dimanche 7 février 2021

Education-Formation, Quelle Complémentarité dans le contexte de la Mise A Niveau ? Troisième partie

 


 

Moncer Rouissi

En hommage à la mémoire du Professeur Moncer Rouissi, Le blog
  pédagogique poursuit cette semaine la publication de la 3° partie d'une étude de valeur qu'il a réalisée en 1998, cette étude est l'une des meilleures et des plus complètes réflexions sur l'état du système éducatif  et de la formation professionnelle; elle a le mérite de nous révéler plusieurs vérités et de rectifier certaines données, nous en citons  celles-ci

1- L'idée de l’instauration d’une école de base de 9 ans finalisée et sanctionnée par un diplôme national, totalement indépendant de l’accès au secondaire remonte à 1982 , c'est la première recommandation de la commission de réflexion sur la réforme de l'éducation présidée par Dr.H.Karoui.

2- La même commission avait recommandé la suppression de l’enseignement technique qui débouchait sur un diplôme de technicien . 

3- C'est le prêt sectoriel Education-formation de 1989 contracté auprès de la Banque Mondiale pour financer en partie le début de la mise en œuvre de la réforme qui avait recommandé de supprimer le plus vite possible ».l'enseignement professionnel relevant de l’Education car il est inefficace et coûteux .

En plus de cela l'étude  a procédé à une analyse critique de la réforme de 1991 montrant ces dérives par rapport aux finalités prédéfinies en reproduisant la même logique de la réforme de 1958.

Dans cette 3° partie , l'auteur analyse le cadre juridique de l'articulation entre le système éducatif et le système de la formation professionnelle partant de la loi  de 1991qui a prévu qu'à la fin de l'E.B les jeunes peuvent intégrer la formation professionnelle ou poursuivre les études secondaires , et de la loi d'orientation de la formation professionnelle de1993 qui stipule que les élèves qui achèvent l'enseignement de base peuvent s'inscrire à l'une des filières sanctionnées par   le Certificat d'Aptitude Professionnelle ", ainsi le cadre de complémentarité entre les deux système a été clairement défini, seulement dans la réalité, les choses ne se sont passées selon ce schéma, le S.E est revenu petit à petit à la logique d'avant la réforme puisque le ministère de l'éducation a décidé "de ré-instaurer  les cycles que la réforme de 1991 a fait disparaître, celui de l’enseignement dit « professionnel » au niveau du second cycle de l’école de base et l’enseignement dit « technique » au niveau du secondaire , faisant ainsi table rase de  la partie de la réforme qui a pu être réellement  mise en  œuvre, oubliant la situation lamentable dans laquelle se trouvaient ces deux composantes du système éducatif avant 1991.

 

Le blog pédagogique, janvier 2021

 

 

          3-          Cadre juridique actuel de l’articulation    entre les cycles éducatifs et la  formation :

 

La loi de 1991(article 6) a défini l’école de base comme " un cycle complet qui... a pour objectif de former (les jeunes) de façon à. leur garantir un niveau  de connaissance qui leur permette soit de poursuivre leur scolarité dans le cycle suivant, soit d'intégrer la formation professionnelle ou de s'insérer dans la société ".

L'article 10 de la même loi stipule que " l'enseignement de base est sanctionné par un examen national. Les admis à cet examen obtiennent le diplôme de fin d'études de l'enseignement de base."

L'article 11 établit que "l'enseignement secondaire est ouvert à tous les titulaires du diplôme de fin d'études de l'enseignement de base."

Rappelons par ailleurs que le décret 95-293 du 20 février 1995 fixant les conditions d'inscription, le régime des études et la sanction de la formation dans les établissements de formation professionnelle, pris en application de l'article 32 de la loi 93-10 du 17 février 1993 portant loi d'orientation de la formation professionnelle, stipule, en son article 4, que " peuvent s'inscrire à l'une des filières sanctionnées par   le Certificat d'Aptitude Professionnelle les candidats ayant terminé l'enseignement de base."

 

Que faut-il comprendre de ces dispositions réglementaires ?

L'école de base est normalement sanctionnée par un examen et un diplôme et non par un concours d'entrée à l'enseignement secondaire. Dès lors, la réussite au diplôme de l'école de base ne peut être conditionnée que par l’évaluation du travail des élèves et de leurs maîtres par référence aux seuls objectifs de l’école de base à l’exclusion de toute autre considération.

