dimanche 12 janvier 2025

Hommage à la mémoire de Mahmoud Ben Jemaa, l'inspecteur général de l'éducation

 


Abdellatif Hdhli

Cette semaine, le blog pédagogique est en deuil, la mort vient de nous ravir l’une des plus anciens inspecteurs de philosophie Mahmoud Ben jemaa, et l’ami du blog, ces dernières semaines il nous a confié plusieurs articles sur l’enseignement de la philosophie en Tunisie, que nous avions traduits et renvoyés à Si Mahmoud pour validation, mais son état de santé l’a empêché de le faire, nous comptons les publier prochainement.


Mais dans ce numéro, nous cédons la parole à l’un de ces disciples M° Abdellatif Hdhili qui a publié deux posts que nous reprenons, le premier avant le décès de son maitre et le deuxième après sa mort, ce sont deux articles qui font l’hommage  de l’homme qui a marqué l’enseignement de la philosophie en Tunisie, qu’il repose en paix.

 

Des hommes qui ont servi l’éducation dans notre pays

Mahmoud Ben jemaa


« Chaque époque a ses hommes, et chaque domaine ses illustres figures. Dans notre pays, l’éducation a vu s’illustrer des personnalités emblématiques, des noms qui ont consacré leur vie à l’enseignement et à la formation des jeunes générations, à l’inspection pédagogique ou à la gestion administrative. Cette dévotion a permis à la région de Sfax de se distinguer par ses résultats, occupant la première place des classements depuis plus d’un demi-siècle, notamment pour les résultats du baccalauréat.

Parmi ces figures marquantes de l’éducation, l’un des noms les plus illustres est celui de M. Mahmoud Ben Jemaa, qui vient de nous quitter le Mardi 7 Janvier 2025, paix à son âme .

Une carrière exceptionnelle

M. Mahmoud est né en 1941 à de Sfax, en Tunisie, où il a suivi ses études primaires dans les écoles coraniques "En-Najah" et "En-Najma", situées dans la médina, où l’on enseignait le français dès la première année en plus du Coran et de l’arabe. Après ses études primaires, il a rejoint le lycée de garçons de Sfax (aujourd’hui lycée Hédi Chaker) où il a obtenu, en 1962, le baccalauréat français, section mathématiques.

Il s’est ensuite rendu en France pour poursuivre ses études au département de philosophie de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Grenoble. Il y a décroché une licence en philosophie (juin 1966) ainsi qu’un diplôme d’études supérieures (Décembre 1967) avec la mention Très Bien. Plus tard, il a obtenu le diplôme de recherche approfondie en 1989 à la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis.

Après cette brillante formation académique, M. Mahmoud Ben Jemaa a entamé une carrière en tant que professeur de philosophie dans les lycées, les écoles normales des instituteurs et à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sfax. Il a aussi exercé les fonctions de conseiller pédagogique puis d’inspecteur en philosophie pendant plus d’un quart de siècle. Il a gravi tous les échelons jusqu’au grade d’inspecteur général de l’éducation.

Il a laissé une empreinte indélébile chez tous ceux qu’il a formés, tant sur le plan pédagogique qu’intellectuel. J’ai eu le privilège de compter parmi ses élèves et de m’abreuver de sa rigueur dans le travail, son souci constant de perfectionner la formation et de moderniser les méthodes d’enseignement.

Un homme de culture et d’engagement

Parallèlement à son rayonnement culturel et à ses activités au sein de la société civile (à travers l’Association des Études Philosophiques, la Ligue des Droits de l’Homme, etc.), M. Ben Jemaa est également auteur, traducteur et poète. Il a écrit de nombreux articles sur la philosophie et l’éducation, participé à la traduction du "Dictionnaire critique du marxisme" de Georges Labica[1], et traduit en arabe 12 ouvrages traitant de questions épistémologiques et philosophiques diverses, publiés entre 2004 et 2019.

Il a également édité des "Extraits de la Muqaddima d’Ibn Khaldoun" et des lettres d’Al-Kindi, accompagnés de commentaires. De plus, il a publié trois recueils de poésie en langue française, témoignant de sa sensibilité profonde, de son goût raffiné et de son talent remarquable.

En 2014, il a reçu le prix de mérite de la Fondation Guido Gozzano [2](au nom du poète italien) pour son œuvre poétique et le Prix de la traduction arabe au Salon International du Livre de Tunis en 2018 pour sa traduction de l’ouvrage de Julia Kristeva [3]: Histoires d’amour.

