dimanche 10 janvier 2021

A propos du travail des enseignants du secteur public dans les établissements scolaires privés ( quatrième partie)

 

 

Hédi BOUHOUCH

Nous terminons cette semaine la série  d'articles que nous avons consacrés à la question du travail des enseignants du public dans les établissements privés. Pour revenir à la 1° partie,  cliquer ici ,  Pour revenir à la 1° partie,  cliquer ici. 
Pour revenir à la 2° partie. Pour revenir à la 3° partie,  cliquer ici.

 

Au mois de septembre 2018 , le ministre de l'éducation Hatem Ben Salem avait annoncé «lors de la conférence de presse tenue au sein du ministère de l’Education, qu'à partir de l’année scolaire, 2019-20, il sera interdit aux enseignants de la fonction publique d’enseigner dans les écoles et lycées privés ..»[1]et a demandé aux responsables de ses institutions de  s'y préparer.

 Cette décision a provoqué beaucoup de réactions parmi les professionnels de l'enseignement privé , la publication d'une note de service le 23 juillet 2019 qui annonce l'entrée en vigueur de la décision ministérielle a ravivé le débat.

Le blog pédagogique a voulu  faire  l'histoire de cette question à partir des textes officiels que nous avons pu trouvés .

 

6ème document : la note de service de juillet 2019.

 

2018 le tournant : arrêt  des  permissions pour assurer des heures de cours dans les établissements éducatifs privés pour tous les enseignants exerçant dans tous les établissements éducatifs publics.

* septembre 2018 : l'annonce de la décision

Le 13 septembre 2018, Lors de la conférence de presse tenue au sein du ministère de l’Education, Hatem Ben Salem le ministre de l'éducation annonce qu'à partir de la rentrée 2019-20 , il sera interdit aux enseignants relevant du Ministère de faire des heures supplémentaires dans les établissements scolaires privée ( écoles primaires , collèges et lycées privés). Le ministre précisa que cette décision a été prise en commun accord avec le syndicat des propriétaires des établissements scolaires privés[2], il semble, que le ministère, ait organisé une conférence nationale avec la participation de représentants du secteur de l'enseignement privé, cette conférence a recommandé l'organisation de conférences régionales sur le même sujet, en outre le ministère affirme qu'il a informé tous les représentants du secteur depuis la fin de l'année scolaire 2017/2018 , et qu'il leur a  accordé un moratoire d'une année afin de préparer la mise à niveau de leur cadre.

* Juillet 2019 : parution de la note de service qui met fin aux autorisations et menace les contrevenants de sanctions

A la fin de l'année scolaire 2018/2019, le ministère envoie une note aux délégués régionaux de l'éducation qui leur demande :

.1.  d''arrêter  immédiatement  et totalement   d'accorder des autorisations aux enseignants des écoles primaires , des collèges et des lycées pour assurer des cours dans les établissements privés.

.2.  d'informer les établissements scolaires privés de leur circonscription du contenu de cette note et leur demander de se conformer aux dispositions de cette décision et d'assure toutes les garanties juridiques et professionnelles pour le cadre enseignant et des  autres cadres qui y travaillent en adoptant des contrats de travail types.

.3.  de présenter le dossier de tout établissement privé qui enfreint cette décision devant la commission consultative régionale des établissements privés prévue à l'article 5 du décret déjà cité.

.4.  de prendre toutes les mesures juridiques et administratives nécessaires à l'encontre de tout contrevenant  aux dispositions de cette note parmi les enseignants.

 

Document 6: Note du 23 juillet 2019 envoyée aux délégués régionaux  de l'enseignement

 

République tunisienne                                                      23 juillet 2019

Le ministère de l'Éducation

Le cabinet  15123

 

A Mesdames et Messieurs les délégués régionaux de l'enseignement

 

Objet: À propos de l'enseignement dans des établissements d'enseignement privés

 

Dans le cadre de la volonté du ministère de réglementer le secteur de l'enseignement dans les établissements d'enseignement privés et suite au non respect de certaines dispositions du décret n°2008-486 du 22 février 2008 relatif aux conditions d’obtention d’une autorisation pour la création d’établissements éducatifs privés,  ainsi qu’à leur organisation et leur fonctionnement, ainsi que son déclin qualitatif. Et suite à la baisse au niveau de la qualité de l'enseignement  et des conditions de travail dans ces établissements qui en a découlé, en plus des effets sociaux sur le marché de l'emploi et la réduction des occasions d'emploi offertes aux titulaires de diplômes supérieurs offertes par des établissements d'enseignement privés, et dans le but de protéger les intérêts suprêmes des élèves et de maintenir les équilibres pédagogiques des établissements d'enseignement publics.

