lundi 8 juin 2020

Contribution de Mohamed Charfi au débat du Conseil Supérieur de l'Education, de l'enseignement supérieur et de la Recherche Scientifique (session du 6 janvier 1989)





Mohamed Charfi
Le 6 janvier 1989 s'est tenue, au palais du Gouvernorat à la Kasbah, la réunion du Conseil Supérieur de l'Éducation, de l'enseignement supérieur et de la Recherche Scientifique.
C'était la première et dernière session du C.S.E avec sa nouvelle organisation et sa nouvelle composition prévues par le décret 1988/1819 daté du 25 octobre 1988.
La réunion, présidée par le premier Ministre HédiBaccouche et en présence du Ministre de l'Education Mohamed Hédi Khelil, était consacrée à la présentation du projet[1] de réforme et de son cadre juridique préparés par le ministère de l'éducation nationale en 1988.

Ont pris part à cette session des membres du gouvernement et les représentants des syndicats et des organisations nationales, dont la ligue tunisienne des droits de l'homme représentée par son président par intérim Mohamed Charfi.
Le blog pédagogique a voulu publier dans ce numéro la contribution de Mohamed Charfi à l'occasion de la commémoration de sa mort, survenue le 6 juin 2008.
Mais avant cela , nous avons jugé utile de reproduire le post publié cette semaine par notre ami Brahim Ben Salah  pour présenter succinctement notre cher disparu.
Le Blog Pédagogique, juin 2020

Brahim Ben  SALAH
Le professeur Mohamed  Charfi, Deuxième président de la Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l’Homme (LTDH)

12 ème Commémoration de sa mort : 6 juin 2008- 6 juin 2020


Le 6 juin 2020 marque le douzième anniversaire du décès du professeur Mohamed Charfi, deuxième président de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l'homme. Paix à l’âme de ce grand penseur et militant des droits de l'homme . Qu’on me permette en guise de témoignage de ma gratitude envers cette figure de proue de la pensée des droits de l’homme ,de passer en revue les étapes principales de sa vie , les moments forts de son parcours militant et ses vertus scientifiques à l’intension de ceux qui n’ont pas connu l’homme et qui n’ont pas suivi de près son influence sur la scène de la vie nationale .

Mohamed Ibn Abdel-Salam Charfi, est né à Sfax le 11 octobre 1936. Il a reçu une éducation traditionnelle, car son père était cheikh versé en théologie et une référence en jurisprudence. Il a acquis une culture politique destourienne lors de ses premières années dans les affaires publiques. Il a obtenu le baccalauréat en 1957 et la maîtrise de droit en 1961 à l'Université tunisienne , avant de poursuivre ses études à Paris, il rentra au pays en 1964 et devient professeur à la Faculté des sciences juridiques. Il a obtenu un doctorat en droit de Paris en 1967 et l'agrégation en 1971.

Le professeur Mohamed Charfi était un homme de sciences et une référence dans son domaine , il était aussi un homme de culture traditionnelle et moderne . Bien qu'il eût à l'origine une formation traditionnelle, il a choisi la voie moderniste, progressiste et libérale qui s'est traduite dans plusieurs moments de sa vie militante dont notamment: - son élection comme secrétaire général de l'Union générale des étudiants tunisiens à Paris, - sa contribution en 1962 à la fondation du "Groupe d'études et de travail socialiste en Tunisie", célèbre pour sa revue "Perspectives", il démissionna du mouvement en 1968, et malgré cela, il a été condamné à deux ans de prison .