L’organisation de ce cycle, par ailleurs obligatoire, devrait viser à amener le maximum de jeunes d’une tranche d’âge au niveau éducatif final assigné à l'école de base et d'en obtenir le diplôme.

Toute autre contrainte qui s’exercerait sur le nombre de diplômés de l’école de base ou sur les modalités de son évaluation , et notamment les contraintes d’ordre quantitatif qu’exercerait l’un ou l’autre des cycles situés en aval , serait de nature à biaiser l’autonomie de ce cycle et partant à le faire dévier de ses objectifs.

 

Le cycle post-école de base dont il est question à l’article 6 susmentionné correspond à ce qui est communément appelé , au niveau international, "enseignement du second degré" et qui couvre l'ensemble des cycles post école de base tels que  la formation de techniciens et autres formations professionnelles ainsi que le cycle secondaire général.

 

C’est bien dans ce sens que la Banque Mondiale a  lu   les textes et elle désigne, dans son rapport 12670-TUN, par le terme "enseignement secondaire" à la fois le cycle général, au sens de la loi 91-65, que la formation professionnelle au sens de la loi d'orientation 93 - 10.

Cette lecture découple la sanction de l'école de base d’un côté et l'accès à l'enseignement secondaire général de l’autre et permet d'envisager une articulation entre le premier degré (école de base) et les divers cycles du second degré autrement que par l'échec scolaire.

 

Si , au contraire, on interprète les textes actuels dans le sens d’une liaison rigide entre l’école de base et le cycle secondaire      ( la sortie de l’école de base correspond exclusivement à l’entrée du secondaire ) on crée obligatoirement une articulation par l'échec entre l'école de base et la formation professionnelle d'un coté et entre l'enseignement secondaire et la formation professionnelle de l'autre.

 

Cela reviendra aussi à transposer au niveau du nouveau système de formation, les articulations qui existaient, avant   les réformes, entre l'enseignement secondaire (général, professionnel et technique) d'un côté et les formations qui existaient au niveau de l'OFPE de l'autre.

 

 

En fait, et du point de vue légal, la question a été tranchée dès 1991. La réponse donnée par le Ministère de l'Education au cours des débats parlementaires consacrés à l'examen du projet de loi 91-65 ([1]) affirme que  les  diplômés de l'école de base peuvent accéder à la fois au cycle secondaire (au sens de la loi en discussion )  ou à la formation professionnelle ou rejoindre la vie active directement ou à travers un cycle d'apprentissage ou d'emploi-formation.

Le "cycle suivant" , mentionné à l'article 6 de la loi de 1991 couvre par conséquent tous les cycles du second degré et non pas seulement le secondaire général. La loi 93-10 a confirmé cette orientation par son article 1 qui précise que      la formation professionnelle est l'une des composantes du dispositif national d'éducation.

Qu’en est-il aujourd’hui de l’articulation entre le système éducatif et la formation professionnelle à la veille de la sortie de la première promotion de l’école de base ?

               4-     Problématique de  l’articulation entre les cycles éducatifs    et la formation,  ou la tentation de la contre-réforme :

         4.1.   Historique de l’articulation :

Avant la réforme de 1958, les différents cycles d’éducation et de formation étaient finalisés et indépendants ; chaque cycle s’achevait et était sanctionné par un diplôme tels que le certificat de fin d’études primaires, le brevet élémentaire, le brevet technique et le baccalauréat. La sanction de chaque cycle était indépendante de l’entrée à un autre cycle.

La loi de 1958 a supprimé de fait le principe de l’indépendance des cycles. Le cycle primaire était devenu un cycle préparatoire au 1er cycle secondaire, lequel préparait au second cycle secondaire qui préparait à son tour à l’enseignement supérieur.

Cette articulation rigide et exclusive a entraîné le système éducatif dans une logique d'échec scolaire  endémique. Des élèves, dont l'effectif croissait d'année en année, transitaient artificiellement à travers le dispositif public, allongé à l'occasion par un dispositif privé de rétention, et finissaient par  être exclus à un âge avancé et sans aucune garantie sur le niveau éducationnel réellement acquis.