Je vous informe qu' à compter de l'année scolaire 2019-2020, il a été décidé de mettre fin à l'octroi des autorisations  pour donner des heures de cours  dans des établissements d'enseignement privés à tous les enseignants qui exercent dans tous les établissements d'enseignement publics (écoles primaires, collèges, lycées et les établissements  pilotes )

Par conséquent, il vous est demandé :

1. - d'arrêter immédiatement  et complètement  l'octroi  des autorisations  aux enseignants des écoles primaires , des collèges, des collèges techniques, des lycées et des établissements  pilotes qui sont  sous votre autorité, pour effectuer des heures de cours dans des établissements d'enseignement privés, prévues par l'article  39 du décret susmentionné.

2-   d'informer les établissements d'enseignement privés qui vous sont sous votre tutelle  du contenu du présent note  et les inviter  à se conformer aux dispositions de la présente décision et à fournir toutes les garanties juridiques et professionnelles au cadre enseignant  et aux autres  personnels ( parmi ceux qui ne relèvent pas des institutions publiques), sur la base de contrats de travail modèles  (qui paraitront  ultérieurement), qui seront soumis à des procédures de suivi et de contrôle conformément au Code du travail et aux accords sectoriels communs.

3- De déférer  le  dossier de l’établissement  scolaire privé, dont la violation de la présente décision est avérée, devant  la commission  consultative régionale des établissements d’enseignement privé prévu par l'article  5 du décret susmentionné.

 -4 de prendre les mesures juridiques et administratives nécessaires en cas de violation avérée des dispositions de la  présente note  par l'un des enseignants qui  est sous votre autorité.

Compte tenu de l’importance du sujet, vous êtes invité à appliquer les  disposition de cette note  avec le plus grand soin possible, dès que vous aurez sa réception.

Le Ministre de l'éducation

Hatem Ben Salem

 

 

La note du 23 juillet 2019 a représenté une rupture avec la politique du Ministère en vigueur depuis le début des années 90 et même avant , lorsqu'elle a décidé de ne plus permettre aux établissements scolaires privées de recourir aux enseignants du public.

Quelles étaient les motivations de cette décision?

La note en a évoqué quelques unes dans son préambule,  et le directeur général des affaires juridiques du ministère les a précisées dans une interview qu'il a accordée à un journal de la place nous citons parmi  ces motivations:

- le désir d'organiser le secteur, surtout après avoir constaté  plusieurs irrégularités et le non respect des dispositions prévues par le décret 486 de l'année 2008, comme par exemple le non respecter du plafond  de 10 heures autorisées, certains enseignants font plus 15 heures supplémentaires ce qui se répercute sur leur rendement" d'après le responsable du ministère[3].

- doter le secteur privé de son propre corps enseignant  pour améliorer son rendement car d'après le ministère « l'absence d'un cadre enseignant spécifique  aux établissements privés a entrainé une baisse qualitative de l'enseignement et des conditions de travail dans ces établissements… l'amélioration et le développement de l'enseignement privé  passent par le recrutement d'enseignants diplômés de l'enseignement supérieur   selon des conditions honorables et décentes et non pas en faisant appel à des enseignants qui sont payés à l'heure".[4]

- Lutter contre le chômage des diplômés du supérieur grâce aux possibilités que peuvent offrir les établissements scolaires privés, en se référant aux données de l'année scolaire 2015/2016 nous estimons que si chaque école primaire recrute 2 instituteurs par classes , on pourrait donner un emploi à environ 6000 diplômés puisque on comptait 3023 classes dans ces écoles primaires, quant  à l'enseignement  préparatoire et secondaire qui compte 346 établissements , si ceux-ci recruteraient 10  professeurs , on créerait 3460 emplois, soit au total à peu près 10.000 postes d'emploi.

