dimanche 19 mars 2023

À la mémoire du professeur Mohamed Al-Hédi Khlil

 


Mohamed Hédi Khlil

La semaine dernière, la Tunisie  a perdu l'un de ses hommes illustres, le professeur Mohamed Al-Hédi Khlil, que j'ai rencontré pour la première fois alors qu'il était directeur des examens au ministère de l'Éducation nationale au début des années 80 et que j'étais un jeune inspecteur. 


Après  plusieurs années  je l'ai rencontré par un pur hasard dans un café du coté des Menzahs  et depuis nos rencontres sont devenues régulières, j'ai découvert un homme d'une grande modestie et d'une ouverture d'esprit,  il  soutenait et encourageait le blog  pédagogique  en  nous offrant  de nombreux documents rares et des informations précieuses sur l'histoire de l'école tunisienne qu'il connait  beaucoup mieux que nous, nous en avons publié quelques-uns , et il y en a encore beaucoup qui seront publiés un jour , inchallah.

Et pour honorer la mémoire  de notre défunt, le blog a voulu lui consacrer  le papier de cette semaine pour  donner un aperçu  sur son parcours scolaire et professionnel.

Puisse  Dieu l'accueille dans son paradis éternel.

Le Professeur Mohamed Al-Hédi Khlil en bref

Mohamed Al-Hédi Khlil est né le 5 décembre 1936 dans le village de Korba dans une "famille modeste, mais qui est considérée  comme très ancienne en raison de son origine turque."[1] Il a rejoint  le Koutteb  du village à l'âge de 4 ans, comme la plupart des enfants.  Quand il a atteint six ans,  tout en continuant à étudier au Koutteb, il a tenu à rejoindre l'école franco-arabe (l'école de la place des chevaux)  malgré l'opposition de son père au début, qui " tenait absolument  à le garder au Koutteb  pour qu'il puisse  poursuivre  ses études à la mosquée Al-Zaytouna, à l'instar de ses amis devenus des cadres supérieurs dans la magistrature et l'enseignement ».

Au mois de juin 1950, le jeune Hédi  réussit le concours d'entrée en première année de l'enseignement secondaire, mais il n'obtint pas le certificat d'études primaires, qui est un certificat très important pour la population de l'époque car il « permettait à son titulaire  d'être exempté automatiquement du service militaire » Il le repassera l'année suivante, il réussit cette fois à l'obtenir.

  Suite à sa réussite au concours d'entrée en première année de l'enseignement secondaire, il  avait postulé  pour  intégrer le collège Alaoui  de Tunis, mais la Direction de l'Enseignement public décida de  l'orienter  vers le  cours complémentaire de Nabeul  nouvellement  créé, mais la scolarité à Nabeul fut marquée par  des  troubles et de manifestations  nationalistes, en particulier en 1952, et malgré cela, il a poursuivi ses études jusqu'en troisième année, il a commencé à penser à rejoindre l'un des lycées de Tunis pour poursuivre ses études secondaires, mais les efforts de son père pour l'inscrire  au collège Sadiki ont échoué, "parce que le directeur de l'école aurait –semble -t-il exigé  le paiement de cent mille francs, une somme excessive  qui n'était pas à la portée d'un simple agriculteur.[2]" Il a alors changé  sa destination et il s'est dirigé  vers le lycée  de Sousse, qu'il rejoint en octobre 1953, où il est inscrit en troisième année après avoir échoué à l'examen d'entrée  en quatrième année en raison de ses faibles notes  en traduction, qui n'était pas enseignée au cours complémentaire de Nabeul.

  A la fin de la même année scolaire (juin 1954), il se présenta, en  candidat libre, à l'examen de brevet et le réussit, ce fut un évènement  au lycée  car la participation à cet examen était réservée aux élèves de quatrième année alors que le jeune Hédi était alors en 3ème. L'année suivante (juin 1955), il  obtint le brevet d'arabe, qui était principalement basé sur la traduction, et il remporta le premier prix de sa classe.

Si Al-Hédi poursuivit ses études brillamment au lycée de Sousse et obtient en juin 1957 la première partie du baccalauréat selon le nouveau régime tunisien, il obtient également -la même année - le même diplôme  sous le régime français,  l'année suivante, c'est-à-dire en juin 1958, il a obtenu la deuxième partie du baccalauréat Mathématiques tunisien et aussi français. .

L'obtention du baccalauréat, avec la mention bien , lui a ouvert les portes de l'université, il était prévu  qu'il parte en France pour suivre des études d'ingénieur, mais au final, il est resté au pays pour plusieurs raisons et il rejoint à la rentrée universitaire 1958/59  l'Institut d'études supérieures en première année préparatoire en mathématiques générales, l'année universitaire suivante (1959/1960). Il rejoint  l'école normale  supérieure  de Tunis, il en sort diplômé en juin 1961 après avoir obtenu le certificat de fin d'études  de l'école supérieure avec la mention "Bien" ce qui lui a permis de remporter le premier prix  du Président de la République en Sciences.

Une carrière professionnelle bien remplie

1- Si El-Hédi Professeur de Mathématiques 1961-1968 : La carrière de Si El-Hédi dans l'enseignement a débuté en octobre 1961, lorsqu'il fut nommé professeur de Mathématiques  au lycée Khaznadar, l'un des lycées  prestigieux de la Tunisie. Il n'y resta qu'une seule  année, car  il fut  muté  à la rentrée 1962/1963 au Lycée de Garçons de  Sfax. Le séjour de Si El Hédi à Sfax fut aussi  de courte durée (une seule  année scolaire), car l'année d'après il est muté  au lycée de Sousse, le lycée où il avait fait ses études secondaires.

M. Hédi Khlil a parlé dans ses mémoires de son expérience en tant qu'enseignant dans ces trois établissements, et il a écrit ceci :

* La première expérience  au lycée  Khaznadar : « j'ai opté dans  mes cours pour une méthode moderne qui s'appuyait principalement sur ce que les mathématiques modernes  avaient apporté dans l'analyse des concepts mathématiques, ce qui gênait certains anciens collègues du lycée qui n'avaient pas étudié  les Mathématiques modernes à l'université,  et ils avaient exprimé leur opposition  lors d'une réunion des professeurs de Mathématiques avec l'inspecteur général français Cambon, qui était chargé par le ministère d'évaluer la réforme de 1958... L'inspecteur français exprima  son accord avec ma démarche et  m'avait  demandé de continuer dans la même voie, et  il nous avait dit que la France n'était  pas arrivée  à prendre  une décision sur cette question jusqu'à cette date»[3].

*Quant à sa 2ème expérience au lycée de garçons  de Sfax, il écrivait ceci : « Je faisais beaucoup d'efforts dans la préparation des leçons et des exercices pour qu'ils soient le mieux adaptés aux aspirations de mes élèves, surtout après avoir découvert que les jeunes de Sfax avaient une grande passion pour les sciences et une volonté permanente de travailler afin de réussir dans leurs études, et les résultats qu'ils ont obtenus à la fin de l'année étaient excellents, ce qui m'a fait hésiter à demander à retourner à Tunis, selon les vœux que j'avais  exprimés dans la fiche d'informations.»[4]

          * Et sur son  3ème passage au lycée de Sousse, il a écrit ceci  J'ai passé cinq ans au lycée de Sousse, enseignant  avec enthousiasme et assiduité, en suivant de près et attentivement tous les élèves, en particulier  ceux  des classes  terminales. Au mois de mai de chaque année, j'ai pris l'habitude d'organiser des  cours complémentaires pour tous mes élèves  auxquels  se joignaient  les élèves des autres classes, je faisais, au cours de ces séances, une révision complète du programme et il ne m'est jamais  venu à l'esprit de donner des cours particuliers payants, car  comment  un professeur peut-il tendre la main à son élève pour recevoir de l'argent , vu les rapports  sublimes  qui les lient .»[5]

2-   Hédi Khlil, directeur régional de l'éducation à Nabeul 1968-1970 - En juillet 1968, Si El-Hédi est invité à rencontrer le secrétaire d'État à l'éducation nationale Ahmed Ben Saleh, qui  le chargea de la direction régionale de l'éducation à Nabeul qui vient d'être créée dans le cadre de la politique de décentralisation  - mais après le limogeage d'Ahmed Ben Saleh, l'expérience des administrations régionales s'est terminée en septembre 1969 et malgré la courte expérience, Si Al-Hédi en a gardé de bons souvenirs  : « L'expérience que j'ai vécue a été très riche et elle m'a permis de m'habituer à prendre les responsabilités premières dans le secteur de l'éducation dans la région[6].»

3-Hédi Khlil, l'inspecteur administratif et pédagogique.

Lorsqu'il a été décidé de dissoudre les directions régionales, Si El Hédi a été nommé par le ministre Chadly Ayari, inspecteur régional de l'administration scolaire au sein de l'inspection générale des affaires administratives et financières et inspecteur pédagogique de Mathématiques, parallèlement Si Al Hédi  avait  repris l'enseignement  partiel des Mathématiques au lycée Al Omrane pour rester en contact avec les élèves et les mathématiques disait-il, mais l'expérience d'inspection a été courte et Si El Hédi l'a quittée pour  l'administration , mais cette fois au sein de l'administration centrale.

4-  Hédi Khlil intègre l'administration centrale 1970-1983.

Si Al-Hédi a connu une longue carrière dans l'administration centrale du ministère de l'éducation, qu'il a débutée comme sous-directeur en 1970 et qu'il avait couronnée comme Ministre en 1989.

- En 1970, il a été chargé par le ministre Mohamed Mzali de la sous-direction de l'enseignement technique et professionnel, qui a été créée au sein de la direction de l'enseignement secondaire dirigée à l'époque par  le professeur Abdelaziz Ben Hsan.

- En 1973 (5 décembre), le nouveau ministre de l'Éducation, Idris Guiga nomma Si Al-Hédi directeur de l'enseignement secondaire pour succéder à son patron Abdelaziz Ben Hsan. Si Al-Hédi Khalil resta à la tête de cette direction  jusqu'à la rentrée scolaire  1981-1982,  lorsqu'il a été nommé directeur des examens.

Si Al-Hédi a passé la plus longue période de sa carrière administrative à la tête de cet important département  (la direction de l'enseignement secondaire), ce qui lui a permis d'introduire plusieurs changements fondamentaux, comme :

* l'institution du système de contrôle continu,

*la création de la session de contrôle du baccalauréat  et la suppression de la session d'octobre

* l'introduction des matières optionnelles  sous la forme de deux groupes, un groupe de matières scientifiques et un groupe  de matières de sciences humaines.

* La révision du régime de discipline dans les lycées en créant  un conseil de l'éducation avec la participation des représentants des élèves au lieu du conseil de discipline et en abolissant la sanction  de retenue.

*  La dotation de la personnalité civile et l'indépendance financière aux lycées et aux collèges pour leur permettre d'avoir leur propre budget.

§ Jeter les bases de la direction  des examens : Si Al-Hédi était le fondateur de la direction des examens,  cette tâche ne lui était pas difficile, car il se chargeait  des examens lorsqu'il était à la tête de la direction  de l'enseignement secondaire. Il est resté deux années à la tête de la nouvelle direction  des examens, qu'il a quittée en décembre 1983 pour l'office  de la formation et de la promotion professionnelle, poste qu'il avait occupé  jusqu'en 1987.

5-Retour de Si Al-Hadi au ministère de l'Éducation comme secrétaire d'État auprès du ministre de l'Éducation, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, puis ministre de l'Éducation

 - Mai - novembre 1987 avec le ministre d'État Mohamed Al-Sayah : En mai 1987, à la suite d'un remaniement ministériel et de la nomination de Mohamed Sayah à la tête du ministère de l'Éducation, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Mohamed Al-Hédi Khlil est nommé secrétaire d'État chargé de l'éducation.

- Novembre 1987-avril 1988 avec le ministre Tijani Chelly : après le 7 novembre 1987, et le départ  de Sayah, Tijani Chelly  lui a succédé à la tête du département , Al-Hédi Khlil est maintenu à son poste de secrétaire de État chargé de l'éducation.

- Avril 1988 Avril 1989 - El-Hadi Khalil est nommé ministre de l'Education : En 1988, le ministère de l'Éducation, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique est divisé en deux ministères,  et Hédi Khlil  fut promu  ministre de l'Education, poste  qu'il gardera jusqu'en avril 1989 .

Malgré la courte période qu'il a passée en tant que premier responsable du département  de l'éducation en Tunisie, il a accompli beaucoup de choses, et parmi ses réalisations les plus marquantes, on peut citer :

- La création  des directions régionales de l'éducation dans chaque gouvernorat  qui  supervisent  le secteur de l'enseignement dans toutes ses composantes dans la région.

- L'élaboration d'une nouvelle loi sur l'éducation, qui a été présentée au Conseil supérieur de l'éducation le 6 janvier 1989 et au Conseil économique et social. Le projet de loi devait être envoyé à la Chambre des représentants, mais le Président de la République a décidé de surseoir cela,  Si Al-Hédi a parlé dans ses mémoires de "l'existence d'un plan soit pour entraver le projet, soit pour l'avorter,  ce qui a empêché la réforme d'avancer"[7] .

- Démarrage  de la mise en place de l'école de base  à partir du mois d'octobre 1989 au niveau des première, deuxième et troisième année de l'école de base .

Après son départ du Ministère de l'éducation, Hédi Khlil avait entamé une nouvelle carrière  de parlementaire.

Voila très brièvement un aperçu le la vie et de l'œuvre de cet homme qui aimait sa ville natale korba, le ministère de l'éducation et surtout son pays, repose en paix Si Hédi.

Mongi Akrout, Inspecteur général de l'éducation retraité

Tunis, Mars 2023.

Pour accéder à la version AR, Cliquer ICI 

 

 

 



[1] محمد الهادي خليل – إسهامات ومواقف  في المسار التربوي و السياسي و البرلماني 1961-2003- دار كلمة للنشر -2017 .

[1]  نفس المصدر السابق ص 27.

[2] Op. cit. p.36

[3]  Op. cit. pp.56 et 57

[4]  Op. cit.  pp 59 et 60

[5] Op. cit.  pp 60 et 61

[6] Op.cit. p.71

[7]  Op. cit. p122

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