Le dispositif de formation relevant du Ministère des Affaires Sociales ( Office de la Formation Professionnelle et de l’Emploi), intervenait essentiellement comme structure d'appoint  en remplissant davantage une fonction sociale (récupération des abandons scolaires ) qu'une fonction économique.

Comme mentionné au début de cette note, les prémices du déclin du système mis en place en 1958 ont été détectées  depuis les années 70.

Les retards dans la mise en œuvre des réformes nécessaires et qui faisaient l’objet d’un large consensus sont visibles dans   la non-application des orientations des 6ème et 7ème plans.

 

Le 6ème plan a prévu une série de mesures pour renforcer la formation des cadres moyens dont

 

1.            l'instauration de l'école de base et l'orientation des diplômés vers les collèges secondaires et vers la formation professionnelle ,

2.         la finalisation du baccalauréat et l'institution d'un concours d'accès à l'université ,

3. la création de 4 instituts supérieurs de technologie.

Le 7ème plan a prévu :

1.         de développer le cycle “des 7ème et 8ème année ” en y affectant 25% des effectifs arrivant en 6ème année primaire et en le faisant évoluer vers un cycle de préapprentissage sanctionné par un certificat ,

2.         d’orienter vers la Formation Professionnelle 10 % des élèves qui passent au second cycle de l'enseignement secondaire.

Aucune de ces mesures n'a été mise en œuvre à temps et complètement.

Les réformes du système éducatif (1991) et de la formation professionnelle (1993) sont  venues  pour corriger les insuffisances apparues dans le système mis en place en 1958.

 

La réforme du système éducatif  a, entre autres,  ré-instauré  les finalisations des cycles notamment pour l’école de base. Pourtant, l’administration du Ministère de l'Education semble conserver la logique d’avant les réformes.

Les déclarations du Ministre de l’Education Nationale lors des discussions budgétaires de décembre 1997 liant l’échec au diplôme de l’école de base à l’accès à    la formation professionnelle, la quasi-disparition du vocable école de base et son remplacement par enseignement de base ainsi que les modifications apportées en 1995 à l’organigramme du Ministère de l’Education pourraient être symptomatiques d’un décalage entre les réformes et leurs implications.

En effet, l'adoption de la loi 91-65 a été immédiatement suivie par la définition d’un organigramme du Ministère de l’Education qui sépare la gestion de l’école de base (Direction de l’enseignement primaire et Direction de l'enseignement préparatoire) de celle du cycle secondaire  (Direction générale de l'enseignement secondaire).

Cet organigramme a été réaménagé en juin 1995 et a vu disparaître la direction de l'enseignement préparatoire et se créer une nouvelle Direction Générale des Lycées et Ecoles Préparatoires en parallèle avec une Direction Générale des Ecoles Primaires.

Le nouvel organigramme a par conséquent confié à la même structure la gestion de l'enseignement secondaire et les trois  dernières années  de l'école de base et restauré ainsi l'organisation qui était en vigueur avant la réforme du système éducatif et la création de l'école de base. Cette organisation risque, et les déclarations à la chambre des députés  le prouvent , de limiter le pilotage de l’école de base aux seules contraintes de l’enseignement secondaire d’une part et d’évacuer le problème de l’urgence de l’amélioration du rendement interne du système éducatif d’autre part en faisant endosser par ailleurs la responsabilité qui en découle à d’autres opérateurs ayant par ailleurs des missions très précises , notamment le dispositif de formation professionnelle.

 

Dans le cas du maintien du système éducatif dans   le paradigme d’avant les réformes des cycles successifs et exclusifs “ primaire-secondaire-supérieur ” le problème de l’abandon scolaire reste entier.

L’étude stratégique N°20, pilotée par le Ministère de l’Education et le Ministère de l’Enseignement Supérieur et consacrée au financement de l’éducation dans l’hypothèse du maintien de ce paradigme, montre qu’au cours du 9ème plan la moyenne annuelle des abandons de l’école de base sera voisine de 100 milles, celle du secondaire  voisine de 50 milles et celle du supérieur de l’ordre de 14 milles, soit 164 milles abandons sans aucune qualification pour une génération moyenne de 180 milles jeunes environ.

La rémanence de la logique d’avant les réformes , préjudiciable à  la réforme de l’éducation , est préoccupante ; elle le devient  encore plus quand , de ce fait, elle risque d’hypothéquer celle de  la formation et surtout celle de l’économie.