- Préserver les équilibres pédagogiques  des établissements publics et protéger l'intérêt suprême de l'élève , car il est évident qu'une surcharge horaire pour les enseignants se répercuterait indéniablement sur la qualité de ses prestations .

Réactions et contre réactions

Les mesures décidées par le ministère divisent, il  y a ceux qui les dénoncent et les rejettent et il y a ceux qui les ont applaudies.

Le clan du rejet

L'union tunisienne des instituts privés pour l'enseignement  et la formation (UTIPEF) et la fédération tunisienne des associations de parents d'élèves (FTAPE) ont dénoncé  dès les premières heures les mesures décidées par  le ministère de l'éducation et ils appellent à l'application des dispositions prévues par le décret de février 2008.

Le rejet des propriétaires des établissements privés était motivé par deux causes, la première est d'ordre financier, les nouvelles mesures vont engendrer une  charge  financière supplémentaire, la deuxième est d'ordre pédagogique, pour eux les nouveaux diplômés ne peuvent pas assurer à court terme un enseignement de qualité.

Quand aux parents; leur rejet est surtout d'ordre pédagogique, ils s'inquiètent  des répercussions de ces mesures sur la qualité de l'enseignement qui sera donné à leurs enfants, « nous refusons que nos enfants inscrits dans le secteur privé subissent une telle décision, et soient livrés à des jeunes diplômés non expérimentés » déclara président du FTAPE et propose d'appliquer les nouvelles dispositions « de manière progressive pour trouver le temps de former les jeunes diplômés du supérieur qui manquent d'expérience »[5]. Les deux organisations appellent à la révision des décisions ministérielles et dénonce leur caractère arbitraire, et une campagne de protestation s'organise via les média.

D'autres acteurs et associations sont entrés en ligne,  comme l'association  tunisienne pour la qualité de l'enseignement (ATUQUE) qui estime « que les méfaits de ces mesures sont plus nombreux que ses bienfaits… et que l'application des mesures risque de provoquer la fermeture de plusieurs établissements ( surtout les petits) ce qui va entrainer plus de chômage…  et l'association de proposer d'accorder un moratoire de cinq ans  pour les classes terminales afin de donner aux écoles privées le temps de préparer les  enseignants qu'ils vont recruter …»[6]

Le clan du pour : le syndicat de l'enseignement secondaire

Le secrétaire général du syndicat de l'enseignement secondaire  qui est généralement très critique vis-à-vis de la plupart des décisions du ministère, a soutenu le ministère dans cette affaire , en déclarant que  la décision prise par le ministère est très importante pour l'école publique, la qualifiant d'audacieuse  et qu'il est de son droit de la prendre pour pousser les établissements privés à recruter les diplômés[7]  mais il a refusé que la formation des enseignants du privés se fasse au frais de l'état .

L'Association tunisienne des parents et des élèves soutient la décision  du ministère de l'éducation.

Le président de l'association tunisienne des parents et des élèves appelle à l'application de la loi, estimant que " les établissements privés devraient s'orienter vers la formation de leurs propres enseignants pour garantir la qualité " [8]

La réaction du Ministère

Face à la contestation et aux accusations lancées par l'UTIPEF et la FTAPE, le ministère publia un communiqué  le 31 juillet 2019  dans lequel il récuse les accusations et où il affirme que la décision de suspendre l'attribution des autorisations  aux enseignants pour faire cours  dans les écoles privées a été prise après consultation et en  collaboration avec les représentants de l'enseignement privé depuis à peu près deux ans, précisant que le ministère a organisé une conférence nationale à laquelle ont été conviés des représentants de l'enseignement privé , la conférence avait recommandé l'organisation de conférences régionales sur le sujet, ces conférences régionales  ont débouché sur  une séance de travail tenue le 22 avril 2018 qui a réuni les représentants du ministère et les représentants de la chambre nationale des établissements scolaires privés , à la fin de cette réunion, un PV  a été signé  qui stipule dans le paragraphe 5  l'interdiction de recourir aux enseignants des écoles primaires , des collèges et des lycées relevant du secteur étatique par les établissement privés , en contre partie , le ministère offre la possibilité de former les enseignants qui seront recrutés par ces dernier.

le communiqué précise en outre que tous les représentants du secteur ont été informés de la décision  depuis la fin de l'année scolaire 2017/2018  et qu'ils disposent de l'année scolaire 2018/2019 pour se préparer et procéder à la mise à niveau de leur personnel.

