dimanche 28 mai 2023

A propos de la consultation nationale sur l'éducation et l'enseignement … pour ne pas reproduire l'échec des expériences précédentes

 


 

Moncef Khemiri

Le
blog pédagogique  propose à ses lecteurs une note publiée par le notre ami  Moncef Khemiri , le conseiller général en information et en orientation scolaire et universitaire dans laquelle.  Profitant

de l'occasion du démarrage des travaux préparatoires de la consultation nationale sur l'éducation et l'enseignement en Tunisie, Monsieur Moncef a voulu partager avec nous" quelques réflexions" fruits d'une longue et riche expérience, son souci majeur était d'attirer l'attention des responsable de cette nouvelle consultation sur les dérives possibles pour ne pas " reproduire l'échec des expériences précédentes".  Le blog pédagogique  remercie  M. Khemiri  pour ces réflexions et pour la confiance qu'il a toujours accordée à notre blog en autorisant la reproduction de son billet.

 

 

 

 

 

Lundi dernier, j'ai été invité à m'exprimer sur les ondes  de la radio nationale avec le journaliste et poète Ezzedine Ben Mahmoud dans son émission hebdomadaire "Juste une question" à propos de la consultation nationale sur l'éducation et l'enseignement  décidée par la Présidence de la République, j'ai exprimé  alors quelques réflexions que j'ai voulues  partager avec vous dans ce billet.

Précisons d'emblée que je ne fais pas partie de ceux qui rejettent absolument cette initiative, ni de ceux qui placent tous leurs espoirs dans une telle initiative, compte tenu des nombreuses réserves et des multiples  craintes que j'ai ( j'ai vécu et accompagné un tel nombre de  consultations, de séminaires consultatifs, de dialogues nationaux, de commissions  de réflexion, d'ateliers de réforme et de tables rondes destinés pour faire des diagnostics et pour examiner  l'état de l'école tunisienne , de quoi remplir d'énormes volumes  de littérature, de propositions et de solutions , mais ils n'ont souvent pas abouti sur des résultats tangibles ayant  laissé un impact significatif sur la réalité de notre école)... Au contraire, je suis toujours enthousiasmé par tout projet, surtout quand il est présenté d'une manière  claire  et annonce ses intentions, quelles que soient les démarches adoptées pour le mettre en œuvre, la composition des structures qui le pilotent, le temps que cela prendra, ainsi que la disponibilité de conditions favorables objectivement et subjectivement.

Cependant, cela ne m'empêche pas d'avoir de nombreuses réserves sérieuses sur ce projet dont dépend sa réussite selon moi, je souhaite  les évoquer, en le référant à nos expériences antérieures, non seulement dans le domaine de l'éducation, mais aussi dans presque tous les domaines.

Qu'est-ce qui me fait nourrir un peu d'espoir, même de manière prudente et critique ?

"Quand tout va mal, l'espoir devient une nécessité nationale"... Cela peut être notre seule devise pendant cette période de notre histoire, car nous n'avons devant nous qu'une seule patrie  que nous défendrons - chacun avec ses moyens -  pour surmonter les déboires successifs - et nous resterons attachés à une lueur d'espoir qui pointe à l'horizon  parce que nous n'avons pas d'autres options face à la dégringolade retentissante de notre système d'éducation publique et aux lourdes pertes au niveau des ressources humaines qui s'ensuivent, si ce n'est que d'essayer de réformer  ou, au moins, de colmater  les graves fissures  parues dans le béton afin d'éviter l'effondrement final, et parce personne ne peut prétendre détenir la recette magique qui pourrait sauver notre école et la guérir, ce qui nécessite une large travail collectif qui sera une source de force créatrice d'idées, de propositions , de solutions et de traitements...

 

À cause de tout cela, je m'abstiens personnellement de trouver les  justifications pour boycotter la consultation et ne pas reconnaître ses résultats, comme certains le réclament, parfois parce qu'il s'agit  pour certains d'une consultation formelle dont les résultats seront ignorés , et pour d'autres parce que n'importe qui l'avait  confectionnée (comme l'écrivait récemment quelqu'un parmi ceux qui considèrent qu'il n'y a pas de succès pour toute réforme sans leur supervision ), avec toute mon respect  pour certaines voix sincères qui ont exprimé des réserves fondées sur une lecture objective du climat politique général que traverse le pays, et une évaluation sereine des expériences précédentes dans le domaine  comme la fameuse expression « je suis venu vous consulter sur une décision que j'ai déjà prise  »

 

Quatre réserves majeures dont nous espérons  qu'ils tiennent compte :

Premièrement : Comme si on ne voulait pas rompre avec les politiques du gaspillage et avec le complexe  de « ce que les autres ont fait ne sera pas nécessairement.

Dans ce contexte, nous  pouvons  dire que le projet de réforme de 2015 - 2016, qui a été sabordé pour des considérations purement politiciennes et pseudo-syndicales et non pour des insuffisances  ou des imperfections  apparues au niveau de ses résultats et des dizaines de documents produits par les commissions techniques spécialisées , a  constitué une véritable opportunité historique pour jeter les bases d'une réponse à la crise de notre école tunisienne et de tout le système de formation. Je dis cela compte tenu du large éventail de participation au dialogue national qui a eu lieu dans toutes les régions et dans tous les établissements d'enseignement primaires, préparatoires et secondaires, et qui s'est étendu du 15 mai au 17 juillet 2015, avec la participation de centaines de milliers d'élèves, de parents et d'acteurs éducatifs divers, et compte tenu  du quasi consensus national sur un projet de réforme  qui s'est traduit par la participation des différents ministères concernés, de l'UGTT et de plusieurs 'acteurs de la société civile , et troisièmement, compte tenu de l'énorme travail accompli par les experts et les spécialistes au sein des quatorze commissions qui ont travaillé sur les axes les plus importants liés à la question de l'éducation, et enfin quatrièmement (et c'est peut-être la considération la plus importante) parce que tous les commissions  avaient terminé leurs travaux et avaient produit d'importants documents de référence allant du diagnostic aux propositions de solutions , à une synthèse des orientations  et des choix généraux. ... jusqu'à la loi d'orientation pour l'éducation qui devrait  être présentée au Parlement pour ratification, mais la Kasbah s'est entendue avec le Bardo et le  projet fut enterré. Par conséquent, nous n'avons pas le droit de nier cet énorme effort et ne pas  chercher à en tirer parti et à en tirer profit dans les réformes futures

Deuxièmement : La nécessité d'avoir une vision complète de la réforme, car le slogan «L'école publique est en déperdition  et qu'il faut lui redonner son  éclat » n'est pas un projet de réforme.

J'ai personnellement écouté quelques-uns des discours officiels qui ont accompagné la préparation de la consultation électronique attendue, la plupart d'entre eux ont repris quelques éléments du diagnostic connus par tous et qui ont été évoqués même par des mères postées devant les écoles… comme par exemple  la nécessité de réhabiliter l'école publique, d'arrêter l'hémorragie du décrochage scolaire , de s'attaquer aux manifestations de violence et de délinquance en milieu scolaire, etc. … sans que rien n'indique que les décideurs prêtent vraiment attention à ce qui se cache derrière ces slogans et aux  mesures qui doivent être prises et aux  politiques  qui doivent être arrêtées pour contenir l'incendie, car « ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément" comme le disait bien  l'écrivain français Nicolas Boileau,

 

Troisièmement : la bataille de l'éducation ne peut pas  être menée par le ministère de l'Éducation uniquement.

Quand on voit l'ampleur de la désagrégation du système national d'éducation, d'enseignement  et de formation en Tunisie , la logique prédominante dans le type de pensées chez les hauts responsables  et la logique selon laquelle il ne faut   «pas toucher les privilèges acquis .. »… surtout quand il n'y a pas de coordination, aussi minime soit-elle, entre les ministères directement concernés par l'avenir des générations entières (par exemple, quand l'enseignement supérieur ignore ce qu'étudient les lycéens qu'ils vont  accueillir  après le bac, ou quand le ministère de l'éducation ignore le nombre de défaillants chaque année et ignore les possibilités de leur intégration dans d'autres voies ou encore quand le secteur de la formation professionnelle ne connait pas le nombre de ceux qui le rejoignent après le baccalauréat  afin de prendre les mesures nécessaire pour en faire face à temps…) Quand cette politique  maladroite  va  persister  au détriment de générations entières, nous ne pouvons qu'attirer l'attention - avec insistance - sur la nécessité de tout mettre en œuvre afin que les services de ces différents ministères puissent se rencontrer quotidiennement pour rattraper  le retard et pour préparer l'avenir selon une approche systémique.

Quatrième : Une réforme globale, complète et définitive est, à mon avis... illusion, leurre et fantasme.

Nous ne savons pas encore si la consultation électronique répondra aux questions de la réforme de l'éducation et si elle définira ses orientations générales, ou si ses résultats seront transmis à des spécialistes pour examen et pour les opérationnaliser, ou encore s'ils vont déboucher sur quelque chose comme une loi d'orientation qui sera soumise au Parlement ... Nous ignorons aussi  qui pilotera la réforme : est-ce le Conseil supérieur de l'éducation qui n'a pas encore vu le jour, ou que celui-ci va se contenter de fixer des orientations générales, et une autre instance se chargera de remettre les choses à leur place... ?

D'un autre coté, nous sommes en droit de nous interroger sur la méthodologie de la réforme, par où commencera-t-elle, quel est le calendrier de sa mise en œuvre, et comment  assurer le  financement ?

Nous posons cette question car parier sur une réforme éducative de fond et globale qui touchera tous les domaines, comme la formation des acteurs éducatifs, l'amélioration de la vie scolaire, la révision des programmes, des manuels et du temps scolaire, la résolution de la question de la langue d'enseignement des sciences, la place des langues ​​dans nos programmes, et le resserrement des liens avec les différents ministères et organismes concernés... est, à mon avis, une perte de temps précieux et une dispersion des forces et la construction de rêves immenses que nous ne sommes pas en mesure de mettre en œuvre d'un seul coup ... Par conséquent, il est impératif d'opter  plutôt pour  des réformes ciblées et urgentes pour sauver ce qui peut être sauvé (maintenant, et non pas demain) et remettre le train de l'éducation sur la voie.

  Moncef Khemiri, conseiller général  en information et en orientation scolaire et universitaire 

Tunis,  mai 2023

Traduction Mongi Akrout, inspecteur général de l'éducation

Pour accéder à la version Arabe, cliquer ICI

 

2 commentaires:

  1. De très bonnes idées émanant d'un homme du domaine qui peuvent être exploitées quand la dite réforme verra effectivement le jour. Mais je crois que le contexte actuel ne s'apprête pas à s'engager dans une réforme de grande envergure. Une telle œuvre nécessite surtout la STABILITÉ, les moyens et surtout la volonté politique...Malheureusement ces conditions ne sont pas encore réunies et t la consultation prévue semble pour le moment sans intérêt. Merci chers collègues pour nous avoir créé ce sujet de débat

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    1. Excusez moi mon nom n'est apparu sur le commentaire ci-dessus . Ben Khemiss M.Taher.

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