dimanche 25 juin 2023

Ce qu'on n'ose pas dire à propos du baccalauréat … mais que l'on devrait dire.

 

Moncef Khemiri

le blog pédagogique donne la parole à un ami qui ose dire  ce que l'on devrait dire à propos du baccalauréat tunisien. Tout en reconnaissant au bac tunisien toute sa valeur, l'auteur met à nu avec beaucoup de franc parlé six  "maux " dont souffre notre baccalauréat  comme l'inégalité entre les régions, l'inégalité entre les candidats, la fraude, la valeur de ce diplôme en tant que passeport pour l'enseignement supérieur, valeur qui varie énormément lors du processus de l'orientation…

Le blog pédagogique tient à remercier M° Moncef Khemiri pour sa confiance et souhaite pouvoir continuer à lui publier d'autres billets.

 

 

 

Lorsque nos étudiants, ayant suivi leur scolarité à l'étranger, rentrent  au pays l'été et postulent auprès du Ministère de l'Enseignement Supérieur afin d'obtenir l'équivalence de leur baccalauréat pour rejoindre l'Université Tunisienne, une certaine curiosité nous pousse  à  voir les types de couronnement du cycle secondaire dans le monde pour comparer notre baccalauréat tunisien en termes de contenu, de matières et de coefficients  avec l'Abitur1. allemand ou le Matura en Belgique, en Italie et en Suisse, ou le l'examen national d'entrée à l'enseignement supérieur en Corée du Sud, le  Suneug, ou le Gaokao en Chine (que l'on peut traduire par « examen du niveau supérieur de l'enseignement secondaire » ou enfin le diplôme de fin de l'enseignement général dans les pays arabes.

 

Sans entrer dans des détails qui ne sont pas de mise ici, cette première comparaison montre que nous avons un baccalauréat qui honore nos jeunes filles et nos jeunes hommes et réchauffe le cœur de leurs pères et mères. Depuis 1891, un baccalauréat dont la valeur   scientifique n'a rien à envier aux baccalauréats des autres pays (au niveau de la nature des matières dans lesquelles les candidats sont examinés et des 'apprentissages que l'élève a accumulés durant trois ans…). Au contraire, nous sommes  parfois amenés à adopter des formules de calcul protectionniste pour le baccalauréat tunisien, afin de le distinguer de certains baccalauréats étrangers qui accordent une place importante à des matières qui n'ont rien à voir avec les programmes de l'enseignement supérieur.

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Mais cette fierté de notre baccalauréat tunisien ne doit pas occulter certains aspects négatifs que tout le monde constate et connaît, et auxquels nous devons prêter attention, afin de rectifier notre regard, protéger son image dans le monde et contrecarrer certaines dérives (même si elles sont partielles et ne touchent pas toutes les sections). Ceci dans le sens où on doit "se regarder très attentivement." et regarder les autres avec modestie et timidité" selon, semble-t-il, les dires de Confucius.

 

Premièrement : L'inégalité inter-régionale

 

Le nombre d'élèves qui atteignent le baccalauréat par rapport  à l'ensemble des élèves fréquentant le cycle primaire dans les régions à indice de développement relativement élevé, est beaucoup plus élevé que leurs homologues des régions de l'intérieur, car le nombre de décrochages  et d'abandons pendant le parcours scolaire dans les régions oubliées et dans les milieux démunis du reste des régions atteint des niveaux records qui se répercutent sur le nombre de ceux qui réussissent l'ultime épreuve de l'enseignement secondaire. Malgré le passage automatique et l'absence de toute évaluation sélective  intermédiaire avant le baccalauréat, la grande faiblesse des acquis fondamentaux (qui se concentre surtout dans les régions des steppes, les régions montagneuses et les zones semi-désertiques) empêche une grande partie de nos élèves d'atteindre même la classe de 4ème secondaire, et au cas où 'ils l'atteignent c'est au prix  d'efforts surhumains. "… Ainsi, le simple fait d'atteindre l'examen, le niveau du baccalauréat devient un rêve précieux qui illumine les visages et les âmes.’’

 

 

Deuxièmement : La réussite au baccalauréat, est le privilège des classes aisées

 

Il est vrai que le baccalauréat est un examen national réussi par tous ceux qui obtiennent la moyenne requise ou même un peu moins que celle-ci s’ils remplissent les conditions de rachat. Mais une fois obtenu, le baccalauréat se transforme en un concours national qui classe les lauréats selon leurs capacités spécifiques (chacun selon sa section et selon les parcours universitaires qu'il postule). Étant donné que le nombre de lauréats est plus important dans certaines régions et classes sociales, et que le nombre de moyennes élevées y est en  conséquence plus important, cette réalité nous amène à dire que "l'obtention du baccalauréat"  n'est qu' un titre de propagande qui veut occulter une question importante, qui est « quel est le niveau du baccalauréat que vous avez obtenu ? ». Il semble qu'il soit possible de transférer le phénomène de l'inflation financière et la hausse scandaleuse des prix qu'elle entraîne dans le domaine scolaire pour dire que l'inflation scolaire, avec ses succès et ses diplômes, qui touche  une large frange d'élèves, a conduit à une hausse  « de prix pour l'accès à certains cursus universitaires spécifiques qui nécessitent un pouvoir d'achat/scolaire élevé »

