lundi 29 février 2016

L’histoire des réformes scolaires en Tunisie depuis l’indépendance : Les réformes des années soixante- dix et le début des années quatre-vingt ( partie 4)


Nous terminons avec la note de cette semaine les réformes des années soixante- dix  et le début des années quatre-vingt par un bilan général de la période étudiée , rappelons que  avons consacré  la  partie 1 ( pour y accéder cliquer ICI )  à la présentation du contexte général du début des années soixante dix  et aux différentes mesures qui  visaient la réorganisation du ministère de l’éducation nationale  au niveau central et régional , prélude aux différentes réformes pédagogiques qui allaient être engagées au cours de cette décennie, la deuxième note a été consacrée aux réformes qui avaient été engagées à l’école primaire  (cliquer ICI pour y accéder), la troisième note aux réformes qui ont touché l’enseignement secondaire.(cliquer ICI pour y accéder)



III.            Le bilan des années soixante dix

Il faudrait distinguer entre la première moitié de la décennie et sa deuxième moitié.
1.     La première moitié : une période de stagnation et même de recul de la scolarisation
Les années soixante- dix furent pour l’école une période riche mais aussi une période d’hésitation et d’inconstance ; rien d’étonnant, puisque c’est une période de transition politique, marquée par l’abandon de la politique « socialisante », et le retour du modèle économique libéral avec ses principe de rentabilité, de productivité.
Cela n’a pas manqué de se répercuter sur les choix sur le plan éducatif : la première moitié de la décennie (1970-76) a été pour la scolarisation une période de stagnation et parfois même de recul qui s’est traduite par :

-      Une chute des inscriptions en première année de l’EP, qui sont tombées à 22342 nouvelles inscriptions au cours de l’année scolaire 1970 – 71, contre environ 55000 en 1969.[1]
-      La chute des effectifs des élèves inscrits aux écoles primaires qui passent de 922861 au cours de l’année scolaire 1970- 71, à seulement 865 776, au cours de l’année scolaire 1973- 74 ; le même phénomène a été enregistré au niveau de l’enseignement du second degré dont l’effectif est passé de 184127 à 178997 entre les années scolaires 1971- 72 et 1974-75.
-      Une baisse du taux de scolarisation de 5points entre 1972 et 1975, comme le montre le tableau suivant :

Tableau comparatif des taux de scolarisation

garçons
filles
total
1972 73
85%
54%
69%
1974 75
77%
51%
64%
 Source : INS, rapport 1974 - 1975

Mongi Bousnina explique dans sa thèse [2] cette évolution par les restrictions des crédits et «  par la politique de stricte application de la règlementation  scolaire en matière de redoublement, dont a résulté une extraordinaire montée du nombre des renvois d’élèves ».
Pour Noureddine Sraieb[3], « c’est sans doute là le résultat de l’application de la nouvelle politique de scolarisation, fondée essentiellement sur la prise en considération des réalités, et sur la rentabilité, comme le disait M. Bahi Ladgham, alors premier ministre. »

2.      la deuxième période : la reprise
Depuis 1976, (le  retour Mohamed Mzali à la tête du ministère de l’éducation nationale qui va y rester de mai 1976 au 25 avril  1980) ,commence à se dessiner une reprise «  au cours  des cinq dernières  années ( 1976- 1981) ;  les effectifs se sont accrus de 31.4%,  et une amélioration  du taux de scolarisation … qui enregistre une légère reprise … sans qu’on parvienne encore à rattraper le niveau de scolarisation de 1971 »(Bousnina.)
Nous allons essayer de dresser le tableau de cette deuxième période en s’appuyant sur les brochures officielles du ministère. [4]
Au cours de l’année scolaire 1976 -77, le système scolaire comptait 1151816 élèves ; l’année scolaire suivante ils sont devenus 1194312 élèves  dont 84% au premier degré.
a.     Le premier degré ou l’enseignement primaire :

§  la population scolaire des écoles primaires est passée de 895000 au cours de l’année scolaire 1969-70, à environ 995000 au cours de l’année scolaire 78-79, soit une augmentation d’environ 100000 élèves, en 9 ans ; le taux de scolarisation  général étant de 68% ( 79.5 % pour les garçons et 56.1 % pour les filles)  ; les prévisions du plan quinquennal 1977-81 prévoyait  95% pour les garçons et 85 % pour les filles, soit un taux de croissance plus fort chez les filles.[5]