Son rôle d’initiateur dans la fondation en 1972 du Syndicat des maîtres de conférences - son élection en 1982, comme vice-président de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l'homme, puis en tant que président lors du deuxième congrès de la ligue . Depuis son accession à la présidence par intérim de la ligue en 1985 puis à sa présidence après le congrès du 12 mars 1989, M. Mohammed Charfi, a réussi grâce aux efforts de plusieurs personnalités de la ligue, dont le professeur Saadoun Zmerli, à pousser les autorités officielles à surseoir l'application des peines capitales et à accorder à certaines organisations politiques le visa, la révision de la durée de la détention préventive revendiquée par la Ligue depuis 1977, l'abolition de la Cour de sûreté de l'État et de tous les tribunaux d'exception, la libération de prisonniers d'opinion que l’on comptait par centaines, y compris des islamistes, la ratification du Traité international contre la torture et une révision de la loi sur la presse, qui a permis une certaine liberté d'expression , l'amélioration de la situation matérielle des juges pour garantir leur indépendance et l'amélioration des conditions de détention dans les prisons.

Le professeur Mohamed Charfi était connu parmi les membres de la ligue par son bon sens , la justesse de sa pensée, sa affabilité , la hauteur de ses vues , sa sérénité son esprit conciliant, sa forte opposition à la ségrégation raciale et religieuse, et son ferme soutien à la cause juste des femmes à telle enseigne qu’il a tenu à inclure ce principe dans la charte de la Ligue rattachée au statut et au règlement intérieur de la ligue malgré l'opposition des islamistes.
Le 11 avril 1989, on lui a proposé de diriger le ministère de l'éducation et des sciences. Il a accepté la proposition après de longues consultations avec un groupe d'intellectuels et d'hommes politiques progressistes, ce qui n'a pas plu aux islamistes représentés par la tendance islamiste (MTE). Ainsi , après le premier affrontement avec les islamistes lorsqu'il était président de la Ligue à l'occasion de la rédaction de la charte, les relations se sont détériorées davantage en juin 1989, lorsque les islamistes ont exigé son départ du ministère sous le prétexte qu'il était en train de pervertir le sens de l'Islam . Il s'en est suivi des confrontations directes avec la branche estudiantine des islamistes, qui ont fomenté des grèves et des sit-in épuisant ainsi le ministère et entravant les intérêts des étudiants à plusieurs reprises

Mohamed Charfi rêvait de mettre en œuvre un projet de réforme pour la Tunisie dont la base serait la réforme du système éducatif sur la base de la science , des connaissances et des valeurs nationales et humaines, il était à l'origine de la fondation de la Cité des sciences - Pour cela il s'est entouré de grands universitaires et de pédagogues éclairés et il a instauré des fondements solides pour les programmes scolaires et les approches pédagogiques. Certains succès ont pu être réalisés, mais c'était en deçà des attentes car le temps qu'il s'était donné n'a pas suffi pour atteindre son objectif, en plus le processus de réforme nécessitait une volonté politique plus forte qu'elle ne l'était et une confiance plus grande dans le projet qu'il a conçu avec des groupes de travail parmi l'élite tunisienne
Le professeur Mohamed Charfi jouissait d’une envergure internationale , ce qui l'a aidé à créer l'association "Rencontres Maghrébines" grâce à laquelle il a contribué au rapprochement des factions rivales des droits de l'homme en Algérie. Il a reçu la médaille Comenius de l'Unesco pour ses réalisations éducatives et il est devenu membre de l'Institut Euro-méditerranéen et membre du conseil d'administration de la Fondation arabe de la pensée moderniste. En 2004, il devient expert auprès du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), puis il a été choisi comme membre du haut Comité mandaté par le Secrétaire général des Nations Unies pour le dialogue des civilisations. En 1996 il a été chargé par le Secrétaire général des nations Unies d'une mission en Somalie . Pour toutes ces qualités le professeur Mohamed Charfi restera un phare de la science et une référence dans le combat pour les droits de l'homme, la Tunisie est fière de lui - que Dieu lui accorde sa miséricorde.