 

Troisièmement : L'université tunisienne est très élitiste

L'état tunisien est très démocratique, semble-t-il, car il « offre un banc universitaire à tout bachelier». C'est encore une fois un slogan politique et de propagande qui occulte sournoisement une vérité objective dont la dénonciation va conduire à lui faire porter des responsabilités historiques qui, en vertu de son incapacité inhérente, la rendrait incapable d'en assumer les conséquences. Cette vérité est gênante. Il est temps de remplacer le slogan actuel par un autre plus réaliste qui est : « Tout bachelier a droit à une place à l'université tunisienne… Mais les doigts de la main ne sont pas égaux et suivent deux droites parallèles :  

- La droite des nouveaux étudiants qui ont été catégorisés, rangés et mesurés d'une manière très précise qui n'accepte pas l'égalité, car la formule du score final atteint quatre chiffres après la virgule ! Par conséquent, chacun selon ses moyens pour la course où le plus fort gagne, comme le dit l'adage populaire : celui qui rate sa matinée (l'école primaire) perd son gain..

 

- La droite des parcours universitaires ouverts au concours et dont la valeur n'est pas égale dans l'esprit des gens. Cette valeur est en rapport avec l'aura symbolique, l'employabilité, les horizons scientifiques et les efforts des universités elles-mêmes pour valoriser ce qu'elles proposent aux étudiants.  Il en résulte des filières qui connaissent une forte concurrence ce qui relève le niveau de ses exigences, alors que d'autres filières rebutent les gens, et restent par conséquent quasi vides car elles ne sont guère valorisantes et n'offrent ni programmes ni perspectives stimulantes

 

Quatrièmement : la marginalisation et la pauvreté ne peuvent être combattues par la tricherie

Croire  que tricher au baccalauréat est un droit légitime (même si c'est illégal) n'est pas ancré dans l'esprit des élèves seulement, mais c’est partagé par de larges groupes sociaux concernés par cet examen (y compris certains éducateurs et certaines personnes chargées de surveiller les candidats ... ) qui estiment que l'inégalité des chances de développement est responsable de l'inégalité des chances d'obtenir  le baccalauréat, état qu'il faudrait corriger en arrachant ce droit par tous les moyens..

Je ne suis pas en train d'accuser injustement quiconque, mais j'essaie d'exhumer dans des mentalités que j'ai connues, observées et combattues. Je cite à titre d'exemples quelques situations regrettables :

*   j'ai dû accompagner des collègues qui n'étaient pas originaires de la région où je travaillais jusqu'à la station  de  bus ou de  voitures de louages à la fin des examens, car ils étaient poursuivis et menacés par des candidats qui croyaient que la rigueur et le sérieux de ces surveillants vont les empêcher de décrocher le baccalauréat,

*   je cite aussi  les lames de rasoir que le candidat expose sur sa table pour intimider les surveillants et les prévenir des dangers qu'ils encourent s'ils s'avisent de les empêcher de frauder.

*   La question sur le lieu de la correction des copies de nos enfants se renouvelle chaque année parce que les gens croient que « les enseignants appartenant à certaines régions » ne veulent la réussite que pour leurs fils et leurs filles, etc.

En Allemagne, par exemple, les copies d'examen portent le nom du candidat et les professeurs corrigent les copies de leurs propres élèves. Je vous laisse imaginer l'ampleur du désastre si cette possibilité était donnée aux professeurs tunisiens au baccalauréat !

Cinquièmement : un baccalauréat sans culture générale et sans oral

Le baccalauréat tunisien dans sa forme actuelle n'est pas capable d'évaluer les capacités et les compétences des élèves qui ont réussi à traverser ce pont important, car ses épreuves se limitent aux matières traditionnelles qui, en dépit de leur importance, ne suffisent plus pour donner à nos enfants les moyens de répondre aux exigences de la formation universitaire et du marché du travail par la suite.

Je pense qu'il est utile d'ajouter deux matières essentielles, comme dans de nombreux pays du monde développé à savoir la culture générale et l'expression orale (l'acquisition de ces deux compétences permet une préparation sérieuse tout au long des années qui précèdent l'examen du baccalauréat). L'absence de ces compétences chez nos étudiants constitue un obstacle majeur qui empêche l'excellence dans de nombreuses spécialités universitaires et le développement de la capacité d'exceller et de convaincre requise dans les entretiens de recrutement (même pour les diplômés des sciences, de la technique et du numérique).

 

Sixièmement : un chat handicapé, un moustique borgne et un poussin portant une arme à feu.

Ce « chat handicapé et ce moustique borgne… » Sont les prototypes des productions de nos élèves en philosophie et dans toutes les autres matières, ce qui montre que plusieurs de nos élèves n'ont rien à voir avec ce qui s'appelle « penser à son niveau le plus bas» ou « s'exprimer dans son degré le plus sombre ».   Je connais un établissement où les élèves  de la section économie et gestion  boycottent  le cours de philosophie dès  le mois de  février sans que personne ne lève le bout du doigt...

 

 

Moncef Khemiri Conseiller général d'information et d'orientation 

Tunis 13 juillet 2022

Traduction Mongi Akrout & Abdessalam Bouzid, inspecteurs généraux de l'éducation.

Pour accéderà la version ARABE, cliquer ICI

 

 

 

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