Tableau 2 évolution du nombre d’élèves
pourcentage
les élèves en nombre
année scolaire
    fille
garçon
      total
    fille
garçon
76/77
39.3
60.7
957107
375831
581276
77/78
39.8
60.2
981255
389983
912725
78.79

§  L es écoles : le nombre d’écoles primaires est passée de 2180 au cours de l’année scolaire 1969-70, à environ 2473 au cours de l’année scolaire 78-79, soit une augmentation d’environ 293 en 9 ans , sans oublier les extensions qui ont touché plusieurs écoles.
§  Les instituteurs : le cadre enseignant est passée de 10006 instituteurs et institutrices  au cours de l’année scolaire 1969-70, à environ 25342 au cours de l’année scolaire 78-79, soit une augmentation de 15336 enseignants  en 9 ans ; le pays a réussi à assurer son autosuffisance, et a même pu envoyer certains instituteurs en coopération ;   le nombre de femmes enseignantes n’a cessé d’augmenter ; elles représentaient  26.4 % au cours de l’année scolaire 78-79.
Tableau 3 : évolution du cadre enseignant à l’école primaire
année scolaire
instituteurs
institutrices
total
% des femmes
76/77
17979
6004
239832
25
77/78
18509
6362
42871
26
78.79
18663
6679
25342
26.4

b.    L’enseignement secondaire

§  La population scolaire qui suit l’enseignement secondaire toutes filières confondues comptait 180091 élèves au cours de l’année scolaire 1975-76 ; elle avait atteint, au cours de l’année scolaire 1977-78,  soit une augmentation d’environ 30000 élèves[6].
Tableau 4 : évolution de nombre d’élèves de l’enseignement secondaire
total
2ème cycle secondaire général et technique
tronc commun
professionnel

%
Nbre
%
Nbre
%
Nbre
%
Nbre

100
183091
37,88
69337
43,37
79402
18,75
34352
1975/76
100
194709
35,51
69122
43,60
84899
20,89
40688
1976/77
100
213057
34,44
71228
42,68
90942
23,88
50887
1977/78

Si on s’intéresse à la répartition des élèves sur les différentes filières, nous remarquerons que l’enseignement professionnel, qui a pris la place de l’enseignement moyen, représente un peu plu du cinquième de l’ensemble, et que sa part est en progression ( + 5 points en 3 ans) ; le tronc commun  presque 43%, et le second cycle général et technique  presque 35 %. .
Quant à la distribution des élèves du second cycle sur les différentes sections ou les différentes spécialités, on constate que l’enseignement secondaire général concentre presque trois quarts de l’effectif  du deuxième cycle ( 72.2%),  la part de l’enseignement technique n’est que de 22.8%  seulement, se répartissant entre l’enseignement technique industriel ( 14.7 ), et  l’enseignement technique économique ( 8.1),  ce dernier enregistrait un net recul  .
Tableau 5 : répartition des élèves du second cycle au cours de l’année scolaire 1977 -78

section ou filière
%
lettres
22,4
mathématiques sciences
46,8
mathématiques technique
7,7
sciences économique
0,3
technique industrielle
14,7
technique économique de gestion
4,4
Technique Economique Administrative
3,7
total
100
 Remarque : le rapport de 1976/ 78 parle de deux options secrétariat et comptabilité et non  de technique économique de gestion et Technique Economique Administrative

§  Les enseignants : le nombre d’enseignants a dépassé les dix milles , et leur qualification s’est nettement améliorée ; la proportion des professeur détenteur d’une maitrise ou d’une licence ( PES ) ou  du diplôme de l’école normale des professeurs adjoints ( PES  1er  cycle  ) dépasse les 70%  ( 7300  sut 10000) ;  mais le pays continue à faire appel à des coopérants étrangers qui représentaient  11.5% de l’effectif, au cours de l’année scolaire 1977/78 ( voir le tableau ci-dessous) .
Tableau 6 : évolution des enseignants du secondaire

1975/76
1976/77
1977/78

Nbre
%
Nbre
%
Nbre
%
tunisiens
7225
83,23
8175
83,79
9011
85,5
étrangers
1456
16,77
1582
16,21
1166
11,5
total
8681
100
9757
100
10177
100

Conclusion
L’autorité scolaire s’est attelée au cours de la deuxième décennie de  la réforme scolaire de 58  et toujours dans son cadre a :
-         Raffermir les liens entre les plans de développement économique et social et le plan de développement éducatif.
-         Accorder une place particulière pour l’enseignement secondaire technique industrielle et économique pour former les cadres moyens qualifiés pour les différents secteurs productifs ;
-         Donner aux filières scientifiques et techniques une bonne place
-         Consolider l’enseignement professionnel et l’initiation aux travaux manuels
-         Améliorer la qualité de l’enseignement par l’amélioration du niveau des enseignants des deux degrés
-         Développer davantage l’ancrage des programmes scolaire à la civilisation et la culture arabo musulmane par l’arabisation de la plupart des disciplines scolaires de l’enseignement primaire et des écoles normales des instituteurs et l’arabisation des disciplines des sciences sociales au secondaire.et par le renforcement de la place la littérature tunisienne dans les programmes et les manuels scolaire
 Telles étaient les  principales réformes décidées au cours de la deuxième décennie  qui voulaient trouver des solutions aux problèmes du système (redoublement massif, abandon, inadéquation  entre la formation et les besoins réels du pays, déracinement  culturel …)
mais il semble que les résultats n’étaient au niveau des attentes
, d’après le témoignage du Ministre Mzali lui même qui le reconnait dans le rapport moral du congrès de la résistance du parti destourien tenu le 19 juin 1986 dans les termes suivants : « en ce qui concerne le système éducatif, le rendement interne est encore  parmi les principaux problèmes, le nombre d’abandon au niveau de l’école primaire est encore élevé malgré sa baisse au cours des dernières années grâce à la création d’une 7ème et une 8ème année et une certaine amélioration du rendement interne de l’école primaire , il est faudrait étendre l’expérience de la 7 et de la 8ème année et de réviser les contenus de  leurs programmes » en outre Mzali reconnait que l’objectif qui vise à développer l’enseignement technique et professionnel  ne fut pas réalisé , disant à ce propos :  «  au niveau de l’enseignement secondaire ,l’idée était de réorganiser ce cycle afin de renforcer les sections techniques et professionnelles et de repenser l’enseignement professionnel pour améliorer sa capacité à s’adapter à la demande du marché de l’emploi »[7], il est à noter que Mohamed Mzali , ancien ministre de l’éducation et Premier ministre et secrétaire général du parti à l’époque n’évoque pas dans le rapport l’école de base qui était prévue dans le plan quinquennal de développement  ( 1982/86) et qui faisait l’objet des travaux de commissions au ministère de l’éducation, Mzali lui préfère son projet de la 7 et de la 8ème  et le développement de l’enseignement professionnel qui n’a pas donné de bons résultats et a montré ses limites , d’ailleurs les futures orientations vont rompre avec ces choix contestés.

Hédi Bouhouch & Mongi Akrout , inspecteurs généraux de l’éducation ,
Tunis , octobre 2014.


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http://bouhouchakrout.blogspot.com/2016/01/lhistoire-des-reformes-scolaires-en_25.html





[1] N .Sraieb, Introduction à l’Afrique du nord contemporaine, VI. Enseignement, décolonisation et développement au Maghreb, p. 131-153, I R E M A M
[2] Bousnina, M. (1991). Développement scolaire et disparités régionales en Tunisie. Tunis: Publication de l'Université de Tunis I. p 374
[3] N.Sraieb, opt cité ,
[4] Ministère de l’éducation nationale - Les rapport sur le mouvement éducatif en Tunisie , 1974 - 76  et  1976 -78 , présentés au 37ème et 38ème  sessions  de la conférence internationale de l’éducation 
[5]  Rapport sur le mouvement éducatif en Tunisie (1976 -78) , opt cité , p 29  et 30
[6] Les données sont tirées du même document cité précédemment
[7] Le rapport  moral du congrès de la résistance du parti socialiste destourien p 80.

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