lundi 15 février 2021

Education-Formation, Quelle Complémentarité dans le contexte de la Mise A Niveau ? 4° Partie

 

 

Moncer Rouissi

En hommage à la mémoire du Professeur Moncer Rouissi, le blog  pédagogique poursuit la publication de l'étude qu'il a réalisée en 1998 réalisée.

 Dans cette dernière partie, l'auteur présente les principaux traits de la réforme du dispositif de formation professionnelle engagée en 1993, qui correspond, d'après lui, à ce qui se fait au mieux actuellement au niveau mondial, il s'agit :

- de " substituer une logique professionnelle d’entreprise à la logique scolaire qui a, jusqu’ici, dominé la scène du système d’éducation et de formation".

- de déplacer le centre de gravité système de formation de l’école à l’entreprise en impliquant les professionnels par des accords de partenariat avec la profession concernée dans le cadre desquels une collaboration étroite entre les deux parties est assurée dans toutes les phases du cycle de projet ce qui garantit l'employabilité des jeunes qui suivent les différentes formations.

 

Pour l'auteur un retour à un système de récupération des défaillants scolaires via le dispositif de formation professionnelle serait une régression grave, il est de même pour l'idée du baccalauréat professionnel s’il devait correspondre à une scolarisation de la formation professionnelle.

 

Le blog pédagogique, janvier 2021

 

 

 

4.3.     pourquoi le problème d’une contre-réforme est-il alors posé ?

  4.3.1. y a-t-il un problème réel de manque de qualifications ?

La stratégie MANFORME a été élaborée et inscrite dans la mouvance du processus de mise à niveau ; elle est ainsi conçue pour répondre aux besoins de mise à niveau du pays dans la limite des échéances fixées par l’accord de partenariat avec l’Union Européenne soit l’horizon 2008 .

Les objectifs assignés à MANFORME ont été établis sur la base d’un grand nombre d’études approfondies ayant porté sur  les impacts attendus de la restructuration des entreprises sur le marché de l’emploi, et partant, les besoins de l’économie en main d’œuvre qualifiée aux différents nivaux.

Ainsi, l’objectif de 60.000 diplômés par an a été estimé sur cette base et comme une approximation anticipée des besoins des entreprises en compétence à la date d’entrée en pleine production des investissements réalisés dans   le secteur de la formation professionnelle durant  la période 1996-2002. Dans le même ordre d’idées, l’objectif de 60.000, équivaut à une capacité installée de 120 à 130 milles postes de formation. De même , il convient de rappeler que cet objectif concerne l’ensemble du dispositif de formation , public et privé, et non pas seulement les centres relevant directement du Ministère de la Formation Professionnelle et de l’Emploi.

La réforme, en profondeur du dispositif de formation professionnelle , tous opérateurs confondus, publics et privés , consiste à substituer une logique professionnelle d’entreprise à la logique scolaire qui a, jusqu’ici, dominé la scène du système d’éducation et de formation.

Cette transformation se traduit sur le terrain par un recentrage intégral du fonctionnement du système de formation qui voit son centre de gravité se déplacer de l’école à l’entreprise en impliquant les professionnels au même titre que les pédagogues dans la gestion du système de la formation professionnelle.

La formation en alternance appliquée à l’organisation technique et pédagogique des enseignements, l’approche par compétences appliquée à l’élaboration des programmes de formation, à l’ingénierie pédagogique et à la formation des formateurs, sont autant de supports à la mise en œuvre opérationnelle de cette extraordinaire mutation du système qui semble susciter, chez les formateurs, une motivation réelle et remarquable.

L’employabilité du profil formé, but ultime de cette reforme qualitative, émerge ainsi comme un concept central dans la problématique de l’articulation Formation -Emploi. Son respect en tant qu’indicateur de réussite de la formation au double niveau de l’individu et de l’institution de formation est une responsabilité conjointe et partagée entre cette dernière et l’entreprise.

Et c’est pour cela que, de bout en bout, MANFORME a recours au partenariat entre le dispositif de formation et le système productif. Tous les projets de création ou de restructuration de centre de formation professionnelle sont, sans exception, l’objet d’un accord de partenariat avec la profession concernée dans le cadre duquel une collaboration étroite entre les deux parties est assurée dans toutes les phases du cycle de projet.

Il s’agit là d’une procédure novatrice et par conséquent contraignante, complexe du point de vue de la gestion des projets mais qui est le chemin unique de l’employabilité.

Par ailleurs et si MANFORME répond parfaitement aux besoins à long terme de l’économie, les besoins à court terme sont aussi pris en compte grâce à une  panoplie d’instruments adaptés aux différentes situations.