Brahim Ben Salah , juin 2020.
Traduit par Mongi Akrout, Brahim Ben Salah et Noureddine Fallah
* L'idée de la fondation de la cité des sciences remonte au début des années 80, c'était au cours du 3ème séminaire scientifique tenu à Paris le 27 décembre 1983 dans le cadre de la coopération entre l'association  jeunes sciences de Tunisie et l'AJS  de France qu'est née l'idée de création d'une cité des sciences à Tunis, analogue à celle de Paris qui était en cours de construction . En rentrant à Tunis , un groupe de travail  a élaboré une esquisse du projet et c'est la direction du Parti qui a exprimé son intention de le réaliser , c'est ainsi que Mme H.Goucha fut désignée comme chef du projetle blog pédagogique, mise au point de la part de M° Mohamed Hédi Khelil 


Remarque : les propos de Mohamed Charfi sont repris tels qu'ils étaient rapportés par le PV officiel de la réunion du conseil, préparé par le Ministère de l'éducation et visé par le premier Ministre.


« Après la présentation faite par le Ministre de l'éducation (Mohamed Hédi Khelil) la parole est donnée aux différentes personnalités présentes. Le premier intervenant est M. Mohamed Charfi, président de la ligue tunisienne pour la défense des droits de l'homme.
L'intervention de Charfi a porté sur les points suivants :

1- A propos de l'école de base : Il a exprimé sa satisfaction du contenu du projet, particulièrement du deuxième article relatif à l'obligation de l'enseignement pour les enfants âgés de 6 à 15 ans. Toutefois, il a formulé quelques réserves quant à la rédaction de l'article du point de vue technique et juridique et s'est interrogé sur les moyens que l'État peut déployer pour rendre opérationnel le caractère obligatoire de l'enseignement, en particulier pour les filles.
Il a aussi relevé l'approbation de l'école de base comme une expérience qui met fin à la sortie des deux tiers des élèves avant l'âge de quinze ans, affirmant dans son discours que la démocratie éducative faisait l'objet du consensus de tous les tunisiens.
2- Le problème de la baisse du niveau : Charfi a souligné que le manque de moyens a entraîné une détérioration du niveau de l'enseignement, ainsi que du niveau des bacheliers et des diplômés universitaires, compte tenu de la faiblesse de l'enseignement primaire et secondaire, expliquant cela par plusieurs facteurs, notamment :
­       le pourcentage élevé d'enseignants dans le secondaire qui n'ont pas la maitrise.
­       la désaffection du métier d'enseignement en raison des bas salaires.

3- La question du baccalauréat : il a appelé à trancher la question du baccalauréat. Est-il un diplôme de fin d'études secondaires ou un certificat pour accéder à l'université.
4- La question de la formation continue : M. Mohamed Charfi a appelé à la préparation d'un programme pour la mise à niveau des enseignants du secondaire.
4- Au sujet des orientations de la future réforme, il a proposé :
-  d'accorder la priorité à l'aspect qualitatif indiquant en même temps ses préoccupations concernant l'intérêt qu'on a tendance à donner à la quantité au détriment de la qualité
- de renforcer l'esprit national et la formation générale dans l'enseignement secondaire.  Pour ce faire, il a suggéré :
                 de retarder l'orientation de deux ans après le cycle de l'enseignement de base au lieu d'une seule année, pour la mettre à la fin de la (cinquième/ actuelle deuxième) année secondaire,
                 d'introduire l'enseignement des principes des droits de l'homme dans les programmes de l'éducation nationale,
                 de renforcer l'éducation religieuse et d’adapter ses programmes conformément à la charte nationale pour éviter la schizophrénie et pour former le citoyen équilibré.


Mohamed Charfi, contribution au débat au cours de la tenue de la session du CSE, janvier 1989
Texte traduit par Mongi Akrout et Abessalam Bouzid, inspecteurs généraux de l'éducation.
Tunis, jun 2020





[1]Bouhouch,H et Akrout,M (2016).Les grandes orientations pour la réforme du système éducatif tunisien, janvier 1988, le blog pédagogique28 MARS 2016;http://bouhouchakrout.blogspot.com/2016/03/les-grandes-orientations-pour-la.html
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