Septembre 2019, le ministère  opte pour un compromis  et l'application progressive de l'interdiction

Devant les protestations des écoles privées , une série de rencontres entre les deux parties ont abouti à la signature d'un accord le 16 septembre 2019 entre le ministère de l'éducation et la chambre nationale des établissements scolaires privés  affilée à l'union tunisienne de l'industrie , du commerce et de l'artisanat  (UTICA), l'accord stipule  l'application progressive de l'interdiction  d'accorder des autorisations aux enseignants des collèges et des lycées pour exercer dans les établissements privés, l'accord accordera un moratoire pour les établissements  qui accepteraient de le ratifier .

L'accord  confirme le principe de l'application de la décision de la note de juillet 2019 et ce à partir de l'année scolaire 2019/2020 comme décidé dans le respect de la loi , mais en réduisant progressivement le nombre d'autorisation jusqu'à  leur arrêt total à la rentrée 2021/2022 , cette démarche prend en considération les équilibres pédagogiques des écoles privées et le rythme de la formation des diplômés qui seront recrutés. Ces dispositions ne concernent que les écoles qui ont signé l'accord et se sont engagées à respecter ses termes et ont entamé le recrutement et la formation, quant aux écoles qui ont refusé d'adhérer à l'accord, elles ne peuvent  obtenir des autorisations pour utiliser les enseignants du public[9]

La démarche progressive  prévue devrait prendre la forme suivante: :[10]

*   pour l'année en cours 2019/2020 , il est prévu:

­   de permettre de faire appel aux enseignants du public pout les classes terminales (9ème de base et 4ème secondaire) sans limites.

­   pour les autres niveaux , les autorisations seront accordées dans la limite de 60% des besoins de l'école , les 40% restant devraient être recrutés selon les modalités règlementaires .

*   pour l'année 2020/2021, il est prévu:

­   de continuer  à  faire appel aux enseignants du public pout les classes terminales ( 9ème de base et 4ème secondaire) mais dans la proportion de 60% seulement.

­   pour les autres niveaux , les autorisations seront accordées dans la limite de 50% des besoins de l'école , les 50% restant devraient être recrutés selon les modalités règlementaires.

*   pour l'année scolaire 2021/2022 arrêt total des autorisation.

 

En guise de conclusion, il nous semble  que la question du recours des établissements scolaires aux enseignants du secteur étatique  qui est une question récurrente  n'est pas prête d'être résolue, car il est  bien de légiférer mais il faudrait avoir les moyens de faire respecter la loi, or l'histoire ancienne et récente montre que le ministère n'a pas les moyens de faire respecter la loi, combien d'établissements privés ont-ils déclaré leurs corps enseignants , le ministère a-t-il une base de données actualisées qui lui permet de faire le suivi et le contrôle ,  l'exemple des mesures d'interdiction des cours particuliers dans les maisons des enseignants est là pour nous montrer l'impuissance du Ministère face aux dépassements que tout  un chacun voit tous les jours surtout à l'approche des période des contrôles trimestriels.

Fin , pour revoir la première partie, Cliquer ICI- pour la 2°  Cliquer ICI- pour la 3°  Cliquer ICI 

 

Akrout Mongi, & Abdessalam Bouzid Inspecteurs généraux de l'éducation retraités &Brahim Ben ATIG Professeur Emérite retraité

Tunis ; Janvier 2019.

Pour accéder à la version AR , Cliquer ICI

 

 



[2] https://directinfo.webmanagercenter.com et https://www.tunisiemploi.com.tn/2018/09/14/tunisie-les-diplomes-peuvent-enseigner-dans-le-prive-avec-des-contrats-elabores-par-le-ministere/

 

 

[4] opt.cité

[5] déclaration du président à l'agence TAP

[10]  تصريح مدير العام للشؤون القانونية لوزارة التربية  يوم غرة أكتوبر لبرنامج أحلى صباح  على راديو موزاييك

Ministère de l'éducation Tunisie (page officielle)

 

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