 

L'étude de la Banque Mondiale 12670-TUN précitée a par ailleurs étudié ce point particulier et a recommandé([2]) son examen dans un cadre  général notamment pour coordonner avec la nouvelle stratégie de la formation professionnelle d'une part et de tenir compte des conséquences économiques et sociales des choix effectués.

 

   4.2.     Ré-instaurer les cycles d’enseignement professionnel            que la réforme de 1991 a fait disparaître ?

 

          La proposition du Ministère de l’Education de ré-instaurer  les cycles que la réforme de 1991 a fait disparaître, celui de l’enseignement dit « professionnel » au niveau du second cycle de l’école de base et l’enseignement dit « technique » au niveau du secondaire ,outre le fait qu’elle fait table rase de  la partie de la réforme qui a pu être réellement  mise en  œuvre, oublie la situation lamentable dans laquelle se trouvaient ces deux composantes du système éducatif, à savoir une garderie extrêmement coûteuse produisant essentiellement des chômeurs. En 1998, il y a encore près de 2000 demandeurs d’emplois parmi les anciens diplômés de l’enseignement professionnel et technique qui n’arrivent pas, au moins 5 ans après l’obtention de leur diplôme,  à s’insérer réellement et à se stabiliser dans le travail.

 

Les études d’évaluation faites au début des années 80 avaient déjà montré que l’essentiel des diplômés de l’enseignement professionnel et technique qui arrivaient à s’insérer  ne pouvaient le faire que dans des secteurs qui n’ont aucune  relation avec leurs spécialités de formation. Pour d’autres, l’Etat était obligé de supporter encore une charge financière à travers la prise en charge de leur formation à l’OFPE. D’ailleurs , les diplômés de l’enseignement professionnel et technique constituaient la majorité écrasante des inscrits aux centres de formation de l’OFPE.

 

Par ailleurs l’intégration de l’enseignement professionnel et technique dans le système éducatif n’a nullement réduit les abandons scolaires ni permis la valorisation de ces cycles. Au contraire, la situation de ce type d’enseignement s’était tellement dégradée que sa suppression a été préférée à sa réforme.

 

Même la création de passerelles entre l’enseignement professionnel et l’enseignement technique à travers les 4ème spéciale et celle entre l’enseignement technique et l’enseignement supérieur à travers la 7ème année spéciale n’a pu arrêter leur déchéance.

Quelle était la capacité de formation de ces cycles ? L’enseignement technique n’a jamais réussi à dépasser un flux de 4000 diplômés par an. L’enseignement professionnel,  dont la  situation était la plus critique en termes de qualité de formation, d’infrastructure et d’encadrement, sortait certes entre 15 et 20 mille diplômés par an mais qui étaient des diplômés n’ayant pratiquement aucune qualification et dont  les moins mauvais alimentaient en fait l’enseignement technique à travers la 4ème année spéciale. Le même diplômé était ainsi comptabilisé deux fois, une fois au niveau de l’enseignement professionnel et une autre fois au niveau de l’enseignement technique.

En fait , les chiffres relatifs aux capacités de formation et aux effectifs en formation ne sont pas significatifs à cause de l’ampleur du redoublement, le même élève étant comptabilisé plusieurs fois. Par ailleurs cette capacité a complètement disparu, les locaux affectés à d’autres fonctions, les équipements devenus obsolètes et dispersés et   les enseignants chargés de nouvelles tâches.

 

Evoquer une quelconque capacité de formation dans l’éducation relève aujourd’hui du mythe.

 

 

La proposition de ré-instaurer  les cycles que la réforme de 1991 a fait disparaître procède d’une non-question

·       du fait que la formation professionnelle est en voie de résoudre le problème de la satisfaction des besoins de l’économie en qualifications en étroit partenariat avec  le secteur de production

·       et du fait que les anciens cycles professionnel et technique qui relevaient de l’Education Nationale ne permettaient pas  la satisfaction de ces besoins         

 

 

Fin de la troisième partie , à suivre

Pour revoir la premièrepartie, cliquer ICI et la deuxième partie cliquer ICI.

Pour consulter la versionArabe , cliquer ICI

 

 



[1]   Jort/Chambre des députés N°37 du 24-07-91, Page 2347 dernier §.

[2]          Version anglaise page 46, recommandation N°1

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