science et du savoir.
Personnellement et je pense, que mon collègue le Ministre de l’Education Chedly Ayari est de mon avis,  qu’on ne peut s’appuyer sur l'un de  ces deux courants pour asseoir les bases d’une politique éducative sûre, car l’éducation et l’enseignement , si on les prend en tant un facteur décisif , et un facteur de formation , de création, et de développement de la société , ne peuvent pas ignorer la société et ignorer ce qui s’y passe tôt ou tard , de même la société de son coté ne peut pas ignorer l’éducation et l’enseignement.  
On ne peut guère concevoir une politique de développement sans concevoir la politique éducative
Il est évident que l’éducation nécessite le développement et la croissance et qu’il n’est pas possible d’adapter une politique de développement sans l’adaptation d’une politique éducative, car l’éducation - comme vous le saviez-  est la création de possibilités spirituelles et un enrichissement  des forces humaines.
Et sans cette création et cette richesse, on ne peut guère créer des possibilités matérielles  et enrichir  des forces économiques et par là ouvrir les voies qui mènent au développement et à la promotion de la société.
L’enseignement primaire est un droit pour tout citoyen…l’enseignement secondaire  est une nécessité… L’enseignement supérieur est une chance  qu’on doit saisir grâce à la compétence et au mérite , c’est ainsi que nous pensons que par rapport à l’éducation , il ya des devoirs que l’état se doit d’assumer  et l’Etat c’est la société et son porte parole.
Ces devoirs , dans ce domaine,  se limitent  à fournir  les moyens d’apprendre  pour tous les citoyens. Cela signifie que nous considérons l’enseignement  primaire comme un droit  d'une part, et un devoir d'autre part,  c'est-à-dire c’est un droit pour tout citoyen et un devoir pour l'Etat ; alors que l'enseignement secondaire est-  à notre avis-  une  nécessité et un besoin  pour le développement de nos moyens  et pour aller vers l'avant sur la voie du progrès. Quant à l'enseignement supérieur c’est un mérite qu’il faut exploiter  et une opportunité qu’il  faut  gagner.
la démocratie est le fondement de notre politique  éducative
 Sur cette base, nous pouvons considérer que notre politique éducative et scolaire est fondée sur la vraie démocratie  . Mais la démocratie  ne se suffit pas  à une telle définition pour  s'imposer et justifier son existence,  mais il est impératif que notre politique soit  efficace  et efficiente, à la fois à intérieurement et extérieurement.
intérieurement, il nous faut, en face des sacrifices que consent  la société  pour l'éducation, éviter les déchets et les pertes , et rendre notre politique éducative  une politique efficace au maximum.
Et extérieurement, il faut que  le résultat de cet effort qui vise la formation de la société et assurer son développement  soit un résultat positif à grande échelle  ...
L’authenticité est notre voie éducative
Parmi  les signes de l'éducation démocratique  c’est son authenticité. Nous croyons que notre arabité et notre islam  expriment  véritablement  notre  authenticité  et renforcent notre personnalité.
Il n’est pas question  que notre politique éducative  puisse les ignorer , au contraire elle doit  puiser de ses sources et de ses lumières .
Notre politique éducative suit une  ouverture positive
Ce qui   renforce également la démocratie de notre politique  éducative , c’est que nous comptons  sur nous-mêmes d'abord et avant tout, sur  notre fierté de notre passé et de notre présent, et notre ouverture sur le monde  , c'est-à-dire  sur les différentes civilisations étrangères et notre ouverture  sur le monde la technologie et sur les progrès  qui dominent le monde extérieur, et notre attachement à former notre élite  nationale, pour que cette ouverture soit positive . Une ouverture   qui permet la création et à la construction,  et non une ouverture passive où nous serons  des gens téléguidés et non des gens qui sont maitres de leur avenir , des gens poussés et entrainés et non une force  qui pousse vers l'avant.

Nous  devons accepter le débat et la critique, sans intolérance, et sans préjugés  . Ce sont  là les règles  sur lesquelles nous souhaitons  fonder  notre  politique éducative, une politique que nous considérons digne d’être  étudiée , débattue et discutée , surtout que c’est votre conseil  qui va être est le premier à ouvrir les débats sur cette politique.
Parmi les preuves de notre ouverture , c’est que nous acceptons  le débat et le dialogue et la critique honnête, et nous ne sommes pas des fanatiques d'une quelconque théorie, ni d'aucun système ...
Et nous appelons tous ceux que la question de l’éducation  concerne, qu'ils soient professeurs , élèves , étudiants ou   parents, à répugner l'intolérance qui est inutile, et sans  aucun intérêt.
Que  La paix soit sur vous.

Fin de la deuxième partie, A suivre
Présentation Mongi Akrout, Traduction Abdessalam Bouzid , Inspecteurs Généraux  de l'enseignement retraité
Tunis , mars 2020.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire