Hédi bouhouch |
Nous poursuivons cette semaine la publication de l'étude sur la question de la langue d'enseignement en Tunisie, en entamant le deuxième chapitre consacré à la période du protectorat français sur le pays, une période qui a vu la confirmation du bilinguisme imposé avec une suprématie de la langue française au dépens de la langue arabe qui se trouve marginalisée.
Nous exposons dans ce numéro le statut de la langue arabe et son évolution dans dans l'enseignement post primaire , les cours pour adultes et l'enseignement supérieur après avoir vu dans les précédents numéros la situation dans les écoles françaises ouvertes en Tunisie et dans
Pour revenir
au premier épisode, cliquer ici et au deuxième cliquer ici et au troisième cliquer ici et au quatrième cliquer ici et au cinquième cliquer ici
Deuxième
chapitre : La langue d’enseignement au temps du protectorat : le
bilinguisme imposé avec une prédominance
de la langue française
I- les
fondements de la politique linguistique du protectorat.
II-Evolution
du statut de la langue arabe dans les institutions publiques créées par la DIP
en Tunisie.
A. Au niveau de l'enseignement primaire
1.
Dans
les écoles françaises : d'une absence totale de la langue arabe au statut d'une
matière obligatoire.
2.
Dans
les écoles franco arabes : un bilinguisme inégal s'est imposé .
B - La place de la langue arabe dans le
second cycle ou l'enseignement post primaire public.
Peu développé
au temps du protectorat, l'enseignement post primaire était représenté par
quelques unités concentrées dans la ville de Tunis et les villes importantes où
vivait une communauté française assez importante, comme Bizerte, Sousse et
Sfax… il s'agit des cours complémentaires, de lycées, de collèges techniques,
de l'école normale de garçons et de l'école normale de jeunes filles.
1- La
langue arabe dans les lycées
Malheureusement,
nous ne disposons pas de données complètes et détaillées sur la place de la
langue arabe dans le second cycle. Sraieb donne une information générale qui
montre que dans tous les établissements du second degré où l'élément français
représentait la grande majorité de la population scolaire, la suprématie de la
langue française était indiscutable. Elle accaparait l'essentiel de l'horaire
avec quelques différences selon le type d'enseignement, les cycles et les
sections, alors que la langue arabe n’occupait qu’une place secondaire. Sraieb
écrivait que " si l’enseignement en langue française recouvrait les
mêmes disciplines que dans les sections modernes et classiques de
l'enseignement en France, l’enseignement en langue arabe touchait quant à lui
la langue et la littérature arabes, l’histoire et la géographie du monde
musulman, l’enseignement islamique, la traduction de textes administratifs,
l’instruction civique, la calligraphie et la paléographie"[1]. Nous avons néanmoins des bribes
d'informations qui concernent quelques établissements secondaires que nous
allons présenter.
§ La langue arabe au lycée Carnot[2]
La langue arabe était enseignée au
lycée Carnot. La direction du lycée avait opté au départ pour l'arabe parlé
(addarija) pour les classes du premier cycle (sixième et cinquième), en raison
de l'hétérogénéité des classes où se côtoyaient des français, d'autres
européens, des autochtones musulmans et juifs. L'introduction de l'arabe
littéraire se faisait à partir de la classe de quatrième. "On a constaté
que la réunion des français et des indigènes musulmans et israélites dans
le 1er cycle, obliger les professeurs à enseigner en 6ème
et 5ème l'arabe parlé, retardait l'étude de l'arabe régulier,
laissant ainsi pendant 2 ans les indigènes en marge de la classe. Pour remédier
à cet inconvénient grave, il a été décidé que désormais, les européens étudiant
l'arabe seraient séparés des indigènes pour l'étude de cette langue, dès la 6e
et pour toute la durée du 1er cycle, et que les uns et les autres recevraient
un enseignement où, suivant la classe et l'origine des élèves, l'arabe régulier
apparaîtrait au moment voulu et occuperait la place qui lui convenait. Il est
permis d'attendre de cette innovation, en même temps que l'accroissement en
nombre des arabisants, une amélioration du niveau des études d'arabe au
lycée". (rapport au président de la république, année 1922)
§
La
section tunisienne : une tentative pour réhabiliter la langue arabe :
Au mois de
juin 1944, une circulaire[3] de la DIP
annonça la création d'une section tunisienne "dans les classes de 6ème des
collèges Alaoui à Tunis, de garçons de Sousse et de Sfax , à dater du 1er
octobre1944. En réalité cette section avait démarré plus tôt, en effet c'est le directeur de l'enseignement
public Letourneau (1941/1943) qui la lança dès 1942[4].
Cette section
parallèle aux sections classique et
moderne, permettra aux élèves qui la fréquenteront, d’acquérir une
culture semblable à celle de leurs camarades du collège Sadiki. En 6ème
et en 5ème l’enseignement de l’arabe aura une part importante
( voir tableau ci-dessous). Les autres matières seront celles qui sont
inscrites au programme de la section moderne. En 4ème, les élèves de
la section tunisienne entreprendront l’étude de l’anglais. Ces études
conduiront au baccalauréat et au diplôme de fin d’études du collège
Sadiki".
Horaire hebdomadaire appliqué à dater du 1er
octobre 1950 pour la section
tunisienne
|
6° |
5° |
4° classique |
4°moderne |
3° classique |
3°moderne |
3° spéciale |
Langue et
littérature françaises |
6 |
6 |
5 |
6 |
5 |
6 |
6 |
Langue et
littérature arabes |
8 |
8 |
7 |
7 |
7 |
7 |
7 |
Mathématiques |
2 |
2 |
2 |
2 |
2 |
3 |
2 |
Sciences |
1/2 |
1/2 |
1 |
1/2 |
1 |
1/2 |
1 |
|
2° |
2° classique c |
2° moderne |
2°spéciale |
1ère
classique AB |
1ère classique C |
1ère
moderne |
1ère
spéciale |
Langue et
littérature françaises |
4 |
4 |
5 |
5 |
4 |
4 |
5 |
5 |
Langue et
littérature arabes |
6 |
6 |
6 |
6 |
6 |
6 |
6 |
6 |
Mathématiques |
2h30 |
4 |
4 |
2h30 |
3 |
4 |
4 |
3 |
Sciences |
3 |
4h30 |
4h30 |
3 |
2 |
4h30 |
4h30 |
2 |
Source : BODIP 1950 - N°4- p.p 41, 42 .
En fait, les études de la section tunisienne ne
diffèrent de l'enseignement français que par la part accordée à la langue et la
littérature arabes qui variait entre 26 et 47% de l'horaire total. Cela
représente une avancée sur la voie de la réhabilitation de la langue arabe dans
l'enseignement secondaire (voir tableau ci-dessous).
L'horaire
hebdomadaire de la section tunisienne
|
Horaire pour le français |
Horaire pour l'arabe |
Total hebdomadaire |
% |
6ème et 5ème |
15h30 |
11h30 |
27h |
45.59% |
4ème classique |
21 |
9h30 |
30h30 |
31.14% |
4ème moderne |
20h30 |
9h30 |
30 |
31.66% |
3° classique |
21h30 |
10h30 |
32h |
32.81% |
3°moderne |
20h |
11h |
31 h |
35.48% |
3°spéciale |
15h30 |
12h30 |
28 |
44.64% |
2° classique A B |
22H30 |
9h |
31h30 |
28.57% |
2° classique C |
25h30 |
9h |
34h30 |
26.08% |
2°moderne |
21h30 |
9h |
30h30 |
29.5% |
2°spéciale |
15h30 |
12h |
27h30 |
47.05% |
1° classique A B |
24h |
9h |
33h |
27.27% |
1° classique C |
27h30 |
9h |
36h30 |
32.72% |
1°moderne |
23h30 |
9h |
32h30 |
27.69% |
1°spéciale |
17h |
13 |
30 |
43.3% |
source : opt cité ,Sraieb.
p ,58.
La création de cette section
s'inscrit dans le cadre de la nouvelle politique coloniale du gouvernement de
la France libre à la fin de la deuxième guerre mondiale. Elle fut conçue pour
satisfaire les nationalistes tunisiens et aussi pour réduire la pression sur
les lycées français en proposant aux
jeunes tunisiens une voie de substitution
qui se veut le prolongement des écoles franco-arabes.