Un homme honoré et respecté

M. Mahmoud Ben Jemaa, est père de trois enfants. Il a servi l’éducation avec dévouement, sérieux et un souci constant d’innovation. Il mérite les expressions les plus sincères de gratitude et les hommages les plus éloquents.

Par cette présentation, nous souhaitons honorer la mémoire  cet homme, reconnaître ses services inestimables et son rôle actif dans la formation de cadres et d’hommes que nous célébrons aujourd’hui avec fierté. Cet espace reste ouvert pour saluer l’homme et évoquer quelques souvenirs.

Abdellatif Hdhili, Professeur de philosophie
Sfax, Octobre 2024

Traduction Mongi Akrout

 

À la mémoire du regretté de la ville de Sfax et de la patrie : Feu M. Mahmoud Ben Jemaa.

La nouvelle de ton décès nous a profondément bouleversés. Une douleur vive a saisi nos cœurs, et une tristesse immense a envahi nos âmes. Nos êtres ont tremblé de chagrin et de désespoir face à la perte d’un professeur généreux et d’un ami précieux, qui a consacré sa vie au service de l’éducation, de la citoyenneté et à la transmission des valeurs humaines.

Je témoigne que nous t’avons connu comme un professeur émérite, un penseur exceptionnel, et un inspecteur talentueux et perspicace. Ton empreinte a marqué des générations de professeurs à travers les différentes régions de la République. En tant que formateur, guide et accompagnateur, tu as contribué avec passion et dévouement à l’amélioration des programmes et des performances pédagogiques. Même après ta retraite, ton engagement est resté intact, et jusqu’à la semaine dernière, tes contributions enrichissaient encore cet espace par la profondeur de tes écrits.

Nous avons eu l’honneur de partager avec toi des discussions enrichissantes, de porter ensemble les préoccupations du système éducatif et de défendre la place de la philosophie et de la pensée critique dans les programmes officiels.

Je témoigne, le cœur meurtri, que tu étais un acteur engagé dans la scène culturelle, un porteur de préoccupations civiques, un défenseur infatigable des droits humains dans leur dimension individuelle et universelle et un poète dont les mots, empreints de sensibilité et de profondeur.

Cher ami, tu étais pour nous une pensée éclairée, une action bienveillante, et un discours d’une éloquence rare. Nous avons reconnu en toi un militant passionné pour la justice et un défenseur intrépide des libertés, œuvrant avec espoir pour un monde plus juste et plus noble.

Tes articles, tes livres, tes poèmes, tes traductions, tes conférences, les débats que tu as animés, les colloques que tu as organisés, ainsi que les responsabilités associatives que tu as assumées, témoignent de la richesse de ton héritage. Ta disparition est une perte immense pour la région de Sfax et pour notre chère patrie.

C’est pourquoi nous te pleurons aujourd’hui avec une douleur profonde, une amertume indicible et une tristesse infinie. Nous te disons adieu, le cœur embrasé, les entrailles serrées, mais avec une mémoire empreinte de respect pour une vie exemplaire. Nous nous inclinons devant la volonté de Dieu.

"Le temps réunit et sépare,
Les hommes ne sont que des voyageurs et des êtres en partance
."

Que Dieu t’accorde Sa miséricorde, honore ta mémoire et perpétue ton souvenir. Paix à ton âme et éternité à ta mémoire. Nous prions pour que Dieu nous accorde, ainsi qu’à ta famille et à tes proches, patience et réconfort. Gloire à Celui qui est éternel et qui a décrété la mort pour ses créatures.

Nous appartenons à Dieu et à Lui nous retournons.

 

Abdellatif Hdhili, professeur de philosophie

 Sfax, Janvier 2025

Traduction Mongi Akrout

Pour accéder à la version Arabe  Cliquer ICI



[1] Georges Labicaest né le 27 décembre 1930 à Toulon (Var), mort le 12 février 2009 à Suresnes (Hauts-de-Seine)  ; professeur, enseignant-chercheur ; philosophe marxiste ; syndicaliste (SNES puis SNESup) ; membre du PCF (1955-1980).

[2]Guido Gozzano (né le 19 décembre 1883 à Turin, mort le 9 août 1916 dans la même ville) est un poète italien du début du XXe siècle., il fut le chef de file de la poésie dite « crépusculaire »

[3]Julia Kristeva, née le 24 juin 1941 à Sliven en Bulgarie, est une philologue, psychanalyste et femme de lettres française d'origine bulgare. Elle est professeure émérite de l'Université Paris Cité

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