Ainsi, et en plus du dispositif de formation professionnelle, il existe une large panoplie d’instruments qui sont utilisables pour satisfaire les besoins ponctuels des entreprises ou pour aider certaines catégories de demandeurs d’emploi à s’insérer.

Dans une certaine mesure , on peut dire que les abandons scolaires , à tous les niveaux du système éducatif, trouvent un traitement approprié par l’intermédiaire d’une panoplie variée de programmes de formation et d’insertion ,unique en son genre . Le problème qui se pose est celui du coût comparé , en termes économiques et en termes de potentiel de développement , d’une prise en charge de ces jeunes par le système éducatif, par  les instruments de formation et d’insertion et par la société dans la mesure où ces jeunes courent des risques de marginalisation et/ou de régression vers l’analphabétisme lorsqu’ils quittent l’école à un âge précoce .

4.3.2.  Y a-t-il une urgence en Juin 1998 au niveau de l’examen de l’école de base ?

Quel serait le nombre d’abandons scolaires pour cause de non- réussite à l’examen de l’école de base en juin 1998 ? Ce nombre serait-il important pour justifier des mesures exceptionnelles ?

Les réponses à ces questions peuvent être déduites des statistiques du Ministère de l’Education relatives à l’année scolaire en cours et à celles des examens de juin 1997.

La lecture de ces données montre que l’effectif en 9ème année de l’école de base  n’est pour l’année 97/98 que de 102 milles. Cet effectif est anormalement bas comparé à celui de la 3ème année du tronc commun (TC) de la dernière promotion d’avant l’école de base en 96/97 qui était de 122 milles ! L’école de base était pourtant sensée pouvoir amener davantage de jeunes à ce niveau scolaire que l’ancien système éducatif.

Cette baisse s’explique par deux raisons majeures :

1.    Une rétention exceptionnelle en 8ème année effectuée en juin 97 qui s’est traduite par un taux de redoublement anormalement élevé.

 

95/96

96/97

Taux de redoublement

en 8ème année de l’EB

13%

(2èmeTC)

24%

(8èmeEB)

 

2.    Un taux de réussite en 3ème du TC plus élevé que d’habitude .

 

95/96

96/97

Taux de passage en 3ème TC

82%

87%

 

La combinaison de ces deux mesures a permis de réduire  les effectifs de la 9ème année d’au moins 23 milles et d’avoir comme candidats, dans les établissements publics, seulement 102 milles dont seulement 164 jeunes ont  épuisé leur droit au redoublement.

Notons que le phénomène du redoublement s’est particulièrement accentué depuis l’arrivée de la population de l’école de base en 7ème année et le nombre total des redoublements autorisés  a été porté à 4 pour l’école de base.

 

 

Avant dernière promotion

avant EB

Dernière promotion

Avant EB

1ère promotion EB

2ème promotion EB

Redoublement

en 7ème année

16%

16%

22%

24%

Redoublement

en 8ème année

12%

13%

24%

 

 

En définitive , et en anticipant sur les résultats de l’examen de Fin d’Etudes de Base , il y aurait donc très peu  d’abandons scolaires à l’issue de l’examen de la 9ème année de l’école de base en juin 1998. Le problème ne se poserait qu’en 1999 , voire même en 2000.

Mais l’échéance de 1998 n’aura été que différée: la recherche de scenarii n'est pas moins urgente. 

Mais il est bien évident que la collectivité nationale gagnerait à voir les problèmes inhérents au fonctionnement du système éducatif stricto-sensu traitées dans ce cadre et sans le secours, fort onéreux , de systèmes de systèmes de récupération des déchets qui ne feraient que nourrir des illusions .

 

Ce serait une régression grave que de revenir à un système de récupération des défaillants scolaires via le dispositif de formation professionnelle .

L’enseignement privé , autre voie commode et privilégiée de récupération des défaillants scolaires  gagnerait à être traité autrement .

L’enseignement secondaire privé s’est développé en l'absence d'une vision claire concernant son rôle et son positionnement par rapport au système éducatif public. Il a été confiné dans une logique de rétention et de récupération qui découle par ailleurs de la logique interne du système public décrite auparavant.

 

Les expériences internationales montrent que d’autres alternatives sont possibles et nettement plus profitables aussi bien pour l’administration que pour les familles. Ces expériences, riches en enseignement, tournent autour de  deux principes:

       « l'Etat subventionne la demande d’éducation et encourage  le développement d'un marché sur lequel les fournisseurs essayent de satisfaire cette demande. La subvention de l’Etat revêt le caractère de don ou de prêt que le jeune peut utiliser pour payer sa formation dans un établissement de son choix.

       « une partie du financement va aux établissements privés selon des critères de qualité et de performance et non pas par un mécanisme de dotation budgétaire au prorata du nombre des inscrits.

Les mêmes mécanismes utilisés au niveau de l’enseignement secondaire, valent pour l’enseignement supérieur et pour la formation professionnelle.

Un enseignement privé de qualité , encadré par le Ministère de l’Education Nationale en tant que composante à part entière du dispositif national d’éducation , soutenu et encouragé par l’Etat ,de même qu’un dispositif de formation professionnelle , public et privé, de qualité , et se positionnant l’un et l’autre , chacun dans sa vocation , comme des alternatives crédibles et valorisées au système d’enseignement public , pourraient être la solution pour casser la logique de l’échec scolaire et du gaspillage des ressources humaines .

  4.3.3.  Le baccalauréat professionnel ? Signification et utilité ?

Que signifie le terme « Baccalauréat professionnel » ? Dans la terminologie tunisienne le  baccalauréat est un diplôme qui donne accès à l’enseignement supérieur . Dans ces conditions la création d’un baccalauréat professionnel ne peut relever que de la recherche d’une solution à deux problèmes éventuels :

                                1.   Permettre l’accès à l’enseignement supérieur d’une population qui n’a pas cette possibilité aujourd’hui. Et auquel cas il faut connaître cette population.

                                2.   Changer le profil des étudiants qui accèdent à certaines filières de l’enseignement supérieur et auquel cas il faut aussi les connaître et voir si leur organisation nécessite ces changements.

Toute autre question en relation avec la satisfaction des besoins de l’économie est forcément exclue du fait que l’objectif principal ne peut être que l’accès à l’enseignement supérieur, à moins d’un changement fondamental de tous les baccalauréats.

Quelle est la population qu’on veut faire accéder à l’enseignement supérieur au moyen d’un diplôme de l’enseignement secondaire et qui ne peut pas le faire?

Aujourd’hui , tous les jeunes scolarisés dans le secondaire et qui obtiennent le baccalauréat, notamment le baccalauréat technique, ont la possibilité d’accéder à l’enseignement supérieur.

Le rajout d’une autre option au baccalauréat ne changera donc rien sur ce plan et nul ne voit ce que pourrait ajouter un baccalauréat professionnel par rapport au baccalauréat technique.

Le diplôme de technicien de la Formation Professionnelle est homologué au Baccalauréat sur le marché de l’emploi.

De plus, les jeunes diplômés de la formation professionnelle ont de par les dispositions de la loi d’orientation de la formation professionnelle ( Loi 93-10 articles 31 et 47) la possibilité d’accéder à l’enseignement supérieur ;

Le décret relatif à l’accès à l’enseignement supérieur par voie de formation continue est déjà pris et mis en application, le second correspondant à l’article 31 n’est pas encore paru d’abord pour:

                                1.   des considérations de priorité et en attendant la consolidation des options de la réforme de la formation professionnelle et son orientation vers l’emploi.

                                2.   l’état d’avancement de la réforme de l’enseignement supérieur qui ne s’est pas encore attaqué au problème de    sa professionnalisation et n’a pas encore défini des modalités pratiques pour l’accès de jeunes à profil professionnalisé.

 

Là aussi donc la création d’un baccalauréat professionnel n’ajoute rien du tout à la situation actuelle.

En fait la problématique de l’articulation optimale éducation-formation n’est pas spécifique à la Tunisie ; elle s’est posée au niveau mondial depuis la fin des années 80. Elle oppose , au niveau international , les courants qui ont opté schématiquement pour le « tout scolaire , c’est à dire la scolarisation de la formation professionnelle et de l’enseignement supérieur » et les pays qui ont opté pour une liaison solide entre la formation professionnelle et l’enseignement supérieur d’un côté et les besoins de l’économie de l’autre. Il n’y a pratiquement pas de pays développé qui ne s’est pas posé ce genre de question au début des années 90.  La Tunisie s’est engagée dans cette réflexion en même temps que la plupart des pays européens.

 

 

En général , et dans la plupart des pays, cette question a été tranchée en même temps que s’éclaircissait au niveau international l’option de la mondialisation. S’il n’y a pas , au niveau du détail , de modèle unique, du fait des spécifités nationales, il y a tout de même deux catégories de pays. Ceux qui ont eu la volonté nécessaire et la force de réformer  et ceux qui ont dû se contenter de rafistolages.

La Tunisie fait partie du premier groupe. La réforme de la formation professionnelle engagée en 1993 correspond à ce qui se fait au mieux actuellement au niveau mondial.

Dans d’autres , les velléités de réforme n’ont pas pu ou su venir à bout des inerties éducationnelles. La France est un exemple de ces pays où il a été impossible d’engager une réforme de fond. Des tentatives de réformes récurrentes ont  été soit bloquées par les enseignants soit vidées de leur contenu. Elle s’est contentée de quelques aménagements tels que  le baccalauréat professionnel qui permet une petite ouverture de l’éducation sur le monde de l’emploi, lequel baccalauréat ne permet par ailleurs l’accès automatique à l’enseignement supérieur.

Dans ses grandes lignes, le baccalauréat professionnel français a repris les tendances internationales en matière de formation professionnelle : partenariat avec la profession, formation avec l’entreprise. Ces orientations se retrouvent en Tunisie au niveau du diplôme  de technicien professionnel.

 

La comparaison du chômage d’insertion des jeunes de 18-25 ans entre les différents pays européens montre qu’au-delà des conjonctures économiques plus ou moins bonnes selon les pays, la scolarisation de la formation professionnelle  constitue un facteur déterminant de ce chômage d’insertion. Dans les pays à formation professionnelle scolarisée (France, Italie), les jeunes ont deux fois plus de  difficulté à trouver du travail que la population en général alors que dans les pays à formation professionnelle pilotée par le monde économique   les jeunes ont moins de difficulté à s’insérer que le reste de la population.

                         

Comparaison des taux de chômage en 1993

 

 

Taux de chômage des jeunes (1)

Taux de chômage général

(2)

Ratio entre les taux de chômage

(1)/(2)

Allemagne 

5,2%

8,2%

0,6

Danemark

11,1%

12,4%

0,9

France

23,6%

11,6%

2

Italie

30,5%

11,5%

2,7

 

L’analyse comparée des expériences internationales qui donnent des résultats intéressants en terme d’insertion de jeunes  dégage les constantes suivantes :

1.    La formation professionnelle se positionne après la scolarité obligatoire  (9 ans) au même titre que l'enseignement secondaire général en tant que voie de qualification diplômante.

2.    Les diplômés de " l'école de base" s'orientent, en majorité, vers la formation professionnelle sous ses diverses formes.

3.    Les études supérieures sont ouvertes et l’accès des diplômés de la formation professionnelle à ces formations, en général après une période active, constitue la règle et non l'exception .

4.    Le déroulement de la formation de manière simultanée à l'entreprise et à l'école se traduit par une répartition équilibrée de la charge financière de la formation entre l'Etat et les employeurs. Cette formule garantit en outre un taux élevé de l'insertion  des primo-demandeurs d'emploi.

 

Pour la Tunisie, le baccalauréat professionnel, s’il devait correspondre à une scolarisation de la formation professionnelle, constituerait par conséquent plutôt une régression qu’un progrès . S’il procédait d’une volonté d’ouvrir des horizons promotionnels et attractifs pour les diplômés de la formation professionnelle, le Baccalauréat professionnel n’apporte concrètement rien de plus parce que dans les textes cette ouverture est possible et que dans les faits, avec ou sans baccalauréat professionnel, l’ouverture d’horizon pour qu’elle soit réelle nécessite une révision fondamentale de la structure de l’enseignement supérieur.

 

Conclusion

Les solutions à apporter au problème de la logique de fonctionnement du système éducatif  procèdent du moyen et du long termes .

L’analyse qui précède n’a fait qu’évoquer ou mettre en évidence un certain nombre de faits saillants qui se dégagent de la dynamique de fonctionnement du système éducatif à travers les réformes successives dont il a été l’objet.

Cette analyse gagnerait de toute évidence à être approfondie. Aussi , loin de prétendre à un diagnostic final , elle invite à engager sans tarder une réflexion approfondie qui a besoin pour sa pertinence d’une information fine et fiable sur               le fonctionnement du système éducatif.

Mais il est d’ores et déjà clair que les phénomènes observés et les problèmes soulevés, internes au système éducatif, sont d’une gravité telle qu’il serait imprudent de leur chercher des solutions ailleurs et au détriment de systèmes externes comme la formation professionnelle qui risque ainsi de subir de graves préjudices sans pour  autant contribuer à la solution des problèmes posés .

        

 

L'examen du dossier éducation-formation ,de la valorisation des ressources humaines , de la recherche de la meilleure adéquation éducation -formation - emploi conduit en fait à poser deux questions qui gagneraient à faire l’objet d’une analyse approfondie :

1.     quel est l’impact réel de la réforme de l’école de base, sachant que la première promotion de ce cycle sort ce mois-ci ?

2.     Comment améliorer l’employabilité des diplômés de l’enseignement supérieur, sachant d’une part que                le stock de demandeurs d’emplois parmi cette catégorie atteint actuellement un niveau très élevé et que d’autre part le fonctionnement de l’enseignement supérieur est conditionné dans une large mesure par celle de l’enseignement secondaire?

 

Fin de l'étude, pour revoir la 1° cliquer ICI, la 2° cliquer ICI, la 3° cliquer ICI .

Pourvoir la version AR, cliquer ICI

 

 

 

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