Il semble que la nouvelle
section ait connu quelques difficultés au départ à cause
de la réticence des parents. La DIP a dû publier un document en 1946 signé par A.Mzali ,sous directeur de l'instruction publique
afin de dissiper les inquiétudes [5] des
élèves et des parents en leur
disant qu’ " il importe que les élèves inscrits dans cette section ainsi
que leurs parents sachent que cette section ne les conduit pas à une impasse,
pas plus qu'elle n'est considérée comme une section en marge de l'enseignement
secondaire officiel. Si des malentendus ou des incompréhensions ont pu se
glisser à la faveur de quelques interprétations erronées, il est de la plus
haute importance que tout le monde soit fixé sur la nature de l'enseignement
qui s'y donne et des possibilités qu'il offre."
Tout d'abord, dans les classes de 6° et 5° tunisiennes, les disciplines, autres que
l'arabe, doivent être absolument les mêmes que celles qui sont enseignées en 6°
moderne, sans restriction ni délimitation aucune.
A partir de la classe de 4°, les
élèves sont invités à entreprendre l'étude d'une deuxième langue vivante, tout
comme leurs camarades de la section moderne.
Ainsi les élèves inscrits en section
tunisienne reçoivent en même temps une culture française scientifique ou générale
et une culture arabe aussi solide que celle dispensée aux élèves du
collège Sadiki.
Ces études les conduiront bien
entendu aux examens du baccalauréat et mettront certains d'entre eux, sinon
tous, en mesure d'affronter d'autres examens tels que celui du brevet
élémentaire d'arabe et celui d'un diplôme de fin d'études secondaires". Cette mise au point a permis à la
section tunisienne de connaitre "un succès considérable surtout à partir
de 1950. En 1953, 90 classes dans les lycées, collèges et cours complémentaires
dispensaient cet enseignement tunisien (A.Louis
p 10)[6].L'effectif de la section
s'est multiplié par presque six fois entre 1945 et 1954 atteignant4854 soit 72.6 % des élèves tunisiens musulmans qui fréquentaient
l'enseignement secondaire. (voir tableau ci-dessous).
Evolution des
inscrits dans la section tunisienne
% |
Total
des inscrits tunisiens au secondaire |
Nb
d'inscrits tunisiens dans la section tunisienne |
Année |
68.17% |
1213 |
827 |
1945 |
67.37% |
3197 |
2154 |
1949 |
%72.64 |
6682 |
4854 |
1954 |
2-L'enseignement
de l'arabe dans l'enseignement technique
Dans l'enseignement
technique, 3 ou 4 heures d'enseignement arabe ont été programmées selon les
sections. Il s'agit, comme c'est le cas pour le primaire, de l'arabe régulier
(littéraire) pour les élèves tunisiens et de l'arabe dialectal pour les élèves
européens. Nous avons trouvé une note
relative à l’enseignement de l’arabe au collège Paul Cambon pour jeunes filles
durant l'année scolaire 1952/1953. On en déduit que les élèves tunisiennes
musulmanes suivaient un cours d'arabe régulier et un cours de culture islamique
(histoire et droit). Quant aux élèves européens, ils avaient un cours d'arabe
dialectal. Ces cours concernaient tous les niveaux du collège, de la 6ème
jusqu'à la classe de seconde où l'horaire variait entre 5 et 2 heures par
semaine selon le niveau et la section.
3- La langue
arabe à l'école normale des instituteurs
L'enseignement à l'école normale de Tunis lors de sa création était un
enseignement unilingue destiné à former des instituteurs de langue française.
Cependant les élèves-maitres avaient un cours d'arabe dialectal. Depuis 1908
cette formation s'étendait sur une année entière. En 1909, l'école normale des
instituteurs devient une école bilingue qui forme des instituteurs unilingues
(maîtres de français et maîtres d'arabe) et des instituteurs bilingues capables
d'enseigner les deux langues en même temps. En 1953[7]une
nouvelle organisation de l’école normale de Tunis crée deux sections : une
section de langue française et une section de langue arabe avec deux
sous-sections : la sous-section A qui forme les instituteurs bilingues et
la sous-section B qui forme les instituteurs unilingues d’arabe.
L'analyse des programmes
des différentes sections montre le souci des responsables de donner à tous les
élèves une formation bilingue qui leur permet de parler les deux langues
quelque soit leur section.
C'est ainsi que pour :
- la section de langue
française, sur un horaire de 34 h par semaine, l'emploi du temps prévoit 2h30
en 1°année, 3h en 2ème, 2h en 3ème et 3h
en 4ème pour l'arabe dialectal.
- la section de langue
arabe, la sous-section A, a formation s'effectue dans les deux langues avec une
prédominance pour l'arabe. Ainsi sur un horaire de 34 h par semaine, l'emploi
du temps consacre à la langue et à la littérature françaises 6 h pour les trois
années, et pour la langue et la littérature arabes 8h en 1°année, 8h30 en 2ème
et 3ème. En plus, les élèves suivaient un enseignement religieux et
de droit musulman, la numération, les sciences naturelles, la physique et la
chimie (2h30) en langue arabe, en 4ème année ils suivent en arabe un cours de
psychologie (3h /semaine) de sociologie (2h), de morale (1h), de pédagogie
spéciale (1h), d'arithmétiques (1h), de
sciences naturelles et d'hygiène ( 1h),
et des cours en français : psychologie de l'enfant (3h), morale
professionnelle et législation (1h), pédagogie spéciale des divers
enseignements.
- la section de langue arabe, la
sous-section B, la formation est effectuée en totalité en arabe (30h), mais
l'emploi du temps comporte un cours de français (de 3 à 5h/semaine selon le niveau
initial des élèves en français). La 4ème année de formation professionnelle est
elle aussi arabisée totalement (
30h/semaine) avec 4 h de français.
C - L'enseignement du français et de
l'arabe pour adultes et au niveau supérieur
1- L'enseignement
du français pour adulte
La DIP a cherché à diffuser la langue
française parmi la population adulte. Pour cela elle avait organisé des cours
publics pour adultes, dirigés par les instituteurs. Ces cours ont été ouverts
dans plusieurs villes comme Tunis, Bizerte, Sousse, Kairouan, Sfax et Nabeul.
Machuel, dans sa monographie
pédagogique sur l'enseignement public dans la régence de Tunis présentée
à l'occasion de l'exposition universelle de 1889, écrivait que "508
auditeurs, dont 180 Européens et 348 indigènes, se sont fait inscrire. Les deux
tiers environ ont suivi assidûment les leçons. Le programme de ces cours a
compris la lecture, l'écriture, le langage et les éléments du calcul. A Tunis,
le programme a été plus étendu dans une seule école, il a pu comprendre l'étude
de la grammaire française (avec des exercices d'application), de
l'arithmétique, de la géométrie, des sciences physiques et naturelles et de
l'histoire. Ces cours sont payés par la Direction de l'enseignement".
2- La
création de la chaire publique d'arabe
Trois années après l'instauration du protectorat, la
DIP décida la création d'une chaire publique d'arabe à Tunis (1884) dont le but
était d'enseigner la langue arabe aux français qui viennent s'installer en
Tunisie. Mais très vite, elle fut ouverte à toutes les nationalités et surtout
aux tunisiens musulmans et aux italiens. La chaire d'arabe comportait trois
degrés. Chaque degré est destiné à un public particulier et il est sanctionné
par un diplôme spécifique.
§ Le premier degré est un cours d’arabe
parlé.
"Ce cours
est consacré à la préparation au certificat de connaissance d'arabe
parlé. Il s'agit d'un cours "essentiellement pratique, destiné aux
personnes que leur position ou leurs besoins mettent en rapport avec les
indigènes et dont la première ambition est d'arriver le plus vite possible à
comprendre les arabes et à se faire entendre d'eux"[8]. A la
fin de ce cours, les personnes qui l'ont suivi passent un examen pour
l'obtention d'un certificat de connaissance d'arabe parlé[9].
§ Le deuxième degré - Cours élémentaire
d'arabe régulier.
" Ce cours prépare à l'examen du brevet
élémentaire d'arabe, brevet établissant que la personne qui l'a obtenu possède
une connaissance suffisante des principes de la grammaire arabe et qu'elle est
à même, non seulement de communiquer oralement avec les indigènes, mais encore
de lire et de comprendre un écrit ordinaire, rédigé en arabe régulier, et de traduire en style arabe correct
un texte français d'un genre simple et usuel. "[10]
§ Le troisième degré - Cours supérieur de
langue arabe.
" Le but de ce cours est de :
1° faire acquérir aux auditeurs
une connaissance approfondie des principes de la langue arabe,
2° les initier à la haute culture
intellectuelle musulmane et de développer en eux le goût des lettres arabes par
l'étude des principaux monuments de la littérature arabe, en poésie et en
prose,
3° leur donner des notions
élémentaires de prosodie arabe pour leur faciliter l'intelligence des
chefs-d'œuvre poétiques de cette langue,
4° leur donner également des
notions élémentaires de droit musulman (rite maléki et rite hanafi) et de les
familiariser avec la lecture et la traduction des pièces judiciaires et des
actes notariés".
"Ce cours prépare à l'examen
du diplôme supérieur d'arabe. Ce diplôme établit que la personne qui l'a obtenu
a une connaissance assez approfondie de la langue arabe pour traduire en
français un texte qui contient des difficultés, pour faire une rédaction en
style arabe correct sur un sujet quelconque et qu’elle possède des notions étendues
sur la syntaxe arabe et des notions élémentaires sur le droit musulman, la
littérature arabe et l'administration gouvernementale de la Régence"
(Machuel).
Au début, les cours de la chaire d’arabe étaient
donnés le soir à Tunis, mais la chaire a ouvert
les cours élémentaires d'arabe à Bizerte et à Sfax , elle a prévu la
possibilité de préparer les examens de langue arabe par correspondance pour les gens qui ne résident pas à Tunis Les
cours et les sujets des devoirs et les instructions sont publiés dans un
supplément spécial de chaque numéro du bulletin officiel de l’enseignement
public en Tunisie qui est envoyé aux intéressés. "Les élèves du cours
par correspondance adressent leurs devoirs au professeur à la chaire publique
d'arabe de Tunis, par l'intermédiaire de la direction de l'enseignement, et
leurs travaux leur sont renvoyés par la même voie, avec toutes les corrections,
annotations et indications nécessaires" Machuel". Il s'agissait
d'instituteurs, de directeurs d'écoles, de contrôleurs civils et de secrétaires
des contrôleurs civils, de secrétaires de municipalité, de receveurs de postes,
de fonctionnaires de police, d' interprètes.
3- L'Ecole supérieure de langue
et littérature arabes.
En 1910, la Chaire publique d'arabe de Tunis est transformée en Ecole
Supérieure de langue et de littérature arabes par arrêté[11]
(voir annexe 8), " La fonction propre de l'Ecole supérieure de langue
et de littérature arabes est de répandre, à des degrés divers, parmi nos
compatriotes, la connaissance de la langue arabe sous ses deux formes, écrite
et parlée"[12].
La nouvelle institution avait gardé la même organisation que la chaire
publique, elle continue à assurer les cours des trois degrés (certificat
d'arabe parlé, brevet d'arabe et diplôme d'arabe).
Au degré élémentaire qui prépare au certificat d'arabe parlé, les études qui durent en
général deux ans, permettent aux auditeurs "de tenir une conversation
simple en dialecte tunisien. Cet enseignement s'adresse à des catégories
diverses de nos compatriotes : colons, commerçants, militaires, fonctionnaires
de tout ordre, etc".
Le degré moyen qui prépare au brevet d'arabe, est
fréquenté surtout par des étudiants tunisiens qui cherchent à obtenir un
diplôme français qui leur ouvre des horizons dans l'administration.
Le degré supérieur, sanctionné par le diplôme d'arabe,
permet aux étudiants de maitriser les deux
langues arabe et française
et de posséder "une connaissance suffisante de
l'organisation administrative et judiciaire de la Régence, des institutions et
de l'histoire de l'Islam. Les étudiants qui suivent les cours de ce degré
préparent aussi les certificats de la licence d’arabe organisés par
l’université d’Alger". Un rapport officiel qui date de 1919[13]
regrette la faible affluence sur ce cours. "Le nombre des français
candidats au diplôme n'a jamais été considérable, quatre Français auditeursen
1918/1919". L'absence d'arabisants professionnels s'explique par le
fait que "le diplôme de Tunis n'offre pas de débouchés pour la carrière
de l'Enseignement en dehors de la Régence" (Rapport au président ,1919). Il ne permettait à ses
détenteurs ni de participer au certificat d'aptitude à l'enseignement dans les
lycées ni à l'agrégation d'arabe. Le même rapport jugeait cette situation
"peu raisonnable et assez injustifiée", d'autant plus que
"Le Directeur actuel de l'Ecole, (W. Marçais) qui a enseigné à Alger, à
Paris et à Tunis, et a siégé aux jurys de ces trois centres, affirme que notre
diplôme supérieur a largement la valeur de celui d'Alger et de celui des Langues
Orientales de Paris"[14].
" La présence aux cours de l'Ecole supérieure d'un grand nombre de
jeunes indigènes, y maintient les études à un niveau assez élevé. Quelques
cours sont mêmes professés en langue arabe, ce qui ne se rencontre,
semble-t-il, dans aucune autre école française d'orientalisme." [15]
En 1913,la direction de l'école est confiée à
l’orientaliste William Marçais qui est considéré par certains comme son
véritable fondateur. Il y crée, entre autres, une chaire d’histoire de la
Tunisie et de l’Afrique du Nord qu’il attribue à Hassan Hosni Abdelwahab, à qui
succède M’hamed Belkhûja[16] qui
"fait partie d’une nébuleuse de conférenciers, d’enseignants et de
journalistes qui banalisent et poursuivent un dessein commun : établir,
étudier l’existence et l’ancienneté d’une patrie tunisienne, par-delà son
islamisation. Un des signes de la tunisification de l’histoire réside dans la
réactivation de
l’appellation Ifriqiyya, ancien nom de la Tunisie à la résonance antique"[17].
4-
L’Institut des Hautes Études de Tunis et
la création de la licence d'arabe
L'enseignement supérieur a profité lui aussi de
l'ouverture des années quarante. L'année 1945 marque un tournant avec
l'ouverture de l’Institut des Hautes Études de Tunis (IHET)[18]. Sa
direction fut confiée à William Marçais ancien, directeur de l'E.S.L.L.A. L'
IHET est une sorte d'université locale mais qui était rattachée
scientifiquement et administrativement à l'académie de Paris. Il a intégré les
formations qui était assurées par l'école supérieure de langue et littérature
arabes et par le Centre d’Etudes juridiques[19].
L'institut comportait quatre
spécialités: les études juridiques, administratives et économiques, les études
philologiques et linguistiques qui "préparaient les trois certificats
de la licence d’arabe (littérature, philologie, études pratiques), et préparait
à un diplôme supérieur d’arabe à la place l’eslla"[20],
les études scientifiques et les études sociologiques et historiques. L’effectif
étudiant est passé rapidement de 611 en 1945-46 à 1088 en 1952-53. Les
étudiants français représentaient la majorité (57 % en 1948-49 et
61 % en 1951-52). Dans la même période, La proportion des Tunisiens
musulmans a tendance à diminuer (de 25 à 21 %)[21].
L'institut met en place des diplômes d’enseignement
supérieur sous la supervision de l’université de Paris, comme la licence
d'arabe dès 1946 que dirigera Mahmoud Messadi entre 1948 et1955, puis le diplôme d’archéologie en
1951, la licence arabe de droit en 1953.
pour conclure , quel bilan peut-on
faire , et quel est fut le couronnement d'un peu plus qu'un demi siècle de
combat pour la promotion de la langue arabe à l'école, pour certains le bilan
est négatif puisque le bilinguisme inégal s'est imposé , pour d'autres le bilan
est assez positif puisque la langue arabe a connu au cours de la période
coloniale un progrès certain , dans sa thèse déjà citée , le chercheur et historien Mokhtar Ayachi écrivait ce ci «il est étonnant de
constater l'écart entre le discours politique
nationaliste et la situation réelle de la langue arabe qui a connu sous
la colonisation à partir des années trente , un important renouveau allant de pair avec le mouvement des
mutations sociales qui traversaient la société tunisienne ». ( Ayachi p,83).
Fin
de la sixième partie , à suivre , pour revenir à la première partie, cliquerICI , à la 2ème partie cliquer ICI, à la 3ème partie cliquer ICI, à la 4èmepartie cliquer ICI, à la 5ème partie cliquer ICI
Hédi Bouhouch & Mongi Akrout, Révision Abdessalam
Bouzid, Inspecteurs généraux de l'éducation retraités.
Tunis 2015
Pour accéder à la version arabe, cliquer Ici
[1]Sraîeb, N « Place et fonctions de la langue
française en Tunisie », Documents pour l’histoire du français langue
étrangère ou seconde [En ligne], 25 | 2000, mis en ligne le 04
octobre 2014, consulté le 01 août 2016. URL :
http://dhfles.revues.org/2927
[2] Rapport au président de la république, 1922 .
[3]. Circulaire du 1er
juin 1944 au sujet de la création d’une
section tunisienne dans les établissements d’enseignements secondaire de garçons.
[4] cité par Michel Lelong : Le patrimoine musulman
dans l’enseignement tunisien après l’indépendance - Thèse présentée devant l’université de Provence -20
février 1971- service des reproductions des thèses de l’université de Lille III
– 1971
[5]Instructions du 13 mai 1946 pour la section tunisienne des lycées et collèges , Bulletin officiel de la direction de l'instruction publique , avril 1946-décembre 1946N°14 60e année
[6]cité par Michel Lelong : Le patrimoine musulman dans l’enseignement tunisien après l’indépendance
Thèse
présentée devant l’université de Provence, 20 fév 1971- service des
reproductions des thèses de l’université de Lille III – 1971
[7] Règlement de l’école normale du 11 juillet 1951 et Circulaire du 10 février 1953 relative au rôle et à l’organisation de l’école normale de Tunis. B.O.I.P. Janvier -février ,mars 1953 , n°11- 67e année, p57-61
[8]L. Machuel :
L'enseignement public dans la régence de Tunis.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56242621/f12.item.texteImage
[9]décret beylical en date
du 15 redjeb 1305 (37 mars 1888) ixant les différents diplômes de
langue arabe délivrés par la chaire d'arabe
[10]Machuel, opt ,cité.
[11] Arrêté du 22 novembre 1911 transformant la Chaire
publique d'arabe de Tunis en Ecole Supérieure de langue et de littérature
arabes
[12] Rapport au président de
la république sur la situation en Tunisie en 1920.
[13] Rapport au
Président de la République sur la situation de la Tunisie année 1919
[14] Rapport au
Président de la République sur la situation de la Tunisie année 1919
[15] Rapport au
Président de la République sur la situation de la Tunisie. 1920
[16] Aux origines de
l’enseignement supérieur tunisien
أكاديميا التعليم العالي وتكوين النخب من قرطاج
إلى تأسيس الجامعةhttps://hctc.hypotheses.org/232#_ftn4
[17]Kmar Bendana : M'hamed Belkhûja
(Tunis, 1869-1943) Un historien en situation coloniale Dans Revue d'Histoire des Sciences
Humaines 2011/1 (n° 24), pages 17 à 34
[18] "un décret
beylical et une ordonnance du gouvernement français du 1er octobre 1945
créaient, néanmoins, l’ihet. Nous ne disposons pas encore des documents
préparatoires à la création de cette nouvelle institution. Ils nous auraient
mieux éclairés sur les raisons qui ont poussé le pouvoir à créer cet organisme
d’enseignement supérieur." De la Zaytuna à l’université de Tunis : mutations
d’une institution traditionnelle
Noureddine Sraieb
[19] Aux origines de
l’enseignement supérieur tunisien
أكاديميا
التعليم العالي وتكوين النخب من قرطاج إلى تأسيس الجامعة
https://hctc.hypotheses.org/232#_ftn4
[20] Sraieb. N:De
la Zaytuna à l’université de Tunis : mutations d’une institution
traditionnelle.
https://books.openedition.org/iremam/262?lang=fr
[21]François Siino: science et pouvoir
dans la tunisie contemporaine, Éditeur : Institut de
recherches et d'études sur les mondes arabes et musulmans, Karthala
Collection : Hommes et société. 2004.
https://books.openedition.org/iremam/507
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire